Les machines et nous

8 mai 2011 0 Par Caroline Sarroul

 

 

Ce rapport à la vie humaine ( excessif comme les Monty Python)  pourrait être cependant une des conséquences du développement de la technique ( alors que tout développement n’est évidemment pas un progrès, notions à distinguer!!!)

quand

– en tant qu’héritiers de Descartes, nous ne parlons plus de Nature mais de matière et qu’on pense la liberté comme arrachement à la Nature (Hegel) en se méfiant des appel à l’ordre naturel et des envolées romantiques

– comme le souligne Max Weber, l’esprit du capitalisme ( ascétique au départ)  s’est échappé de sa cage et qu’il ne reste plus qu’une cage d’acier sans cause ni limite transcendante

 » le souci des biens extérieurs ne devait peser sur les épaules de ses saints qu’ à la façon d’un léger manteau qu’à chaque instant on peut rejeter. mais la fatalité a transformé ce manteau en une cage d’acier »

– quand il y a « mécanisation bureaucratique », rationalisation, calculabilité et que cette rationalité ( et son efficacité) vaut pour elle-même

– quand le capitalisme allié à la technique sont parvenus à « imposer une approche méthodique de l’homme tout entier »

– quand on peut choisir d’avoir ou pas des enfants, quand on peut les procréer artificiellement,  les modifier génétiquement, faire des bébés-médicaments  et demain les clôner

 

Faut-il redouter les machines ?

  Une machine est un ensemble de pièces agencées en vue d’effectuer une tâche ou de produire une chose, cet ensemble n’ayant pas besoin de l’énergie musculaire de l’homme pour fonctionner. Une machine est donc une chose pour produire ou participer à la production d’autres choses. Il n’y a là rien de redoutable, le propre d’un objet étant d’être défini, il peut être absolument connaissable et il obéit à un processus mécanique prévisible, rien ne semble pouvoir éveiller la crainte ici. En effet, ce qu’on craint c’est soit ce qu’on sait dangereux, soit ce qu’on peut imagine comme potentiellement dangereux. Hormis les machines de guerre, de mort qui font naturellement peur, les autres machines ne sont que des choses, des moyens assujettis aux fins qu’on leur a données et en vertu desquelles elles ont été pensées et construites. D’autant plus que les machines rendent à l’homme de précieux services. Mais on sait aussi qu’un moyen peut s’avérer utile ou nuisible suivant l’usage qu’on en fait, et l’autonomie énergétique et opérationnelle de la machine par rapport à l’outil peut déstabiliser l’homme, il perd la maîtrise de l’action, de la production. Aussi on peut se demander si finalement il ne  faut pas redouter les machines. Se poser cette question, c’est présupposer que la machine est en elle-même redoutable et que le danger vient d’elle seule. C’est donc du problème de la dangerosité des machines, du rapport de l’homme à la technique dont nous allons traiter en nous demandant s’il n’y a pas des raisons de voir dans les machines un réel progrès de la technique plutôt qu’une menace, si dans certaines conditions les machines ne peuvent pas représenter un danger  et si pour autant nous sommes fondés à les redouter.

 

(I)Les machines sont le résultat de l’incontestable progrès technique qui a permis à l’homme de s’arracher peu à peu à la nature en lui et atour de lui pour y survivre et s’y affirmer comme homme. La technique au travers des outils et savoir-faire a toujours eu pour but de transformer la nature pour répondre à nos besoins et , couplée à la science, de nous permettre d’ être « comme maître et possesseur de la nature », selon l’expression de Descartes. En ce sens, on peut voir dans la création des outils, puis des machines-outils et enfin des machines ce même but. Ces objets techniques sont là pour faciliter la satisfaction de nos besoins et libérer du temps et de l’énergie pour satisfaire nos désirs, aspirations proprement  humaines.      Aristote disait déjà dans les Politiques (I, 4)  « si les navettes tissaient d’elles-mêmes alors les ingénieurs n’auraient pas besoin d’exécutants, ni les maîtres d’esclaves », l’outil a encore besoin de la main de l’homme, même s’il facilite déjà le travail, mais la machine elle, par son autonomie énergétique et de fonctionnement, peut en partie si mécanisation, en totalité si automatisation s’y substituer. Les machines allègent donc la pénibilité du travail, soulage le labeur et pourrait même le supprimer, libérant ainsi l’homme du souci du besoin pour lui laisser le temps de ne se préoccuper que de soi, de ses désirs, et même en lui donnant les moyens de les satisfaire ( liberté de mouvement avec les véhicules, d’information avec ordinateur…). On voit au quotidien dans le travail et hors du travail, le gain de productivité et par là de temps libre et d’énergie qu’engendrent les machines.

Mais encore faut-il que la machine ne soit utilisée que dans ce but ?

 (2) La machine est certes conçue pour produire un résultat, mais à cette fin interne, va s’ajouter une fin externe, qui, peut en faire d’un moyen efficace en soi, un danger pour nous. Une même machine utilisée pour sa même capacité dans le but d’alléger une partie du travail ou pour en tirer un maximum de profit, n’aura pas le même impact sur le travail par exemple. Une même machine dans l’atelier d’un artisan n’aura pas le même impact que sur une chaîne de montage, d’un côté elle permet de réduire la difficulté d’une tache dans la production d’une œuvre, de l’autre dans une division quantitative du travail , elle réduit le travail au labeur ( aliénation de Marx). Dans cette optique de profit, de production de masse, le travail ne peut plus être un élément d’identité, de réalisation de son humanité ( Hegel) 

     De même, si les premières machines étaient des machines outils, c’est-à-dire encore dépendantes de la main humaine, les suivantes n’ont pas supprimer l’intervention de l’homme mais l’on réduit à l’effectuation d’un acte soit minimaliste, soit de simple approvisionnement de la machine en énergie, matière première, ce qui a dévalorisé le travail ( ouvrier spécialisé) et mis en concurrence déloyale l’homme et la machine. Face à  la ponctualité, la résistance, l’absence de revendication de la machine, l’ouvrier  a perdu d’avance. Cependant, c’est oublier le travail de conception et du technicien qui eux ne sont pas touchés par cette aliénation. Cependant dans une logique de profit, on peut demander au concepteur de brider sa créativité aux limites des potentialités de la machine à amortir et réduire le nombre de techniciens, eux-mêmes soumis au perfectionnement de la technicité de la machine, aussi vite dépassés que les machines elles-mêmes.

  Ce qui fait que l’automatisation, dernière phase du progrès des machines, serait certes la fin de l’aliénation des ouvriers ( les usines en étant désormais vides !),  une revalorisation du travail exigeant savoir et savoir faire mais réservé à une poignet d’individus, les autres n’ayant plus ce qui jusqu’ici participe de leur identité, de leur intégration sociale et réalisation en tant qu’homme : le travail. Un temps libre infini, au milieu d’objets techniques, de machines, sans une révolution profonde des consciences, des valeurs, difficile de ne pas trembler devant une telle perspective.

  Cette automatisation finale est dès lors difficilement imaginable, si bien que la science fiction s’arrête souvent à passer  un monde dominé par les machines mais où les hommes travaillent encore au service, sous le contrôle des machines.

  Mais on peut ici encore se demander comment on en arrive à penser que la machine qui n’est qu’un moyen  pourrait prendre le contrôle ?

 

(3) On peut penser que cela vient du sentiment que nous avons perdu le contrôle du développement de la technique. Le progrès technique ne s’est pas seulement accéléré, il a changé de nature. C’est ce que soutient Michel Henry, dans La barbarie, « le progrès technique qui était compris traditionnellement comme l’effet d’un découverte théorique « géniale »…ne se retrouve pas aujourd’hui dans le développement de la technique s’accomplissant comme auto développement » Le progrès technique est devenu son propre moteur, qui n’a plus besoin de fin en dehors de son développement et qui n’a comme limite que celle du possible, profitable.

A cela s’ajoute le fait que le progrès technique ne change pas seulement notre manière de vivre mais aussi  de penser, de désirer. A l’aliénation du travail, à la destruction de la nature en soi redoutable, on peut ajouter une aliénation de la culture ( civilisation de l’artifice qui s’enivre de ses propres productions en décalage avec la vie, fabrique de consommateurs sans  conscience voués à une vie de pacotille, triomphe des valeurs techniques) et une aliénation de l’esprit ( on ne voit plus que la réponse à un besoin plus ou moins réel mais on ne voit plus les dépendances et conséquences)

Mais surtout cela s’explique, et par là nos craintes, par le fait que, dans ce contexte, la puissance technique de l’homme devient toute puissance. Car les machines, bien qu’autonomes, restent des moyens, et l’homme responsable et décideur des fins. Désormais des machines peuvent être construites en vue de toutes les fins pensées par l’homme. C’est cette infinité de possibilités qui angoisse. On sait l’homme capable de tout, du meilleur comme du pire, on sait que bien que voyant le meilleur, il peut faire le pire. Ce qui nous angoisse, ici, c’est notre propre liberté et c’est par analogie que l’autonomie croissante des machines nous fait peur. Des machines libres en quelque sorte seraient capables comme l’homme de tout, et si on pousse l’analogie, on imagine ces machines aussi dominées que nous par cette représentation , « culture » technique et la logique du profit, de l’intérêt privé qui est la nôtre. En somme, c’est l’angoisse face à  nous-mêmes, la conscience que nous avons de notre situation que nous plaçons dans les machines ; en elles-mêmes, elles n’ont rien de redoutables, ce ne sont que des moyens, ce sont les fins que nous leur assignerons qui peuvent l’être (II) et c’est notre attitude face à elle qui pourra l’être.

Si l’homme est libre ; il est donc responsables, il est aussi de mauvaise foi pour échapper à cette responsabilité. Confortable peut-être de penser que le redoutable vient des machines, qu’ « on n’arrête pas le progrès » et qu’on ne peut pas progresser sans régresser