Est-ce faire le bonheur des hommes que d’assurer leur bien-être?

29 octobre 2009 0 Par caroline-sarroul

 Le bonheur, c’est d’abord le fait  d’être bien, donc le bien-être. Certains réduisent même ce bien-être au bien être matériel, comme dans les démocraties selon Tocqueville où tout homme n’aspire qu’à cela et s’en contente pour se sentir heureux. Dans ce cas, assurer le bien-être des hommes est tautologiquement faire leur bonheur. Et on peut penser que c’est là la mission de l’Etat. Mais faire le bonheur, c’est aussi ce que l’on peut distinguer du plaisir matérialiste. Le bonheur serait alors un état de pleine, intense et durable satisfaction. Et là, il semble bien difficile de faire le bonheur en assurant le bien-être, dans le sens où le bonheur exige davantage, à savoir la satisfaction de tous nos désirs, des désirs qu’il est bien difficile de connaître et de satisfaire, chacun étant différent. Aussi on peut de demander si c’est faire véritablement le bonheur des hommes que d’assurer leur bien-être.  C’est donc du problème de la définition du bonheur,  des conditions favorables à sa réalisation ainsi que de la possibilité même de sa réalisation dont nous allons traiter. Ce sujet présuppose que le bonheur est un état possible, accessible, résultat d’une volonté et d’une action, d’un faire. Nous nous demanderons donc si le bien-être n’est pas la condition du bonheur, si  on ne finit  pas par là à faire leur malheur et si le bonheur est d’ailleurs possible et de l’ordre du faire.

I. le bien-être comme condition objective du bonheur

– selon Freud, tout s’oppose à notre bonheur aussi bien le microcosme que le macrocosme. Le bonheur étant de voir le monde ( ici le macrocosme) s’accorder avec nos désirs, on peut penser qu’il est possible de favoriser cet accord en mettant en place des conditions favorables au bien-être. Tout homme aspire au bien-être, c’est-à-dire à une disposition agréable du corps et de l’esprit, à la bonne santé. En ce sens , l’OMS définit la santé comme  » un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement dans l’absence de maladie ou d’infirmité ». Donc faire en sorte que chacun puisse avoir de quoi répondre à ses besoins, se soigner, être en sécurité, protégé par la justice,… c’est donc faire le bonheur de chacun. C’est l’idée de conditions objectives pour être heureux retenue par Le Roy pour le calcul de l’IBM. Et on peut penser que c’est là le rôle de l’Etat

– si on réduit le bonheur au bien-être matériel et même à l’opulence, assurer ce bien-être est faire leur bonheur. C’est ce qui est au coeur des démocraties libérales, où l’argent fait le bonheur.

– sans tomber dans ce matérialisme, on peut penser que c’est même un devoir moral, un devoir de charité que de lutter contre la misère qui défigure l’homme, qui le plonge dans l’angoisse et l’inquiétude qui ne peuvent être compatibles avec l’état de bonheur. Si les hommes ont désormais le droit d’être heureux sur terre, on a le devoir de faire en sorte que ce bonheur soit favorisé.Le souci du bonheur d’autrui est un devoir moral qui se déduit du respect  de l’humanité en chaque homme. Kant souligne qu’il y a des situations de détresses matérielles qui fonctionnent comme des tentations sérieuses d’enfreindre les règles de la morale élémentaire :«  l’adversité, la douleur, la pauvreté sont de grandes tentations menant l’homme à violer son devoir » page59 Doctrine de la vertu.C’est donc un devoir pour le riche de soulager la misère du pauvre afin de le rendre plus  sensible à la voix de la Raison. C’est ainsi que chacun oeuvre autant qu’il le peut à la réalisation du règne des fins, c’est-à-dire la mise en place d’une communauté d’hommes régis par la loi de réciprocité et respectueux des droits de chacun en tant que personne ( fin en soi) : « Agis de telle sorte que tu traites humanité en toi-même comme en tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen ».Dans la Doctrine de la vertu  Kant donne une définition volontairement agressive de la richesse: la richesse consiste à posséder de manière superflue c’est-à-dire inutile pour ses propres besoins, les moyens de faire le bonheur d’autrui. La bienfaisance  ne doit donc presque jamais passer pour un devoir méritoire aux yeux de celui qui est riche. Kant ajoute plus bas  : la bienfaisance est plutôt une forme de justice sociale. Il  désigne  les inégalités  de conditions sous l’ancien régime :  (« l’injustice des gouvernements ») réduisant certains hommes au rang de nécessiteux pendant que d’autres regorgent de biens superflus.

Transition: on se doit donc d’assurer le bien-être des hommes et de faire par là leur bonheur. Mais on peut penser que le bonheur ne se réduit pas au bien-être, car certains ne sont pas heureux malgré un bien-être évident. C’est sans doute parce que ce bien-être comble certains de nos désirs, mais pas pour autant tous. Le bonheur c’est donc  une satisfaction totale, intense et durable. Aussi on peut se demander si à vouloir assurer leur bien-être on ne fait pas finalement à défaut du bonheur le malheur des hommes?

II. Assurer le bien-être ne suffit pas à faire le bonheur des hommes!

– assurer le bien-être des autres, c’est les endetter. Personne n’est satisfait: le donneur est insatisfait, il donne et doit donner sans obliger (c’est-à-dire sans attendre de reconnaissance ) mais il est néanmoins déçu de ne pas être remercié et  sent alors sa générosité bafouée. Quant au bénéficiaire, le plaisir d’être soutenu dans l’épreuve se mêle au  déplaisir de se voir inférieur à celui qui donne et comme son obligé. « Les gens vous font toujours payer les services qu’on leur rend » écrivait Céline.

– à mettre en place les conditions du bonheur, on aggrave le malheur comme un échec de celui qui avait tout pour être heureux.

– le bonheur est une affaire personnelle: si tout homme aspire naturellement à être heureux, chacun a sa définition du bonheur. Le bonheur est une affaire privée et doit le rester. L’Etat ne doit pas intervenir dans ce domaine là sans quoi il devient PATERNALISTE et dangereux. C’est ce que soulignent Kant et Tocqueville. Notre bien-être intérieur ne le concerne pas. Il se doit simplement de faire en sorte que notre vie ne soit pas menacée par les peuples et Etats étrangers et par des conflits au sein de la société. La mission de l’Etat est donc d’assurer la sécurité et l’ordre. Il se doit de faire aussi en sorte que les droits de chacun soient respectés avec justice. L’Etat a donc pour mission de permettre une coexistence pacifique entre les hommes. C’est d’ailleurs pour cela que les hommes l’ont créé et accepte de lui obéir. L’Etat règle la vie publique des hommes, leur relations et n’a pas à se préoccuper de leur vie privée.Vouloir faire le bonheur des autres, c’est vouloir leur imposer notre conception du bonheur, alors que si tous les hommes aspirent au bonheur, chacun a sa conception du bonheur, car si le bonheur est la satisfaction durable de tous les désirs, et chacun a des désirs qui lui sont propres. Ce sont nos désirs qui nous distinguent, alors que nous avons les mêmes besoins. De plus porter atteinte à la liberté des autres, c’est attenter à leur bonheur, la liberté étant une des autres aspirations de l’homme qui font partie des éléments du bonheur. Les faiseurs d’utopies universalisent le type d’homme qu’ils  représentent et rendent le monde ainsi artificiellement créé  supportable à tous les autres tempéraments. Il faut se méfier de tous ceux qui prétendent nous livrer un bonheur « clé en main »

– assurer le bien-être des hommes, en admettant que le bonheur se réduit à cela, c’est leur enlever le bonheur dechercher à être heureux. Le bonheur ( ou du moins le plaisir) est plus dans la chasse que dans la prise.

– l’obstacle n’est pas au dehors mais au dedans, et c’est le désir que le dehors ne peut combler, le désir par définition ne se satisfaisant pas et ne pouvant se satisfaire de la réalité.

III. le bonheur est inaccessible et de l’ordre de l’être plutôt que du faire.

le bonheur n’est qu’un « idéal de l’imagination », comme le dit Kant. Un idéal inaccessible et dont la recherche fait notre malheur. Dans ce cas, si le bonheur n’est pas possible dans ce monde, ni pour soi, ni pour les autres, alors une volonté d’être heureux ou de rendre heureux serait stérile. De plus vouloir rendre heureux, c’est présupposer que les obstacles au bonheur sont seulement extérieurs, d’où la possibilité de les lever du dehors. Or on peut penser que les principaux obstacles au bonheur sont plutôt intérieurs. Du coup, le seul à pouvoir nous rendre heureux, c’est nous-mêmes, d’où les sagesses antiques qui nous invitent à se consacrer à ce qui dépend de nous et en un sens à renoncer au bonheur pour l’ataraxie ou à le repenser pour le rendre possible et donc en faire un objet possible de notre volonté. Faire croire aux autres que leur bonheur dépend de nous , c’est les maintenir dans l’illusion, dans la servitude et les détourner d’un travail que chacun doit faire :penser ce qui pourrait le rendre à défaut d’heureux, au moins non malheureux, joyeux et lui procurer de véritables plaisirs.

on ne fait pas le bonheur de l’autre, on est son bonheur, comme dans le mythe de l’androgyne et c’est parce qu’on échappe à l’autre, qu’il ne peut fusionner avec nous qu’il y a désir et plaisir même si le bonheur au sens de plénitude absolu reste inaccessible.

– l’Etat se doit de faire en sorte que chacun puisse librement chercher son bonheur ou poursuivre d’autres buts, si le bonheur est jugé inaccessible.