« C’est un « Après vous, Monsieur ! » que j’ai essayé de décrire » E. Lévinas

7 février 2010 2 Par caroline-sarroul

Emmanuel Lévinas (1905-1995)

«Les soupçons engendrés par la psychanalyse, la sociologie et la politique pèsent sur l’identité humaine de sorte que l’on ne sait jamais à qui on affaire quand on bâtit ses idées à partir du fait humain. Mais on n’a pas besoin de ce savoir dans la relation où l’autre est le prochain et  avant d’être individuation du genre homme, ou animal raisonnable, ou volonté libre, ou essence quelle qu’elle soit, il est le persécuté dont je suis responsable… »

Autrement qu’être ou au-delà de l’essence

«  C’est lorsque vous  voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne même pas regarder la couleur de ses yeux. (…)  La peau du visage est celle qui reste la plus nue, … bien que d’une nudité décente. Il y a dans le visage une exposition sans défense. Une pauvreté essentielle …La preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. »

Ethique et infini

“Le visage est seigneurie et le sans défense même. Que dit le visage quand je l’aborde ? Ce visage exposé à mon regard est désarmé. Quelle que soit la contenance qu’il se donne, que ce visage appartienne à un personnage important, étiqueté ou en apparence plus simple, ce visage est le même, exposé dans sa nudité. Sous la contenance qu’il se donne perce toute sa faiblesse et en même temps surgit sa mortalité. À tel point que je peux vouloir le liquider complètement, pourquoi pas ? Cependant, c’est là que réside toute l’ambiguïté du visage et de la relation à l’autre. Ce visage de l’autre, sans recours, sans sécurité, exposé à mon regard dans sa faiblesse et sa mortalité est aussi celui qui m’ordonne : ” tu ne tueras point “. Il y a dans le visage la suprême autorité qui commande, et je dis toujours, c’est la parole de Dieu. Le visage est le lieu de la parole de Dieu. Il y a la parole de Dieu en autrui, parole non thématisée. Le visage est cette possibilité du meurtre, cette impuissance de l’être et cette autorité qui me commande ” tu ne tueras point “.Ce qui distingue donc le visage dans son statut de tout objet connu, tient à son caractère contradictoire. Il est toute faiblesse et toute autorité. Cet ordre qu’il expose à l’autre relève aussi de l’exigence de responsabilité de ma part. Cet infini en un sens qui s’offre à moi, marque une non-indifférence pour moi dans mon rapport à l’autre, où je n’en ai jamais fini avec lui. Quand je dis « Je fais mon devoir », je mens, car je ne suis jamais quitte envers l’autre. Et dans ce jamais quitte, il y a la « mise en scène » de l’infini, responsabilité inépuisable, concrète. Impossibilité de dire non.[…]Cette manière d’être pour l’autre, c’est-à-dire, d’être responsable pour l’autre, c’est quelque chose de terrible car cela signifie que si l’autre fait quelque chose, c’est moi qui suis responsable. L’otage est celui que l’on trouve responsable de ce qu’il n’a pas fait. Celui qui est responsable de la faute d’autrui. Je suis en principe responsable, et avant la justice qui distribue, avant les mesures de la justice. C’est concret vous savez! Ce n’est pas inventé! Quand vous avez rencontré un être humain, vous ne pouvez pas le laisser tomber. La plupart du temps, on laisse tomber, on dit, j’ai tout fait! Or, on n’a rien fait ! C’est ce sentiment, cette conscience qu’on n’a rien fait qui nous donne le statut d’otage avec la responsabilité de celui qui n’est pas coupable, qui est innocent. L’innocent, quel paradoxe! C’est celui qui ne nuit pas. C’est celui qui paye pour un autre. Autrui nous engage dans une situation où vous êtes obligé sans culpabilité mais votre obligation n’en est pas moindre. C’est en même temps une charge. C’est lourd et si vous voulez, la bonté c’est cela. »

Altérité et transcendance