La succession des théories scientifiques remet-elle en question l’idée d’un ordre permanent de la nature ?

8 juin 2010 0 Par Caroline Sarroul

La succession des théories scientifiques remet-elle en question l’idée d’un ordre permanent de la nature ?

 I. le paradigme déterministe :

 La succession des théories scientifiques renvoie à l’idée qu’elles se suivent mais ne se ressemblent pas, on peut même dire qu’elles se contredisent. Une nouvelle théorie vient parfois préciser une théorie antérieure mais c’est en la corrigeant ou alors elle vient la renverser. Cette progression de la science par révolution semble pouvoir s’opposer à l’idée de quelque chose de permanent, qui dure sans changer, sans devenir. On peut penser à la révolution galiléenne qui vient renverser le géocentrisme, la théorie d’Aristote sur le mouvement de manière radicale.

Pourtant cette opposition de termes succession/ permanence est trompeuse :

  • – car la succession des théories peut simplement souligner que la science avance en corrigeant des erreurs sur le réel, conséquences de complexité du réel qu’on ne peut que se saisir progressivement mais aussi de l’ignorance des scientifiques, victimes des limites de leur savoir, de leur volonté de cohérence, tributaires du développement technique de leur époque ( querelle Pasteur/ Pouchet, 1864) et enfin parfois prisonniers de certains paradigmes ( Kuhn) ou de contraintes extra-scientifiques ( Lyssenko, Piltdown..). Donc le fait que les théories se succèdent souligne que l’ordre dégagé par la science change, mais pas que l’ordre change pour autant : on le perçoit autrement, mieux…Les lois scientifiques ne sont que des mises en équations des lois de la nature.
  • – car même si les théories se succèdent, se remplacent, il y a quelque chose qui demeure depuis l’apparition de la science moderne (XVIIème Galilée, 1609) pour triompher au XIXème siècle positiviste : c’est l’idée de causalité et celle d’uniformité de la nature qui renvoie à « un ordre permanent » puisque les même causes produisent les mêmes effets.

1. l’évolution des théories scientifique a amené très vite à cette idée de déterminisme qui n’était pas évidente au départ : par exemple, chez Epicure atomiste, la création de ce qui existe dans le monde se fait au hasard du clinamen, qui fait sortir de leur trajectoire les atomes qui se meuvent en tous sens dans le vide et viennent s’entrechoquer pour créer des molécules et ainsi de suite…mais Aristote va rejeter cette idée de hasard associée au désordre. Il peut y en avoir (le hasard c’est ce dont ignore la cause ou qui est une rencontre fortuite de deux séries causales) mais cela ne peut pas être un principe explicatif, même si Aristote associe encore la causalité à la finalité, ce à quoi va renoncer la science moderne. C’est avec Galilée qu’on passe d’une recherche de causes chez Aristote empiriste à celle d’une loi causale, conséquence de la réduction du réel au mathématique ( et encore dans la perspective de valider la toute-puissance du Créateur, de Dieu), avec une prétention réaliste ( en accord avec le réel) et pas simplement théorique. C’est la naissance du déterminisme et c’est le paradigme qui détermine la science.

2. si les scientifiques n’en arrivent pas aux mêmes conclusions, ils ont tous « la même maxime pratique » comme le dit Russell, ils cherchent des causes présupposant que rien n’arrive par hasard. « la découverte de lois causales est le principe même de la science »

3. et ils ont même la même  « théorie générale de l’univers », l’idée formulée enfin par Laplace (1804), celle d’une « détermination complète de le l’avenir par le passé » même si cela exigerait un savoir qu’ils ne possèdent pas encore. Ils pensent tous à un « monde-horloge »,la Terre sur le modèle du Ciel, comme le constate Bachelard. Même quand Kepler rompt avec la croyance au mouvement planétaire uniforme ( les corps célestes obéiraient aux mêmes lois) en observant  des mouvements particuliers de certaines planètes, c’est pour les ramener à de nouvelles lois…

Donc on découvre de nouvelles lois, on en abandonne d’autres, mais on ne renonce pas à l’idée de lois, mais n’y a-t-il pas avec la physique quantique au XXème une rupture ?

 II. l’indéterminisme quantique qui ne remet pas en cause l’idée de causalité, mais celle de déterminisme, donc de lois, donc celle d’un ordre permanent, à travers l’idée de probabilités. Donc la physique quantique succède à la physique classique et remet en cause au plan microscopique l’idée d’un ordre permanent, d’où son association à une théorie du chaos et son rejet par Einstein, Russell et d’autres.

On peut ici aussi penser en biologie à Monod qui a écrit un livre sur le vivant qui s’intitule Hasard et nécessité( 1970)

 III. Ceci dit ce n’est pas parce que jusque là au niveau macroscopique, le déterminisme n’est pas remis en question que pour autant cette idée est vraie. On peut ici évoquer la critique de Popper inspirée par Hume de l’induction (passage du particulier au général) et du déterminisme ou à la montre fermée d’Einstein.