Arté- Le pouvoir et sa légitimité

22 février 2009 0 Par caroline-sarroul

 Pourquoi une tenue de jogging entraîne-elle la perte d’un dictateur, là où elle donne du piquant à un président de la République ? Pourquoi le pouvoir ne sort-il jamais sans ses apparats ? .

         

 Pour compléter:

Pascal dans Les pensées

« La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ses accompagnements imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leurs personnes d’avec leurs, suites qu’on y voit d’ordinaire jointes. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu’il vient d’une force naturelle. Et là viennent ces mots : le caractère de la divinité est empreint sur son visage, etc.

La puissance des rois est fondée sur la « on » et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde a pour fondement la faiblesse. Et ce fondement est admirablement sûr, car il n’y a rien de plus que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé,comme l’estime de la sagesse. »

La Boétié, Traité de la servitude volontaire

« J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination,le soutien et le fondement de toute tyrannie. Celui qui penserait que les hallebardes, les gardeset le guet garantissent les tyrans, se tromperait fort. Ils s’en servent, je crois, par forme et pourépouvantail, plus qu’ils ne s’y fient. Les archers barrent l’entrée des palais aux malhabiles qui n’ont aucun moyen de nuire, non aux audacieux bien armés. On voit aisément que, parmi les empereurs romains, moins nombreux sont ceux qui échappèrent au danger grâce au secours de leurs archersqu’il n’y en eut de tués par ces archers mêmes. Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, lescompagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais toujours (on aurapeine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennentet qui lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyranet s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices deses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiairesde ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, nonseulement de sa propre méchanceté mais encore des leurs. Ces six en ont sous eux six cents, qu’ilscorrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance sixmille, qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniementdes deniers afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à pointnommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ilsne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande est la série deceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent milleet des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui,comme Homère le fait dire à Jupiter qui se targue, en tirant une telle chaîne, d’amener à lui tousles dieux. »

« Il y a trois sortes de tyrans.Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers parsuccession de race. Ceux qui ont acquis le pouvoir par le droit de la guerre s’y comportent -on le sait et le dit fort justement comme en pays conquis. Ceux qui naissent rois, en général, nesont guère meilleurs. Nés et nourris au sein de la tyrannie, ils sucent avec le lait le naturel dutyran et ils regardent les peuples qui leur sont soumis comme leurs serfs héréditaires. Selon leurpenchant dominant – avares ou prodigues -, ils usent du royaume comme de leur héritage. Quantà celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu’il devrait être plus supportable; il le serait, jecrois, si dès qu’il se voit élevé au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi qu’on appellegrandeur, il décidait de n’en plus bouger. Il considère presque toujours la puissance que le peuplelui a léguée comme devant être transmise à ses enfants. Or dès que ceux-ci ont adapté cette opinion,il est étrange de voir combien ils surpassent en toutes sortes de vices, et même en cruautés, tousles autres tyrans. »

 

 

« Or ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même,pourvu que le pays ne consente point à sa servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose,mais de ne rien lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvuqu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt quise font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservitet qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté etprend le joug; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche… S’il lui coûtait quelque chosepour recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais pas; même si ce qu’il doit avoir le plus à coeur estde rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme. Mais je n’attendsmême pas de lui une si grande hardiesse; j’admets qu’il aime mieux je ne sais quelle assurance devivre misérablement qu’un espoir douteux de vivre comme il l’entend. Mais quoi! Si pour avoirla liberté il suffit de la désirer, s’il n’est besoin que d’un simple vouloir, se trouvera-t-il une nationau monde qui croie la payer trop cher en l’acquérant par un simple souhait? Et qui regretterait savolonté de recouvrer un bien qu’on devrait racheter au prix du sang, et dont la perte rend à touthomme d’honneur la vie amère et la mort bienfaisante? Certes, comme le feu d’une petite étincellegrandit et se renforce toujours, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consumeet finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter, de même, plus les tyrans pillent,plus ils exigent; plus ils ruinent et détruisent, plus où leur fournit, plus on les sert. Ils se fortifientd’autant, deviennent de plus en plus frais et dispos pour tout anéantir et tout détruire. Mais si onne leur fournit rien, si on ne leur obéit pas, sans les combattre, sans les frapper, ils restent nus etdéfaits et ne sont plus rien, de même que la branche, n’ayant plus de suc ni d’aliment à sa racine,devient sèche et morte. »