De la liberté, Stuart Mill, 1859

11 juin 2013 0 Par Caroline Sarroul

                           Quelques extraits étudiés

de De la liberté, 1859

  

Texte 2 , introduction, p 74 à 76, de « l’objet de cet essai… » à «  s’il s’agit de la sécurité des autres ».

  1er paragraphe

   S.Mill achève son introduction en posant le problème de ce livre.

PB: Il s’agit de penser les rapports non plus entre société et État ( question des Anciens) mais entre société ( en tant qu’être social ou État, qui n’est en démocratie que l’expression politique de la société) et individu.

Pourquoi faut-il penser ces rapports, ce problème?

  • parce que S.Mill est à la fois un libéral ( soucieux de la liberté individuelle) et un utilitariste ( soucieux de l’intérêt du plus grand nombre)

  • parce que la société peut contraindre de 2 manières

    a) sanctions pénales ( imposé par le magistrat)

    b) contrainte morale ( imposé par l’opinion comme pensée sociale dominante qui s’impose par imitation et interaction, par conformisme)

  • parce qu’elle a le droit de le faire dans le but de se protéger des abus de liberté, souci de « protection » du tout. C’est légitime car la société semblable à un grand individu ( totalité indivisible formé par la somme ( association plus qu’agrégation!) d’individus) a le même droit que tout individu, à savoir protéger sa liberté et sa vie.

  • parce qu’un individu est un être libre, qui doit pouvoir se réaliser selon ses choix et aspirations. Il est souverain sur son corps et son esprit. Chaque est unique, capable d’agir par lui-même ( spontanéité du libre-arbitre) et est appelé à se développer selon sa propre nécessité ( être de progrès)

 Solution: « Harm principle »: on ne peut contraindre un individu que « pour l’empêcher de nuire aux autres » par son action ou son inaction (ne pas protéger quelqu’un), donc dans ses relations aux autres, donc dans le domaine publique.  Article 4 de la DDHC de 1789

 Mais nuire, c’est aussi s’immiscer dans sa vie privée au nom de « son propre bien ». C’est pourquoi il n’est pas légitime de le contraindre à ne pas se nuire à lui-même ( comme pourrait le faire un gouvernement paternaliste ou une opinion s’autorisant à juger et condamner le comportement des uns et des autres). Affirmation d’une « indépendance de droit absolue » dehors et dedans, l’individu est « souverain » ( l 30/31)

Isaiah Berlin( 1909-1997), Deux concepts de liberté (1958)

liberté négative: absence de toute ingérence extérieure, « libre de toute immixtion extérieure » qui autorise de résister à toute forme d’oppression ( liberté des modernes opposée à celle des anciens, selon B. Constant). Cette liberté négative est la condition de la liberté positive.

liberté positive : être son propre maître, être un sujet non un objet, être une personne et non personne ( mais on a associé être maître de soi à être rationnel, la raison étant le « vrai moi » opposé aux pulsions et désirs qui ne sont pas moi– idée héritée de Platon, Aristote et autres)

   Dans les deux cas, la contrainte légitime ou ses limites se fonde sur la liberté de l’individu ( et son respect sans lequel notre existence n’a plus de valeur – p 67- l 211/213) et non sur l’intérêt de la société qui préférerait sans doute une uniformité ( mais la diversité est profitable au tout, principe utilitariste)

 2ème paragraphe

Ce principe ne s’applique qu’ « aux êtres humains dans la maturité de leur facultés », ceux qui sont susceptible d’un progrès par « une libre discussion entre égaux » Donc il ne s’applique pas

  1. aux enfants et adolescents ( les non majeurs légalement) qui ont besoin de discipline pour être protégé d’eux-mêmes

  2. aux sociétés de l’enfance de l’humanité, encore « barbares » ( sauvages) face auquel un « souverain progressiste » peut utiliser tous les moyens pour faire avancer la société vers le progrès. Dès que les facultés sont à maturité , la contrainte doit céder le pas à la « conviction et persuasion », sauf si les actions nuisent à autrui.

Texte 3 p 84 à 87 , de «  Supposons donc que le gouvernement… » à « … nombre d’opinions autrefois répandues »

  • 1er paragraphe

Sur la liberté de pensée et de discussion, S. Mill va défendre là encore une position libérale et utilitariste, et tenter de tenir ensemble l’intérêt de l’individu et du plus grand nombre.

L’Etat et la société peuvent menacer cette liberté de deux manières :

-soit par la censure qui permet d’imposer ce qui doit être dit et pensé et d’interdire ce qui s’y oppose. Selon Mill , la censure ( en particulier de la presse) est un principe auquel on peut recours les états démocratiques, sauf «  moment de panique » où le politique perd la raison et pied. ( p 83)

-soit en imposant « la voix du peuple » , même contre peuple.

Donc l’Etat menace la liberté de pensée et de discussion en étant en désaccord ou en accord avec « l’opinion publique » ( lignes 11/12), car l’intolérance n’est pas seulement dans la censure ou la punition ( p 96 ; ex. Socrate, Le Christ jugé « blasphémateur »), elle est aussi dans la stigmatisation sociale d’une minorité ou d’originalité voire excentricité au nom de l’opinion dominante de la majorité posée comme norme et vérité. ( ex. de sa femme). La majorité ne peut étouffer la minorité ou même un seul, comme la minorité ne peut s’imposer Or pour S. Mill, ces contraintes qui pèsent sur la liberté de pensée et de discussion sont illégitimes pour 2 raisons :

1) principe de liberté : au plan individuel « dommage privé » face « à la possession individuelle » qu’est la pensée. L’homme est destiné à être libre et maître de ses pensées car «  le jugement est donné aux hommes pour qu’ils s’en servent » (p.88) donc ce serait contre-nature d’empêcher l’homme de faire usage de cette faculté et cela fait partie du progrès qu’il en fasse usage ( après obscurantisme, des temps barbares, raison développée à utiliser.).

On peut faire ici un parallèle avec l’idée de Kant que l’histoire de l’homme est le lent développement de ce que la nature a placé en lui en germe à savoir la raison ( Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique). Ou avec l’idée rousseauiste de Perfectibilité comme propre de l’homme ( plutôt que la pensée les animaux étant capables eux aussi de combiner des idées, même si c’est à un degré moindre).

De plus la liberté de pensée est la condition de la liberté de choix et d’action. L’individu pour être souverain sur son corps se doit d’être souverain sur son esprit.

-La liberté de pensée et la liberté de discussion sont liées, on ne pense bien qu’en commun. Argument de Kant qui peut être repris ici et que confirme la deuxième raison

-si nous sommes tous dotés du jugement, sa force est limitée, relative et inégalement répartie donc besoin des autres.

2) principe d’utilité : au plan collectif dommage publique, « imposer le silence à l’expression d’une opinion, c’est VOLER L’HUMANITE ». Empêcher un individu de s’exprimer, c’est porter atteinte à tous, c’est réduire le plus grand intérêt de tous concernant la connaissance et la vérité, c’est priver tout le monde de la vérité. Donc le calcul d’intérêt invite à laisser à toutes les opinions le droit d’exprimer et discuter, car tout le monde a à y gagner : les membres de la société actuelle, les hommes futures, ceux qui soutiennent cette opinion ( qui va pouvoir être discutée et par là évaluer) et surtout ceux qui s’y opposent …

Bon calcul utilitariste ( donc non nuisible) en accord avec la liberté individuelle ( donc non illégitime)

. 2ème et 3ème paragraphes

Pour S.Mill, l’expression de l’opinion est toujours utile qu’elle soit vraie ou fausse car :

1.même si chaque homme est doté de la faculté de juger, il a toujours besoin de la confrontation des opinions. La certitude ne peut être établie dans la solitude ( comme chez Descartes avec l’exercice du doute hyperbolique ou la conduite raisonnée et réglée de la pensée), elle a besoin des autres et de la discussion. Ici on retrouve la même idée que chez Platon, l’esprit de l’autre est « la pierre de touche » de la vérité présente dans le mien ( d’où le dialogue philosophique) ou que chez Montaigne, qui soutient dans ses Essais que le but des voyages à l’étranger n’est pas seulement de découvrir le monde mais des hommes. «  Le voyage à l’étranger s’effectuera dans le même esprit, non pour en rapporter seulement, à la mode de notre noblesse Française, combien de pas à Santa Rotonda [le Panthéon] (…) mais pour en rapporter principalement les humeurs de ces nations et leurs façons, et pour frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui» (I, 26, 153 A)

2. même si chaque homme est doté de la faculté de juger, il ne peut être certain d’être dans le vrai, . Mill soutient une thèse faillibiliste. On n’est jamais sûr d’être de détenir la vérité, la vérité est le résultat d’un processus de correction successive d’erreurs ( cette capacité à corriger ses erreurs est la qualité de l’esprit qui lui permet de compenser ses faiblesses – p90- et reste relative ( VOIR Texte 4) . On peut rapprocher ici MILL de POPPER !! Il est un philosophe sceptique, même s’il ne soutient pas pour autant que tout se vaut et rien ne vaut, il remet simplement en question la prétention à la certitude absolue ( même si « il y en a assez pour les besoins de la vie » ( p89)

3. lignes 27/33 : face à ce faillibilisme, l’opinion d’autrui est donc toujours salutaire , on peut comparer la confrontation des opinions au TEST en science et n’est vrai que ce qui n’a pas été encore réfuté mais s’expose à la réfutation ( Popper : un énoncé est scientifique s’il est réfutable et donc testable et la confrontation au test permet de le corroborer) car

– si cette opinion est vraie , elle peut permettre de corriger une opinion erronée

– si elle est fausse, elle permet de mieux saisir encore la vérité possédée, de la rendre encore « plus claire » et « plus vive » en la confrontant avec le faux.

( P140/141 en conclusion de ce chapitre, Mill reprend les raisons de laisser s’exprimer le vrai comme le faux en rappelant les 4 raisons principales à savoir : 1° « premièrement » : corriger une erreur et donc gagner une vérité 2° « troisièmement » : clarifier la vérité, c’est -à-dire être obligé d’en convaincre et donc exposer de manière compréhensible ses raisons d’être, « ses fondements rationnels » . Une idée qui serait admise une fois pour toutes et qui ne serait jamais à de confronter à d’autres, ne serait plus qu’un « préjugé », une idée admise sans examen et crue car persuasive. Il est toujours bon pour la vérité de devoir se justifier face à l’erreur 3° « quatrièmement » : discuter la vérité, c’est la maintenir en vie et pouvoir y croire comme à un principe actif et non quelque chose d’établi, de mort. Ce qui n’est pas vivifié dans le débat finit par devenir lettre morte. 4° « deuxièmement » : pour Mill, la vérité est non seulement jamais détenue de manière absolue mais elle n’est en plus jamais totale, « toute la vérité » ( « les vérités ne sont pour la plupart que de demi-vérité » p146) , de même le faux n’est jamais certain de manière absolue et n’est jamais tout faux. Il peut y avoir une part de vérité dans le faux et une part de faux dans le vrai.

Donc selon Mill, « étouffer une discussion, c’est s’arroger l’infaillibilité » qui n’est pas légitime et empêche de progresser vers le vrai.

  • 4ème paragraphe.

Si les hommes se savent ( théoriquement) faillibles, dans la pratique, ils finissent par agir comme s’ils ne l’étaient pas pour 2 raisons :

– l’absence de controverse, de test finit par faire croire qu’ils détiennent une certitude. C’est le cas des princes qui ne sont jamais contestés dans leur opinion au regard de leur statut et du silence respectueux de la cour

– la conséquence de cette conscience de faillibilité est qu’on s’en remet à « l’infaillibilité du monde » et une « foi dans l’autorité collective ».

Le problème,

. c’est que le monde se réduit pour un homme au pire son entourage, au mieux à « son pays et son époque »

. l’appartenance a tel ou tel monde est contingente ( « pur hasard ») et donc son autorité arbitraire

. les mondes ne sont pas plus infaillibles que les individus, comme le prouve l’histoire des idées et la correction avec le temps et la confrontation des mondes, des idées.

 

Texte 4 , p89 à 91, de «  il existe une différence … » à «  … n’ont pas suivi le même processus »

Thèse : lignes 1/4 est vrai ce qui a résisté à la critique non ce qui se pose comme incritiquable.

Dans ce texte, on trouve les prémisses du falsificationnisme de Popper

Elles sont présentées comme étant la conséquence – de la nature des « facultés humaines » qui sont limitées en elles-mêmes ( et inégalement exploitées ou réparties : lignes 14/17 « une personne sur cent… » et même « les grands hommes » ont vu leur vérité devenir erreurs avec le temps) – de la volonté de fonder rationnellement la vérité, et enfin -de la vertu de l’esprit humain compensant ses faiblesses à pouvoir rectifier ses erreurs et donc qu’il est susceptible de progrès même si la vérité absolue reste une simple ligne d’horizon, le Bien l’horizon du perfectionnement progressif des hommes. « A mesure que l’humanité progressera le nombre de doctrines qui ne sont plus objet ni de discussion ni de doute ira croissant » p. 126, progrès par rectifications successives.

On peut voir dans cette description de l’esprit humain , une définition de l’homme comme être inachevé mais perfectible et limité en tant qu’individu mais membre d’une espèce illimitée.

Donc c’est en étant testé que les idées ( théories) se trouvent confirmées ou falsifiées. Ce test peut être soit la discussion ( « l’argument » ligne 36) soit l’expérience ( « le fait » ligne 35).

Concernant la discussion, voir texte 3

Concernant l’expérience : Mill précise que la connaissance issue de l’expérience ne peut venir de « la seule expérience ». Il conteste donc un empirisme de type inductiviste où le seul contact avec la réalité serait connaissance , il suffirait de voir pour savoir et apprendre. Pour lui, « rares sont les faits qui parlent d’eux-mêmes » ligne 38, il ont besoin d’un « commentaire » pour avoir du sens.

On pourrait ici souligner le rôle de la théorie dans l’expérience ( cours sur la science) et le pouvoir des mots qui permettent de penser et de s’approprier le réel ( cours sur le langage).

La connaissance et la vérité sont le résultats d’un « processus » ( ligne 72) : est digne de confiance ( ligne 45) à défaut d’être une vérité absolue, ce qui s’est exposé et a résisté à l’examen critique. ( tradition critique de la science qui fait son objectivité ( intersubjectivité) et sa valeur en tant que connaissance rationnelle– selon Popper)

C’est ce qui caractérise la parole de l’homme sage, détenteur d’un savoir et adepte de la bonne démarche dans la recherche de la vérité. Il s’est exposé aux critiques ( recherchées par lui), s’est défendu devant les autres et a atteint l’exhaustivité. ( ceci dit, il ne suffit pas qu’il y ait des sages, pour qu’on se dispense de la preuve et de l’argument) Parallèle avec la « société ouverte » opposée « à la société close » chez Popper .

 

Texte 5 , chap III, p. 150/153 de « celui qui laisse le monde… » à « … posséder trop d’énergie »

 Après avoir exposé que la liberté de pensée et de discussion doit être accordée aux individus, ce chapitre passe des opinions aux actions. Il note ( p. 145) que la liberté d’action ne peut être aussi étendue que celle d’opinion à cause du principe de harm principle, la limite de la liberté restant de ne pas nuire à autrui et de rester dans la sphère privée ( « tant que la liberté ne s’exerce qu’à leurs risques et périls ».

Mais ce principe utilitariste et le respect de la liberté des autres, n’empêche pas Mill de faire dans ce chapitre une apologie de la spontanéité individuelle. Cette spontanéité n’exige pas de faire table rase de toute tradition, de tout héritage. P 149 : « il serait absurde de prétendre que les hommes doivent vivre comme si on ne connaissait rien dans le monde avant leur naissance ». Chacun naît dans un monde qui le précède et qui a acquis et accumulé une expérience ( l’humanité s’est peu à peu développée). Toute transmission n’est pas aliénation, il ne s’agit pas de faire table rase de tout mais il ne faut pas que cette expérience humaine soit posé comme une norme incontestable , il faut avoir le droit de l’interpréter et de s’en écarter. De même le libre choix n’exige pas l’absence de toute situation, de tout déterminisme, mais la capacité de « commencer » par l’effet de sa volonté une nouvelle série ( cf. Kant, Descartes, différence entre liberté d’indifférence et indifférence de la volonté et les conditions du choix libre)

On pourrait ici faire un parallèle avec la démarche artistique où l’artiste tout en s’inscrivant dans une tradition est novateur, tout en s’appuyant sur le travail de ses prédécesseurs, parvient à une œuvre unique et originale. Marcel Duchamp ne se comprend que comme rupture avec ce qu’a été l’art à partir du XVIIIème.

Ce parallèle est d’autant plus justifier que Mill soutient que « parmi les œuvres de l’homme que la vie s’ingénie à perfectionner et embellir, la plus importante est sûrement l’homme lui-même. »

 Dans ce texte, Mill soutient que cette œuvre, cette création de soi par soi peut et doit être car

  • 1) lignes 1 à 21 : car si l’homme ne devait être qu’un exemplaire d’une série ( un « mouton » du troupeau), une « faculté d’imitation des singes » lui serait seule nécessaire ( et aurait été seule donnée à l’homme) OR l’homme est doté de facultés qui lui permettent au contraire de juger ( faculté sensible – observation-, faculté intellectuelle – raison) d’où capacité de juger, de discriminer, de décider. Mill ajoute à ses facultés nécessaires à une représentation et à un choix personnels, « la fermeté et la maîtrise de soi » permettant de s’en tenir à ses choix et d’avoir par là une ligne de conduite et une cohérence interne.

  • 2) lignes 22 à 36 : l’homme n’est donc pas une « machine » mais un « être vivant ». Si la machine n’est qu’un système de pièces solides agencées de manière à produire un seul et même effet ( finalité externe définie par son créateur , « pour faire le travail qu’on lui a prescrit »), le propre de l’être vivant est de « croître et de se développer de tous côtés » ( l36) On peut ici rappeler l’idée que le vivant est animé d’une finalité interne, « forces intérieures ». ( ck Kant)

 

« la nature humaine n’est pas une machine » « qui se programme » avec un même programme du à l’égalisation et l’uniformisation des sociétés modernes démocratiques ( tyrannie de l’opinion et fin de la société aristocratique des ordres donc des variétés de situations + développement des moyens de communication + développement du commerce et des manufactures – société de consommation de masse, désirs mimétiques et « l’uniformisation n’est pas terminée » d’où urgence de défendre la liberté en démocratie // analyses de Tocqueville cité p. 173 et suivantes)

« c’est un arbre qui doit croître et se développer de tous les côtés »: on peut ici penser à la métaphore de l’arbre et de la forêt de Kant dans Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique où en société, chacun sert de tuteur à l’autre l’obligeant à pousser droit ( se hisser vers un comportement pleinement humain, vers la raison, au lieu de pousser courbe et dans tous les sens. On peut voir ici un processus d’humanisation pour l’homme mais un processus d’uniformisation pour l’individu. On peut également penser au schéma de l’histoire sous forme d’une arborescence, opposée à la vision linéaire de l’histoire qui conduit à penser qu’elle est une et unique et à exclure ce qui en dévie comme hors de l’histoire et de l’humanité. Cette exclusion est en ce sens ce que réserve la société à ceux qui s’écartent du programme, de la voie unique.

Cette spontanéité individuelle est ce qui fait la valeur de l’homme qui ne peut être réduit à un « triste échantillon ». « Les hommes ne sont pas des moutons » ( p165)

  • Lignes 37 à 95

Donc Mill fait un éloge de la liberté négative ( liberté des modernes, soutenue par Mill, Constant, Hobbes, Tocqueville…) , du fait de ne pas être soumis à la coercition d’une force extérieure, aux autres, à un modèle social. Mais il va faire une critique d’une certaine conception de la liberté positive comme maîtrise de soi, autonomie ( liberté des anciens) qui n’est pas un self government mais une soumission à la raison, comme seule et unique bonne voie, bonne vie.

Lignes 37/47 Mill note que si on reconnaît qu’un automate obéissant aveuglement n’est pas souhaitable ( du point de vue de la raison) et donc que « notre intelligence doit nous appartenir jusqu’à un certain point » ( ne pas refuser la coutume systématiquement), on « n’admet pas volontiers qu’il en soit de même pour nos désirs et nos impulsions ». Cela signifie qu’on associe la maîtrise de soi à celle de ses désirs et donc à la raison, l’intellect. Les désirs sont vus comme « un péril et un piège » depuis Platon : condamnation de la partie concupiscible inférieure de l’âme qui doit être soumise la partie rationnelle supérieure, association du désir au manque et aux tonneaux de Danaïdes.. en passant par Aristote associant la vie de plaisirs à celle d’un esclave jusqu’aux philosophes chrétiens qui associent le désir au vice, au péché dans une logique ascétique et d’humilité ( castratrice dira Nietzsche, contre nature dit déjà Mill – « l’humanité n’a pas reçu sa nature pour en faire l’abnégation » p 156). L’idée de liberté positive est donc réduite à la voie de la raison, la seule voie de la bonne vie ( en accord avec une certaine idée de la vie et certain idéal de l’excellence humaine).

Or selon Mill, il n’y a pas de « plan de vie » meilleur en soi, « le plan de vie le meilleur » l’est « parce qu’il est personnel » ( p165) et il soutient une « affirmation païenne de soi » contre « l’abnégation chrétienne de soi » ( p 156)

D’où une réhabilitation des désirs et impulsions

Lignes 47 à 75 comme « partie de la perfection humaine »

  • car les désirs ne sont pas en eux-mêmes mauvais, ils ne le sont que si « mal équilibrés » et à cause d’ « une conscience faible ». C’est elle et non eux qui est la cause du mal. Les fortes impulsions n’expliquent pas cette faiblesse de la conscience, c’est elle qui explique leurs dérives et mauvais usage par l’homme de la force qui les anime. Si la conscience est forte, et donc la volonté puissante ( ligne 85) , ses désirs peuvent permettre de grandes actions et être mis au service du bien.

  • car les désirs sont « une énergie » qui peut être mise aussi bien au service du mal que du bien, qui peut tirer aussi bien vers le bas qu’élever vers « les sentiments les plus cultivés » ( « rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion » Hegel) . D’ailleurs si on lit attentivement l’allégorie du sac de peau au livre IX de La république Platon, la raison à un « laboureur » qui doit veiller sur « le nourrisson polycéphale » en nourrissant et apprivoisant « les espèces pacifiques » et en empêchant « les sauvages de croître ». Cette énergie, cette affectivité ne peut être condamnée en soi. Elle est ce qui pousse l’homme à agir, à aimer et même à la vertu en trouvant la force de se maîtriser ( ligne 75)

Lignes 75 à 95 commeutile à la société car cette énergie des désirs fait « les héros » , « les natures fortes » qui font le dynamisme et l’avancée de la société. Ces personnes rares sont « le sel de la terre » ( p159), elles sont celles qui par leur « originalité » ouvrent les yeux ( p 161) , montrent la voie ( p 163) et rendent service à une société de plus en plus conformiste ( p. 164)

 

 Donc Mill pose comme principe intangible, qu’aucune instance, ni sociale – par ex. religieuse, ni même intérieure – la raison – n’est et ne doit être en mesure d’imposer une réponse valable pour tous de ce qu’est la bonne vie en soi. Il oppose donc « une théorie étroite de la vie » conformiste, moutonnière, qui produit des êtres « étriqués et rabougris » [p. 156] et une vision expansive, libérale, qui engendre des individualités fortes. Il revendique une « spontanéité individuelle » permettant aux individualités de se développer. Cela n’est pas pour autant synonyme de repli sur soi, individualisme, que Mill condamne tout comme Tocqueville, en faisant une des causes de la dissolution de la société et de l’avènement d’une nouvelle forme de despotisme.

 

Texte 6 p 157/158 de « Ce n’est pas en noyant… » à  « … les injonctions des hommes »

    Mill commence par rappeler qu’il s’agit de faire tenir ensemble liberté et utilité qui ne peut exiger le sacrifice de la liberté de l’individu. La seule limite qui peut être posée à sa liberté, c’est dans son rapport aux autres : ne pas nuire. Si l’homme peut se réaliser par ailleurs ( et dans cette limite), il fait alors de sa vie une œuvre qui porte sa marque ( //cogito pratique de Hegel) , originale et digne d’être contemplée ( // œuvre du génie en art ) et qui enrichit l’humanité en introduisant de la diversité et en resserrant les liens entre les individus et l’espèce puisqu’ils travaillent à la réalisation de toutes ses possibilités – progrès et perfectibilité et puisque chacun en la réalisant se réalise. La somme des parties et les parties en tirent un bénéfice , principe utilitariste et libéral ( lignes 16/20)

Lignes 12/ 20 : Mill renforce cette nécessité de laisser s’exprimer la « spontanéité individuelle » comme condition de l’estime de soi et de la reconnaissance de soi par les autres. Cette remarque fait écho à la critique de la religion chrétienne présentée comme école de l’humilité ( = dissimuler aux autres sa propre valeur), de l’abnégation qui condamne toute prétention à la reconnaissance associée à un orgueil déplacé et pécheur ( Pascal l’appelle la « vanité du désir de gloire », qui est à mettre au compte de l’amour-propre et de l’orgueil) , et détourne de la réalisation de soi devant les autres sur terre comme de l’affirmation de soi dans la vie publique. Donc là encore la menace pèse sur l’individu comme sur la société. Rousseau dans le livre IV du Contrat social, l’avait noté: «le christianisme ne prêche que servitude et dépendance. Son esprit est trop favorable à la tyrannie pour qu’elle n’en profite pas toujours. Les vrais chrétiens sont faits pour être esclaves ; ils le savent et ne s’en émeuvent guère ; cette courte vie a trop peu de prix à leurs yeux. » ( la réalisation est dans le monde céleste non terrestre).

Lignes 21/36: dans cette perspective, Mill note que la contrainte imposée par la société pour éviter de nuire à autrui ôte certes un « moyen de développement » à l’individu mais elle protège en retour ses droits et surtout elle permet en compensation « le développement de l’aspect social de sa nature » et détourne par là de l’égoïsme ( développement de l’individualité n’est pas triomphe de l’individualisme condamné par Mill et Tocqueville). Cette contrainte est donc légitime ( harm principle) et bénéfique pour l’individu.

Mais ligne 36 à la fin, Mill souligne que cette contrainte doit être compensée dans la spère privée par la liberté de pouvoir mener des « genres de vie différents », sans quoi

  • il n’y a que contrainte sans compensation , d’où l’éveil possible d’ « une résistance à la contrainte » qui peut menacer la cohésion de la société et amener l’individu à nuire aux autres

  • il n’y a que le déplaisir de la contrainte et que frustration, ce qui n’est pas à l’avantage ni de l’individu ni de la société ( lignes 45/47)

  • il y a despotisme car imposition d’un modèle unique de vie, que ce soit par la société conformiste et la tyrannie de l’opinion, ou par la volonté de Dieu.


    Dans ce texte Mill s’efforce encore de souligner qu’il s’agit de concilier liberté et utilité et que le démocratie n’est pas à l’abri d’une forme de despotisme, si elle empêche l’individu de se réaliser et s’immisce dans sa vie privée et se soucie de son bonheur ou de ce que se doit d’être son « plan de vie »