L, 2010 : Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir?

19 juillet 2010 0 Par Caroline Sarroul

Le corrigé :

« Faut-il » renvoie à l’idée de nécessité ou de devoir suggérant ainsi l’absence de toute autre alternative et la présence d’une prescription qu’elle soit morale, rationnelle ou pragmatique. Ce sujet interroge donc sur le rapport passé, présent, futur, suggérant par sa formulation que le passé est sans doute un poids et que l’action historique et individuelle doit s’en libérer pour être ! Tout cela présuppose que c’est que nous avons  un œil favorable pour le futur, qui serait promesse de nouveauté, d’inconnu, et donc livré à tous les imaginaires, par opposition au passé trop commun, connu et rabâché. Pourtant, si négliger le passé peut être un danger et peut-être que l’obstacle est plutôt ailleurs: dans  le présent et sa nature ou dans la représentation que nous avons du futur et de notre place dans le mouvement de l’histoire.

Un plan possible :

I. Dans le passé, pas d’avenir
II. Sans conscience du passé, pas d’avenir
III. Autres conditions : avoir un futur est différent d’avoir un avenir 

 I. Dans le passé, pas d’avenir

Oublier = ignorer, ne pas tenir compte, laisser tomber…

1. Il peut apparaître que le passé soit une contrainte pour faire le futur : on peut ici penser à la critique nietzschéenne dans la Seconde considération intempestive de l’excès de conscience historique.

Dans ce texte, il en souligne les conséquences:

  • le passéisme -> la « manie de l’antiquaille » -> incapacité à se tourner vers l’avenir, qui est disqualifié par avance
  • l’esprit de vengeance -> on est incapable de voir le présent détaché du passé, on y rejoue le passé d’où répétition, piétinement, absence de progrès
  • on avance dans le présent à la manière d’un « chien limier », on cherche des traces, incapable de saisir le neuf, d’envisager d’autres possibles.

2. Inutilité des leçons de l’histoire : chaque événement est une seule et unique fois, avec changement de contexte, d’acteurs, etc.

Transition : Négliger le passé peut apparaître comme quelque chose de nécessaire, mais est-ce pour autant légitime et raisonnable de n’avoir aucune connaissance du passé ? Peut-on le nier ?

II. Sans conscience du passé, pas d’avenir

1. On peut bien sûr penser au devoir de mémoire comme un hommage, une dette envers le passé qui permet de restituer ainsi une continuité dans le temps, une filiation, transmettre un héritage. Se libérer totalement du passé pourrait être prendre le risque de se perdre en perdant ses racines, ce qui nous constitue et permet ensuite de s’orienter.

2. La conscience du passé permet justement de s’en libérer, en faire le deuil : effet cathartique de la conscience historique. « La conscience du passé est constitutive de l’existence historique » (R. Aron). D’où le drame de l’amnésique, qui a un passé ignoré mais qui le détermine malgré tout et contre lequel il ne peut rien.Ne pas avoir la mémoire de son passé, c’est le subir, comme celui qui souffre d’un passé caché, non su.

3. La connaissance du passé permet de libérer présent et avenir en ayant une compréhension du présent (conséquence du passé), une vue des mécanismes de l’histoire et des éléments sur la nature humaine qui permettent d’éclairer l’action. Bergson distingue en ce sens le rêveur (sans mémoire), l’impulsif (sans mémoire) et l’homme d’action qui sait convoquer le passé, les souvenirs utiles pour agir. Oublier, c’est aussi pardonner, ne pas être dans le ressentiment, et pour cela, il faut savoir ce qu’on pardonne. Pardonner n’est pas perdre la mémoire, mais en avoir une, considérer le passé comme passé.

Transition : Donc ce qui est nécessaire, ce n’est pas d’oublier le passé mais d’en avoir mémoire et connaissance de manière pertinente en évitant les excès. Mais cela suffit-il pour se donner un avenir ?

 III. Autres conditions : avoir un futur est différent d’avoir un avenir

1. La liberté d’action dans l’histoire : ne pas être forcément seul auteur mais en tout cas acteur.

2. Assumer ses responsabilités en tant que sujet de l’histoire et de sa propre vie, ne pas se cacher derrière fatalisme et déterminisme ou derrière l’idée que nous ne sommes pas seuls à la faire ( on peut ici convoquer Sartre et sa critique du « coefficient d’adversité » qui serait un argument contre la liberté, la capacité infinie de choix, comme le disait Descartes de ce « pouvoir des contraires » qu’est le libre-arbitre.

3. Avoir un projet aussi bien individuel que collectif, ne pas se contenter de ce qui est, de l’immédiat.

4. Garder une certaine foi en l’avenir : après une idéologie du progrès, on sombre parfois dans un pessimisme d’humeur et la crainte des utopies qui détourne de l’action historique, apparaissant vouée à l’échec pour se contenter de jouir de ce qui est.