Suffit-il que mes choix et actes émanent de moi pour que je sois libre ?

29 novembre 2009 0 Par caroline-sarroul

 Etre libre, c’est pouvoir décider par soi-même de ses choix et actes. Dans ce sens, je ne suis pas libre, si c’est un autre que moi qui décide pour moi. C’est le cas de l’enfant soumis aux décisions de ses parents, de l’esclave soumis au maître. Dès lors, il semble que si mes choix et actes émanent de moi, je sois libre. Mais être libre, c’est aussi être capable de faire des choix contingents, c’est-à-dire que je me décide librement, j’ai choisi A mais j’aurais pu prendre B. Or même si c’est moi qui choisis et agis, on peut penser que je subis des déterminations internes ou externes sans m’en rendre nécessairement compte, j’ai illusion d’avoir pu prendre aussi bien A que B, mais A s’imposait, même si c’est moi qui aies fait le choix de A. Aussi on peut se demander s’il suffit que mes choix et actes émanent de moi pour que je sois libre. C’est donc du problème des conditions de la liberté dont nous allons traiter. Ce sujet présuppose que nous puissions être libres comme ne pas être libres, que

la liberté s’oppose nécessairement aux déterminismes. Nous nous demanderons donc si le fait de choisir par soi-même n’est pas une condition pour être libre, s’il ne s’agit pas d’un simple sentiment de liberté et si  enfin on peut parler d’autres conditions  pour la liberté.

I. être libre, c’est faire ses propres choix !

Spontanément, on va penser que si c’est moi qui suit l’auteur de mes choix et actes, je suis libre :

– car on oppose la liberté à la contrainte : si on nous impose nos choix et actes, nous ne sommes pas libres mais soumis à la volonté et aux ordres d’autrui. Nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes. La liberté, c’est ne dépendre de personne d’autres que soi.

– car on associe la liberté à la non-contrariété ( faire ce qui nous plaît), au plaisir: si c’est moi qui décide de mes choix et actes, je vais le faire en fonction de mes désirs, de mes envies et donc je me sentirais en accord avec moi-même, je ne serais pas contrarié et donc me sentirais libre, sans entrave, sans limite ni déplaisir.

– car on associe la liberté à la volonté, au libre-arbitre : être libre, c’est décider dans son for intérieur ; malgré les inclinations, les connaissances, c’est ma volonté qui s’auto-détermine de manière contingente, j’ai pris A mais j’aurais pu prendre B, j’ai voulu A parce que je l’ai voulu ; un point, c’est tout : toute-puissance de ma volonté.

            TR : si je décide de mes choix et actes, j’ai un sentiment de liberté, d’indépendance mais ceci ne peut-il pas être un sentiment illusoire. La liberté de choix peut être associée à l’idée de contingence. Or ce n’est parce que je suis celui qui décide pour moi, que pour autant je décide de manière libre et contingente. L’absence de contraintes ne signifie pas l’absence de nécessité.  Et la liberté ne s’oppose-t-elle pas aussi bien à la contrainte qu’à la nécessité ?

II. être libre, c’est faire des choix et actes non nécessaires

On peut montrer que même si nous n’avons pas un sentiment de contrainte, elle peut être là dans le sens où

  1. nous avons des choix à faire, donc nous sommes confrontés à des alternatives limitées, on ne peut pas tout, même si on s’en contente
  2. même quand nous avons le choix, nous n’avons pas vraiment le choix. Nous sommes plutôt qu’auteur de nos choix et actes, simples acteurs de nos choix et actes.

choisir et faire ce qui nous plaît peut être vu plus comme un esclavage du désir qu’une réelle liberté. Faire ce qui nous plaît, c’est suivre l’impulsion du moment, le caprice… or nous n’avons pas choisi d’être des êtres de désirs, ni d’être dévorés par le vouloir vivre comme le dit Schopenhauer, ni même souvent nos désirs (désirs mimétiques, R.Girard). « L’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » disait en ce sens Rousseau. Et même quand on obéit à notre raison, le devoir semble s’imposer comme une obligation, on ne peut pas sachant ce qu’on se doit de faire ne pas le faire.

comme la pierre de Spinoza, on peut croire agir librement alors qu’on subit nécessairement une nature que nous n’avons pas choisie et qui nous échappe : on connaît nos buts mais on ignore les causes de ceux-ci.

– on  ne choisit pas d’être celui que l’on est : il y a le caractère dont nous avons hérité (Schopenhauer), il y a le Surmoi (Freud) , il y a la société et ses règles que nous avons intégrées et qui nous structurent.

            TR : donc ce n’est pas parce qu’on n’a pas un sentiment de contrainte, parce que nous décidons par nous-mêmes que nous ne sommes pas déterminés et que nos choix ne sont pas nécessaires. Mais peut-on en rester à cette opposition entre liberté et déterminisme ?

III. être libre, c’est bien faire en sorte que nos choix émanent  de nous

– on peut penser que ce II n’est qu’un argumentaire pour échapper à notre liberté : par confort, on préfère penser que ce n’est pas parce que nos actes et choix émanent de nous que nous sommes pour autant libre ( Sartre)

– on peut concilier liberté et déterminisme : au lieu de subir, on peut agir si on comprend qui nous sommes, ce qui nous anime. Dans ce cas être libre, c’est choisir et agir en conscience, conformément à notre nature. La liberté ne s’oppose pas à la nécessité, mais à la contrainte

– on peut cesser d’opposer un moi fondamental et un moi superficiel né de la société, de l’éducation. Il y  a un seul moi qui se modifie constamment, par fusion.  Ce qui s’oppose à la liberté, ce n’est pas la nécessité intérieure, c’est « le courant social » quand on s’y noie, comme l’explique Bergson.

« Bref, nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste. En vain on alléguera que nous cédons alors à l’influence toute-puissante de notre caractère. Notre caractère, c’est encore nous; et parce qu’on s’est plu à scinder la personne en deux parties pour considérer tour à tour, par un effort d’abstraction, le moi qui sent ou pense et le moi qui agit, il y aurait quelque puérilité à conclure que l’un des deux moi pèse sur l’autre. Le même reproche s’adressera à ceux qui demandent si nous sommes libres de modifier notre caractère. Certes, notre caractère se modifie insensiblement tous les jours, et notre liberté en souffrirait, si ces acquisitions nouvelles venaient se greffer sur notre moi et non pas se fondre en lui. Mais, dès que cette fusion aura lieu, on devra dire que le changement survenu dans notre caractère est bien nôtre, que nous nous le sommes approprié. En un mot, si l’on convient d’appeler libre tout acte qui émane du moi, et du moi seulement, l’acte qui porte la marque de notre personne est véritablement libre, car notre moi seul en revendiquera la paternité. La thèse de la liberté se trouverait ainsi vérifiée si l’on consentait à ne chercher cette liberté que dans un certain caractère de la décision prise, dans l’acte libre en un mot. »

« Mais le plus souvent cette impression, au lieu d’ébranler ma conscience entière comme une pierre qui tombe dans l’eau d’un bassin, se borne à remuer une idée pour ainsi dire solidifiée à la surface, l’idée de me lever et de vaquer à mes occupations habituelles. Cette impression et cette idée ont fini par se lier l’une à l’autre. Aussi l’acte suit-il l’impression sans que ma personnalité s’y intéresse: je suis ici un automate conscient, et je le suis parce que j’ai tout avantage à l’être. On verrait que la plupart de nos actions journalières s’accomplissent ainsi, et que grâce à la solidification, dans notre mémoire, de certaines sensations, de certains sentiments, de certaines idées, les impressions du dehors provoquent de notre part des mouvements qui, conscients et même intelligents, ressemblent par bien des côtés à des actes réflexes. C’est à ces actions très nombreuses, mais insignifiantes pour la plupart, que la théorie associationniste s’applique. Elles constituent, réunies, le substrat de notre activité libre, et jouent vis-à-vis de cette activité le même rôle que nos fonctions organiques par rapport à l’ensemble de notre vie consciente. Nous accorderons d’ailleurs au déterminisme que nous abdiquons souvent notre liberté dans des circonstances plus graves, et que, par inertie ou mollesse, nous laissons ce même processus local s’accomplir alors que notre personnalité tout entière devrait pour ainsi dire vibrer. Quand nos amis les plus sûrs s’accordent à nous conseiller un acte important, les sentiments qu’ils expriment avec tant d’insistance viennent se poser à la surface de notre moi, et s’y solidifier à la manière des idées dont nous parlions tout à l’heure. Petit à petit ils formeront une croûte épaisse qui recouvrira nos sentiments personnels; nous croirons agir librement, et c’est seulement en y réfléchissant plus tard que nous reconnaîtrons notre erreur. Mais aussi, au moment où l’acte va s’accomplir, il n’est pas rare qu’une révolte se produise. »

Bergson, Les données immédiates de la conscience