Quelques textes sur la religion

31 janvier 2009 0 Par caroline-sarroul

Introduction :« Toutes les croyances religieuses connues présentent un même caractère commun : la division du monde en deux domaines comprenant, l’un tout ce qui est sacré, l’autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse » (Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse).

« On pourrait dire que l’histoire des religions, des plus primitives aux plus élaborées, est constituée par les manifestations des réalités sacrées. De la plus élémentaire hiérophanie : par exemple, la manifestation du sacré dans un objet quelconque, une pierre ou un arbre jusqu’à la hiérophanie suprême qui est, pour un chrétien, l’incarnation de Dieu dans J.C. C’est toujours le même acte mystérieux : la manifestation de quelque chose de « tout autre », d’une réalité qui n’appartient pas à notre monde, dans des objets qui font partie intégrante de notre monde naturel, profane. » Mircéa Eliade.

 

 I. Du Dieu éprouvé au Dieu prouvé.

 
« Si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l’idée de quelque chose, il s’ensuit que tout ce que je reconnais clairement et distinctement appartenir à cette chose, lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l’existence de Dieu ? Il est certain que je ne trouve pas moins en moi son idée, cad l’idée d’un être souverainement parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre que ce soit. Et je ne connais pas moins clairement et distinctement qu’une actuelle et éternelle existence appartient à sa nature, que je connais que tout ce que je puis démontrer de quelque figure ou de quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre. Et partant, encore que tout ce que j’ai conclu dans les Méditations précédentes ne se trouvât point véritable, l’existence de Dieu doit passer en mon esprit au moins pour aussi certaine, que j’ai estimé jusques ici toutes les vérités des mathématiques, qui ne regardent que les nombres et les figures : bien qu’à la vérités cela ne paraisse pas d’abord entièrement manifeste, mais semble avoir quelque apparence de sophisme. Car ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l’existence et l’essence, je me persuade aisément que l’existence peut être séparée de l’essence de Dieu, et qu’ainsi on peut concevoir Dieu comme n’étant pas actuellement. Mais néanmoins, lorsque j’y pense avec plus d’attention, je trouve manifestement que l’existence ne peut non plus être séparée de l’essence de Dieu, que de l’essence d’un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits, ou bien de l’idée d’une montagne l’idée d’une vallée ; en sorte qu’il n’y a pas moins de répugnance de concevoir un Dieu (cad un être souverainement parfait) auquel manque l’existence (cad auquel manque quelque perfection), que de concevoir une montagne qui n’ait point de vallée. […]

De cela seul que je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s’ensuit que l’existence est inséparable de lui, et partant qu’il existe véritablement : non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu’elle impose aux choses aucune nécessité ; mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l’existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n’est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (cad un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m’est libre d’imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes. »

Descartes,  Méditations métaphysiques .

 

II) Dieu réprouvé.

 a) La religion comme narcose.

« Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, la religion ne fait pas l’homme. Plus précisément : la religion est la conscience de soi et de sa valeur de l’homme qui ou bien ne s’est pas encore conquis lui-même, ou bien s’est déjà perdu à nouveau. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait, installé hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, une conscience du monde à l’envers, parce qu’ils sont un monde à l’envers. La religion, c’est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement général de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de réalité vraie. La lutte contre la religion est donc immédiatement la lutte contre ce monde dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation cotre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature tourmentée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit de situations dépourvues d’esprit. Elle est l’opium du peuple. »                                                                        MARX

b) La religion comme névrose.

« Ainsi je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant vos déductions, vous dites que l’homme ne saurait absolument pas se passer de la consolation que lui apporte l’illusion religieuse, que, sans elle, il ne supporterait pas le poids de la vie, la réalité cruelle. Oui, cela est vrai de l’homme à qui vous avez instillé dès l’enfance le doux -ou le doux et amer- poison. Mais de l’autre, qui a été élevé dans la sobriété? Peut-être celui qui ne souffre d’aucune névrose n’a-t-il pas besoin d’ivresse pour étourdir celle-ci. Sans aucun doute l’homme alors se trouvera dans une situation difficile; il sera contraint de s’avouer toute sa détresse, sa petitesse dans l’ensemble de l’univers; il ne sera plus le centre de la création, l’objet des tendres soins d’une providence bénévole. Il se trouvera dans la même situation qu’un enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se sentait si bien et où il avait chaud. Mais le stade de l’infantilisme n’est-il pas destiné à être dépassé? L’homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut enfin s’aventurer dans l’univers hostile. On peut appeler cela « l’éducation en vue de la réalité »; ai-je besoin de vous dire que mon unique dessein, en écrivant cette étude, est d’attirer l’attention sur la nécessité qui s’impose de réaliser ce progrès? »                                                  FREUD.

« Représentons-nous la vie psychique du petit enfant. […] La libido suit la voie des besoins narcissiques et s’attache aux objets qui assurent leur satisfaction. Ainsi la mère, qui satisfait la faim, devient le premier objet d’amour et certes de plus la première protection contre tous les dangers indéterminés qui menacent l’enfant dans le monde extérieur ; elle devient, peut-on dire, la première protection contre l’angoisse.

La mère est bientôt remplacée dans ce rôle par le père plus fort, et ce rôle reste dévolu au père durant tout le cours de l’enfance. Cependant la relation au père est affectée d’une ambivalence particulière. Le père constituait lui-même un danger, peut-être en vertu de la relation primitive à la mère. Aussi inspire-t-il autant de crainte que de nostalgie et d’admiration. Les signes de cette ambivalence marquent profondément toutes les religions […]. Et quand l’enfant, en grandissant, voit qu’il est destiné à rester à jamais un enfant, qu’il ne pourra jamais se passer de protection contre des puissances souveraines et inconnues, alors il prête à celles-ci les traits de la figure paternelle, il se crée des Dieux, dont il a peur, qu’il cherche à se rendre propices et auxquels il attribue cependant la tâche de le protéger. Ainsi la nostalgie qu’a de son père l’enfant coïncide avec le besoin de protection qu’il éprouve en vertu de la faiblesse humaine ; la réaction défensive de l’enfant contre son sentiment de détresse prête à la réaction au sentiment de détresse que l’adulte éprouve à son tour, et qui engendre la religion, ses traits caractéristiques. »                                                                                       FREUD.

 c) La religion comme nécrose.

« Hommes supérieurs, apprenez de moi ceci: sur la place publique personne ne croit à l’homme supérieur. Et si vous voulez parler sur la place publique, à votre guise! Mais la populace cligne de l’œil: « Nous sommes tous égaux ».

Hommes supérieurs, – ainsi cligne de l’œil la populace, – il n’y a pas d’hommes supérieurs, nous sommes tous égaux, un homme vaut un homme devant Dieu! – nous sommes tous égaux!

Devant Dieu! – Mais maintenant ce Dieu est mort. Devant la populace, cependant, nous ne voulons pas être égaux. Hommes supérieurs, éloignez-vous de la place publique!

Devant Dieu! – Mais maintenant ce Dieu est mort! Hommes supérieurs, ce Dieu a été votre plus grand danger.

Vous n’êtes ressuscités que depuis qu’il gît dans la tombe. C’est maintenant seulement que revient le grand Midi, maintenant l’homme supérieur devient – maître!

Avez-vous compris cette parole, ô mes frères? vous êtes effrayés: votre cœur est-il pris de vertige? L’abîme s’ouvre-t-il ici pour vous? Le chien de l’enfer aboie-t-il contre vous?

Eh bien! Allons! Hommes supérieurs! Maintenant seulement la montagne de l’avenir humain va enfanter. Dieu est mort: maintenant nous voulons – que le surhomme vive ».

F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.
« N’avez-vous pas entendu parler de cet homme insensé qui, ayant allumé une lanterne en plein midi, courait sur la place du marché et criait sans cesse : « Je cherche Dieu! Je cherche Dieu! » – Et comme là-bas se trouvaient précisément rassemblés beaucoup de ceux qui ne croyaient pas en Dieu, il suscita une grand hilarité. L’a-t-on perdu? dit l’un. S’est-il égaré comme un enfant? dit un autre. Ou bien se cache-t-il quelque part? A-t-il peur de nous? S’est-il embarqué? A-t-il émigré? – ainsi ils criaient et riaient tous à la fois. L’insensé se précipita au milieu d’eux et les perça de ses regards. « Où est Dieu? cria-t-il, je vais vous le dire! Nous l’avons tué – vous et moi! Nous tous sommes ses meurtriers! Mais comment avons-nous fait cela? Comment avons-nous pu vider la mer? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon tout entier? Qu’avons-nous fait, de désenchaîner cette terre de son soleil? Vers où roule-t-elle à présent? Vers quoi nous porte son mouvement? Loin de tous les soleils? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue? Et cela en arrière, de côté, en avant, vers tous les côtés? Est-il encore un haut et un bas? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini? Ne sentons-nous pas le souffle du vide? Ne fait-il pas plus froid? Ne fait-il pas nuit sans cesse et de plus en plus nuit? Ne faut-il pas allumer les lanternes dès le matin? N’entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ont enseveli Dieu? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction divine? – les dieux aussi se putréfient! Dieu est mort! Dieu reste mort! Et c’est nous qui l’avons tué! Comment nous consoler, nous, les meurtriers des meurtriers? Ce que le monde avait possédé jusqu’alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux – qui essuiera ce sang de nos mains? Quelle eau lustrale pourra jamais nous purifier? Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? La grandeur de cette action n’est-elle pas trop grande pour nous? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraître dignes de cette action? Il n’y eut jamais d’action plus grande – et quiconque naîtra après nous appartiendra, en vertu de cette action même, à une histoire supérieure à tout ce que fut jamais l’histoire jusqu’alors! » – Ici l’homme insensé se tut et considéra à nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient sans comprendre. Enfin il jeta sa lanterne au sol si bien qu’elle se brisa et s’éteignit. « J’arrive trop tôt, dit-il ensuite, mon temps n’est pas encore venu. Ce formidable événement est encore en marche et voyage – il n’est pas encore parvenu aux oreilles des hommes. Il faut du temps à la foudre et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions après leur accomplissement, pour être vus et entendus. Cette action-là leur est encore plus lointaine que les astres les plus lointains – et pourtant ce sont eux qui l’on accomplie! » On raconte encore que ce même jour l’homme insensé serait entré dans différentes églises où il aurait entonné son Requiem aeternam Deo. Jeté dehors, et mis en demeure de s’expliquer, il n’aurait cessé de répartir : « À quoi bon ces églises, si elles ne sont les caveaux et les tombeaux de Dieu? »   Nietzsche,  le Gai Savoir , aphorisme 125