Prendre conscience de soi est-ce devenir un étranger pour soi-même?

13 octobre 2012 3 Par caroline-sarroul

(1)Prendre conscience de soi, c’est d’abord comme le disait Kant « posséder le Je dans sa représentation » et donc pas seulement être présent à soi et au monde, mais se savoir l’être et être par là un Je, un sujet, une personne. (2) Ainsi, il semble qu’en disant Je, l’enfant se rapproche de lui-même, passe d’un sentiment confus, diffus de soi à une claire pensée de son identité, de son unité. Prendre conscience de soi, ce serait donc en quelque sorte abolir la  distance à soi , être au plus près de soi, réduire l’altérité première. Et l’étranger, c’est bien l’autre, le « hors-sujet ». Donc prendre conscience de soi, c’est se distinguer des autres et avoir le sentiment de s’être trouvé, de familiarité, d’unité que d’étrangeté et d’altérité. (3) Mais prendre conscience de soi, ce n’est pas seulement savoir que l’on est soi, c’est savoir qui on est, se connaître.  Or une  introspection, une psychanalyse, un examen attentif de nos actes peuvent en effet vite  nous révéler à quel point nous étions en fait ignorants sur nous-mêmes, bien que conscients d’être nous. Et l’étranger,  c’est aussi l’inconnu. Donc il se pourrait que la prise de conscience nous amène ici à nous apparaître autre et inconnu.(4) Aussi on peut se demander si prendre conscience de soi ce n’est pas finalement devenir étranger à soi-même ? (5)Nous aborderons donc ce problème des conséquences de la prise de conscience de soi et de l’existence d’un moi avant celle-ci. (6) Mais poser cette question, c’est aussi présupposer au travers de l’idée de devenir , qu’avant la prise de conscience de soi, on peut être en rapport avec soi, connu de soi et soi. (7) en traitant les questions suivantes : prendre conscience de soi n’est-ce pas être au plus près de soi ? Est-ce pour autant se découvrir tel qu’on se pensait ? Mais peut-on être soi sans devenir étranger à soi ?

I. Avoir conscience de soi est-ce se sentir tout à coup autre, sans rapport avec soi ?

– si par conscience de soi, on entend conscience immédiate de soi, quand on est présent à soi, on se sent, on se rend compte de ce qui se passe en nous, et même si, cela ne suffit pas pour se sentir soi, on ne sent pas autre pour autant. Par exemple, quand je souffre à cause d’une douleur dans le corps, je me rends bien compte que cette souffrance est différente de celle que je pourrais avoir face à la douleur d’un autre. La souffrance, par son intensité différente, par sa nature différente souligne que la souffrance  a une cause proche. Et, cela parce que comme le disait Descartes, « je ne suis pas seulement logé dans mon corps comme un pilote en son navire ». Donc si , je ne peux dire clairement que c’est moi qui souffre, je sens que la souffrance n’est pas celle d’un autre.

– si on passe de la conscience immédiate à la conscience réfléchie, c’est encore plus clair. Je vais prendre conscience de ce dont j’ai conscience. Je sais que je souffre et que c’est moi qui souffre. Il est vrai que pour en arriver là, j’ai fait un double mouvement. D’un côté, je me suis distingué de mon état de conscience (comme un étranger voyant de l’extérieur un état de conscience) , et immédiatement je me suis identifié dans cet état de conscience. En un sens, je me suis vu, comme aurait pu me voir un étranger, comme si j’étais un autre, mais c’est aussitôt  pour me reconnaître dans cet état de moi. Mais, ce n’est que « comme si », car au lieu de devenir autre que moi, j’ai conscience que cet état est un état de mon moi, que je peux le ramener à mon « je ». J’ai conscience de mon état et de moi.

si on en arrive à la conscience de soi, au fait de « posséder le je dans sa représentation » comme le dit Kant, comme il l’explique à propose de l’enfant qui avant 2 ans ne fait que confusément se sentir, cette prise de conscience est décisive. Progressivement, avec le stade du miroir vers 18 mois où l’enfant voit dans le miroir une image unifié de son corps qu’il ne vivait jusque là par des sensations dispersées, sans unité puis avec l’emploie du Je vers 2 ans, l’enfant se saisit comme n’étant pas un autre, mais bien lui-même. De la diversité de la sensation, il passe à une unité de la conscience. Il  n’est plus un étranger pour lui-même.  Et, c’est finalement cela prendre conscience de soi, prendre conscience que je demeure un et identique derrière des états différents, c’est avoir le sentiment de sa personnalité.

  Transition : prendre conscience de soi, ce n’est pas seulement prendre conscience d’être, d’une unité, c’est se connaître. La connaissance, ce n’est pas seulement se penser, avoir une  idée de soi, de son existence ;  c’est associer à cette idée, un fait : des données objectives et subjectives qui nous définissent, qui font qui je suis. C’est passer d’un Je à un moi, et c’est ce que suggère le soi, dans la prise de conscience de soi, qui présuppose que je sois face à moi. Et là on peut se demander si cette connaissance ne commence pas par la découverte de notre ignorance de nous-mêmes ?

II. avoir conscience de soi est-ce devenir un inconnu pour soi-même ?

Prendre conscience de soi, c’est prendre conscience que parfois on ne se reconnaît pas. Ce qui forme pour nous, notre personnalité, c’est un ensemble de caractères qui nous distinguent des autres. Ces caractères sont des dispositions innées et des acquis en fonction de notre histoire et de son cadre. Ces caractères sont découverts par expérience ou par introspection, ce sont nos manières d’être, d’agir et réagir habituelles. Mais, il se peut qu’un situation exceptionnelle nous révèle un aspect non vu jusqu’ici et alors, la conscience de cette révolution peut nous donner le sentiment que finalement, on ne se connaissait pas vraiment, pas totalement. Dans ce cas, on se révèle tout à coup sans rapport avec ce que l’on était pour soi jusque là. Il y a un écart entre le soi habituel et le soi qui se révèle là. On devient en ce sens étranger à soi, ou plutôt à ce qu’on croyait être soi .

prendre conscience de soi, c’est aussi se rendre compte que finalement on est un inconnu pour soi, et en ce sens là on devient vraiment étranger à soi. Dans ces cas-là, on se rend compte que l’on a des caractères inconnus. Là, en prenant conscience de moi dans cet état, je me rends compte que je suis pour moi une terre étrangère. Que sais-je de moi ? que je suis, ce que je me rappelle de mon passé, ce que je vois et expérimente de moi…mais tout le reste ce que je suis (saut substantialiste et sa critique), ce que j’ai oublié (vie intra-utérine, naissance, petite enfance, événements refoulés dans mon inconscient),ce dont je ne me rend pas compte ( influence des autres, préjugés…) tout cela explique qui je suis mais moi, je l’ignore et c’est ce dont je prends conscience à l’occasion d’un travail d’analyse de moi-même ou en analysant mes œuvres ou en étant sous le regard des autres.

– Donc au plus je connais, au plus je me rends compte que je me connais mal et que je suis habité par des corps étrangers.

 III. Mais devenir étranger à soi est la condition pour devenir soi 

–  devenir étranger à soi, cela peut être prendre du recul face à soi, arrêter de coller à soi pour se mettre à la place de l’autre, me voir comme il me voit et par la réaliser ce que je suis, qui je suis.

– se reconnaître étranger à soi-même, c’est déjà mieux se connaître. La prise de conscience permet de gagner en conscience, en liberté et donc de pouvoir être davantage maître de soi. C’est le principe de la psychanalyse.

– devenir, c’est changer, et par là devenir autre tout en restant soi ; donc devenir étranger à soi, c’est devenir soi, car on n’est pas soi on a à devenir soi.