Liberté, feux rouges et Spinoza

22 novembre 2009 0 Par caroline-sarroul

Trés sympa cet exemple trouvé sur le site de Catherine Kintzler, là http://www.mezetulle.net/article-33092130.html:

 

« Je suis dans ma voiture, il est 3h du matin. J’arrive à un feu tricolore qui vient de passer au rouge. Il n’y a personne de l’autre côté. Imaginons Spinoza à ma place. Voici le raisonnement que, j’imagine, il pourrait tenir : le stupide s’arrêtera au feu sans réfléchir parce qu’il en a l’habitude, le craintif s’y arrêtera en pensant qu’un radar est peut-être caché à proximité, le soucieux s’arrêtera en réfléchissant qu’il n’a peut-être pas tout vu et qu’après tout le feu le protège, mais le sage s’arrêtera en poussant la pensée jusqu’à son comble : il comprend que la loi qui règle les feux tricolores est profondément fondée et juste, il voit que cette loi il aurait pu lui-même la décider, il peut se penser comme l’auteur de cette loi en même temps qu’il y est soumis (nous appelons cela un « sujet-législateur »), et ainsi il est au summum de la liberté philosophique en attendant à l’arrêt que le feu passe au vert ! Mais ce qui est important, c’est de montrer que l’insensé et le sage, lorsque la loi « formelle » est juste, font exactement la même chose : on ne leur demande ni d’être des héros au-dessus d’eux-mêmes, ni d’être des imbéciles au-dessous d’eux-mêmes. Vous avez sans doute remarqué que dans ma classification j’ai oublié un personnage : le petit malin. C’est celui qui, après avoir regardé, brûle le feu « puisqu’il n’y a personne ». Le petit malin est intelligent, et il pense que les lois ne sont faites que pour ceux qui sont bêtes. Il pense que si tout le monde était intelligent comme lui, il n’y aurait même pas besoin de lois, tout se passerait très bien… Il considère que sa science surpasse l’autorité du code de la route, cette dernière étant faite pour les stupides. Nous le croisons tous les jours, nous sommes nous-mêmes parfois ce petit malin. Si on lui fait remarquer qu’il n’a pas à brûler de feu ni à circuler sur le trottoir (car très souvent il s’agit d’un cycliste bienpensant, quoique pour les limitations de vitesse ce soit plus souvent un camionneur ou quelqu’un qui conduit « la bagnole du patron »), il s’offusquera et nous considérera comme des réactionnaires doublés d’imbéciles maladroits. On devrait presque le remercier de se mettre en danger et les autres avec lui. Gardons-nous de jouer le rôle du petit malin qui, trop sûr de sa vigilance et de sa virtuosité, s’expose et expose les autres. Lorsque la loi est juste, il vaut bien mieux faire la bête, car qui veut faire l’ange fait la bête. »