Réflexions sur l’histoire

4 avril 2012 0 Par Caroline Sarroul

« Ce processus de continuelles retouches était appliqué, non seulement aux journaux, mais aux livres, périodiques, pamphlets, affiches, prospectus, films, enregistrements sonores, caricatures, photographies. Il était appliqué à tous les genres imaginables de littérature ou de documentation qui pouvaient comporter quelque signification politique ou idéologique. Jour par jour, et presque minute par minute, le passé était mis à jour. On pouvait ainsi prouver, avec documents à l’appui, que les prédictions faites par le Parti s’étaient trouvées vérifiées. Aucune opinion, aucune information ne restait consignée, qui aurait pu se trouver en conflit avec les besoins du moment. L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire. Le changement effectué, il n’aurait été possible en aucun cas de prouver qu’il y avait eu falsification.

La plus grande section du Commissariat aux Archives, bien plus grande que celle où travaillait Winston, était simplement composée de gens dont la tâche était de rechercher et rassembler toutes les copies de livres, de journaux et autres documents qui avaient été remplacées et qui devaient être détruites. Un numéro du Times pouvait avoir été réécrit une douzaine de fois, soit par suite de changement dans la ligne politique, soit par suite d’erreurs dans les prophéties de Big Brother. Mais il se trouvait encore dans la collection avec sa date primitive. Aucun autre exemplaire n’existait qui pût le contredire. Les livres aussi étaient retirés de la circulation et plusieurs fois réécrits. On les rééditait ensuite sans aucune mention de modification. Même les instructions écrites que recevait Winston et dont il se débarrassait invariablement dès qu’il n’en avait plus besoin, ne déclaraient ou n’impliquaient jamais qu’il s’agissait de faire un faux. Il était toujours fait mention de fautes, d’omissions, d’erreurs typographiques, d’erreurs de citation, qu’il était nécessaire de corriger dans l’intérêt de l’exactitude. »

G. ORWELL, 1984, 1ère Partie, chap. 4

Le passé peut être manipulé, mais il est toujours reconstruit et toujours difficile à gérer (parfois parce que l’Etat peut en être gêné même s’il le commémore aussi légitimement comme son héritier).

Après les prétentions des historiens positivistes à une vérité et une objectivité absolues, les historiens sont à la fois sorti de leur innocence et de leur immodestie, aidés par les critiques des philosophes et les analyses de l’historiographie.

Dans ses Mémoires, parus quelques mois avant sa mort en 1983, Raymond Aron écrit sur les années  1930, où, tout juste  sorti de l’École normale supérieure avec l’agrégation de philosophie, il part pour l’Allemagne à la recherche d’un sujet de thèse?: «?Je cherchai un sujet de réflexion qui intéressât à la fois le cœur et l’esprit, qui requît la volonté de rigueur scientifique et, en même temps, m’engageât tout entier dans ma recherche. Un jour, sur les bords du Rhin, je décidai de moi-même. Ce que j’avais l’illusion ou la naïveté de découvrir, c’est la condition historique du citoyen ou de l’homme lui-même. Comment français, juif, situé à un moment du devenir, puis-je connaître l’ensemble dont je suis un atome, entre des centaines de millions?? Comment saisir l’ensemble autrement que d’un point de vue, un entre d’autres innombrables?? Jusqu’à quel point suis-je capable de connaître objectivement l’histoire – les nations, les partis, les idées dont les conflits remplissent la chronique des siècles – et mon temps?? (…) Je devinai peu à peu mes tâches?: comprendre ou connaître mon époque aussi honnêtement que possible, sans jamais perdre conscience des limites de mon savoir?; me détacher de l’actuel sans pourtant me contenter du rôle de spectateur.?»

Regardez en avant-première sur Arté:

 http://www.arte.tv/fr/Histoire—Nicolas-Offenstadt-est-l-invite-de-Raphael-Enthoven-dans-Philosophie/6568536.html

2 idées soutenues dans cette émission, à retenir :

  • Il n’ y a pas de société froide ou de société chaude, sans ou avec histoire; toute société a une historicité mais avec  un rapport au temps différent, avec un intérêt différent pour le passé ( ex: les Jivaros ne s’intéressent pas au passé, bien que pétris de tradition et de mythologie, habité par un passé immémorial).

Hegel à l’époque de l’historicisme où l’histoire est source de progrés et d’autres comme Lévi-strauss ont  soutenu le contraire.

« L’Afrique n’a donc pas, à proprement parler, une histoire. Là-dessus, nous laissons l’Afrique pour n’en plus faire mention par la suite. Car elle ne fait pas partie du monde historique, elle ne montre ni mouvement, ni développement et ce qui s’y est passé, c’est -à-dire au Nord, relève du monde asiatique et européen. Carthage fut là un élément important et passager. Mais elle appartient à l’Asie en tant que colonie phénicienne. L’Egypte sera examinée au passage de l’esprit humain de l’Est à l’Ouest, mais elle ne relève pas de l’esprit africain ; ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique non-développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle. »

« L’Histoire du monde voyage d’est en ouest, car l’Europe est absolument la fin de l’Histoire, l’Asie son commencement. (…) L’Est savait et sait encore aujourd’hui que le Un est libre ; le monde grec et romain que certains sont libres ; le monde allemand sait que Tous sont libres. La première forme politique que nous observons dans l’Histoire est le despotisme, la deuxième la démocratie et l’aristocratie, et la troisième la monarchie.»

La raison dans l’histoire

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