Suffit-il d’être différent des autres pour être soi-même?

29 décembre 2008 0 Par caroline-sarroul

Suffit-il d’être différent des autres pour être soi-même?

Analyse des termes:

Suffit-il : I. est-ce une condition nécessaire II. est-ce pour autant une condition suffisante III. Quelles sont alors les autres conditions ou peut-on envisager qu’il n’y ait aucune solution satisfaisante
Etre soi/être soi-même
Dans le langage commun, être soi et être soi-même, c’est la même chose, du coup quand on n’est plus soi-même, on n’est plus soi. On peut exploiter cette confusion pour faire le plan

I. Etre soi-même = Etre soi.

Etre soi, c’est seulement ne pas être l’autre. Je suis moi parce que je ne suis pas toi. Donc la différence avec les autres suffit pour être soi. C’est d’ailleurs en se différenciant des autres que l’on se constitue comme étant soi (développement de la conscience d’être soi, chez l’enfant, en se dissociant du monde extérieur : séparation avec la mère, différence faite entre ce que je sais et ce que les autres savent, entre moi et le monde). Et c’est en affirmant cette différence qu’on revendique être soi et qu’on reste soi. Quand la différence entre soi et les autres s’évanouit par mimétisme, par mode, on a l’impression de se perdre. Se différencier des autres donne donc un sentiment objectif (par mon corps, mon état civil, mes attitudes, mes particularités) et un sentiment subjectif (je me pense comme différent) d’UNICITE et d’IDENTITE ; tant que je ne suis pas toi, tant que je ne suis personne d’autre que moi, je suis et reste moi. D’OU en I, la réponse immédiate : cela semble nécessaire et suffisant d’être différent des autres pour être soi. Donc être soi, c’est avoir un sentiment d’unité, d’unicité et d’identité : je sais que quelque soit mon attitude, mon état mental, il est toujours mien et pas celui d’un autre ; je sais que même si je change, évolue, je reste toujours moi. Du coup, même quand je triche pour plaire, je sais que cette tricherie est la mienne et pas celle d’un autre et que même si j’apparais sous un visage inhabituel, artificiel, c’est encore moi derrière. Et, c’est d’ailleurs parce que je reste moi que je peux éventuellement constater que là je ne suis plus moi-même, ce qui ne signifie pas pour autant que je suis un autre même si j’apparais autre aux autres ou même à mes propres yeux. Sauf accident neurologique ou perte totale de conscience, on ne peut pas ne pas être soi.
Transition : Ceci dit, ce n’est pas parce qu’on se sait être soi, qu’on est, que pour autant on sait qui on est et qu’on est soi-même au sens plus précis du terme. D’où II.

II. Etre soi-même = être soi-même:

Etre soi-même, c’est davantage qu’être soi, c’est être en accord avec soi,
– c’est-à-dire déjà que ce que nous sommes pour nous, selon nous et ce que nous donnons à voir aux autres de nous s’accordent. D’où un sentiment de cohérence, de fidélité à soi. On ne se trahit pas, on apparaît tel que l’on est. En restant soi, en continuant de se différencier des autres, on s’affirme comme étant soi-même. Mais on peut aussi si tel est notre choix, s’identifier aux autres, adopter leur mode de penser, d’être. Si je suis moi-même pour moi, l’opposition systématique à l’autre ou la revendication permanente de ma différence n’est pas nécessaire. C’est celui qui se cherche, qui a besoin de s’opposer pour se convaincre qu’il n’est pas l’autre ou qui a besoin de cette opposition, de marquer la différence pour se trouver et s’affirmer
– mais être soi-même, ce n’est pas seulement (ni nécessairement d’ailleurs) accorder son paraître et son être, mais surtout accorder son être à son être, donc être plutôt et d’abord en accord intérieur qu’en accord extérieur, d’où pas seulement unicité, unité, identité mais EGALITE. Ce qui fait que si je triche pour plaire et que je sais que plaire est un trait essentiel de ma personnalité, alors j’apparais comme n’étant plus moi-même, mais pour moi, je reste moi et je suis moi-même, car ce désir de plaire, c’est moi. Et à l’inverse, il se peut que j’apparaisse comme étant moi (et pas toi), comme étant moi-même aux autres (pas de changement, même visage), mais qu’au fond de moi-même, je ne me sente pas, pas encore ou plus moi-même. Pour avoir ce sentiment d’être soi-même, d’être en accord avec soi, la différence avec l’autre ne suffit pas. Je peux ne pas être toi, mais ne pas me sentir moi, car j’ai du mal à dire qui je suis, à m’assumer, à me connaître et reconnaître. Ce n’est pas par ce que je ne suis pas l’autre que pour autant je ne me sens pas autre pour moi-même, étranger à moi-même. Il va falloir donc ajouter à l’identité objective, un sentiment d’égalité subjective.
D’où :

III. A. Et cela exige d’autres conditions, un travail de prise de conscience de soi, et dans un premier temps, je vais me révéler plutôt étranger à moi-même : ce qui forme pour nous, notre personnalité, c’est un ensemble de caractères qui nous distinguent des autres. Ces caractères sont des dispositions innées et des acquis en fonction de notre histoire et de son cadre. Ces caractères sont découverts par expérience ou par introspection, ce sont nos manières d’être, d’agir et réagir habituelles. Mais, il se peut qu’un situation exceptionnelle nous révèle un aspect non vu jusqu’ici et alors, la conscience de cette révolution peut nous donner le sentiment que finalement, on ne se connaissait pas vraiment, pas totalement. Dans ce cas, on se révèle tout à coup sans rapport avec ce que l’on était pour soi jusque là. Il y un écart entre le soi habituel et le soi qui se révèle là. On devient en ce sens étranger à soi, ou plutôt à ce qu’on croyait être soi. On se rend compte que finalement on était inconnu par soi, et en ce sens là on devient étranger à soi. Dans ces cas-là, on se rend compte que l’on a des réactions inattendues. Mais ces réactions ont pourtant des causes en moi et le fait que je les ignore souligne les limites de ma connaissance de moi-même. Là, en prenant conscience de moi dans cet état, je me rends compte que je suis pour moi une terre étrangère. Que sais-je de moi ? que je suis, ce que je me rappelle de mon passé, ce que je vois et expérimente de moi…mais tout le reste ce que je suis (saut substantialiste et sa critique), ce que j’ai oublié (vie intra-utérine, naissance, petite enfance, événements refoulés dans mon inconscient), ce dont je ne me rend pas compte (influence des autres, préjugés…) tout cela explique qui je suis mais moi, je l’ignore et c’est ce dont je prends conscience à l’occasion d’un lapsus, d’une réaction inhabituelle ou d’un travail d’analyse de moi-même. Donc au plus je me connais, au plus je me rends compte que je me connais mal et que je suis habité par des corps étrangers (inconscient, les autres…)

B. Ce qui peut laisser penser que :
soit on n’est jamais soi-même, on s’efforce de l’être ou on devient peu à peu soi-même, sans jamais être certain d’y être parvenu totalement (autre III possible si on joue sur le présupposé du sujet qui est qu’on peut être soi-même!)
soit on peut dire que ce que nous sommes pour nous, et donc ce que nous appelons MOI, c’est :
– soit que ce que l’on sait de soi ( le moi s’identifie alors à la conscience qui permet de ramener à soi ce dont on a conscience, qui permet d’être certain d’être ( cogito de Descartes) de dire je ( Kant) et de se sentir soi et qui par ce qu’elle m’apprend de moi me permet de donner une définition de moi,
– soit que nous savons de nous + ce que nous ignorons (inconscient, personnalité profonde, désirs) mais que nous reconnaissons comme nous appartenant (donc le moi est plus grand que ce qu’est la conscience et nous l’acceptons)
-soit ce que nous reconnaissons comme nôtre dans une synthèse que nous faisons et que nous appelons : moi. Je ne suis pas ce que je suis de fait, je suis ce que j’ai choisi d’être. Je ne suis pas mes attachements objectifs, je suis les attachements que j’ai choisi, que je reconnais comme étant miens. Et ce que je choisis pour me définir évolue avec le temps, avec la connaissance que j’ai de moi-même. Du coup même si je n’ai pas choisi d’être ce que je suis, je choisis d’être cela ou non, je choisis d’être celui que je suis. Donc le moi (je pour moi) ne s’identifie pas nécessairement à la conscience, il s’identifie à ce à quoi j’ai choisi de m’identifier. Ce que j’appelle moi, n’est qu’une représentation de moi-même.