Ne pas s’engager est-ce rester libre?

22 février 2011 0 Par Caroline Sarroul

  Engagement: 1. mettre en gage, donner en gage ( pacte,contrat, promesse, enrôlement). Le gage, c’est soi, son existence, d’où engager soi 2. prendre parti ( dans une idée de combat) On peut ici penser à l’engagement de l’intellectuel qui quitte son poste de spectateur, en prenant conscience de son appartenance au monde et se mettant au service d’une cause: de solitaire, il devient solidaire. Montaigne « état où on est lié à quelques obligations » Mot d’articulation : liberté comme indépendance, absence de contraintes et limites ET liberté comme autonomie. Présupposés: on est libre avant de s’engager ou pas; on peut perdre sa liberté; on peut ne pas s’engager

 S’engager n’est-ce pas s’imposer des contraintes, contraires à la liberté ? Ne pas s’engager est-ce pour autant réellement conserver et affirmer sa liberté ? Et n’est-ce pas finalement cette capacité de s’engager qui est la marque de notre liberté, qui doit être conquise avant d’être conserver ?

 

  1. Définition de l’engagement et de la liberté comme indépendance.
  • s’engager, c’est d’abord choisir et choisir , c’est renoncer. Temps que je n’ai pas choisi, tout est possible.
  • S’engager, c’est faire un choix excluant d’autres choix: être libre c’est avoir tous les choix possibles et aucune contrainte.
  • s’engager, c’est promettre, s’ôter la liberté de revenir en arrière, de reprendre la parole donnée, de changer d’avis.
  • prendre un engagement, c’est hypothéquer l’avenir et ses choix futurs : Si le passé détermine notre présent, l’avenir lorsqu’il est déjà chargé de promesses et d’engagements le détermine aussi . Sur nos choix futurs pèsent des contraintes , des contraintes telles qu’elles entraînent une nécessité : je ne peux que faire tel choix(conditions du libre-arbitre selon Descartes) par « la mémoire de la volonté », comme le dit Nietzsche. Par exemple je me suis engagé à aller au cinéma avec un ami, je ne peux ne pas y aller ou aller au théâtre. Le futur est déjà prédéterminé, mes choix sont déjà déterminés : j’irai nécessairement au cinéma puisque je l’ai promis.

Donc si la liberté, c’est la contingence des choix , l’absence de contrainte, je perds ma liberté en m’engageant, je ne suis, semble-t-il, plus libre en m’engageant. Mais est-ce parce que je ne m’engage pas que je reste pour autant ma liberté et que j’affirme ma liberté?

 II. L’engagement ne s’oppose pas à la liberté qui est non indépendance mais autonomie

  • ne pas s’engager ce n’est pas être libre et l’indépendance est une liberté illusoire
  • il faudrait analyser les raisons de ce non-engagement, qui peuvent faire que ce non-engagement est aussi nécessaire que la nécessité qui découle de l’engagement : la peur, l’irrésolution, la lâcheté peuvent expliquer ce non- engagement. Je n’ai pas librement choisi de ne pas m’engager malgré l’illusion d’une délibération ou d’un choix de vie. L’indépendance est illusoire.
  • ne pas s’engager, c’est renoncer à prendre parti, choisir de ne pas choisir ou laisser le choix au hasard, c’est donc réduire sa liberté à son plus bas degré (la liberté d’’indifférence) ou ne pas en user, ce n’est en aucun cas la préserver
  • si je ne veux pas m’engager, en ne choisissant pas, je me mets dans une positon, où c’est les autres ou les évènements qui finiront par choisir à ma place ( danger du repli sur la sphère privée dénoncé par Tocqueville) , où en ne voulant pas me préoccuper de ce qui m’entoure, isolé dans mon moi, le monde pourrait venir perturber mon univers ( ne pas se préoccuper de ses droits, c’est risquer de les perdre) L’indépendance est impossible, on ne peut vivre seul , sans se préoccuper de ce qui nous entoure, on risque même de perdre des libertés.
  • s’engager c’est confirmer et conserver sa liberté comme autonomie:
  • s’engager est un choix réfléchi au départ , un choix réitéré dans le temps par fidélité à soi , à sa parole ou à ses valeurs (L’engagement est un choix non fait une fois pour toute mais un choix qu’on refait à chaque fois, alors qu’on pourrait ne pas le refaire dans l’absolu. )
  • si les contraintes liées à l’engagement sont acceptées et voulues, elles n’en sont plus ( Comme le dit Merleau-Ponty, « tout engagement est ambigu puisqu’il est à la fois l’affirmation et la restriction d’une liberté ; je m’engage à rendre ce service, cela veut dire à la fois que je pourrais ne pas le rendre mais que j’exclus cette possibilité ».) = autonomie= se donner à soi-même ses propres lois.
  • cette fidélité à soi présuppose une maîtrise de soi, et cette constance est ce qui différencie la volonté libre du caprice, je peux vouloir ce que je ne désire pas ou plus, je peux résister à toutes les inclinations, à toutes les influences, je peux continuer à vouloir (Maine de Biran et l’expérience de l’effort comme expérience de la liberté. Je soulève une chaise bras tendu ; bien vite, j’ai mal au bras et pourtant si je veux je peux continuer mon effort, ma volonté est supérieure à cette souffrance corporelle, je fais l’expérience de ma liberté.).? hétéronomie
  • L’engagement peut permettre la liberté: 

 « En particulier, même nos initiatives, même les situations que nous avons choisies nous portent, une fois assumées, comme par une grâce d’état. La généralité du « rôle » et de la situation vient au secours de la décision, et, dans cet échange entre la situation et celui qui l’assume, il est impossible de délimiter la « part de la situation » et la « part de la liberté ». On torture un homme pour le faire parler. S’il refuse de donner les noms et les adresses qu’on veut lui arracher, ce n’est pas par une décision solitaire et sans appuis ; il se sentait encore avec ses camarades, et, encore engagé dans la lutte commune, il était comme incapable de parler ; ou bien, depuis des mois ou des années, il a affronté en pensée cette épreuve et misé toute sa vie sur elle ; ou enfin, il veut prouver en la surmontant ce qu’il a toujours pensé et dit de la liberté. Ces motifs n’annulent pas la liberté, ils font du moins qu’elle ne soit pas sans étais dans l’être. »

 Maurice Merleau-Ponty , Phénoménologie de la perception

  • Un engagement n’a de sens que s’il y a liberté . Là où il n’a que fidélité mécanique sans liberté, comme la fidélité de l’animal à son maître, il n’y a pas véritablement engagement. L’engagement présuppose la liberté sans quoi il n’a ni sens ni valeur.

Donc ce n’est parce qu’on refuse de s’engager qu’on est pour autant plus libre au moment du refus et après; et on peut même voir dans l’engagement et son respect, l’expression et le moyen de préserver sa liberté. D’ailleurs peut-on penser la liberté sans engagement? Peut-on ne pas être libre? Peut-on ne pas s’engager?

    III.

  • on ne peut pas ne pas s’engager car on est « embarqué »(Pascal ), « jeté dans l’existence » ( Sartre) et donc engagé malgré nous et tenu de s’engager ou de se désengager. Mais ce désengager, c’est s’engager au sens de prendre parti. Par exemple, rester spectateur indifférent, c’est faire un déni du réel, se représenter le réel comme ne nous concernant pas, et donc interpréter ce réel. C’est faire un choix d’interprétation de la situation. Être courageux ou lâche, c’est s’engager.
  • C’est par nos choix et donc nos engagements que nous nous définissons et affirmons notre liberté ( idée de projet, « l’existence précède l’essence », Sartre) ainsi que nous mêmes.

 

 

http://videos.arte.tv/fr/videos/philosophie_engagement-3580820.html