L'oiseau dans l'espace, Brancusi en procès contre les Etats-unis en 1926

25 novembre 2009 0 Par caroline-sarroul

Constantin Brancusi ( 1876-1957)

Une profonde différence dans leur relation au monde sépare les deux sculpteurs. Rodin est un créateur au sens démiurgique du terme. Il impose au chaos de la matière, c’est-à-dire à la terre qu’il modèle, une forme. La taille directe dans la pierre ou le bois ne l’intéresse pas (elle n’est même plus enseignée au sein des académies). Des assistants réalisent en marbre ou en bronze ce qui a été créé en terre ou en plâtre par l’artiste.
Brancusi, quant à lui, est issu d’un monde archaïque et d’une tradition millénaire de la taille du bois. Pour le sculpteur, « c’est la texture même du matériau qui commande le thème et la forme qui doivent tous deux sortir de la matière et non lui être imposés de l’extérieur ».

C’est une différence essentielle avec Rodin, car Brancusi ne se présente pas comme un créateur mais comme un intercesseur capable de révéler au sein du matériau qu’il utilise « l’essence cosmique de la matière ». Dans le choix préalable de son bloc de pierre ou de bois, Brancusi perçoit par avance, dans la spécificité du matériau, la présence de la sculpture.

Poursuivant cette recherche de la forme pure de l’oiseau, Brancusi crée en 1923 L’Oiseau dans l’espace. Ici, la forme ovoïde de Maïastra est étirée, l’oiseau libère son souffle, la tête et les pattes rejoignent la verticalité de l’ascension, le corps perd son extrémité et laisse apparaître un angle ouvert dirigé vers la lumière. Mais la base conique de l’oiseau, par sa trop grande stabilité, ne permet pas d’obtenir l’envol recherché.

Avec L’Oiseau dans l’espace de 1925, il parvient à incarner un pur élan, un mouvement ascensionnel. Toutes les parties de l’oiseau se fondent dans un ovale étiré vers le ciel, tendu comme une ellipse suspendue dans l’air. Les pattes deviennent une pure ondulation.
Par la qualité de son matériau et le polissage, il parvient à une forme de plus en plus  immatérielle, jusqu’à atteindre avec le bronze poli la lueur impalpable d’une flamme.

De ces Oiseaux dans l’espace, l’œil peut difficilement en maintenir les contours. Le marbre absorbe la lumière et la retient sur sa surface comme un effleurement. Le bronze, étincelant, absorbe l’espace et réfléchit la lumière. Tout au long de sa vie, Brancusi modifiera continuellement, et parfois de manière imperceptible, son Oiseau dans l’espace : il réduira ou agrandira le pan coupé du bec, accentuera ou diminuera la courbe de l’ellipse. Matière, forme, lumière se génèrent mutuellement, créant pour le regard une métamorphose permanente.
L’artiste rejoint Gaston Bachelard pour qui « le corps de l’oiseau est fait de l’air qui l’entoure, sa vie est faite du mouvement qui l’emporte ».

 Le phoque III, 1953