En berne

À l’heure où je jette ces lignes sur le papier (enfin plutôt sur le traitement de texte, mais l’expression est moins jolie), j’avoue que mon moral est un peu comme le ciel de ces vacances de Toussaint.

Fatigué comme bien d’autres par cette réforme du bac à marche forcée, je voyais pourtant approcher ces congés comme une bouffée d’air pour un prof en apnée.

Mais la violence ignoble qui a brusquement surgi est venue jeter son voile d’ombre. Affliction pour notre collègue et sa famille, sidération de se découvrir brutalement exposé en 1re ligne pour les valeurs de la République que nous représentons.

Depuis le cabinet du ministre (qui semble avoir déménagé depuis quelque temps pour s’installer dans les locaux d’une chaîne télé ; certaines mauvaises langues parlent de rebaptiser le fameux B.O. par un « B. F. M. », mais après tout, il semble que l’époque est à la com’ ), les annonces de jeudi ont confirmé notre place en 1re ligne, toujours, mais cette fois-ci pour la nation, car en dépit des protocoles sanitaires compliqués à tenir, il faut bien permettre à tous d’avoir accès à l’éducation.

Une première ligne étrange où si l’ennemi est clairement désigné, nous sommes d’abord au contact (pas trop tout de même, il y a la COVID) de nos élèves.

Alors ce lundi, nous montons au front : nous allons parler d’unité, de ces valeurs qui nous unissent au delà des différences, prendre un temps pour se souvenir et rendre hommage … Et après ?

Après, il y a l’avenir, et pour nos élèves il est aussi chargé de nuages et incertain que le ciel de ces vacances de Toussaint.

Alors, comment garder le moral et motiver les élèves pour les semaines à venir ?

Pas facile, si l’on reste fixé sur ce qui nous affecte… et le protocole sanitaire qui se rappelle à nous à chaque instant, le confinement ainsi que le climat d’insécurité ne vont pas nous y aider.

Mais nous avons cette chance aussi (ce qui n’était pas le cas la dernière fois), de garder un contact direct avec nos élèves.

Si le reste de leur vie sociale s’est drastiquement réduit, il leur reste ce statut si central dans notre société, celui d’écolier.

Il est certain que le lien social est notre talon d’Achille face au virus, celui qui permet sa transmission si rapide en ce moment. Mais ce lien social, c’est aussi notre force, celui qui nous construit et qui nous permet d’avancer.

Alors pour ma part, je vais continuer à travailler le plus possible comme avant et notamment veiller à conserver le travail en groupe (que je pense peut-être même renforcer). 

Ce travail qui permet de se trouver reconnu et d’avoir un rôle, une interaction réelle (le nécessaire pendant au virtuel des réseaux sociaux).

En classe entière par exemple, le travail sur des activités peut être réalisé en groupe de 4 en rassemblant deux tables : pour le respect du protocole sanitaire les distances de 1 m sont alors conservées en face à face.  

Pour les disciplines qui possèdent des TP (c’est le cas pour moi qui suis prof de SVT), les textes semblent préciser qu’ils peuvent se dérouler en salles spécifiques. De toute façon la réforme du lycée ayant favorisé le brassage des élèves, il n’y a plus de “classe” dès la 1ère, les élèves sont donc nécessairement obligés de se déplacer pour se mêler à d’autres élèves dans les enseignements de spécialité-. Donc je compte bien continuer à manipuler : pour le protocole sanitaire, je reconduirai celui qui était déjà en vigueur précédemment (il était déjà strict).

Conserver le lien et être à l’écoute

Je veillerai aussi à conserver le lien avec mes élèves bien sûr car nous l’avons tous observé et expérimenté : le lien avec l’enseignant est essentiel dans une classe.

L’enseignant ne peut être remplacé par des « prothèses » numériques ( les cours en ligne, les visioconférences, ou les cours télévisés) qui, paradoxalement, nous rendent plus « connectés ».

Le travail en groupe, les TP sont des temps où il est possible de passer auprès de quelques élèves pour échanger individuellement pendant le temps classe (si bien sûr le groupe est assez autonome avec le travail confié). L’AP aussi peut être un temps privilégié (pour ceux qui ont la chance d’en avoir conservé un peu car elle sert bien souvent comme variable d’ajustement quand les DHG sont particulièrement indigentes comme en ce moment).

Pendant le confinement de mars, il était aussi recommandé de faire un point régulier avec la classe (par exemple en début de cours en visio, pour ceux qui ont pu en faire bien sûr), peut-être serait-il intéressant de faire un point hebdomadaire (pour les PP) de 5 à 10 min pour faire remonter les questions ou problèmes, le ressenti (avec possibilité d’une expression anonyme sur papier ?) des élèves. Ça ne sert peut-être à rien ? Mais ça peut montrer au moins qu’il y a une écoute. 

Ma boîte mail sera toujours ouverte à leurs questions et, même si je me laisserai un délai pour répondre… enfin j’essaierai, je tacherai toujours de répondre avec bienveillance.

Conserver le même rythme

Je garderai aussi le même rythme de travail

Car si le confinement va libérer pas mal de temps à certains élèves qui avaient beaucoup d’activités extrascolaires, je vais tout de même prendre garde de ne pas les envahir par un surcroît de devoirs sous prétexte qu’ils ont plus de temps libre, travers que nous avions tous observé et déploré lors du premier confinement. Il faut un juste équilibre, et les collègues qui sont dans la réforme actuellement le sentent bien, la vie ne doit pas se résumer au travail. 

Donc, pour moi, pas plus de DM ou de DS pour profiter de cet « effet d’aubaine » (ou chaque matière se croit seule à être importante et donc à demander un effort supplémentaire). Mais pas moins non plus ! Garder le rythme, c’est essentiel ! 

On ne sait jamais peut-être que cette année, ils passeront les écrits du DNB ou du Bac,… 

Préparer l’avenir

Pour avancer, il faut aussi continuer à parler de l’avenir : l’orientation, Parcours sup et le bac pour mes terms, pour ainsi se projeter dans un « après ». 

Avec les potentielles annulations des journées portes ouvertes et salons, il nous faudra peut-être aussi envisager de travailler sur des visites virtuelles, en AP (avec le même bémol que précédemment).

Parler de cet avenir avec confiance, car nous le savons bien, si la vieille dame qu’est l’Éducation nationale manque de souplesse, ce n’est pas le cas de ses professeurs qui savent souvent être bienveillants et s’adaptent (ont-ils le choix ?) pour pallier au mieux.

 

Bref, rien de bien extraordinaire en fait, juste de la normalité avec juste un peu plus d’attention et d’écoute !

Pas grand-chose, mais dans un monde qui se présente comme incertain et anxiogène pour nos élèves, c’est une normalité qui rassure et qui « ouvre les horizons des possibles ».

 

Et vous comment envisagez-vous cette rentrée ? Sous les nuages gris qui se sont amoncelés ou avec l’espoir qu’au delà brille le soleil ?

 

Une chronique de Damien Thomas (prof à « l’École normale »)

Une réponse

  1. Joli texte…je partage tout : rester zen, montrer des perspectives pour le futur, leur faire vivre l’intérêt du collectif…
    Allez, on y retourne…
    Pour moi, il y a déjà demain la séance d’hommage à notre collègue…à vivre avec la classe dont je suis le PP.

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