Analyse D’un prétendu droit de mentir par humanité de Kant

9 janvier 2010 2 Par caroline-sarroul

 

Introduction:

  • Présentation générale de l’auteur ( dates, oeuvres principales, les 3 critiques )
  • Présentation des caractéristiques de sa morale RIGORISTE : subjectivisme ( c’est le sujet qui pose les principes de son action, il ne se soumet pas à une morale extérieure ( sociale, religieuse…) d’où hétérénomie, mais il obéit à sa raison, d’où autonomie ; purisme ( c’est seulement par devoir que l’on fait son devoir, morale de l’intention pure et désintéressée);  a prioricité ( ce sont des principes catégoriques inscrits dans la raison qui permettent de définir ce que nous devons faire);  formalisme ( ces principes donnent la forme de la maxime – universalisable et en accord avec le respect de la personne humaine à traiter « jamais simplement comme un moyen mais toujours en même temps comme une fin »- mais pas le contenu, la matière);  inconditionalité: c’est ce qui était expliqué dans l’opuscule de 1793, Sur l’expresssion courante : il se peut que ce soit juste en théorie mais en pratique cela ne vaut rien.

Là Kant soutient : « tout est perdu si on transforme les conditions empiriques et, de ce fait, contingentes de l’accomplissement de la loi en conditions de la loi elle-même et si par conséquent une pratique réglée sur un succès probable selon l’expérience acquise à ce jour est autorisée à régenter la théorie subsiste en elle-même »

Et c’est ce qui est en jeu dans la position de Benjamin Constant sur le problème du devoir de véracité qui entraîne , s’il est pris à la lettre, une interdiction absolue de mentir.

« Ne pense-t-on pas qu’il soit de la plus extrême nécessité d’élaborer une bonne fois une Philosophie morale pure qui serait complètement expurgée de tout ce qui ne peut être qu’empirique et qui appartient à l’Anthropologie? […] Tout le monde doit convenir que pour avoir une valeur morale, c’est-à-dire pour fonder une obligation, il faut qu’une loi implique en elle une absolue nécessité, qu’il faut que ce commandement : “ Tu ne dois pas mentir « , ne se trouve pas valable pour les hommes seulement en laissant à d’autres êtres raisonnables la faculté de n’en tenir aucun compte, et qu’il en est de même de toutes les autres lois morales proprement dites ; que par conséquent le principe de l’obligation ne doit pas être ici cherché dans la nature de l’homme, ni dans les circonstances où il est placé en ce monde, mais a priori dans les seuls concepts de la raison pure » Kant, Préface aux Fondements de la métaphysique des moeurs (1785)

 

  • Présentation des principales critiques faites à ce RIGORISME moral:

1. une morale qui n’est qu’une reprise des préceptes de la religion ( par exemple, le mensonge fait partie de ce qu’interdisent les Dix commandements du Décalogue « tu ne porteras pas  de faux témoignages »; « que votre oui soit oui, que votre non soit non, tout ce qui est rajouté vient du démon », Evangile selon Saint Matthieu 5.37) selon Schopenhauer OU une morale qui prend la place de la Religion ( pour ceux qui pensent que seule l’autorité de Dieu – et de l’Eglise- peut commander ici)

2. une morale non eudémoniste et même doloriste: il faut que l’acte coûte pour qu’il soit moral. Athlétisme moral, sacrifice, effort. « Morale d’esclave », du ressentiment selon Nietzsche.

3. une morale abstraite ( qui s’exerce dans le vide), qui confond morale et logique ( être conséquent avec soi-même ne suffit pas pour être moral);  une morale sans humanité ( contre nature), sans coeur, sans réalisme, sans sens moral en un sens (une morale d’aveugle: je dois parce que je ne vois pas), morale sans casuistique et sans considération des conséquences, qui ne se soucie pas du résultat et se contente paresseusement de la bonne conscience.

Ces critiques viennent aussi bien de ceux qui condamnent la morale pour son relativisme ( elle se réduit à des valeurs sociales, à des intérêts) ET  que de ceux qui veulent « sauver » la morale.

C’est le cas de Benjamin Constant dans son article extrait de Réactions politiques que rapporte Kant en ouverture et qui est à l’origine de la controverse. Benjamin Constant veut en « sauvant » la morale, des principes FIXES éviter l’arbitraire des préjugés et de principes purement empiriques.

  • présentation de la critique de Benjamin Constant et quelques remarques de l’exemple utilisé par Constant et prêté au « philosophe allemand »  pour souligner l’extrémisme de sa morale:

« envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié chez vous, le mensonge serait un crime »

Cet exemple ne se trouve dans aucun texte écrit par Kant antérieur à cet article de 1796, ce qui laisse penser que « le philosophe allemand » visé n’est peut-être pas Kant, mais JD Michaélis de Göttingen, un professeur de Théologie. Mais Kant en assume malgré tout la paternité, l’éditeur allemand de l’article de Constant en 1797 considérant que c’est lui qui est ici visé.

Cet exemple se trouve cependant chez Saint-Augustin dans Contre le mensonge, chap VIII:

23. « C’est ce que fit un jour un évêque de Thagaste, Firmus, ferme par le nom, mais plus encore par la volonté. Comme des licteurs envoyés par l’empereur réclamaient de lui un homme qui lui avait demandé asile et qu’il cachait avec le plus grand soin, il répondit qu’il ne pouvait ni mentir ni trahir personne, et les nombreux tourments qu’on lui fit subir (les empereurs n’étaient pas encore chrétiens) n’ébranlèrent pas sa résolution. Conduit devant l’empereur, il se montra sous un jour si admirable, qu’il obtint sans difficulté la grâce de son protégé. Peut-on déployer plus de force, plus de fermeté ? Mais, dira quelqu’un plus timide, je puis être prêt à subir tous les tourments, la mort même, pour éviter le péché ; mais puisque ce n’est pas un péché de mentir quand on ne nuit à personne, qu’on ne rend pas de faux témoignage et qu’on est utile à quelqu’un : ce serait un acte de folie et un grand péché de s’exposer aux tourments de gaîté de coeur et sans raison, de livrer en pure perte à la fureur des bourreaux une santé, une vie qui peuvent être utiles. Et moi je demande à ce chrétien pourquoi il craint ce qui est écrit : « Tu ne porteras point de faux témoignage », et ne redoute pas ce que le Psalmiste dit à Dieu : « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge ? ». — Non pas toute espèce de mensonge, dira-t-il, cela n’est pas écrit ; car j’entends le texte, comme si on lisait : Vous perdrez tous ceux qui portent un faux témoignage ? — Mais là non plus il n’est pas dit Toute espèce de faux témoignage. — Soit, répliquera-t-on, mais ce péché est rangé parmi ceux qui sont mauvais en tout sens. — Quoi ! même celui-ci : « Tu ne tueras pas ? » Si tuer est un mal absolu, comment excuser les justes qui, même après la promulgation de la Loi, ont tué beaucoup de monde ? Mais on répond que celui qui exécute un ordre juste n’est plus homicide. Je comprends donc cette crainte ; mais aussi je reconnais que ce vertueux évêque, en ne voulant ni mentir ni trahir un homme, a mieux compris les textes selon moi , et y a courageusement conformé sa conduite.

24. Mais il s’agit de l’hypothèse où l’on ne nous demande pas en quel lieu se trouve celui que l’on cherche pour le faire mourir, où nous ne sommes pas obligés de le trahir, s’il est si bien caché qu’il ne puisse facilement être découvert sans être décélé ; mais où l’on nous demande simplement s’il est là, oui ou non, ou n’y est pas. Si nous savons qu’il y est, nous le trahissons en gardant le silence, ou en répondant que nous ne dirons ni oui ni non car on en conclura qu’il y est, puisque, s’il n’y était pas, il suffirait, pour ne pas mentir ni trahir, de répondre qu’il n’y est pas. Ainsi notre silence ou notre réponse évasive le trahit, puisque celui qui le cherche entrera, s’il en a le pouvoir, et le découvrira, tandis qu’un mensonge de notre part aurait pu empêcher, écarter ce résultat. Par conséquent, si tu ne sais pas où il est, tu n’as aucun motif de cacher la vérité ; tu dois simplement avouer ton ignorance. Mais si tu sais où il est, que ce soit là, ou ailleurs, à cette question : Est-il là ou n’y est-il pas ? tu ne dois pas dire : Je ne réponds pas à ce que tu me demandes, mais bien : Je sais où il est et je ne te l’indiquerai jamais. Car si on détermine un lieu et que tu te contentes de répondre que tu ne diras rien, c’est comme si tu montrais le lieu même du doigt, puisque tu fais naître un soupçon qui est bien près de la certitude. Mais si tu commences par avouer que tu connais l’endroit et que tu ne veux pas le dire, peut-être pourras-tu donner le change, détourner les recherches et provoquer des violences pour t’obliger à trahir celui qu’on cherche. Dans ce cas, non-seulement tu ne mériteras point le blâme, mais tu seras digne d’éloges, quoique tu puisses souffrir généreusement par fidélité et par humanité, sauf ces honteux outrages qui ne supposent pas la force,, mais l’impudicité dans celui qui les subit. Et c’est là la dernière espèce de mensonge, que nous devons examiner avec plus d’attention. »

Les exemples que l’on trouve avant 1796, chez Kant, ce sont:

  1. l’exemple de la fausse promesse de rembourser un prêt en 1785 dans Les fondements de la métaphysique des moeurs
  2. le fait de ne pas devoir mentir, trahir l’ennemi de manière infâmante en tant de guerre dans Projet de paix perpétuelle. C’est l’article 6:

« Nul État ne doit se permettre, dans une guerre avec un autre, des hostilités qui rendraient impossible, au retour de la paix, la confiance réciproque, comme, par exemple, l’emploi d’assassins (percussores), d’empoisonneurs (venefici), la vio­lation d’une capitulation, l’excitation à la trahison (per-duellio) dans l’État auquel il fait la guerre, etc. »

Ce sont là de honteux stratagèmes. Il faut en effet qu’il reste encore, au milieu de la guerre quelque confiance  en la disposition d’esprit  de l’ennemi; autrement il n’y aurait plus de traité de paix pos­sible, et les hostilités dégénéreraient en une guerre d’extermi­nation (bellum internecinum), tandis que la guerre n’est que le triste moyen auquel on est condamné à recourir dans l’état de nature, pour soutenir son droit par la force (puisqu’il n’y a point de tribunal établi qui puisse juger juridiquement) »

   3.    le mensonge imposé à un domestique par son maître dans la Doctrine de la vertu: il doit dire que son maître n’est pas là alors qu’il est là et qu’entre temps il a commis un crime pour lequel il pourrait être appréhendé chez lui. Mais cet exemple date de 1797 et il s’agit ici par un mesonge de protéger un assassin et non un innocent.

 

ANALYSE  DU TEXTE

Benjamin Constant VS Rousseau:

  1. lignes 1 à 25: analyse des arguments de B. Constant: le devoir de véracité pris de manière absolue, c’est-à-dire délié des conditions de son application, rend la vie en société impossible. Mais il ne faut pas pour autant renoncer à la fixité du principe ( même si son universalité est à revoir). D’où l’idée d’un principe intermédiaire d’application. Ce principe est fondé sur l’idée de réciprocité des droits et des devoirs. On ne doit la vérité qu’à celui qui y a droit et “nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui”
  2. lignes 26 à 40: 1ère critique de Kant, l’idée d’un “droit à la vérité” n’a pas de sens, car il ne peut y avoir de devoir de vérité ( qu’on n’est jamais sûr de posséder, cf. la connaissance chez Kant, ses conditions et limites); il ne peut y avoir qu’un devoir de véracité, on ne peut être tenu de dire que ce qu’on pense être vrai pour soi, mais pas nécessairement en soi.
  3. lignes 41 à 47:  formulation du problème de l’opuscule.
  4. lignes 48 à 123: le devoir de dire la vérité est “un commandement sacré et inconditionnel de la raison” pour 3 raisons:
  • lignes 48 à 53: ce qui fait la valeur morale d’un acte, ce n’est pas son but ( le fait que le bien soit réalisé) mais la forme de la maxime, en accord avec les impératifs catégotiques de la raison: rejet d’un argument et d’une morale conséquentialistes.
  • lignes 53 à 67: tout mensonge entraîne une  nuisance, une injustice. Tout mensonge nuit à autrui, les précisions légales des jurisconsultes sont donc inutiles et absurdes
  • lignes 78 à 111: même avec les meilleures intentions, on peut faire le mal.
  • reprise des lignes 78/111: avec les meilleures intentions, on peut :
  1. se faire du mal : en s’exposant à des poursuites judiciaires en ayany menti
  2. faire le mal: il se peut que ce que l’on pense vrai, ne le soit pas et qu’on pousse dans les bras du criminel notre ami en mentant. C’est ce qui se passe dans la nouvelle Le mur de Sartre.

C’est pourquoi aux lignes 111/123, Kant conclut que c’est un devoir sacré, universel et non adaptable que celui d’être vérace.

  • D’où lignes 123 à 256, critique de l’idée de principe intermédiaire proposé par Benjamin Constant.

1.Lignes 123 à 164 : Kant reprend l’autre exemple de Benjamin Constant et sa justification d’un tel principe qui permet d’éviter de tomber dans l’arbitraire du préjugé et des habitudes, qui n’ont pour force et fondement que l’usage. 

Cet autre exemple, c’est celui de l’égalité devant la loi contre le préjugé de l’inégalité héréditaire qui a regné jusqu’à la révolution française.

Comme Rousseau dans son Du contrat Social ( 1762) , B. Constant reconnaît que “nul homme ne peut être lié par des lois auxquelles il n’a pas concouru” ( ce qui est aussi conforme à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais qui précise, lui, que ce concours peut être personnel ou via des représentants. Et c’est sur ce point que B.Constant soutient contre Rousseau et l’idée d’une souveraineté absolue, le principe intermédiaire du système représentatif.

?   “1er round”: les points communs.Tous les deux reconnaissent qu’il y a deux types de pouvoir:  un pouvoir illégitime fondé sur la force ou le fait ET  un pouvoir légitime fondé sur un contrat.

– la force ne fait pas le droit, car le fait ne peut faire le droit; même si comme le constate Pascal, “ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste”, on obéit librement et volontairement au droit alors qu’on se soumet à la force, par faiblesse et impuissance.

– analyse d’un prétendu droit du plus fort au Chap III du Livre I de Du contrat social,  texte 2 p. 532

– seul est légitime, un pouvoir fondé sur un contrat social. Théorie du Contrat.

?   « 2ème round » : exposé de la théorie de Rousseau:

  • Rousseau a construit son contrat contre celui de Hobbes: dans le Léviathan, Hobbes propose un contrat qui permet de sortir de ce” misérable état de guerre” qu’est l’état de nature, état hypothétique dans lequel se trouveraient les hommes avant de se donner un Etat. Cet état de guerre généralisée est le résultat de la liberté naturelle des hommes et de leur égalité, générant une violence défensive, agressive et démonstrative. Le but de l’Etat, du souverain est donc de pacifier les rapports humains, la paix. D’où le contrat suivant et ses risques de despostisme:

« sans le glaive, les pactes ne sont que des mots».

« La seule façon d’ériger un pouvoir commun, apte à défendre les gens de l’attaque des étrangers, et des torts qu’ils pourraient se faire les uns les autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c’est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté. Cela revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée, pour assumer leur personnalité ; Et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme l’auteur de tout ce qu’aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde : il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée un République, en latin Civitas. Telle est la génération de ce grand Léviathan, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. »                                                                

  Hobbes, Le Léviathan(1651).

C’est contre Hobbes que Rousseau pose l’enjeu de son Contrat social:  « Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l’état de nature, l’emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être.(…) « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ? » Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. (…) Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivants. Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. »    Livre I, chap. VI

  •  Le contrat de Rousseau est le suivant. Il se fait en 3 temps:

1. pacte d’association, c’est une convention préliminaire qui permet

  1. de passer d’une société qui n’est qu’une agrégation ( grex : troupeau, somme d’individus soumis individuellement au berger)  à une véritable société qui soit une association ( par fusion, mixtion). D’où le sentiment d’appartenir vraiment à cette société, comme partie d’un tout.
  2. De créer un tout qui puisse ensuite être régie comme un tout.

2. pacte de soumission

chacun va s’engager à se soumettre à toute la communauté  constituée par le premier pacte, c’est-à-dire va renoncer à faire usage de sa liberté naturelle pour se soumettre à la volonté souveraine du tout. Ce pacte a plusieurs avantages : -« chacun se donnant à tous ne se donne à personne » en particulier. -en obéissant à la volonté du tout, il n’obéit à personne ( en particulier) et à soi-même comme partie du tout. C’est le principe de la liberté comme autonomie, que reprendra ensuite Kant au point de vue moral -il n’y a pas de séparation entre auteur et sujet de la loi : chacun est à la fois « souverain » ( citoyen actif) et sujet de la loi qu’il a lui-même faite ( citoyen passif) , c’est le principe de la souveraineté fractionnée et de la République. La loi est alors expression de la  volonté générale :

-la volonté générale est « inaliénable » (« le pouvoir peut bien se transmettre mais non pas la volonté », le pouvoir législatif est au peuple souverain), « indivisible » et est en théorie toujours « droite et tend à l’utilité publique »

-la volonté générale n’est pas une somme de volontés particulières qui emporterait majorité ou unanimité, mais le reste de la soustraction de toutes les petites différences. Elle est donc ce qui reste quand chacun n’est plus dans son strict intérêt privé, mais dans son intérêt dans ce qu’il peut avoir de commun, de général. La volonté pour être générale présuppose donc une multitude de petites différences, et une forme générale dans son but et son application : elle est pour l’intérêt général et s’applique en général.

-si elle dévie c’est parce que , même si « on veut toujours son bien on ne le voit pas toujours » et cela à cause de 2 raisons essentielles :

  1. manque d’informations, de clarté qui empêchent de bien délibérer, de voir le Bien commun et de ne pas se laisser abuser ( confusion entre l’agréable et le bon)
  2. la division de la société en brigues ; ce qui fait qu’on ne se prononce pas pour soi, mais pour son clan ; du coup, les votes ne font émerger que de grandes différences, en trop petit nombre et on assiste au triomphe de l’intérêt particulier majoritaire. Il faut que chacun vote pour soi avec le souci de son intérêt compatible avec l’intérêt général.  C’est pourquoi il faut des différences mais pas trop d’inégalités, empêchant un accord ensuite des intérêts de chacun avec l’intérêt général

 Donc le peuple souverain, aidé par le législateur va établir la loi, qui est l’expression de cette volonté générale. Cela va donner les lois constituantes qui vont décider de la forme du gouvernement, de l’organisation du pouvoir et des principes fondamentaux de l’Etat

3. création du gouvernement ( chargé du pouvoir exécutif et judiciaire)

La Constitution établie , le peuple va se donner un gouvernement qui va être chargé d’appliquer dans le cadre de la Constitution les lois par des décrets. Le gouvernement est le serviteur du peuple, « son ministre ».

-Pour Rousseau , « le meilleur des gouvernements est l’aristocratie, la pire des souverainetés est l’aristocratique ».Le gouvernement démocratique est trop parfait pour les hommes

– il y a une tendance à dégénérer dans le gouvernement qui vient de sa nature contradictoire : son pouvoir est commis, subordonné mais il possède la force de l’exécutif et comme tout pouvoir il a tendance à s’absolutiser sans contre-pouvoir : soit l’Etat se resserre ( concentration, usurpation du pouvoir souverain), soit il se dissout (corruption, le gvment est partout) : Fin du Contrat .

  • autres conditions ajoutées par Rousseau pour que le pacte fonctionne:
  1.  la séparation des pouvoirs : comme MONTESQUIEU le soutenait déjà en 1748 dans de l’esprit des lois, ce qui amène ROUSSEAU à préférer à un gouvernement démocratique, un gouvernement aristocratique. La démocratie est selon lui un régime contre-nature car il apparaît logique que les gouvernants soient moins nombreux que les gouvernés. De plus, une démocratie directe étant pratiquement irréalisable, on est condamné à un système représentatif. Or déléguer son pouvoir revient à le perdre. De plus, pour que ce gouvernement collectif fonctionne, il faudrait une population de semblables menant une vie simple, ignorant le luxe, finalement d’hommes vertueux et raisonnables. D’où la conclusion de ROUSSEAU : un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes.
  2. il faut un territoire de taille raisonnable pour éviter la démultiplication des relais du gouvernement qui entraînent une représentation éthérée du pouvoir et une corruption inéluctable. De plus, un grand territoire, cela signifie une diversité de la population et donc une difficulté pour l’unir et la représenter. ROUSSEAU critique par là les grands empires et l’idée d’une société des nations qui commence à apparaître en Europe.
  3. un bon législateur qui guide le peuple dans la création des lois
  4. il faudrait une sorte de religion civile. ROUSSEAU prône un État laïc, une tolérance religieuse à condition que les religions soient tolérantes. Sans quoi cela entraîne une intolérance civile. « il est impossible de vivre en paix avec des gens qu’on croit damnés, les aimer serait haïr Dieu qui les punit ». Mais à cela il faudrait ajouter une profession de foi purement civile par laquelle on affirmerait croire en la communauté, au caractère sacré de la loi au nom de laquelle si besoin est on pourrait se sacrifier.
  5. il ne faut pas que la société soit divisée en « BRIGUES », c’est à dire en grands groupes d’opinion parce que la volonté générale ne se construit pas par addition des volontés particulières mais par soustraction de ce qu’il y a de purement particulier dans les volontés particulières, ce qui reste étant du particulier commun. Mais pour que ce qui reste soit représentatif, il ne faut pas qu’on ne fasse qu’une soustraction de grandes différences. Il faut que chacun se prononce en son nom avec le sens de l’intérêt général.

 

?  « 3ème Round »: les critiques de B. Constant du contrat de Rousseau

  1. l’idée d’une religion civile confirme que Rousseau met  en place un système qui peut entraîner une atteinte aux libertés individuelles. Benjamin Constant pense que le Contrat de Rousseau s’appuie sur une conception de la liberté, qui était celle des Anciens, dans l’Antiquité. Etre libre, c’est ne pas être soumis aux nécessités naturelles ( d’où les esclaves en attendant que les navettes tissent toutes seules, comme le rêvait Aristote) et participer à la vie politique. Mais la notion de liberté individuelle n’existe pas et le citoyen grec est libre dans sa vie publique, mais soumis dans sa vie privée aux lois de l’ Etat et de la religion. A cette liberté des Anciens, Benjamin Constant oppose la liberté des Modernes, qui, elle, comprend ET la liberté politique ET les libertés individuelles. Ces libertés individuelles peuvent être ici sacrifiées au nom de la soumission à la Volonté Générale. Textes p524.525
  2. Une souveraineté illimitée peut aussi être dangereuse: car elle ne laisse rien en dehors de son domaine ( d’où critique 1) et elle peut être finalement que le Règne de la Foule ignorante et incompétente. On retrouve ici un peu les mêmes critiques que celles de Platon sur la démocratie athénienne. C’est pourquoi B. Constant préfère un système parlementaire représentatif, avec 2 Chambres: la Chambre Haute ( héréditaire) et la Chambre basse populaire censitaire, où seuls des citoyens propriétaires peuvent sièger. Ce qui exclut les ouvriers manquant du “loisir” nécessaire à “l’acquisition des lumières, à la rectitude du jugement”. ” La propriété rend seule les hommes capables de l’exercice des droits politiques”. Donc B.C soutient l’idée de son principe intermédiaire, d’un système représentatif.
  3. le contrat de Rousseau est donc inapplicable: “Rousseau a déclaré que la souveraineté ne pouvait être ni aliénée, ni déléguée, ni représentée; c’est déclarer en d’autres termes qu’elle ne pouvait être exercée; c’était anéantir le principe qu’il venait de déclarer”.

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Si Kant accepte ce principe intermédiaire, concernant le principe de véracité, il n’est plus en accord avec B.C.

Selon lui, B.C se contredit car il dit que ce n’est parce que le principe représente un danger dans son application qu’il vaut y renoncer, mais l’adapter. Mais c’est pourtant ce qu’il fait, car poser ici un principe intermédiaire, c’est dénaturer le principe, qui est ABSOLU. Donc B.C n’adapte pas, il crée un nouveau principe.

D’où:

2.  lignes 164.203 : analyse du “nouveau principe” puisqu’il n’y a pas ici de principe intermédiaire! ( on ne doit pas la vérité à celui qui entend nuire, avec elle, à autrui)

Kant reprend ici 3 arguments déjà énoncés:

  1. lignes 164.188: on pourrait s’abstenir de dire la vérité et donc mentir pour ne pas nuire. Mais nuire, c’est soit causer du tort, un mal, soit commettre une injustice envers. Pour qu’il y ait vraiment du mal de fait à l’autre, il faut la conscience de ce mal,la liberté de le faire et de ne pas le faire OR comme dire la vérité est un devoir absolu, nous ne sommes pas ici libre de mentir. Donc si on nuit, c’est par nécessité, sans liberté. Si la vérité nuit, c’est sans intention de faire le mal, sans choix du mal. On n’a pas le choix, donc on n’est pas l’auteur du mal causé. Ce sont les circonstances qui sont responsables, celui qui a dit la vérité a fait ce qu’il devait faire. Par contre, pour qu’il y ait injustice, il faut que le devoir soit transgressé et c’est le cas quand on ment quelles que soient les raisons! On doit toujours la vérité, et à tous ( même à un criminel qui n’en demeure pas moins homme et par là digne de respect!!!)
  2. lignes 189.196: ce principe est mal formulé, parler d’un droit à la vérité n’a pas de sens , comme on l’a déjà vu lignes 30 à 40
  3. lignes 196.203: le devoir de véracité est absolu, ce n’est pas une réponse à un droit chez autrui, mais un devoir en moi inconditionnel et absolu. On retrouve ici l’idée centrale de l’opuscule!

3. lignes 204 à 235: B.C ayant échoué, Kant pose les conditions d’une bonne application d’un principe

Pour appliquer un principe, il faut:

  1. un axiome, c’est-à-dire une proposition si évidente qu’il n’est pas nécessaire de la démontrer. ( C’est la métaphysique du droit. Concernant le principe d’égalité dans la souveraineté, l’axiome est : le droit doit permettre la coexistence des libertés, c’est sa raison d’être évidente!)
  2. un postulat, c’est-à-dire une proposition possible ( sans contradiction interne) à admettre sans démonstration, ni preuve car indémontrable, improuvable (ici la loi doit être l’expression de la volonté générale, au nom du principe d’égalité)

D’où un problème: comment appliquer ces principes au cas particulier? Réponse : par un système représentatif quand la société est trop nombreuse.

Donc on voit bien ici que la politique doit se régler sur le droit, que la pratique doit se régler sur la théorie: “il ne faut pas que le droit se règle sur la politique, mais bien le politique sur le droit”

Kant veut bien souligner que la pratique politique se contente d’administrer, d’appliquer la théorie du droit et sans la modifier.

4. lignes 236 à 256: il doit en être de même en morale: on ne doit pas renoncer à un principe jugé “apodictiquement” vrai ( car évident) quels que soient ses dangers.

Et ici le danger n’est pas de nuire mais de commettre une injustice! Et si on ment, il y a injustice:

  1. ce n’est pas nécessairement une injustice envers quelqu’un en particulier ( injustice matérialiter), même si pour Kant on en commet une envers le criminel qui comme tout homme a droit au respect.
  2. mais c’est une injustice envers tous, car en mentant, je disqualifie la source même du droit.  Je fais des conditions ( face à un criminel), de mes inclinations ( amitié, haine du criminel, instinct de survie…) des motifs déterminants de ma volonté; alors que ma volonté ne devrait être déterminé que par le devoir, la raison. D’où une injustice formaliter, c’est la forme même de ma maxime d’action qui est pervertie.
  3. cette injustice est pire que la précédente, car je peux commettre une injustice enbers quelqu’un en particulier sans que ma volonté soit pervertie à la racine.

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Tout cela fait que Kant va conclure de la ligne 257 à la fin en rappelant que le rôle d’un principe intermédiaire n’est pas de poser des exceptions au principe, mais de l’appliquer.Contrairement à ce que disait B.C , ce qui caractérise un principe moral, ce n’est pas sa fixité, mais son universalité, son absoluïté et son a prioricité. Le simple fait d’envisager une exception, c’est donc remettre en question l’essence même du principe, c’est envisager qu’on pourrait ne pas remplir son devoir, ce qui est inadmissible. On retrouve donc ce que disait Kant dès 1793 dans Théorie et pratique, “tout est perdu si on transforme les conditions empiriques en conditions de la loi elle-même”. Il faut des principes intermédiaires, mais ils ne doivent que servir à appliquer la théorie à la pratique ( en jugeant si le cas rencontré tombe sous la règle) et à compléter si nécessaire la théorie, comme le médecin par ses diagnostics approfondit ses connaissances.