L’homme est deinos

21 septembre 2009 0 Par caroline-sarroul

« Deinos », c’est à dire prodigieux et effrayant à la fois:

« Il est bien des merveilles en ce monde, il n’en est pas de plus grande que l’homme.

Il est l’être qui sait traverser les flots gris, à l’heure où soufflent les vents du Sud et ses orages, et qui va son chemin au creux des hautes vagues  qui lui couvrent l’abîme.

Il est l’être qui tourmente la déesse auguste entre toutes,la Terre, la Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont sans répit la sillonnant chaque année, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales.

Oiseaux étourdis, animaux sauvages, poissons peuplant les mers, tous il les enserre et les prend dans les mailles de ses filets, l’homme à l’esprit ingénieux.

Par ses engins il est le maître des bêtes indomptées qui courent par les monts, et, le moment venu, il ploiera sous son joug enveloppant leur col et le cheval à l’épaisse crinière et l’infatigable taureau des montagnes.

Parole, pensée prompte comme le vent, aspirations d’où naissent les cités, tout cela, il se l’est enseigné à lui-même, aussi bien qu’il a su, en se faisant un gîte, échapper au traits du gel, de la pluie, cruels à ceux qui n’ont d’autre toit que le ciel. Bien armé contre tout, il n’est désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l’avenir. Contre la mort seul il n’aura jamais de charme lui permettant de lui échapper, bien qu’il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres, imaginer plus d’un remède.

Mais, ainsi maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal tout comme du bien.

Qu’il fasse donc, dans ce savoir, une part aux lois de sa ville, et à la justice des dieux à laquelle il a juré foi ; il montera alors très haut dans sa cité ; tandis qu’il s’exclut de cette cité, du jour où il laisse le crime le contaminer, par bravade. »

 

 

SOPHOCLE, Antigone