Le langage en 3 idées clefs

9 juin 2014 0 Par Caroline Sarroul

Le langage en 3 idées clefs

On associe spontanément 1) le langage à toute forme de communication, on pense spontanément 2) que les mots ne sont que des enveloppes permettant de transmettre à autrui nos pensées et enfin 3) qu’une langue n’est qu’un étiquetage du réel variant d’une langue à une autre.

MAIS 

1) si tous les êtres vivants communiquent (transmettent et comprennent des messages), seuls les hommes parlent, ont un langage.

On peut définir le langage comme une fonction d’expression de la pensée et de communication entre les hommes, mise en oeuvre au moyen d’un système de signes vocaux (parole) ou/et graphiques (écriture), ordonnés selon des règles (grammaire).  Une communication animale se fait au moyen d’un code de signaux.

Communication animale (langage des abeilles étudié par Karl von Frisch, 1965) Langage humain
Signal relie « un fait physique à  un fait physique par un rapport naturel ou conventionnel » « le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique » Ferdinand de Saussure( 1857-1913) ; union conventionnelle immotivée (Hermogène contre Cratyle dans le Cratyle de Platon)  entre une réalité psychique (son perçu/ SIGNIFIANT) et une autre réalité psychique (un sens, un SIGNIFIE, un concept, qui présuppose la capacité de se représenter quelque chose non sous la forme d’une image particulière mais d’une idée générale
Il exige pour être compris un système sensori-moteur en éveil et de la mémoire (lien appris) ou un instinct.

 

 Un animal comprend un signe comme un signal.

 

 Un signal provoque une REACTION

Il exige pour être compris une faculté symbolique ou représentative, capacité de construire une représentation, de se rendre présente une chose malgré son absence et par-delà sa particularité, sous forme d’une idée ( travail d’abstraction).

Un signe renvoie à une SIGNIFICATION.

Animal emprisonné dans son univers environnant, parmi les choses ; fusion d’où confusion, prisonnier de l’immanence, dominer par le monde Distance grâce au signe qui vient entre le sujet et l’objet, l’homme vit dans un monde de significations, avec un écart, une représentation ( avec sa logique) + verbe créateur ( réalité absente mais présente par les mots, remplace les choses, les expériences par leur évocation) d’où BIG BANG CULTUREL
 Fixité du contenu ( finalité biologique) Contenu illimité. On peut tout évoquer

6 fonctions du langage : expressive, impressive, métalinguistique, phatique, poétique et référentielle

Invariabilité du contenant, message stéréotypé, indécomposable « arranger ensemble diverses paroles » Descartes, de manière illimitée grâce à une double articulation ( monèmes ou morphèmes  –éléments significatifs de base – de phonèmes qui permettent de former les monèmes )
Communication ni libre, ni volontaire (cause : stimuli, une passion, soumission à l’impression ; pas de dialogue Prise de parole libre, liberté de se taire, de parler pour ne rien dire, pour faire entendre sa pensée, « composer un discours qui fasse entendre sa pensée » Descartes
 

Limites de la maîtrise des signes du langage humain par les animaux comme le BONOBO Kanzi

Un organe mental « la grammaire universelle » CHOMSKY qui fait de la parole une performance par rapport à une compétence innée.

 

2) Les mots/signes permettent de communiquer notre pensée ; ils en sont l’enveloppe (rapport d’extériorité). C’est la thèse de Hobbes : «  L’usage général de la parole est de transformer notre discours mental en discours verbal, et l’enchaînement de nos pensées en un enchaînement de mots ; et ceci en vue de deux avantages : d’abord d’enregistrer les consécutions de nos pensées ; celles-ci, capables de glisser hors de notre souvenir et de nous imposer ainsi un nouveau travail, peuvent être rappelées par les mots qui ont servi à les noter ; le premier usage des dénominations est donc de servir de marques ou de notes en vue de la réminiscence. L’autre usage consiste, quand beaucoup se servent des mêmes mots, en ce que ces hommes se signifient l’un à l’autre, par la mise en relation et l’ordre de ces mots, ce qu’ils conçoivent ou pensent de chaque question, et aussi ce qu’ils désirent, ou qu’ils craignent, ou qui éveille en eux quelque autre passion. Dans cet usage, les mots sont appelés des signes. »  MAIS on peut penser que les mots et la pensée entretiennent un rapport d’intériorité. Le langage serait la faculté indispensable pour la pensée et la conscience de soi

Le langage serait une condition suffisante (Descartes) ou nécessaire de la pensée. Dire je, identité narrative comme condition de la conscience de soi. La pensée est un «discours silencieux que l’âme se tient tout au long à elle-même » selon Platon. Hegel confirme cela en disant que “vouloir penser sans les mots est une entreprise insensée”. Contrairement à ce que l’on croit la pensée la plus haute, la plus élaborée n’est pas celle qu’on ne peut exprimer. En général ce qu’on n’arrive pas à dire clairement, c’est ce qu’on ne pense pas non plus clairement. Faire un effort pour exprimer ce qu’on pense dans une langue accessible, c’est faire un effort pour clarifier sa pensée, la préciser. La pensée a aussi besoin des mots pour être consciente d’elle-même, les mots l’objectivent, lui donnent une existence matérielle qui nous permet d’en prendre conscience car elle devient objet pour un sujet et de se préciser. Les mots «  sont des sources de concepts » et permettent d’organiser le monde en catégories conceptuelles, donc de le penser. Et sans les mots pas d’idées générales :  « il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales ; car sitôt que l’imagination s’arrête, l’esprit ne marche plus qu’à l’aide du discours” selon Rousseau dans Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Le langage serait donc indissociable du développement des facultés proprement humaines, de la transmission de la culture dont la langue est un élément essentiel. Exemple : Les enfants sauvages, privés de langage, donc privés d’un développement intellectuel normal.

  Si le langage est la condition de la pensée, en tout cas générale et abstraite, elle peut aussi conditionner la pensée. EX : 1984 de G.Orwell (service du dictionnaire charger pour faciliter la révision de l’histoire et empêcher toute pensée hérétique de « tailler jusqu’à l’os » la langue en créant  la Novlangue ;  la lutte politique est d’abord une lutte sémantique ; “Discours est tyran” selon le sophiste Gorgias, celui qui a le pouvoir des mots et sur les mots a le pouvoir tout court.

3) On pense qu’une langue est un étiquetage du réel, passer d’une langue à une autre c’est passer d’une nomenclature à une autre, problème tout relatif de la diversité des langues. MAIS on peut plutôt soutenir qu’une langue est un découpage du réel dépendant de et impliquant une certaine représentation du réel. Du coup, « nous habitons notre langue » ( Martinet) , nous pensons le monde à travers elle., à travers ce découpage qui est UTILITAIRE ( thèse de Bergson : « Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement à d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.“  Le rire; au lieu de dissimuler les apparences (« Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même » Bergson), il peut en rester aux apparences et ne pas désigner les essences ( Cratyle de Platon) , traduire une manière de voir par une grammaire qui détermine en retour notre manière de voir et de penser, une métaphysique.  Selon la thèse SAPIR et WHORF la langue commande notre vision du monde et fait de l’épisode de la Tour de Babel, une véritable tragédie. ( ex. Descartes , victime de la grammaire ; une langue amérindienne où pas de noms communs, poisson = « ça poissonne », activité et non une substance.)