Faut-il s’abstenir de penser pour être heureux ?

29 novembre 2009 0 Par caroline-sarroul

 

Si on entend par bonheur un état de bien-être, associé au plaisir, la pensée, c’est-à-dire la faculté de juger et de se juger peut apparaître comme étant  un obstacle au bonheur, puisque penser, c’est sortir de l’opinion, de l’illusion et de l’ignorance de soi. On peut alors découvrir sur soi des choses qui nous dérangent ou attristent. Mais si on entend par bonheur un état de pleine et entière satisfaction, celle-ci ne peut être atteinte si nous ne savons pas ce qui pourrait nous combler et si nous laissons de côté ce qui nous définit en tant qu’homme, c’est-à-dire en tant qu’être pensant. Aussi on peut se demander s’il faut vraiment s’abstenir de penser pour être  heureux? Le sujet présuppose que le bonheur est un état accessible pour qu’il puisse avoir obstacle (s’abstenir) et conditions (faut-il), il présuppose aussi que nous pourrions et aurions le droit de ne pas penser. Nous nous  demanderons si la pensée n’est pas une source de tourments et de déplaisirs, si pour autant le bonheur se réduit au plaisir et si dès lors la pensée y est encore opposée et enfin si on peut vraiment être heureux comme ne pas penser.

I. la pensée comme obstacle au bien-être, au plaisir

– Penser, c’est juger et cesser de préjuger, c’est prendre conscient de ce que sont véritablement les choses et nous-mêmes. Toute conscience est d’abord douloureuse (allégorie de la caverne), une crise où on est contraint de nier un passé d’illusions et d’opinion confortables. On prend alors conscience en tant qu’homme de notre petitesse, de notre faiblesse, de notre temporalité et mortalité. Cela nous met face à nos limites et ce ne peut être que déplaisant quand on a des désirs illimités et être source d’inquiétude (mort, futur) et de remords et regrets. Penser, c’est aussi se rendre compte de ce que sont les choses : on n’est plus dans l’opinion qui leur prête telle ou telle valeur, on n’est plus dans l’illusion de la cristallisation, de la projection, on est face à la simple réalité.

-Penser, c’est aussi prendre conscience de notre grandeur. On est des êtres pensants, et on  ne peut se contenter d’une vie bestiale, de plaisirs matériels, on a d’autres exigences à remplir, donc cela nous empêche de nous contenter de la « bêtise  des passions » comme le disait Nietzsche des désirs médiocres.

-C’est enfin se savoir avoir une dimension morale, en tant qu’homme, être de raison et ne pas pouvoir échapper au jugement de la conscience morale, or la morale exige, en tout cas dans notre conception inspirée de Kant, renforcée par la religion et la civilisation, de s’interdire bien des plaisirs ou même de renoncer au plaisir pour la vertu, qui est un devoir, non un bien, comme le rappelait Voltaire.

– Penser, c’est aussi être à la recherche du vrai, et cela peut nous conduire à des insatisfactions : on en sait jamais assez, on doute, on s’interroge sans fin.

               TR : Ceci dit ces déplaisirs empêchent-ils vraiment le bonheur et peut-il y avoir bonheur sans penser ? Le bonheur n’est pas que le plaisir ni une addition de plaisirs, il est un état de satisfaction totale de l’être et cet état pour être vécu et reconnu pourrait exiger la pensée, alors que le plaisir exige juste la sensation. « L’homme demanda un jour à l’animal : « pourquoi ne me parles-tu pas de ton bonheur, pourquoi restes-tu là à me regarder ? ». L’animal voulut réponde et lui dire : « cela vient de ce que j’oublie ce que je voulais dire », mais il oublia cette réponse et resta muet » selon Nietzsche dans Considérations inactuelles (1876). De plus pour être pleinement satisfait, il faut l’être dans tous les aspects de sa personnalité, de son humanité que nous apprenons justement en pensant.

II. La pensée comme organe du bonheur comme plénitude

Penser, c’est s’efforcer de connaître et de se connaître. Cette connaissance est d’abord douloureuse mais ensuite instructive :

– penser peut être un moyen de comprendre pourquoi on n’est pas satisfait: désir mimétique,  confusion sur ce qui nous manque vraiment, désir de substitution qu’on découvre en sondant son inconscient chez Freud, être duel à la fois être de raison et être de désir.

– penser peut être le moyen de parvenir à davantage de satisfaction :

1. Spinoza et la connaissance de notre nature pour savoir vers quoi on doit orienter « cet effort » qu’est le désir , ne pas confondre nos désirs avec ceux des autres.

2. penser peut être le moyen d’accorder ses désirs avec ses possibilités en se rendant compte que tout ne dépend pas de nous, que certains désirs sont hors de notre portée et que s’obstiner à vouloir les réaliser, c’est se condamner à souffrir. C’est ce qu’on appelle la sagesse et qui est le résultat de l’exercice de la pensée

3. penser, c’est être davantage maître de soi, de ses représentations et par là être moins soumis à des peurs ou des angoisses infondées qui troublent notre âme.

– pour certains Platon, Aristote, le bonheur se trouve même dans l’activité même de penser : la vie contemplative comme vie heureuse.

                 TR : Ils soutiennent donc qu’il faut  et suffit de penser pour être heureux, mais on peut se demander s’il y a vraiment une seule voie pour parvenir au bonheur et si celui-ci est véritablement possible comme le fait de cesser de penser d’ailleurs ?

III. Même si la pensée peut aider à être heureux et son exercice être  une voie pour accéder au bonheur,:

– si l’exercice de la pensée comble nos désirs intellectuels ou spirituels, il ne comble pas tous nos désirs ; d’où une plénitude restreinte et une définition du bonheur qui ne peut pas s’imposer, car si tous les hommes aspirent au bonheur, chacun a sa définition du bonheur. Il s’agit d’un universel concret, il n’ y a pas de recettes du bonheur, ni dès lors de condition impérative pour être heureux.

– les sagesses antiques sont trop exigeantes et on peut estimer qu’elles nous amènent à renoncer à bien des désirs et par là, quoiqu’en disent épicuriens et stoïciens, on peut se demander si on peut légitimement parler de bonheur.

– le sujet semble présupposer que si la pensée s’avérait n’être qu’un obstacle au bonheur, on pourrait s’abstenir d’en faire usage or :

1. or si on ne peut pas s’abstenir de penser, au sens d’activité mentale, ce qui fait qu’on a nécessairement la conscience immédiate de ce que nous faisons et une conscience réfléchie, ce qui fait que nous sommes condamnés à certaines souffrances.

2. on ne s’abstient pas de penser. Ou on ne pense pas, mais on l’ignore, comme celui qui ignore n’être que dans l’opinion ; soit on pense et dans ce cas, ne pas penser reviendrait à être de mauvaise ; on ne peut plus faire comme si on ne pensait pas, quand on pense. L’innocence perdue ne peut être retrouvée. On ne peut pas faire comme si on ne savait pas, quand on sait.

3. on peut penser qu’en tant qu’être pensant, on se doit de penser et dans ce cas, le fait que nous soyons dotés de cette faculté fait que nous ne pouvons par nature accéder au bonheur.