Sans le langage pourrais-je prendre conscience de moi?

5 mai 2012 0 Par Caroline Sarroul
  • Sans le langage (2 conception du langage : outil de la communication/ de la pensée) pourrais-je prendre conscience de moi ( 3 degrés : conscience immédiate/ conscience de soi/ connaissance de soi) ?

Le langage, c’est une faculté de communication par l’intermédiaire de signaux, de symboles ou de signes institués que sont les mots, dans le cas de la parole humaine. Si on peut penser que ces mots permettent de se rapprocher et d’échanger avec les autres, ils semblent superflus dans le rapport à soi ; on s’expérimente, se sent, se pense, les mots viennent après pour dire aux autres ce que je suis, ressens et veux. Cependant, comme l’a soutenu Hegel, les mots ne sont pas simplement des véhicules pour extérioriser la pensée, ils sont aussi ce qui la permet. « Penser sans les mots est une tentative insensée » écrit-il. Or être vraiment conscient de soi, n’est-ce pas se penser, se représenter par le Je et sonder ses pensées. Aussi on peut se demander si sans le langage, il est vraiment possible de prendre conscience de soi. La conscience de soi est-elle immédiate ou doit-elle être médiatisée par le langage, qui ne serait pas une faculté parmi d’autres de l’homme, mais celle qui lui donne accès à lui-même, à ce qui fait son humanité ? Nous traiterons ce problème en nous demandant en quoi la prise de conscience de soi semble pouvoir se passer du concours du langage, pourquoi les mots s’avèrent en réalité nécessaires et si , tout en étant organes de la conscience de soi, ils n’en sont pas aussi un des obstacles majeurs.

I. Les mots sont inutiles. Etre conscience de soi, c’est se savoir être et être un et identique. Or il suffit d’être présent à soi et au monde pour se savoir être au monde. Si à ce sentiment immédiat d’être, s’ajoutent la mémoire assurant le sentiment de continuité dans le temps, le corps comme support de notre unité ( je me lève et me couche chaque jour dans/avec le même corps dont je ne peux sortir, je fais l’expérience que je ne suis pas en lui « comme un pilote en son navire » mais comme « confondu et mêlé », lui c’est moi), le regard, la rencontre ( ex de l’expérience de la honte, chez Sartre, où la présence de l’autre m’oblige à me voir tel que je suis) et  le jugement des autres qui m’assurent de mon identité ( je ne suis pas eux et toujours moi pour eux et toujours renvoyé à ma responsabilité en tant que sujet et individu), tout cela suffit pour avoir conscience de soi comme un être un et identique, distinct des autres, sans les mots.

TR : Si on en croit la démonstration du doute hyperbolique de Descartes, cette conscience de soi comme savoir d’être est même la seule chose dont je ne puis douter. Je pense, je sais que je pense, je suis immédiatement. Mais penser, n’est-ce pas parler en soi et à soi et la conscience de soi se réduit-elle au sentiment de soi, à quelques connaissances sur soi tirées de l’expérience ?

II. Si on élargit le langage à tout mode d’expression , via signaux et symboles, et si on accepte de réduire l’œuvre d’art à un langage ( ce qui est discutable, car cela la réduit à un médium), on peut voir dans ce langage de l’art, le lieu de la confirmation de soi, de sa propre existence : l’œuvre d’art est expression de soi, porte notre marque et m’inscrit dans la durée et dans le monde, comme partie de moi-même, réalisation de moi-même : cogito pratique de Hegel.

Etre conscient de soi, c’est pouvoir dire Je ( donc je ne peux me passer de l’usage de ce pronom personnel, qui va servir de support fixant enracinant durablement le sentiment discontinu et divers de soi – analyse de Kant sur le pouvoir de posséder le Je dans la représentation de soi ) et ce que je suis pour moi, c’est le récit que je fais de moi au travers de mon histoire ( c’est ce que Paul Ricœur appelle « l’identité narrative ») en retenant tel ou tel moment, en en faisant ou pas un évènement.

Etre conscient de soi, c’est se connaître. Cette connaissance ne semble pas pouvoir se passer des mots qui permettent de discerner dans le flux de notre vécu chaque chose en les nommant, en les distinguant des autres, de se penser (cf. Hegel) ; qui prononcés ont une vertu curative et permettent de prendre conscience de ce qui se cachait au fond de notre inconscient et nous définit aussi (vertu cathartique de la parole dans la psychanalyse, lapsus révélateurs) ; qui permettent d’échanger avec autrui et favorisent une analyse commune de ce que je suis, pense et désire. Sans les mots pas de pensée, sans les mots pas de désirs qui présuppose une représentation qui ne se réduit pas une image par définition définie et limitée, mais par un discours qui permet de construire, de reprendre une idée de l’objet désiré.

TR : Les mots apparaissent donc comme  nécessaires à la connaissance de soi, mais les mots ne sont-ils pas aussi ce qui peut faire écran dans ce rapport de soi à soi ?

III. Les mots ne sont pas faits pour nous connaître ; ils sont avant tout au service du troupeau (Nietzsche), faits pour une communication utilitaire ( découpage pratique de la réalité). Ils peuvent nous voiler ce que nous sommes, nous tromper sur ce que nous ressentons (Thèse de Bergson) et nous condamner au silence : nous ne pouvons nous dire ce que nous ressentons, expérimentons, ce qui fait que nous sommes, nous, ni le partager avec les autres.