La Vieillesse et Simone de Beauvoir

26 février 2010 0 Par caroline-sarroul

« Les vieillards sont-ils des hommes ? À voir la manière dont notre société les traite, il est permis d’en douter. Elle admet qu’ils n’ont ni les mêmes besoins ni les mêmes droits que les autres membres de la collectivité puisqu’elle leur refuse le minimum que ceux-ci jugent nécessaire ; elle les condamne délibérément à la misère, aux taudis, aux infirmités, à la solitude, au désespoir.
Pour apaiser sa conscience, ses idéologues ont forgé des mythes, d’ailleurs contradictoires, qui incitent l’adulte à voir dans le vieillard non pas son semblable mais un autre. Il est le Sage vénérable qui domine de très haut ce monde terrestre. Il est un vieux fou qui radote et extravague. Qu’on le situe au-dessus ou en dessous de notre espèce, en tout cas on l’en exile. Mais plutôt que de déguiser la réalité, on estime encore préférable de radicalement l’ignorer : la vieillesse est un secret honteux et un sujet interdit. Quand j’ai dit que j’y consacrais un livre, on s’est le plus souvent exclamé : « Quelle idée ! C’est triste ! C’est morbide ! »
C’est justement pourquoi j’ai écrit ces pages. J’ai voulu décrire en vérité la condition de ces parias et la manière dont ils la vivent, j’ai voulu faire entendre leur voix ; on sera obligé de reconnaître que c’est une voix humaine. On comprendra alors que leur malheureux sort dénonce l’échec de toute notre civilisation : impossible de le concilier avec la morale humaniste que professe la classe dominante. Celle-ci n’est pas seulement responsable d’une « politique de la vieillesse » qui confine à la barbarie. Elle a préfabriqué ces fins de vie désolées ; elles sont l’inéluctable conséquence de l’exploitation des travailleurs, de l’atomisation de la société, de la misère d’une culture réservée à un mandarinat.
Elles prouvent que tout est à reprendre dès le départ : le système mutilant qui est le nôtre doit être radicalement bouleversé. C’est pourquoi on évite si soigneusement d’aborder la question du dernier âge. C’est pourquoi il faut briser la conspiration du silence : je demande à mes lecteurs de m’y aider.  »

 Simone de Beauvoir

 

En 1970, Simone de Beauvoir a donc  écrit ce livre en 2 tomes sur la vieillesse et le vieillissement.

Dans  premier, elle adopte le point de vue de l’extériorité (l’en soi, dirait Jean-Paul Sartre) et, dans le second, celui de l’intériorité (l’être-dans-le-monde  ou le pour soi du vieillard).

  1. Le point de vue de l’extériorité est celui de la biologie, de l’ethnologie, puis de l’histoire. Description du processus de sénescence, de la peau aux organes internes, en passant par les cinq sens.Constat ethnologique que les vieux  sont généralement traités par leurs enfants de la même manière qu’ils les ont élevés, sont sacrifiés si les ressources économiques sont insuffisantes, sont dans les sociétés modernes technico-scientifiques, moins bien considérés que dans les sociétés anciennes . « Le prestige de la vieillesse a beaucoup diminué du fait que la notion d’expérience est discréditée. La société technocratique d’aujourd’hui n’estime pas qu’avec les années le savoir s’accumule, mais qu’il se périme. L’âge entraîne une disqualification. Ce sont les valeurs liées à la jeunesse qui sont appréciées. », n’est-ce pas dès 1970, les premiers signes du jeunisme de nos sociétés, qui rend plus difficile le vieillissement et son vécu. Pour elle, les vieillards sont traités comme des « parias »
  2. Le point de vue de « l’être-au-monde » du vieillard est celui de l’analyse psychologique et philosophique. Comment vit-on la vieillesse à travers son corps, dans le rapport au temps ( quand on est jeune, l’avenir indéfini semble infini; quand on est vieux, l’avenir est fin. L’homme âgé voit, à cause de sa finitude, ses projets dépérir, alors que la vie est projeter, agir et entreprendre, d’où tristesse, sentiment d’inutilité), aux autres, à l’argent,, à la sexualité, aux conditions de l’existence? « Pour que la vieillesse ne soit pas une dérisoire parodie de notre existence antérieure, il n’y a qu’une solution, c’est de continuer à poursuivre des fins qui donnent un sens à notre vie […] La vie garde un prix tant qu’on en accorde à celle des autres, à travers l’amour, l’amitié, l’indignation, la compassion. Alors demeurent des raisons d’agir ou de parler. » 

 

[dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/x3a5rj_simone-de-beauvoir-interview_creation[/dailymotion]

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=XHVTKy1cmuc[/youtube]