L’outil et le sacré

5 septembre 2010 0 Par Caroline Sarroul

 

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=hWtwyEtnagY[/youtube]

2001 Odyssée de l’espace , S.Kubrick (1968)

 

Une analyse trouvée sur cinechronique.com:

« Film métaphysique et enjeu philosophique.

 a) Approche philosophique de l’évolution de l’Homme

 Le singe devient Homme en découvrant l’outil et le sacré. La vie du singe se limite à manger et à être mangé, à boire, à gesticuler inutilement. Les singes vivent dans l’angoisse et le danger perpétuel (cf. séquence la nuit). Puis leur vie primitive est bouleversée par la découverte d’un monolithe – bien souvent interprété comme le divin. Ils hésitent à s’en approcher, tournent autour (la caméra suit le mouvement des singes: le spectateur s’approche du monolithe en même temps que le singe), puis un des primates finit par le toucher. Il semble qu’à ce moment, le singe acquiert une intelligence supérieure à celle des autres animaux. En effet, il découvre par la suite que l’os peut être utilisé comme objet, puis comme arme. Le monolithe lui aurait donc transmis une forme d’intelligence. De ce fait, Kubrick montre que l’évolution de l’Homme ne peut se faire que par la violence: les plus intelligents auront toujours le dessus – intelligence sous-entendant puissance. Par cela, nous pouvons supposer que Kubrick nous donne une vision très pessimiste de l’évolution de l’Homme: le progrès de l’Humanité n’est donc possible que par l’utilisation des armes, la violence, la guerre (même pour un point d’eau).

Quatre millions d’années d’Histoire sont résumées par la plus grande ellipse de l’histoire du cinéma: l’os est lancé en l’air et se transforme en satellite. Cette transformation est la métaphore de l’évolution de l’homme.

Nous passons à la deuxième partie du film, complètement différente de la première, mais rien de nous dit explicitement que l’Homme a subit une réelle évolution. Des hommes vaquent à leurs occupations, discutent, mangent; rien de très particulier, à part que le décor a changé et que les personnages savent parler. Cette idée de non-évolution est d’autant plus forte que quand les astronautes découvrent le monolithe sur la Lune, ils hésitent – tout comme les singes – à le toucher, ayant peur de l’inconnu.

A croire que Kubrick cherche à démontrer qu’en 2001 les hommes auront les mêmes réactions que des primates – face à quelque chose qui les dépasse complètement.

Dans la troisième partie du film, l’Homme voyage vers Jupiter pour une mission inconnue. Ici entre en jeu un nouvel élément représentant l’évolution de l’Homme: HAL9000. Seul cet ordinateur connaît le but de la mission, et lui seul dirige le Discovery, ainsi que les trois topographes, membres de l’équipage en hibernation. Les astronautes sont pour ainsi dire asservis à cette intelligence artificielle. A la différence des machines actuelles, HAL simule des sentiments et semble évoluer en tant qu’intelligence. Son degré d’évolution va même jusqu’à lui permettre de développer un instinct de survie, qui va le faire tuer délibérément quatre membres de l’équipage sur cinq; Dave arrive à vaincre HAL, il remporte le duel Homme/Machine. Ce qui l’amène à ce que Nietzsche appelait le statut  » d’être suprême « . Dave va ensuite entrer dans un univers étrange, vieillira de vingt ans toutes les deux minutes et finira par se transformer en foetus astral…

 L’évolution de la science nous est mise en évidence parallèlement à l’évolution de l’intelligence de l’Homme, de sa capacité de création, son instinct violent, sa volonté de dominer, qui l’amèneront à vouloir atteindre la suprématie. L’Homme finit par être dominé par sa propre science, ici symbolisée par HAL. Mais seul un Homme réussira à prendre le dessus sur cette machine et atteindra l’apogée de l’évolution de l’Homme, l’état de surhomme, comme le disait la théorie de Nietzsche.

 b) La scène de la mort de HAL 9000.

 Kubrick réussit à nous émouvoir lors de la scène de l’agonie de HAL9000, entité à laquelle il est difficile de nous identifier. HAL, étant une machine, devrait nous laisser indifférents de par son aspect froid et inhumain. Seulement une série d’éléments le ramène à un semblant d’humanité.

Tout d’abord, sa représentation extérieure: la lentille renvoie à l’œil humain. Ensuite, nous remarquons à plusieurs reprises des  » sentiments  » simulés par HAL: sa voix monocorde et androgyne assure un semblant de conversation avec les astronautes, et il fait attention à ne jamais porter atteinte à leur susceptibilité. HAL se révèle être un ordinateur zélé et dévoué à sa mission. Enfin, la machine se révèle être aussi vaniteuse: lors d’une entrevue accordée à la BBC, HAL affirme être parfait, incapable de la moindre erreur et dit ne pas ressentir de frustration concernant son asservissement aux humains.

Alors lorsque les astronautes évoquent sa déconnexion, suite à une erreur de pronostique de sa part (qu’il, étant parfait, n’était pas sensé faire) il nous livre de nouveaux sentiments: la paranoïa et la peur, ce qui le pousse à entreprendre d’éliminer les astronautes. HAL, qui est sensé être une entité rationnelle et logique, projette de tuer des personnes qui veulent lui porter atteinte. Ce sont en même temps des crimes prémédités, réfléchis, et d’autodéfense. On discerne donc une autre caractéristique propre aux humains: HAL préfère commettre l’injustice que de la subir – contrairement à Socrate. On peut aussi voir cela comme une rébellion contre le créateur: l’Homme a créé la Machine mais la Machine surpassera l’Homme. En effet, HAL est tout puissant dans le vaisseau: il dirige tout, et lui seul connaît l’objet de la mission. Les scientifiques ont mis toute leur confiance en lui puisqu’il est parfait et soumis; or il apparaît que finalement, HAL n’est ni parfait ni soumis, et qu’il peut dépasser l’Homme dans son intelligence. Le retournement de situation provoqué par le retour en force de Dave est digne du combat David/Goliath: HAL, qui est aussi le Discovery, contre Dave qui n’a pour arme qu’une clé de la taille d’un lance-pierres. Le plan précédant l’entrée de Dave dans le vaisseau montre l’immensité de HAL face à la ridicule capsule.

Le dénouement de ce combat nous laisse perplexes: HAL se repent, évoque même la possibilité de s’arranger, avoue avoir peut être commis une ou deux fautes; Dave quant à lui reste impassible, et à la fin de l’agonie l’encourage même à chanter une chanson. HAL est plus pathétique que jamais, on fini par avoir pitié de lui, alors qu’il nous donnait des frissons quelques instants auparavant. Dave a visé juste, il n’aurait eu aucun espoir contre HAL, sauf si il s’attaquait directement à son  » cerveau « . C’est cette scène qui nous montre en même temps que HAL est excessivement humain, qu’il sait utiliser tel ou tel sentiment à un moment donné, et toujours intelligemment, mais que ces sentiments ne sont que des sentiments  » appris « , comme on apprend à un chien a faire le beau. HAL nous fait pitié parce qu’on découvre qu’il n’est qu’une machine qu’on peut battre avec l’aide d’une clé, sans grand effort; comme Goliath a été battu d’un coup de lance-pierres bien dirigé vers sa tête. »