Changer d’avis est-ce faire acte de liberté?

21 décembre 2008 0 Par caroline-sarroul

Changer d’avis est-ce faire acte de liberté ?

I. si avoir le choix apparaît comme une marque de liberté ; faire un choix, c’est prendre un parti et par là en un sens perdre sa liberté car c’est :
– sacrifier l’autre parti, même si au départ les deux partis étaient tout aussi possibles. Choisir par ex. d’épouser X, c’est parfois renoncer à Y et aussi à A,B,C, D, etc .. si ce choix est aussi choix de la fidélité. Si on associe la liberté à avoir une infinité de possibles face à soi, il y a ici renoncement apparent à la liberté.
-et aussi par là décider par anticipation des choix à venir, avec le choix de l’engagement, de la promesse ou d’une vie ( morale, religieuse,…) . Faire le choix d’être membre d’une religion, c’est accepter de n’avoir plus le choix de dévier sur la voie du péché. C’est donc soit se retirer soi-même (on n’est peut-être autonome par là, c’est nous qui avons choisi de ne plus pouvoir choisir, mais on n’est plus indépendant), soit se voir retirer certains possibles existants avant ce choix ( la mort ou l’esclavage ? choix de l’esclavage est la dernière décision volontaire). Choisir, c’est encore renoncer à des choix futurs, à avoir le choix dans le futur. Aussi, on pourrait penser que changer d’avis, pouvoir le faire, c’est avoir échappé aux contraintes d’un choix sans retour (si on revient en arrière, par le changement d’avis, et si on annule le choix antérieur, c’est que cette possibilité est encore offerte) et échapper aux contraintes du choix, passer outre : on ne tient pas ses engagements, on ne fait pas cas du choix antérieur et on refait le choix comme on le veut à présent, en fonction de la situation présente, du désir immédiat, de l’opportunité de changer d’avis. On fait ce qui nous plaît.
On recommence à zéro, on inaugure une nouvelle série et la liberté n’est-elle pas comme le dit Kant, ce « pouvoir de commencer » en échappant aux déterminations empiriques passées et présentes, et par là pouvoir de recommencer ? Donc pouvoir changer d’avis peut sembler le signe d’une volonté indépendante, échappant aussi bien aux contraintes du choix qu’à ses propres contraintes : fidélité à soi orgueilleuse, par exemple ou fierté mal placée qui fait qu’on ne veut pas reconnaître ses erreurs ; On n’obéit à aucune loi, on réagit selon le désir, l’avantage immédiat, c’est le confort de l’ « anomie»
Changer d’avis peut aussi être un signe d’intelligence et d’une volonté du choix le plus juste possible. « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis », dit-on. Et , si on en croit Descartes, la connaissance bien loin de diminuer ma liberté l’augmente et la fortifie, donc changer d’avis à cause d’un apport de connaissance, serait donc signe d’une liberté réelle et même enfin pleine (le choix initial ayant été fait dans l’ignorance, par une liberté d’indifférence plutôt qu’éclairée).
TR : Donc pouvoir changer d’avis, revenir sur son choix peut sembler une manière d’affirmer sa liberté. Mais faire la girouette, si c’est le signe d’une apparente indépendance, est-ce pour autant le signe d’une liberté, est-ce parce qu’on peut changer d’avis que notre avis est pour autant à chaque fois libre?

II. Il ne suffit pas d’avoir le choix, faire des choix et de revenir sur ses choix pour être libre : la liberté du choix dépend de sa cause. Si la cause est extérieure à soi et si la volonté y est soumise, si la cause est intérieure mais s’impose comme détermination nécessaire ( le vrai, le Bien une fois reconnu s’impose ! car « Nul n’est méchant volontairement » comme le disait Socrate), il y a certes en apparence choix mais pas choix libre, et si le choix initial ne l’était pas , le nouveau choix ne le sera sans doute pas davantage. On ne peut alors parler de renoncement à la liberté puisqu’il n’y avait pas liberté initialement. Et c’est d’ailleurs ce que l’on va alléguer pour expliquer le revirement de notre avis : à l’époque, je n’avais pas le choix, j’avais été influencé, j’étais autre… mais maintenant j’ai changé, j’ai enfin le choix, je sais…mais ce qu’on ne sait pas ce qu’on n’est pas davantage libre ( cf : Schopenhauer, l’évolution de nos choix ne signifie pas pour autant que nous évoluons et que nos choix ne soient pas pour autant le produit de notre caractère et du motif entré en jeu) . On peut donc être dans l’hétéronomie et dans la nécessité dans nos choix et revenir dessus ne changerait rien : illusion du libre-arbitre, illusion de l’indépendance.

III. A. Sans aller jusqu’à remettre si radicalement notre liberté (car la fin de l’indépendance n’est pas l’impossibilité de l’autonomie ou l’argument de l’hétéronomie, un refuge à l’angoisse de la liberté, comme le soutient Sartre, « l’homme n’est pas libre de ne pas être libre ») ,
B. on peut cependant voir dans le changement d’avis un esclavage du désir qui nous détourne de notre volonté première, on se laisse séduire par l’agréable immédiat. Ce changement d’avis serait le signe d’une incapacité d’obéir au choix qu’on s’est soi-même donné, à la loi qu’on s’était prescrite, manque ou fin de l’autonomie. On peut aussi y voir un opportunisme qui fait qu’on réagit au gré de l’occasion, de la situation ; ce qui est peut-être une marque d’adaptation et un art ( c’est l’art du bon politique pour Machiavel), mais qui peut aussi dénoter une absence de ligne de conduite personnelle, de projet.
C. pour Sartre, l’homme se définit par son projet originel, un choix fondamental qui va éclairer ses choix à venir. Etre libre, c’est s’engager dans un projet que l’on s’est donné (on se produit en même temps que ses choix, dans ses choix , « l’existence précède l’essence ») ou que l’on a fait sien ( être libre, c’est prendre possession de soi-même, devenir ce que l’on est, s’assumer). Etre libre, c’est être soi, s’engager et tenir ses engagements. La liberté c’est l’autonomie et la capacité à rester fidèle à soi, à ses engagements. La liberté c’est donc la faculté de se faire un avis par soi-même et de s’y tenir, plutôt que de revenir sans cesse dessus.