Est-il facile d’être soi-même?

14 octobre 2012 1 Par Caroline Sarroul

accroche : Selon le sociologue Ehrenberg, le mal être des sociétés individualistes modernes, c’est la difficulté de répondre au droit et même à l’injonction d’être soi-même quand on a tous les droits.

Problème : Cette question pose le problème suivant, soit on considère que nous sommes définis avant d’exister à la manière d’un objet et dans ce cas, il s’agit seulement d’être et d’actualiser une essence déjà donnée, soit on considère que c’est notre existence qui définit notre essence et cela sans guide, ni excuse, parce que nous sommes des sujets. Ou il ya une nature individuelle, ou simplement une condition individuelle. Essentialisme/substantialisme ( Descartes/Kant)  ou existentialisme ( Sartre)?

L’idée d’être soi-même, avec l’égalité du « même », renvoie à la notion d’identité ( A=A).

I. On peut penser cette identité comme ipséité c’est-à-dire le fait de se représenter comme demeurant un et unique sous les changements et dans le temps, est de l’ordre du donné donc la facilité même, puisqu’il ne s’agit que de constater un déjà là et  même un déjà fait.

– Dans ce sens, il est facile d’être soi-même, posséder le Je dans sa représentation , se savoir être une personne accompagne  le fait même d’être conscient de  soi ( # simplement se sentir comme un). – Le stade du miroir qui participe de cette prise de conscience confirme que nous sommes un tout, un corps et consiste à s’identifier à cette image du corps , dans lequel on se lève et se couche tous les jours. – Ce corps ( qui me situe dans l’espace  et fait que je ne peux pas être à la place de l’autre et lui à la mienne, d’où altérité) est le lieu d’une hérédité de traits aussi bien physiques que psychologiques dont nous constatons la présence définissante pour soi et pour les autres et le support de mon identité civile ( photo, empreinte, données biométriques). Je suis un individu, c’est-à-dire un tout indivisible, unique et distinct des autres ( alors qu’en tant qu’être conscient de soi, je suis une personne comme toutes les autres),qui ne peuvent se mettre à place comme moi à la leur.  – La mémoire, conséquence de la conscience que nous avons nous assure aussi de notre permanence dans le temps et fait que nous nous attribuons toujours les actes passés et déjà les actes à venir, que sont nos projets présents, que nous sommes capables d’avoir une identité narrative ( je suis le récit que je fais de ma vie dans une continuïté temporelle).

TR : donc il est facile d’être soi-même et pas un autre, parce que nous naissons individués et la conscience de soi confirme sans effort cette unité substantielle ( je pense , je sais que c’est moi qui pense, que je suis). Mais on peut être soi et ne pas se reconnaître dans nos actes et réactions, bien qu’on les reconnaisse comme nôtres. Etre soi-même, ce n’est pas seulement être soi, c’est avoir le sentiment d’une coïncidence avec soi, d’une mêmeté. Et son absence fait que je ( donc ipséité !) peux ne pas me reconnaître ( mais pas mêmeté!)

II. Si on pense l’identité sur le modèle de la mêmeté, il est bien moins facile d’être soi-même, car il y a des obstacles qu’il faut surmonter aussi bien au dehors pour apparaître et agir en conformité avec ce que l’on est pour soi ( les autres, leur attente, leur jugement, les règles de la vie en société, dont le respect coûte d’autant plus cher qu’on a une forte personnalité, notre moi social) qu’au-dedans pour faire exister ( être au dehors) ce qu’on est au dedans ( difficulté de s’accepter tel que l’on est , difficulté de se connaître ( mal outillé, Bergson) pour ajuster ses désirs, ses projets à notre être ; difficulté de résister au désir d’être reconnu même au prix de certaines trahisons, difficulté de rester fidèle à soi sans céder aux plaisirs du moment). Ce qui rend la chose encore plus difficile c’est que nous sommes à la fois corps et esprit, nature et culture, donc tiraillés entre des exigences différentes.

TR : Si on entend par être soi-même coïncider avec soi, cela est donc bien difficile aussi bien au déhors devant les autres  que pour nous. Mais ne peut-on pas dire que c’est même la tâche la plus difficile que nous ayons, car sans filets et sans fin.

III. Ce qui rend cette tâche difficile,

– c’est qu’être conscient, c’est ne pas coïncider avec soi, en créant un écart, celui qui permet de se voir, de se juger et de toujours dépasser ce qu’on est là. Le moi qui prend conscience de la tristesse n’est plus tout à sa tristesse. « le pour-soi est ce qu’il n’est pas et n’est pas ce qu’il est »

– c’est que le donné ne peut être considéré que comme les conditions dans lesquelles nous avons à advenir. Par exemple, mes caractères physiques peuvent être tout de moi, comme n’être que des éléments parmi d’autres, tout dépend de la valeur, la place que je vais leur donner dans ce que j’ ai projeté d’être  pour moi.

– c’est que comme je suis un être conscient, je suis capable de prendre de la distance par rapport à ce qui apparais de moi  et donc de me juger et de choisir si je cède ou pas, si je lutte contre ou pas, si je cherche à me changer. Je suis responsable de ce que je suis dans le sens où je suis ce que je me fais et je suis pour cela seul et sans excuse. Et  d’autant plus seul, qu’il n’y a pas moins limites, moins de guide imposés à tous du dehors, comme dans nos sociétés individualistes et relativistes.

En ce sens être soi-même est une tâche incessante car il faut s’engager dans un projet et rester fidèle à ses engagements, en ne sachant pas si la direction prise est la bonne ( plusieurs étant possible dans la même condition) , si elle nous correspond puisqu’on se découvre en avançant, se fait en faisant. « l’existence précède l’essence » même si certaines conditions sont données.

                            Il n’est pas facile d’être soi-même, car on a à  devenir soi !