Peut-on parler d’une création de soi ?

17 novembre 2012 0 Par caroline-sarroul

      Etre soi, c’est être un individu distinct des autres ayant un sentiment d’unité. On peut penser que cela est sinon donné en tout ne nécessite qu’une prise de conscience d’un déjà –là. Il n’y a pas de création de soi, la création étant le fait de faire advenir quelque chose à l’être. Or je suis déjà moi avant d’en prendre conscience. Mais être soi, c’est aussi être soi pour soi, avoir une personnalité, résultat d’une construction, qui présuppose une part de connaissance de soi mais aussi une part de construction, d’invention, d’imagination. C’est en cela qu’on peut peut-être parler de création, on devient soi. Aussi on peut se demander si on ne peut pas finalement parler d’une création de soi. C’est donc du problème du rapport à soi, de la part de déterminismes et de liberté dans ce qui fait que nous sommes nous pour nous dont nous allons traiter. Nous nous demanderons donc si nous ne sommes pas créés avant d’êtres conscients que nous sommes, si pour autant nous sommes achevés ou si nous avons à nous construire, ou si cette création ne peut pas être comprise autrement que sous la forme d’une construction.

I. On est avant d’être conscient de soi

1. dès notre naissance, on est un individu distinct des autres et pour les autres qui ne nous confondent pas avec eux, qui nous considèrent comme un individu à part entière.

2. au moment où je dis « je », ou je me pense « je » je ne fais que consolider un sentiment d’identité et d’unité. Sous la diversité des états de conscience, des sensations, j’avais pressenti cette unité, le stade du miroir m’avait donné l’image d’une unité corporelle sur laquelle vient s’appuyer désormais mon identité psychique.

3. il semble qu’on ne choisisse pas d’être celui que l’on est. Si notre naissance n’est évidemment pas de notre ressort, notre « bonne » naissance ne dépend pas de nous. De même qu’on ne choisissait pas hier de naître noble ou gueux, nous ne choisissons pas aujourd’hui de naître dans telle classe sociale, dans tel milieu, sous tel régime politique, etc… On pourrait dire que toutes nos caractéristiques ne sont que le résultat de déterminismes. Et ces déterminismes sont nombreux. Du point de vue social, le fait d’appartenir à telle ou telle classe sociale peut conditionner notre parcours scolaire, culturel, notre rapport à l’existence et même notre psychologie. C’est ce que souligne Marx pour qui l’appartenance à telle ou telle classe conditionne notre manière de penser, de croire, de voter. De même du point de vue moral, avoir reçu une éducation puritaine ou laxiste conditionne notre représentation du bien et du mal, notre niveau d’exigence morale. Et cela même inconsciemment, comme le suggère Freud avec le Surmoi parental venant se déverser chez l’enfant, conditionnant par la suite censure, refoulement et équilibre psychique. De ce point de vue psychique, on pourrait ajouter le poids de l’hérédité, de l’héritage familial et de l’enfance. De même en tant qu’homme, nous pourrions penser que notre existence n’est que l’actualisation de notre essence ou nature humaine. Nous naissons déjà défini comme être conscient, pensant, culturel, libre  et on ne l’a pas choisi.

Mais on peut penser que ces arguments sont des excuses rétrospectives et masquent une véritable construction de soi par soi. Si on est d’emblée distinct des autres, être un moi, ce n’est vraiment être soi, c’est-à-dire moi pour moi, en accord avec moi, ce que je pense et veux être mo. Cela n’exige-t-il pas  un travail sur soi, un façonnement de soi, même si la matière première est en partie déjà là ? Est-on soi ou le devient-on ?

II. on n’est pas soi, on se construit. 

1. les psychologues établissent différentes étapes dans le développement, la construction d’un individu. Après le stade le l’émergence du moi, on va peu à peu se construire en séparant des autres, en s’opposant à eux (le non des 2 ans, l’adolescence, la crise de la cinquantaine…), en s’identifiant, on devient peu à peu soi, on se fait, on se construit.

2. même si on admet qu’on est en partie défini à la naissance et par la petite enfance, on devient soi en se découvrant, en s’expérimentant et en réagissant à ce qu’on découvre de soi par le refus, l’acceptation ou la revendication ; et on va se construire un personnage pour soi et les autres ( parfois différent) qui corresponde à ce que nous sommes mais aussi à ce que nous désirons être.

3. si on adhère à la position existentialiste, nous sommes le résultat de nos choix, de nos actes, « l’existence précède l’essence », on vient au monde indéfini ou ce qui nous définit n’est que la situation de départ, ensuite c’est à nous  de préciser nos désirs, nos valeurs. La preuve en est, c’est qu’on peut avoir le sentiment d’avoir raté ou réussie son existence. Une existence est ratée, soit parce qu’on n’a pas su savoir qui on était, ce qui semblait nous être utile, soit parce qu’on n’a pas su ou osé accorder notre existence à ce qu’on savait de nous, soit parce qu’on a subi les déterminismes au lieu de les dépasser. Ces regrets, ces frustrations soulignent bien que l’on sait qu’on aurait pu faire autrement, donc qu’il y avait choix et liberté, ou possibilité de se donner choix et liberté.

4. de même ce n’est pas parce qu’on naît homme, qu’on est homme. Etre homme n’est pas une mince affaire. Etre homme, c’est mener une existence qui soit à la hauteur de ce qu’exige notre humanité. L’homme se caractérise par la raison, la conscience, la liberté et la responsabilité. Or on a souvent tendance à s’abandonner aux inclinations immédiates, à se réfugier dans le divertissement pour fuir la conscience malheureuse, à se masquer notre responsabilité derrière des stratégies de mauvaise foi. Etre homme, c’est s’efforcer d’accorder son existence avec ces exigences. Il est bien plus aisé de faire la bête que de se tenir debout et digne. C’est ce que souligne Kant dans Qu’est-ce que les lumières ?, les deux obstacles principaux à la pensée libre, au fait de penser par soi-même sont la paresse et la lâcheté. Etre à la hauteur de son humanité coûte, il faut du courage et de l’endurance. On n’est jamais homme à jamais. Il suffit de se laisser aller et l’animal reprend le dessus et descend vite en dessous de la bête, comme le disait Rousseau à propos de cette perfectibilité qui caractérise l’homme. Donc nous avons le choix de devenir ou non de fait ce que nous sommes.

III. Mais on peut aussi penser que cette construction est  une réalisation de ce qu’on est : « deviens ce que tu es »

– C’est une formule de Nietzsche qui souligne que si certes il y a un effort à faire pour devenir soi, cela doit commencer par un effort de déconstruction. Pour le psychanalyste Jung, on se construit en 4 phases, et la première consiste à tomber le masque ( « se désidentifier ») auquel on s’identifie au départ en croyant que c’est tout de nous, alors que ce n’est qu’un de nos aspects, pour ensuite, ne cherchant plus à se justifier ou à moraliser, être prêt à accepter la partie obscure de soi-même, pour voir notre potentialité éblouissante… Nietzsche,soutient la même idée, il faut accepter ce que l’on est : instinct, force vitale et assumer contre la morale, la société, le troupeau. Chaque individu doit se réaliser, avoir la volonté d’être soi-même et d’aller jusqu’au bout sans renoncer à soi-même.

– être soi demande un effort et sans cesse il faut renouveler l’effort devant soi et surtout devant les autres, face auxquels on a tendance à joeur le jeu de la comédie sociale. Il est difficile d’être toujours celui que l’on est, car bien des choses échappent à la conscience et nous ne sommes pas nécessairement les mieux placés pour se connaître ou disposés à se reconnaître ( mauvaise foi)

On ne choisit pas d’être et d’être d’emblée un homme et un individu séparé des autres, mais on a à se faire, à se construire ou à incarner celui que l’on est, dans les deux cas, cela exige un travail, un effort qu’on peut rapprocher d’un acte de création : il faut faire advenir à l’être, ce qui n’est pas encore pleinement là, il faut parachever l’œuvre, il faut  se faire. Donc on peut parler d’une création de soi.