Connaissez-vous les zoos humains?

2 novembre 2010 0 Par Caroline Sarroul

« L’expérience nous prouve, malheureusement, combien il faut de temps avant que nous considérions comme nos semblables les hommes qui diffèrent de nous par leur aspect extérieur et par leurs coutumes. » disait en 1871 Charles Darwin, théoricien de l’évolution des espèces  et à l’origine de cette volonté des anthropologues du XIXème siècle de trouver le chaînon manquant entre le singe et l’homme moderne, désir qui est d’ailleurs à l’origine de la célèbre affaire de Piltdown.

Certains ont cru le trouver chez certains « sauvages », chez certaines « races prétendues inférieures », aveuglés par leur ethnocentrisme, qui consiste à associer  la différence culturelle ou extérieure à une différence naturelle et intérieure, en pensant que l’humanité n’a pu emprunter qu’une seule direction: celle de notre culture qui est alors  le sommet, l’apogée de l’humanité.

Le différent est donc associé au mieux au sous-développé, au pire au sauvage, au barbare, renvoyé du côté de l’animalité, hors des frontières de l’humanité qui seraient modestement et narcissiquement celles de notre culture.

Cette manière de voir peut nous sembler  être d’un autre âge, parce que l’idée de nature humaine et par là celle d’unité du genre humain sous la diversité semble s’être imposées dans la plupart des esprits ( ils restent en effet quelques barbares  qui continuent de croire à la barbarie,  pour reprendre Lévi-strauss!) et pourtant au XIXème  siècle et  même jusqu’à la première moitié du XXème siècle, les cultures différentes étaient plus synomymes de curiosité, d’exotisme, d’étrangeté, de sauvagerie que de visages différents de la même humanité, que des variations sur un même thème.

 Alors que sur nos écrans, le cinéaste Abdellatif Kéchiche met à l’honneur dans son dernier film La Vénus noire, cette Vénus Hottentote ( tribu d’Afrique du Sud), Saartjie Baartman ( Sawtche) née en 1790 et décédée en 1815  après avoir été arrachée à sa terre natale par un afrikaner, exhibée à Londres dans une cage à Picadilly en 1810 et à Paris, vendue aux uns et aux autres, mise même entre les mains d’un montreur d’animaux ( à cause d’une stéatopygie, c’est-à-dire une hypertrophie graisseuse des hanches et des fesses ainsi qu’un « tablier génital »)  comme une bête de foire, un monstre.

 Mais en aurait-il été de même si elle n’avait pas été en plus noire?

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 A sa mort , sa dépouille sera étudiée, disséquée  ( selon George Badou , auteur de L’énigme de la Vénus Hottentote ( Payot 2002), plutôt charcutée) par l’anatomiste Georges Cuvier, qui l’avait par ailleurs examinée de son vivant. Dans le rapport de l’Assemblée nationale n°3563 du 30/01/2002, quelques conclusions de l’analyse de Cuvier présentées en 1917 devant l’Academie de médecine sont citées, je vous laisse juge: 

« Ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de capricieux qui rappelait ceux du singe. Elle avait surtout une manière de faire saillir ses lèvres tout à fait pareille à ce que nous avons observé dans l’orang-outang. »… « Le nègre, comme on le sait, a le museau saillant, et la face et le crâne comprimé par les côtés ; le Calmouque a le museau plat et la face élargie ; dans l’un et l’autre les os du nez sont plus petits et plus plats que dans l’Européen. Notre Boschimane a le museau plus saillant encore que le nègre, la face plus élargie que le calmouque, et les os du nez plus plats que l’un et l’autre. A ce dernier égard, surtout, je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne. » « Ce qui est bien constaté dès à présent,.., c’est que ni ces Gallas ou ces Boschimans, ni aucune race de nègre, n’a donné naissance au peuple célèbre qui a établi la civilisation dans l’antique Egypte, et duquel on peut dire que le monde entier a hérité les principes des lois, des sciences, et peut-être même de la Religion… Aujourd’hui que l’on distingue les races par le squelette de la tête, et que l’on possède tant de corps d’anciens Égyptiens momifiés, il est aisé de s’assurer que quel qu’ait pu être leur teint, ils appartenoient à la même race d’hommes que nous ; qu’ils avoient le crâne et le cerveau aussi volumineux ; qu’en un mot ils ne faisaient pas exception à cette loi cruelle qui semble avoir condamné à une éternelle infériorité les races à crâne déprimé et comprimé. »

En avril 1815, le zoologue  Geoffroy de Saint-Hilaire, également administrateur du Muséum d’histoire naturelle,  présentait, lui,  un rapport dans lequel il comparait son visage à celui d’un orang-outang et ses fesses à celles des femelles des singes mandrills.

Ce rapport de l’Assemblée nationale concerne une requête faite par Nelson Mandela, au nom de sa tribu d’origine pour récupérer les restes de la dépouille de la pauvre Vénus afin de lui offrir une sépulture digne de ce nom et les honneurs dus à son martyr, et se solde après 8 ans de débats juridiques par une loi,  le 21 février 2002: 

« Article unique : A compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les restes de la dépouille mortelle de la personne connue sous le nom de Saartjie Baartman cessent de faire partie des collections de l’établissement public du Muséum national d’histoire naturelle. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai de deux mois pour les remettre à la République d’Afrique du Sud. »  ( la dépouille sera de fait rendu fin avril 2002)

 (L’histoire de la dépouille de la Vénus Hootentote est aussi pitoyable que sa vie: l’ensemble des restes furent exposés au trocadéro pendant l’exposition universelle de 1889 pour la célébration du centenaire de la Révolution française.Rappatriés au Muséum, l’ensemble est de nouveau séparé, puisque le conservateur déclare la perte du squelette. Le moulage et les parties conservées dans le formol seront d’abord exposés jusqu’en 1974, dans diverses sections du muséum avec en commentaires les analyses de Cuvier, dont  la section préhistoire et enfin remisés dans la réserve, suite à des plaintes du personnel et des visiteurs d’origine africaine particulièrement choqués!)

Si le cas de la Vénus Hottentote est édifiant, il n’est pas pour autant unique et c’est ce que montre ce documentaire de Pierre Carles diffusé sur Arté et  intitulé

  ZOOS HUMAINS

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