« Le choc des cultures »: bienvenue dans ma tribu!

15 juillet 2010 1 Par Caroline Sarroul

    Cette émission diffusée en pleine période estivale sur TF1 ( ce qui la rend doublement suspecte, aux yeux de certains!) est un mélange de Koh Lanta et de Rendez-vous en terre inconnue, intéressante émission présentée par Frédéric Lopez , saluée par la critique, diffusée à partir de 2005 sur France 5 ( gage de sérieux et de crédit!) , puis sur France 2, où des « personnalités » vont à la découverte d’autres cultures.

La première émission emmenait Muriel Robin pour un voyage surprise au Cameroun dans la tribu des Himbas, en voici les images:

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Ici, nous sommes sur TF1 mais avec le même concept d’émission à quelques détails près : la « personnalité » est remplacée par 3 familles d’anonymes prêtes à partir à l’aventure en famille pour une destination et/ou tribu inconnue, 3 destinations les attendent : la forêt amazonienne, l’Ethiopie et une tribu papoue…

La différence dès la première émission est saillante : la question centrale soulevée  ne sera finalement que celle de l’adaptation: « Vont-ils parvenir à s’adapter? Où seront leurs limites? » Voilà la question sans cesse ressassée par la voix off au ton pathétiquement dramatique! 

Soulever cette question, c’est  présupposer

  1.  que l’adaptation sera nécessaire face à des différences culturelles « désignées » dès lors comme radicales ( ce n’est pas simplement le différent mais le tout Autre qui les attend),
  2. que cette faculté  appartient à ces individus par nature : la faculté de s’adapter ( que certains associent à une forme d’intelligence, capacité de trouver les moyens ou réponses en adéquation avec la situation, le problème posé, voire l’intelligence même !) est en effet une des caractéristiques propres à l’espèce humaine, capacité de se perfectionner, que Rousseau appelait « la Perfectibilité » et qui selon lui différencierait l’homme de l’animal, comme il le soulignait dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, l’animal étant prisonnier de la « fixité », la rigidité  de l’instinct et étant  » ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce au bout de mille ans, ce qu’elle était dès la première année de ces mille ans » ( et par là déjà adapté!!). Et c’est cette faculté, l’adaptabilité ( à défaut d’adaptation)  qui fait que le plus mal loti des animaux avec son ouverture infinie et cette souplesse constitutive devient finalement le mieux loti, mais aussi le seul animal sujet « à devenir imbécile » et même à tomber plus bas que la bête. C’est cette même perfectibilité qui suivant la géographie, les circonstances et l’histoire a donné la diversité culturelle, autant de variations sur un même thème celui de l’adaptation à la nature et à la vie sociale, d’où technique, religion, mariage, structuration de la société…
  3. mais que notre culture est notre seconde nature ou même notre nature, ce qui nous définit, d’où la difficulté sans doute à rompre avec  ce qui nous apparaît naturel, normal et habituel. La question est alors celle de rompre avec  nos habitudes de penser mais aussi d’être, qui, contractées, ont fini par se solidifier et nous apparaître comme constitutive de ce que nous sommes.

Ce qui est interessant ici c’est donc ce questionnement sur cette disposition naturelle à s’adapter qui serait le propre de l’homme ( ou plus largement du vivant dans le sens où s’adapter, c’est vivre ou vivre, c’est s’adapter!) non sur sa pure possibilité théorique ( le réel ne contenant pas plus que le possible!) mais sa réalité effective à l’échelle individuelle ( le possible ne correspondant pas nécessairement à un fait).

Penser que je suis ( en tant qu’homme ou aventurier dans l’âme) capable de m’adapter, désirer rompre avec sa routine et ses habitudes monotones ( la monotonie étant triste, comme chacun le sait et toute surprise bienvenue donc, dit-on?!) et connaître cette capacité sont deux choses bien différentes ( Kant distinguait déjà sur d’autres questions comme celle de l’existence de Dieu, la différence entre penser et connaître; connaître exigeant un jugement synthétique, où on ajoute à l’idée, un fait, objet d’une expérience).

Et ce qui est déjà montré dans cette première émission,

  1. c’est l’écart entre l’objet du désir et la réalité ( d’où l’enthousiasme de l’idée de partir, la fièvre de l’attente, l’excitation du voyage… et le désenchantement pour certains dans la confrontation avec le réel: la fatigue du voyage, la chaleur, les hôtes inattendus et dans leur désir à eux… cet écart étant plus ou moins grand pour les uns et les autres, déjà un gouffre pour certains dès les premiers contacts. Contacts qui ne sont plus des rêveries mais des rapports corporels ( le malaise de la jeune fille dont le jeune homme caresse les cheveux pour la rassurer montre que les distances ne sont pas les mêmes et qu’il y a une sorte de frontière entre soi et l’autre, une distance qui abolit donne la sensation d’une agression, d’une intrusion.
  2. c’est aussi me semble-t-il que nous ne sommes pas qu’esprit mais aussi corps: c’est ce qu’on voit lors des repas, on veut faire plaisir, boire le breuvage d’accueil ou honorer le repas préparé, l’esprit veut mais le corps résiste: on se sent mal, on a un mouvement de vomissement, c’est viscéral, semble-t-il… on peut n’y voir que de la sensiblerie, une expression psychosomatique ou alors une sorte de réticence du corps.
  3. mais aussi que « le coefficient d’adversité » n’est pas un argument suffisant pour nier la liberté de choix, comme le disait Sartre

   En somme, ce n’est plus l’idée théorique ou le désir d’aller à la rencontre d’autres cultures ( paysages mis en lumière! ) avec le souci de la connaissance et de la découverte qui est mise en avant et au centre de l’émission, mais la question (bien moins ambitieuse!) purement pragmatique  de la confrontation à des différences somme toute ordinaires d’habitat, de nourriture, d’organisation sociale, de rituels… Il ne s’agit plus, semble-t-il, de savoir si on peut comprendre, apprécier intellectuellement la différence culturelle et l’accepter mais si on peut la vivre, vivre dedans et donc la faire sienne au quotidien… On pourrait déjà y voir une interrogation sur la coexistence possible des cultures que sur leur diversité et richesses et même sur la question de l’intégration dans une culture qui ne serait pas la nôtre et ses présupposés.