L’art

28 décembre 2009 0 Par caroline-sarroul

Introduction: tentative de définition de l’oeuvre d’art

« Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation, dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part, des produits de l’action, comme les événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu’ils survivraient à peine à l’heure ou au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication. Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses; comme elles durent plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d’usage: mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine. »            Hannah Arendt, La Crise de la culture

Ce texte permet d’identifier clairement les 4  types de production de l’homme:

  1. les « produits de l’action » ( actes et mots) qui sont le signe de notre vie historique, politique et sociale.
  2. les « produits de consommation » qui sont le signe de notre soumission à la nature et à l’animal en nous. Nous produisons pour survivre et ces produits s’évanouissent dans la consommation et doivent être sans cesse renouvelés. Produire, c’est se consommer. C’est le cycle vital sans fin des nécessités naturelles, le signe de notre non-liberté. ( Animal laborans)
  3. « les objets d’usage » qui sont le signe de la nécessité de nous donner en tant qu’animal prométhéen les outils de notre survie, d’adapter le monde pour y vivre à défaut d’y être adapté naturellement.Mais transformer, nier ainsi la matière, c’est affirmer notre humanité ( Cf: le cogito pratique de Hegel). Ici il s’agit des ouvrages  de l’artisan qui sont usées par l’usage et ont donc une durée de vie plus grande que les produits de consommation. ( Homo faber)
  4. les « oeuvres d’art » qui, elles, ne répondent pas à un besoin vital, animal et donc ne correspondent pas à un usage. Une oeuvre d’art n’existe que par un désir de créer et de contempler, proprement humain. D’où leur potentielle éternité et le fait qu’elles soient les plus « mondaines » des choses, qu’elles appartiennent plus au monde ( c’est à-dire à personne mais à tous, à elles-même) qu’aux hommes !

Hannah Arendt s’inscrit donc  ici CLAIREMENT dans une certaine conception  DATEE de l’art, celle du XIXème siècle!

En effet, la notion d’art a une histoire!

– Au départ, le mot art désigne toute production accompagnée d’un savoir faire, et donc on ne distingue pas artisan et artiste, l’artiste n’étant qu’un talentueux artisan ajoutant à l’utile le beau. L’art a des fonctions en particulier religieuses.

Mais à partir de la fin du XVIIIème siècle, l’artiste va se revendiquer comme différent de l’artisan en considérant que le travail de l’esprit, la créativité, le caractérisent. Du coup, l’oeuvre d’art va se définir par opposition à l’ouvrage d’art. Il est utilitaire, reproductible, anonyme, il est le produit de la nécessité, il appartient au quotidien. À l’inverse, elle est inutile, unique, originale, le fruit d’un désir, signée, faite de matériaux nobles, vouée à être contemplée pour l’éternité.

Mais à partir du XXème siècle, avec l’art moderne que l’on fait débuter en 1910 avec les premiers papiers collés et l’art contemporain à partir de 1960, au nom de cette même liberté, les artistes vont remettre en question tous ces critères: la notion d’oeuvre d’art va être remise en question. Et alors, tout devient possible : l’art éphémère, l’art engagé, les « ready-made » de M. DUCHAMP (Fountain), l’art industriel, le « landart »… il n’y a plus de règles, de contraintes, de définition!

Cette évolution explique dès lors la perplexité qu’on peut avoir face à certaines oeuvres d’art contemporain. Le procès Brancusi en est une illustration. Il est vrai que si hier face à une oeuvre d’art on se demander « est-ce beau? » , aujourd’hui on se demande plutôt: « est-ce de l’art? »

Et face à cette révolution, à cette question,  3 grandes  attitudes sont possibles:

  • Certains soutiennent que l’art est mort parce qu’ils en restent à la définition du XIXème siècle. C’est la thèse de Lipovetsky dans L’ère du vide qui soutient que l’on assiste à une sape de la culture par ses sommets sur fond de relativisme et d’égalitarisme: on peut tous être artiste, tout peut être de l’art et dès lors rien n’en est.
  • D’autres comme  MICHAUD dans L’art à l’état gazeux,  pensent que  « ce n’est pas la fin de l’art, c’est la fin de son régime d’objet », c’est à dire que l’oeuvre n’est plus le coeur de la création, ce qui est important, c’est la procédure, la démarche, le discours sur l’art. (Mais pour certains, il est parfois difficile de saisir cette procédure, de distinguer une procédure d’un délire, et l’art de la philosophie ou l’artiste de l’usurpateur.)
  • on peut enfin penser que  ce qui permet peut-être de définir finalement une oeuvre d’art, c’est que quand on la regarde, on voit autre chose que ce qui se donne à voir, que sa matérialité. C’est ce que soutient HEIDEGGER : si une oeuvre d’art est d’abord une chose, elle est « encore autre chose en plus et au-dessus de sa choséité » qui fait qu’on ne la voit plus comme une chose et qu’on la voit comme une oeuvre d’art. « L’oeuvre d’art est bien une chose, chose amenée à sa finition, mais elle dit encore quelque chose d’autre que la chose qui n’est qu’une chose« . La contemplation d’une oeuvre d’art est donc une expérience unique, esthétique et spirituelle où l’oeuvre se dématérialise en quelque sorte devant nous. Elle est une ALLEGORIE au sens grec (allo agorenei), elle emmene . C’est cet autre qui en fait une oeuvre d’art.

« Puisque les choses et mon corps sont faits de la même étoffe, il faut que sa vision se fasse en quelque manière en elles, ou encore que leur visibilité manifeste se double en lui d’une visibilité secrète: « la nature est à l’intérieur », dit Cézanne. Qualité, lumière, couleur, profondeur, qui sont là-bas devant nous, n’y sont que parce qu’elles éveillent un écho dans notre corps, que parce qu’il leur fait accueil. Cet équivalent interne, cette formule charnelle de leur présence que les choses suscitent en moi, pourquoi à leur tour ne susciteraient-elles pas un tracé, visible encore, où tout autre regard retrouvera les motifs qui soutiennent son inspection du monde? Alors paraît un visible à la deuxième puissance, essence charnelle ou icône du premier. Ce n’est pas un double affaibli, un trompe l’oeil, une autre chose. Les animaux peints sur la paroi de Lascaux n’y sont pas comme y est la fente ou la boursouflure du calcaire. Ils ne sont pas davantage ailleurs. Un peu en avant, un peu en arrière, soutenus par sa masse dont ils se servent adroitement, ils rayonnent autour d’elle sans jamais rompre leur insaisissable amarre. Je serais bien en peine de dire où est le tableau que je regarde. Car je ne le regarde pas comme on regarde une chose, je ne le fixe pas en son lieu, mon regard erre en lui comme dans les limbes de l’Etre, je vois selon ou avec lui plutôt que je ne le vois. »                                                                                                                     

Merleau-Ponty, L’oeil et l’esprit (1964)

« Ces formes et ces tonalités sensibles, l’art ne les fait pas seulement intervenir pour elles-mêmes et sous leur apparence immédiate, mais encore afin de satisfaire des intérêts spirituels supérieurs, parce qu’ils sont capables de faire naître une résonance dans les profondeurs de la conscience, un écho dans l’esprit. Ainsi, dans l’art, le sensible est spiritualisé, puisque l’esprit y apparaît sous une forme sensible. »

 Hegel, Esthétique (1818-1829)

Art abstrait

 

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I : L’art et la réalité

A . l’art comme copie de la réalité :

Si  l’art moderne et contemporain parfois nous interroge, c’est parce qu’il a rompu avec la figuration, la représentation de la nature , on ne voit pas ce qui est représenté et donc en un sens imité, reproduit. Inconsciemment on part alors du principe que l’art doit représenter , figurer et donc imiter quelque chose, et qu’il ne peut pas ne pas puiser matière et inspiration dans la réalité.

Pour Aristote, l’imitation est naturelle chez l’homme , on apprend en imitant et au travers de l’imitation, que ce qu’on apprécie dans l’imitation, c’est le fini dans l’exécution, l’habileté technique de l’artiste ( ou artisan?). L’art peut aussi par là immortaliser ce qui  n’est que fugace ou mortel ( portrait) , nous renseigner sur ce qui a été ( témoignage) et être l’occasion d’un plaisir de la connaissance et reconnaissance. La copie peut donc être instructive, et même avoir un effet cathartique comme la tragédie grecque inspirant terreur et pitié , comme la danse et la musique servant d’excutoire à des passions excessives.

– Mais cet art imitatif  qui n’aurait pour but que de copier, recopier a fait l’objet de critiques:

1. Pour Platon, l’art comme « copie » de la réalité peut  au contraire être dépravant, infantile et infantilisant. Il ne s’adresse qu’à la partie déraisonnable en l’homme et pire la fait aimer. On prend plaisir par exemple à la représentation du mal ou de ce qui dans la réalité nous rebute ( comme les cadavres pour Aristote).Platon critique vivement l’art de la copie mais surtout celui du simulacre :

  • comme copie, l’art est dévalorisé ontologiquement ; il n’est qu’une apparence d’apparence, reproduction d’une apparence sensible (un profil de la chose) non de son idée (l’Idée de la chose) . Cette copie n’exige aucune science, et même aucun savoir-faire (théorie de l’artiste-miroir qui se contente de refléter  passivement une apparence)
  • comme simulacre, il devient dangereux. Si la copie est seulement ressemblante, sur le mode de la fidélité au modèle ; le simulacre paraît plus vrai ,aussi vrai que le modèle, c’est le trompe-oeil. Et l’artiste parvient à cette prouesse en prenant comme centre de son imitation , non le modèle, mais l’œil du spectateur. Il ne va pas copier les proportions véritables, mais introduire la perspective pour parvenir à tromper l’œil. Il ne cherche pas le vrai, mais le vraisemblable. L’image va alors prendre la place de la réalité. Comme si la bonne image, c’était celle dont on oublie qu’elle est image. C’est pourquoi PLATON considère que tant que le public est ignorant, il faut rejeter les artistes de la cité à moins qu’ils ne décident de produire des copies d’idées.Pour Platon , il est comparable à un sophiste.

« Ainsi, il y a trois sortes de lits ; l’une qui existe dans la nature des choses, et dont nous pouvons dire, je pense, que Dieu est l’auteur ; -autrement qui serait-ce ? (…) Une seconde est celle du menuisier. Et une trosième, celle du peintre (…). Ainsi, peintre, menuisier, Dieu, ils sont trois qui président à la façon de ces trois espèces de lits. (…) Et Dieu (…) a fait celui-là seul qui est réellement le lit ; mais deux lits de ce genre, ou plusieurs, Dieu ne les a jamais produits et ne les produira jamais. (…) le peintre est imitateur de ce dont les deux autres sont les ouvriers (pire encore, il recopie ce qui déjà n’est qu’apprence) l’imitation est donc loin du vrai » Platon, La République, 597 a-sq

2. Hegel  condamnera cet art-copie car pour lui, l’imitation est superflue, toujours inférieure au modèle, « l’art ne peut offrir qu’une caricature de la vie », des illusions unilatérales ne s’adressant qu’à un seul de nos sens. Et surtout, cette imitation n’a aucun intérêt, ce n’est qu’un simple exercice technique servile, qui enlève toute liberté et toute créativité à l’artiste. Toute production technique ne saurait-ce que l’invention du clou a plus d’intérêt que l’art de la copie qui n’est pas de l’art. La mission de l’art est toute  autre : il doit incarner un contenu spirituel dans une forme matérielle. Si l’art doit représenter quelque chose, c’est l’humain, l’Esprit  non la nature.

3. Malevitch, Du cubisme et du futurisme au suprématisme. Le nouveau réalisme pictural, Moscou, 1915

« Quand la conscience aura perdu l’habitude de voir dans un tableau la représentation de coins de nature, de madones et de vénus impudentes, nous verrons l’œuvre purement picturale. Je me suis métamorphosé en zéro des formes et me suis repêché dans les tourbillons des saloperies de l’Art académique. J’ai brisé l’anneau de l’horizon, je suis sorti du cercle des choses, de l’anneau de l’horizon, qui emprisonne le peintre et les formes de la nature. En révélant incessamment le nouveau, cet anneau infernal écarte le peintre du but de la fin. Chez l’artiste, seules la lâcheté de la conscience et l’indigence des forces créatrices tombent dans le panneau et établissent leur art sur les formes de la nature, craignant que ne se dérobent les fondations sur lesquelles le sauvage et l’académie ont basé leur art. Reproduire des objets et des coins de nature favoris, c’est agir à la manière d’un voleur qui contemplerait avec admiration ses pieds enchaînés. Seuls les peintres bornés dissimulent leur art sous la sincérité. Dans l’art, il faut la vérité et non la sincérité. Pour la nouvelle culture artistique, les choses se sont évanouies comme la fumée et l’art va vers la fin en soi, la création, vers la domination des formes de la nature. »

B. L’art comme révélateur de la réalité: « non rendre le visible , mais rendre visible » P . KLEE ( 1928-1962 , peintre moderne abstrait)

Ici on peut prendre « l’invisible » en deux  sens :

a. l’invisible est ce qu’on ne voit mais qu’il serait possible de voir. On ne le voit pas par inattention, par habitude. C’est en ce sens que Dubuffet et de Bergson l’entendent.L’artiste a la volonté et  l’avantage de jeter sur le monde un regard neuf qui rompt avec le regard commun , utilitaire et superficiel. L’artiste serait celui qui a un regard autre, plus perçant capable de voir par delà les conventions, les apparences, l’essence, la réalité même. Contemplateur, voyant, il voit mieux, autrement et plus en profondeur.

Aussi on peut commence à s’interroger sur ce qu’on appelle réel et réalité. La réalité se constitue dans notre représentation. Or il faut être conscient que cette représentation  peut être piègée (si on s’arrête à ce qu’on pense voir ; illusion première ; ex. Paradox after Courbet de john de Andrea 1988), qu’elle peut être partielle (il y a des objets , des choses qu’on ne voit même plus ; ils sont noyés dans une habitude de voir , dans une vision utilitaire ; ex : les ready-made de Marcel Duchamp). Donc l’art  nous invite à nous interroger sur ce qu’on appelle la réalité. En effet, ce qu’on appelle réalité, ce n’est finalement qu’une manière de se représenter les choses.

Comme le souligne BERGSON, nous sommes prisonniers d’une représentation conventionnelle en tant qu’être social, et d’une représentation utilitaire en tant qu’être naturel vivant. Pour survivre, notre perception doit être filtrée : on ne peut pas retenir tout ce qu’on voit. Seul ce qui est utile à notre survie doit nous apparaître clairement. Partant du principe que c’est la nature qui a voulue nous protéger en nous voilant la réalité, elle aurait oubliée de le faire chez certains hommes qui sont les artistes. Pour eux, un coin du voile est levé, et donc il nous donne à voir ce qu’il voit mieux, plus en profondeur. Et cela parce que un de leur sens est détaché du besoin.

La représentation artistique du monde vient compléter notre vision quotidienne et scientifique, intellectualisé du monde.

  • « Quelle est l’attitude du savant face au monde ? Celle de l’ingéniosité, de l’habileté. Il s’agit toujours pour lui de manipuler les choses, de monter des dispositifs efficaces, d’inviter la nature à répondre à ses questions. Galilée l’a résumé d’un mot : l’essayeur. Homme de l’artifice, le savant est un activiste…. Aussi évacue-t-il ce qui fait l’opacité des choses, ce que Galilée appelait les qualités : simple résidu pour lui, c’est pourtant le tissu même de notre présence au monde, c’est également ce qui hante l’artiste. Car l’artiste n’est pas d’abord celui qui s’exile du monde, celui qui se réfugie dans les palais abrités de l’imaginaire. Qu’au contraire l’imaginaire soit la doublure du réel, l’invisible envers charnel du visible, et surgit la puissance de l’art : pouvoir de révélation de ce qui se dérobe à nous sous la proximité de la possession, pouvoir de restitution d’une vision naissante sur les choses et nous-mêmes. L’artiste ne quitte pas les apparences, il veut leur rendre leur densité… Si pour le savant le monde doit être disponible, grâce à l’artiste il devient habitable. »

Merleau-Ponty

Un scientifique a une vision quantitative des choses, alors qu’un artiste a une approche qualitative. Du coup, l’un nous permet de prévoir, d’agir du le monde, et l’autre de lui donner du sens, d’y trouver notre place. Donc l’art et la science ne sont pas aussi éloignés que cela, dans le résultat et le point de départ,  même si la démarche n’est pas la même, ni le but. Car la science vise la connaissance vraie, l’art la délectation. L’art cultive, ce que la science cherche à détruire : la subjectivité de l’observateur ( objectivité et universalité) , la complexité du monde ( tout soumettre à des lois) , son équivocité ( tout ramener à des termes univoques et rationnels). L’art et la science amène au vrai, à une vérité.

  • « Le travail de l’artiste, nous l’avons assez remarqué, ne le conduit jamais du concept à l’œuvre, et le plus beau dans ce qu’il fait est toujours ce qu’il n’a pas prévu et ce qu’il ne saurait nommer. Mais c’est éminemment du peintre qu’il faut dire qu’il crée sans concept ; car le dessin, par exemple, permet encore que l’artiste nomme ce qu’il dessine ; au lieu que dans la vision picturale il y a un continuel refus de savoir. Courbet peignait un tas de bois mort sous les arbres, par la seule apparence, et sans savoir ce que c’était. Peindre d’après le concept, c’est donner à l’objet non pas la couleur qu’il reçoit de l’heure et des reflets, mais la couleur que l’on sait qu’il a, la couleur qu’il devrait avoir. Dessiner d’après le concept, c’est vouloir tracer la forme vraie, par exemple les cinq doigts de la main ou les deux yeux dans un profil. Un enfant qui n’avait jamais dessiné refusait de représenter le tableau noir par une figure aux angles inégaux, c’est-à-dire tel qu’il le voyait ; car, disait-il, il savait bien que le tableau avait ses quatre angles égaux. Voilà ce que c’est peindre et dessiner intelligemment, c’est-à-dire selon le concept. Mais celui qui dessine refuse l’idée, et le peintre, encore plus énergiquement, s’exerce à voir sans penser, c’est-à-dire qu’il se défait de cette idée d’un être qui est là devant lui, qui a d’autres aspects, enfin d’un être tel qu’il est véritablement. C’est qu’il cherche une autre vérité ; car il est vrai que, cet être, je le vois ainsi ; et cette vérité-là n’est pas abstraite comme l’autre ; elle n’est pas séparée de moi qui la connais ; elle est la vérité de ma propre position, et la vérité de l’heure ; donc, ensemble, la vérité du modèle, la vérité de l’Univers, par les éclairs et les reflets, et la vérité du peintre. Car, comme la forme apparente et la perspective n’appartiennent pas à l’objet, mais expriment un rapport entre l’objet et moi, la couleur non plus n’est pas inhérente à la chose ; elle dépend de la lumière éclairante, des milieux traversés, des couleurs voisines reflétées. »

Alain , Vingt leçons sur les Beaux-arts

Maurice Merleau-Ponty dans L’oeil et l’esprit: « le peintre « apporte » son corps, dit Valéry. On ne voit pas comment un Esprit pourrait peindre. »

Ici, le regard du corps, le rapport charnel au monde remplace clairement le rapport intellectuel au même monde, qui fait qu’on le manque dans sa présence, sa singularité et sa richesse.

  • L’art entend montrer aussi que tout est digne d’être représenté, ex : les vieux souliers à lacets de Van Gogh, analysés par Heidegger.

« Comme exemple, prenons un produit connu : une paire de souliers de paysan (…) Qu’y a-t-il à voir ? Chacun sait de quoi se compose un soulier. S’il ne s’agit pas de sabot ou de chaussures de filasse, il s’y trouve une semelle de cuir et une empeigne, assemblées l’une à l’autre par des clous et de la couture. Un tel produit sert à chausser le pied (…). Ces précisions ne font que préciser ce que nous savons déjà. L’être-produit du produit réside en son utilité (…). Tant que nous nous contenterons de nous représenter une paire de souliers « comme ça », « en général », tant que nous nous contenterons de regarder sur un tableau de simples souliers vides, qui sont là sans être utilisés – nous n’apprendrons jamais ce qu’est en vérité l’être-produit du produit (…). Une paire de souliers de paysans, et rien de plus. Et pourtant…Dans l’obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du labeur. Dans la rude et solide pesanteur du soulier est affermie la lente et opiniâtre foulée à travers champs, le long des sillons toujours semblables, s’étendant au loin sous la bise. Le cuir est marqué par la terre grasse et humide. Par-dessous les semelles s’étend la solitude du chemin de campagne qui se perd dans le soir. A travers ces chaussures passe l’appel silencieux de la terre, son don tacite du grain mûrissant, son secret refus d’elle-même dans l’aride jachère du champ hivernal. A travers ce produit repasse la muette inquiétude pour la sûreté du pain, la joie silencieuse de survivre de nouveau au besoin, l’angoisse de la naissance imminente, le frémissement sous la mort qui menace. Ce produit appartient à la terre, et il est à l’abri dans le monde de la paysanne (…).  Nous n’avons rien fait que de nous mettre en présence du tableau de Van Gogh. C’est lui qui a parlé. La proximité de l’œuvre nous a soudain transporté ailleurs que là où nous avons coutume d’être. L’œuvre d’art nous fait savoir ce qu’est en vérité la paire de souliers » « Dans la peinture de Van Gogh, la vérité advient. Cela ne veut pas dire qu’un étant quelconque y est dépeint en toute exactitude, mais, que dans le devenir manifeste de l’être produit des souliers, l’étant dans sa totalité, monde et terre en leur jeu réciproque, parviennent à l’éclosion. » « La beauté est un mode d’éclosion de la vérité. ».

Martin Heidegger, Chemins qui mènent nulle part.

L’artiste est un « oculiste » comme le disait Proust.

b. l’invisible est ce qu’on ne peut pas voir , car il échappe à la vision, bien qu’étant ce qui est sa condition.

L’invisible, c’est donc aussi ce qui échappe radicalement à la vision, ce qui n’est pas d’ordre matériel, ce qui est méta-physique (au delà de la physique). Et donc l’ambition de l’artiste, ce serait de matérialiser, de rendre sensible ce qui est de l’ordre de l’intelligible, du concept, de l’idée.

Paradoxalement, c’est lorsque l’art est abstrait qu’il est peut-être le plus réaliste car il ne reproduit plus des apparences mais matérialise des essences.

Si le geste créateur divin consiste comme le disait Platon à « laisser surgir la nature », l’objectif de Leonard de Vinci dans son Traité sur la peinture était de le retrouver, car il dit : « en art, il faut découvrir dans chaque objet la manière dont il se dirige dans son étendue, une certaine ligne fluctueuse  qui est comme son axe générateur ». En effet, l ‘art doit retrouver la manière dont les choses apparaissent dans la Nature, s’offrent au regard. L’art doit laisser en quelque sorte la création se faire. C’est ce que Michaux semble suggérer en disant à propos du peintre Klee : « il laisse rêver la ligne, la laisse se faire ligne, aller ligne ». L’art doit retrouver l’esprit créateur de la Nature, sa force formatrice et créatrice. L’art n’imite plus la nature naturée ( d’où possibilité d’abandonner l’art figuratif pour l’art abstrait) mais la Nature naturante, c’est-à-dire soit le Geste Créateur divin, soit la volonté originelle, l’essence des choses. Si l’artiste imite encore quelque chose , c’est comme le disait Schelling  « la force créatrice » , « l’esprit de la nature ».

L’homme ordinaire  ne voit que les apparences phénoménales, physiques, l’artiste  lui serait capable d’imaginer ( libre jeu des facultés chez le Génie, producteur d’Idées esthétiques) ou de voir. A ce moment là, l’art n’est plus une simple imitation de l’apparence sensible des choses s’offrant à la sensibilité du spectateur mais l’expression sensible d’un contenu métaphysique, spirituel s’adressant à l’esprit de ce même spectateur. L’artiste est «  un voyant », dira Merleau –Ponty dans L’œil et l’esprit

Comme le disait Schopenhauer de la musique, l’art  représente , donne à voir  « ce qu’il y a de métaphysique dans le monde physique la chose en soi de chaque phénomène »

 Donc dans cette « conception spiritualiste », l’art n’imite plus la nature telle qu’elle apparaît mais telle qu’elle se constitue. L’art essaie de produire comme la nature produit en retrouvant ses lois internes. La beauté est dans la nature et l’art la retrouve en créant comme la nature crée . Et comme le dira Bergson  « c’est à force d’idéalité qu’on reprend contact avec la réalité » et il y dans la nature une rationalité, un esprit, une idée que l’art entend retrouver en l’observant, en la contemplant.

[ Et imiter la nature, c’est retrouver ces lois génératives, cette rationalité de la nature. Et l’œuvre d’art s’adresse dès lors plus à l’esprit qu’aux sens. Et donc dans le jugement  « c’est beau », il y a comme le disait Bossuet , « un raisonnement caché que nous n »apercevons pas car il se fait fort vite ». Il y a une science de l’art qui est d’abord science de la nature. L’architecture, la peinture sont soumises à une nécessité géométrique. C’est ce qu’on retrouve par exemples avec la célèbre section dorée ou le nombre d’or, issue d’un théorème de Pythagore et reprise par Léonard de Vinci. Cette section définit le rapport harmonieux d’un tout avec ses parties. Si on prend un droite AB et qu’on la coupe en un point C , il y aura une proportion harmonieuse si AC/CB=AB/AC=1,618….. Cette proportion se retrouve dans le corps humain  (parfaitement proportionné !), dont le nombril divise la hauteur totale suivant cette section dorée. Idem pour hauteur du visage/distance entre arcade et menton, pour distance bas du nez au bas du menton/ distance commissure lèvres au bas du menton.  Ce nombre 1,618 … correspond  de plus à la limite vers laquelle tend si on la met en fraction la série dite de Fibonacci : 1,1,2,3,5,8, 13… . 1 / 2 =2 /3=3/5=5/8= 8/13=  1,618… . Or cette série permet de construire une spirale logarithmique à courbure constante, qui est exactement la forme de coquillages comme le nautile. La nature est donc déjà structurée sur le nombre d’or. De plus Zeysing démontre que cette section se retrouve dans l’écartement angulaire (angle de 137°30’28’’) des feuilles par rapport à la tige des plantes , étant ainsi au maxi exposées au soleil. L’harmonie , l’ordre de la nature est finalisé. A cette conception de l’art est donc liée une certaine conception de la beauté. La beauté n’est pas une affaire subjective. Il y a des critères objectifs de Beauté et ces critères sont les lois naturelles de la création. Il y a dans les choses naturelles une belle harmonie, une perfection. Cette perfection vient du fait que la nature est régie par des lois mathématiques de proportion et autres, la nature est rationnelle. Idée que mettra en scène Platon dans le Timée , où , imaginant la création du monde par un démiurge « imposant un ordre au chaos initial », ce démiurge utilise pour créer les éléments premiers (eau, air, feu et terre) des solides réguliers (tétraèdre, octaèdre,…ayant pour face un triangle équilatéral)) et l’univers entier est lui-même un dodécaèdre (proche d’une sphère) dont la surface est composée de 12 pentagones, construit à partir de triangles isocèles.]

II. Art et utilité

Comme nous l’avons dit l’art  ne vise pas l’utilité au sens de utilitaire . la non-utilitarité de l’oeuvre d’art est un des éléments qui la définisse en l’opposant au produit de consommation ou à l’ouvrage d’art. L’art ne répond pas à un besoin vital. Si l’artisanat, la technique répondent, eux,  à des besoins physiologiques, pratiques dans le cadre du travail ; ils permettent à l’homme de s’adapter, de transformer le monde pour qu’il soit vivable, l’art semble lui correspondre simplement à un désir , relever du loisir, du divertissement et ne viser que le plaisir. En ce sens , l’art est du superflu, un luxe donc inutilitaire. C’est en ce sens que Kant distinguait les arts libéraux des arts mercenaires, exercés comme un métier, un gagne pain. Et ensuite dans les arts libéraux, pratiqués comme un jeu, un loisir, les arts mécaniques des arts esthétiques, avec, là, d’un côté les arts d’agréments et de l’autre, les beaux-arts.

Mais l’utile se réduit-il pour l’homme à l’utilitaire?  L’utile propre, c’est selon Spinoza, ce qui s’accorde avec notre nature en tant qu’homme et individu, ce qui procure par sa présence un sentiment de joie, de puissance agrandie par  l’accord avec soi-même, par le fait de persévérer dans notre être.

Or qu’est-ce que l’homme, sinon un être culturel, un être conscient, pensant, parlant et animé de désir ?

Nous n’avons pas que des besoins animaux, nous avons aussi des besoins proprement humains et l’art semble pouvoir y répondre.

  1. En tant qu’être culturel, l’homme nie la nature. Le propre de l’homme c’est qu’il ne peut (être prométhéen) ni ne veut se contenter de ce qui est, de la nature en lui et hors de lui. Depuis le début de l’humanité, les hommes se maquillent, se tatouent, se transforme pour montrer qu’ils ne sont pas des animaux.  On peut voir dans l’art la même démarche : à partir d’un bloc de marbre, d’une toile faire quelque chose qui auparavant n’existait pas, transformer ce qui est pour en faire autre chose. De plus les œuvres d’art renseignent sur l’époque de leur création, car elle est toujours « l’enfant de son temps », le reflet d’une société et de sa manière de voir les choses. Or nous avons besoin de savoir d’où nous venons pour savoir qui nous sommes.
  2. En tant qu’être conscient , l’homme peut avoir le besoin  de créer « sa œuvre propre », qui soit à la fois l’expression de notre humanité ( seul l’homme nie le donné pour y imposer sa forme : marque de culture et de liberté) et de notre individualité ( l’œuvre porte ma marque, mon cachet personnel, elle me permet d’être pour moi-même ( prise de conscience de soi) et pour les autres. C’est  ce que Hegel appelle le Cogito pratique. Ceci explique qu’il y ait des artistes et une tendance commune à la création artistique, avec plus ou moins de talent. Tout le monde dessine, fredonne…. .Il peut aussi avoir besoin de fuir sa conscience ( malheureuse) dans le divertissement que peut être la visite d’un musée, dans la contemplation d’une œuvre d’art qui place hors du temps, hors de l’espace.
  3. En tant qu’être doué de parole et communiquant : l’artiste doit créer pour s’exprimer, pour dire ce qui le torture ce qu’il a vu, compris et s’il utilise l’œuvre d’art pour cela, c’est que ce qu’il a à exprimer ne peut l’être que par l’art. L’art serait alors son langage ( un langage différent du langage articulé, dans le sens où un mot est un signe , c’est à dire une convention qui lie un signifié ( un concept, une idée) à un signifiant ( un son) sans lien entre les 2. Donc les mots sont un véhicule de la pensée, mais hétérogènes par rapport à la pensée. Or dans l’art , l’œuvre n’est pas un signe qui renverrait à une idée, elle est « l’existence sensible » de cette idée . Donc, il doit y avoir dans l’œuvre une idée, « un contenu » auquel on accède par le contenant, l’apparence sensible de l’œuvre. Mais, à la différence d’un mot, le contenu et le contenant ne sont pas hétérogènes et extérieurs l’un à l’autre. Ils sont mêlés, homogènes. Et, cela se voit au fait que uniquement par les sens et l’apparence sensible de l’œuvre on voit déjà qu’elle « un produit de la pensée », elle se distingue des autres objets de la nature. Eux ne sont que matière, l’œuvre d’art est spirituelle non seulement dans son contenu, mais dans son apparence pensée, élaborée. Et c’est ce qui fait son intérêt fondamental aussi pour le spectateur.
  4. En tant qu’être pensant ; l’homme a  besoin de « nourritures spirituelles » pour alimenter son âme, pour mieux comprendre les choses (« l’art rend visible l’invisible » Klee). L’art met face à la réalité, oblige à la voir, aide à la comprendre. Et en tant qu’homme, on ne peut se contenter de traverser l’existence sans n’avoir rien vu ni compris, en se contentant de rester derrière le voile dont parle Bergson même si ce voile nous permet de survivre.
  5. En tant qu’être mortel : l’homme a besoin de créer des choses qui lui survivent, c’est le cas de l’œuvre d’art parce qu’elle échappe justement à toute usage et toute consommation. Les œuvres d’art servent aussi de témoins du passé, même si ce n’est pas leur but.
  6. En tant qu’être de désir :nous aspirons à des choses absolues, comme la beauté. On peut trouver en l’art celle-ci.

Mais si l’art peut nous être utile , on peut penser qu’il ne doit pas avoir pour but cette utilité. L’art doit rester utile sans chercher à l’être. C’est ce que soutiennent:

  1. Adorno: « La fonction d’une oeuvre d’art dans un monde totalement fonctionnel est son absence de fonction »,  son inutilité le rend donc utile : l’art doit rester un lieu à part d’où on peut juger la société et le monde et qui montre par son existence même la possibilité d’autre chose. L’art est donc un espace d’utopie, de liberté et de contestation contre une société dominée par le fonctionnel et l’utilitaire.
  2.  Hannah Arendt: Dans La crise de la culture, elle  traite du philistinisme, c’est à dire du mépris de l’art. Et elle soutient la thèse que les plus méprisants sont paradoxalement certains amateurs d’art qui, au lieu de considérer que la fonction de l’oeuvre d’art est uniquement d’émouvoir et de ravir, l’utilisent pour d’autres fonctions, se divertir, mieux se connaître, s’élever dans la société et pour soi-même. Ce philistinisme cultivé réduit l’oeuvre d’art à quelque chose d’utilitaire, d’utile. Il vaut mieux le philistinisme populaire qui lui considère que l’art ne sert à rien et lui préfère le loisir. Le loisir en lui-même ne menace pas vraiment la culture : tant qu’on sait que ce n’est qu’un loisir et que le loisir ne cherche pas à exploiter le domaine de la culture. C’est quand on cherche à faire de la culture un divertissement qu’il y a danger.

 

 

III : la beauté ( et l’art)

  •  Au départ, on va considérer la beauté comme étant une qualité objective des choses et dire c’est beau si dire qu’on a reconnu dans la chose une de ses qualités. Dans Hippias majeur PLATON propose le critère de la convenance, de l’accord pour définir le beau. Cette convenance peut être soit matérielle (harmonie des couleurs, des textures) ou formelle (symétrie, régularité ou harmonie) ou fonctionnelle (formes et matières permettent à l’objet de remplir parfaitement sa fonction d’où l’éloge de la cueillère en bois de figuier pour tourner la soupe dans la marmite) ou l’accord avec le bien (le bel acte, c’est le bon acte, c’est l’idéal grec du « Kaloskagathos », bel et bon. L’acte vertueux est beau). Ici, on est loin de l’émotion esthétique comme un trouble, au contraire la beauté est rassurante, elle est constat d’un ordre. Et on fait du jugement esthétique quelque chose de plutôt intellectuel alors qu’on peut considérer que le beau nous touche d’abord par nos sens.
  • À partir du XVIIIème siècle, l’art se détache de la nature, des règles et on prend conscience qu’il n’y a pas de modèle du beau mais que c’est une affaire de goût donc la beauté devient subjective et affaire de sentiment plutôt que de jugement. Comme le dit David HUME en 1755 : « la beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’ esprit qui la contemple et chaque esprit perçoit une beauté différente ».

Cela expliquerait que nous ayons des goûts différents, mais on pourrait aussi expliquer cette différence par le fait que nous sommes partagés ( y compris en nous-même!) entre 2 conceptions de la beauté.

C’est l’hypothèse que soutient Guillaume Dupont dans cette conférence sur Qu’est-ce que la beauté? en s’appuyant sur ce texte de Nietzsche qui distingue « deux mondes d’art » et par là deux beautés:

  • Si HUME soutient que la beauté est relative et subjective, il constate que lorsqu’on déclare quelque chose beau, on considère que tout le monde devrait le trouver beau, qu’il du beau reconnu par-delà les cultures, les âges et les individualité. Cela oblige à relativiser  le relativisme en matière de goût. Sans quoi, on ne peut parler ni de mauvais goût, ni de bon goût et au final, pas de goût. Pour échapper à cette difficulté, HUME présuppose qu’il y a en réalité une uniformité naturelle du goût : on a potentiellement le même goût mais celui-ci est plus ou moins développé et raffiné. La norme du goût se trouve chez ceux qui ont excercé leur jugement, par un commerce régulier avec les oeuvres d’art, permettant de comparer et d’affiner le goût, qui sans préjugé moraux ou autres peuvent dès lors voir la beauté où elle est. Ces individus se sont les hommes de goût, les critiques d’art.
  • KANT, lecteur de Hume,  pense, lui,que la beauté, comme le bon et le vrai, doit être universelle et être une affaire de jugement. Mais d’un jugement qui n’est pas déterminant comme chez Platon, où la chose est jugée belle par subsomption sous une règle générale, mais d’un jugement réfléchissant qui permet de passer du particulier au général. C’est en jugeant qu’une chose est belle que je pose la règle. D’où sa définition de la beauté: « est beau ce qui plaît universellement sans concept »

Pour cela:

  1.  il va d’abord distinguer le beau de l’agréable, qui procure un plaisir purement sensible et intéressé. J’ai intérêt à ce que la chose agréable existe, alors que je vais juger une chose belle sans aucun intérêt.

« L’agréable et le bon ont l’un et l’autre une relation avec la faculté de désirer et entraînent par suite avec eux, le premier une satisfaction pathologiquement conditionnée (par des excitations, stimulos), le second une pure satisfaction pratique ; celle-ci n’est pas seulement déterminée par la représentation de l’objet, mais encore par celle du lien qui attache le sujet à l’existence de l’objet. Ce n’est pas seulement l’objet, mais aussi son existence qui plaît. En revanche le jugement de goût est seulement contemplatif ; c’est un jugement qui, indifférent à l’existence de l’objet, ne fait que lier sa nature avec le sentiment de plaisir et de peine. Toutefois cette contemplation elle-même n’est pas réglée par des concepts ; en effet le jugement de goût n’est pas un jugement de connaissance (ni théorique, ni pratique), il n’est pas fondé sur des concepts, il n’a pas non plus des concepts pour fin. L’agréable, le beau, le bon désignent donc trois relations différentes des représentations au sentiment de plaisir et de peine, en fonction duquel nous distinguons les uns des autres les objets ou les modes de représentation. Aussi bien les expressions adéquates pour désigner leur agrément propre ne sont pas identiques. Chacun appelle agréable ce qui lui FAIT PLAISIR ; beau ce qui lui PLAIT simplement ; bon ce qu’il ESTIME, approuve, c’est-à-dire ce à quoi il attribue une valeur objective. […] On peut dire qu’entre ces trois genres de satisfaction, celle du goût pour le beau est seule une satisfaction désintéressée et libre ; en effet aucun intérêt, ni des sens, ni de la raison, ne contraint l’assentiment. » »

KANT, Critique de la faculté de juger, § 5

  1. il va ensuite distinguer le beau du parfait: le parfait  procure un plaisir intellectuel et exige la connaissance du but atteint, de la règle. Au mieux pour KANT, le parfait est la beauté adhérente.

Mais ce qui est beau procure, lui, un plaisir à la fois sensible et intellectuel, nous met dans un état d’esprit unique (« le libre jeu des facultés ») que sont l’entendement et l’imagination. D’ordinaire, l’imagination est au service et dans les limites de l’entendement. Face au beau, elle est libre et c’est elle qui stimule l’entendement. Et cela parce que je vois une finalité donc une unité, un but atteint, mais je ne sais pas quel est ce but. Et c’est ce mystère « une finalité sans fin » qui stimule mon esprit et procure un plaisir esthétique. Mais comme tout homme est doté des mêmes facultés, qu’il n’y a pas d’intérêt et de connaissances en jeu, on peut dire que « est beau ce qui plaît universellement sans concept et ce qui est reconnu comme objet d’une satisfaction nécessaire ».

Donc  KANT soutient une position originale :

  • la beauté est à la fois subjective et nécessaire : « est beau ce qui est reconnu sans concept comme l’objet d’une satisfaction nécessaire ». Il n’y a pas de définition (de concept) de la beauté, mais quand c’est « beau » ,je le reconnais ( dc pour qu’il y ait beauté , il faut un jugement, un « je ») . Donc pas de savoir à avoir, la beauté n’est pas réservée à des initiés, elle est perceptible par tous et même « quand on juge simplement des objets d’après des concepts, toute représentation de beauté disparaît ». On trouve l’objet réussi , parfait mais pas beau. On cherche quelque chose par intérêt or pour voir la beauté , il faut être désintéressé.
  • La beauté est subjective et universelle, c’est justement par ce que je n’ai pas un intérêt à trouver la chose belle , que mon jugement peut valoir pour tout homme et aussi parce qu’elle ne correspond pas à un plaisir sensible ou intellectuel dont les causes varieraient d’un individu à un autre, mais à un plaisir particulier, unique. Un plaisir unique qui est « le rapport heureux des facultés de l’âme » (entendement et imagination) causé par la présence de la beauté qui « est la forme de la finalité d’un objet en tant qu’elle y est perçue (par les sens d »abord) sans la représentation d’une fin »
  •  la beauté est subjective et objective : on voit dans l’œuvre une organisation du divers sensible, un sens donc que tout a été  organisé avec réussite en vue d’un but mais on ne sait pas quel est ce but. Ce qui satisfait l’entendement ( puisqu’il y a du sens et une unité) et ce qui laisse libre l’imagination ( le but n’étant pas donné , on peut l’imaginer). « Cette finalité sans fin » vient pour les objets naturels de la présence d’une harmonie gratuite et pour les œuvres d’art du fait qu’elles ont « une âme ». Cette âme vient soit de la présence de quelque chose de spirituel dans la matière soit de la présence d’ « idées esthétiques » que seul l’artiste génial peut penser et exprimer dans la matière. Et son génie consiste à créer comme la nature crée (don de la nature) ou à pouvoir être sans savoir comment dans cet état d’esprit au moment de la création  que nous ressentons quand c’est beau. Du coup, il peut penser ce que nous ne pouvons pas penser, c’est-à-dire une de ces représentations de l’imagination « qui donne beaucoup à penser sans pourtant qu’aucune pensée déterminée , sans qu’aucun concept ne puisse lui être approprié et par conséquent qu’aucun langage ne peut exprimer complètement ni rendre intelligible ». Ce qui explique le recours au langage de l’art, la difficulté à dire pourquoi on trouve cela beau et à exprimer par des mots ce que l’on a compris.

 

C’est pourquoi pour KANT, à l’opposé de HEGEL,  la beauté naturelle est supérieure à la beauté artistique sauf si l’artiste a mit dans la matière une idée esthétique comme la nature l’aurait fait, c’est à dire sauf si c’est un génie.

1. Supériorité de la beauté naturelle  sur la beauté artistique: Kant

Si on prend les analyses de Kant :  « la beauté n’est rien en soi », elle n’est que le résultat d’un jugement réfléchissant subjectif qui associe la représentation d’un objet à un sentiment de plaisir esthétique. Il ne désigne rien dans l’objet, si ce n’est la présence d’une finalité ou plutôt la forme de la finalité (finalité sans fin) . Or il y a de la finalité dans les choses naturelles et dire cela ce n’est pas une simple projection anthropomorphique. Car c’est plutôt l’homme qui imite la nature. Et c’est pour cela que la nature est plus belle , car « il y a davantage de finalité dans ses œuvres » comme le dira Aristote . Non seulement il y plus de finalité mais il y a surtout une réelle finalité sans fin , ajoutera Kant. En effet, il y a une différence entre la finalité perçue dans une chose naturelle et celle d’une œuvre d’art. Dans une chose naturelle, par exemple , une fleur , il y a une belle harmonie, une unité , une organisation du divers qui semble répondre à un objectif final, mais cet objectif n’est ni une finalité interne ( conservation ou reproduction de la fleur), ni la réalisation d’un concept , ni celle d’une perfection de la fleur. Cette fleur semble ainsi organisée pour rien et par rapport à rien. Elle est une « beauté libre » dans le sens où elle va faire l’objet d’un jugement de goût pur, puisque pour juger cette fleur on n’a ni idée de fin , ni concept. Même si toutes les choses naturelles ne sont pas jugées comme des « beautés libres », mais certaines comme « des beautés adhérentes », d’une manière générale il y a plus de beauté libre dans la nature qu’en art, car  dans une œuvre d’art transparaît toujours une intention, un but . ( C’est encore pire quand on a affaire avec à un art qui s’affiche comme art !) L’œuvre d’art pour être presque aussi belle qu’une chose naturelle doit avoir l’apparence de la nature et le spectateur doit voir cette apparence naturelle tout en sachant paradoxalement que c’est de l’art.

Se pose alors un second problème : si la nature est plus belle que l’art, pourquoi la nature est-elle belle ?

Ici, deux réponses sont possibles :

1.une réponse réaliste qui consisterait à soutenir qu’il y a une intention dans la nature, que cette finalité dans la nature est une finalité de la Nature. Kant rejette cette idée pour deux raisons :

–          on voit une intention là où il n’y a que résultat d’un mécanisme : ex. des cristallisations ou de l’érosion

–          s’il y avait réellement une intention de produire du beau, alors  le jugement de goût ne serait plus pur car on chercherait ce que vise la nature. Or on ne découvre pas la beauté, on la constitue en jugeant la nature ; le jugement esthétique est en quelque sorte un jugement d’esthétisation, même si il y a lieu parce qu’on voit dans la nature une finalité sans fin.

2. l’autre est une réponse idéaliste et elle consiste à penser que cette présence de finalité n’existe que par nous. Cette réponse est celle de Kant . Cette idée d’une finalité dans la nature et non de la nature est pour lui symbolique. En effet , la nature est par définition l’ensemble des phénomènes soumis à des lois universelles, soumis au mécanisme. L’existence d’une finalité sans cause et sans but montre une brèche dans ce mécanisme, comme si la nature était alors capable d’échapper à ce mécanisme. Ceci est la preuve qu’on peut échapper au déterminisme, et donc la preuve de la possibilité d’un acte moral. On peut comme la nature échapper au déterminisme de l’éducation, de la société, de nos désirs. Qui veut, peut ; la nature montre l’exemple.

2.  Supériorité de la beauté artistique  sur la beauté naturelle : Hegel

Pour lui, la supériorité de la BN sur la BA est infondée, et la BN n’est qu’un sous-produit de la BA. C’est parce qu’on a une perception cultivée par la fréquentation des œuvres d’art, qu’on va voir de la beauté dans la nature. Par ex., le brouillard londonien n’est beau que depuis que les poètes l’ont rendu artistique et beau. La nature n’est belle que parce qu’elle a l’apparence de l’art, car en elle-même elle est répétitive , ennuyeuse. Ex. de la femme pour Baudelaire, « la femme est naturelle, c’est-à-dire abominable », « elle doit se dorer pour être adorée ».

Tout ceci est résumé par la formule d’Oscar Wilde  «  la nature imite l’art, elle n’est pas la mère qui nous enfanta. Elle est notre création. Elle est ce que nous voyons. »

Sans aller jusque là, Hegel avance 2 arguments pour affirmer la supériorité de la BA sur la BN :

–          par rapport au temps : en général on considère que l’œuvre d’art est inférieure à la nature car par rapport à un produit de la nature vivant , elle est « une chose morte » , mais ce n’est pas en tant que chose que l’œuvre d’art est œuvre d’art mais en tant qu’elle « spiritualité » et de plus si la nature est vivante, elle est aussi périssable alors qu’une œuvre d’art dure.

–           par rapport au contenu : l’œuvre d’art exprime quelque chose de spirituel et même de divin. Et contrairement à ce que l’on pense souvent , ce qui est divin ce n’est pas la création naturelle (dans lequel Dieu se manifeste sensiblement) , c’est la création humaine au travers de laquelle s’exprime avec conscience l’esprit, Dieu.  Or  « l ‘esprit et ses créations sont plus élevés que la nature et ses manifestations » et « même une mauvaise idée est plus élevée que n’importe quel produit naturel », car elle est expression de l’esprit et de la liberté.

 

 

Ceci étant dit, nous sommes partis du principe que le but de l’art était de reproduire du beau ou de produire du beau:

Mais ce qui caractérise l’art moderne, puis contemporain à partir de 1960,  c’est qu’il est en rupture avec ce qu’a été l’art jusqu’à lui, comme nous l’avons dit :

-après abandon de la narration et de l’illusion de volume pour la planéité, c’est avec l’art abstrait en 1910 , l’abandon de la figuration, de la représentation

-il rejette tout référent extérieur : l’idée d’un modèle à imiter, règles savantes à respecter,point de vue du spectateur à prendre en compte:

-un modèle à imiter (depuis l’invention de la photographie, première expérience entre 1816 et 1827 par Niepce, apparition du mot en 1839, la copie de la réalité par la peinture devient inutile )

– un spectateur dont il faut tenir compte : on se libère de la perspective nécessaire si on tient compte du regard du spectateur immobile sous un angle unique. : il ne s’agit plus de produire des illusions.

-des règles savantes de l’académisme ; à présent c’est la science qui se met au service de l’art avec par ex . de Xenakis (1922-   )en musique avec la création et l’utilisation de machines électroniques.

-par rapport à la beauté , il y a deux attitudes :

  • son abandon comme priorité de l’art

C’est ce qu’on voit avec le dadaïsme, dont Marcel Duchamp à partir de 1915 est un des représentants avec Picabia,  se pose comme un refus des contraintes idéologiques et artistiques.  Cela se voit dans l’attitude subversive des œuvres et revues, dans les productions délibérement anti-tradition (collages d’ordures de Schwitters) mais aussi dans les Ready made iconoclastes qui sont des objets pris tels quels et promus dérisoirement œuvres d’art par une signature ou une exposition au milieu d’autres œuvres. C’est le cas en 1914 du Sechoir à bouteilles, de l’urinoir intitulé Fontaine en 1917. L’esthétique devient éthique et l’art est un geste qui affirme la responsabilité morale de l’artiste. Les artistes considèrent que la folie meurtrière de la 1ère Guerre mondiale, le mépris de la vie font que désormais « il est inadmissible qu’un homme laisse une trace de son passage sur terre » Le dadaïsme est un nihilisme, un attentat contre l’idée même de Beau. Mais en 1965, les artistes avant-gardistes , justes sortis des Beaux-arts vont faire une expo portant pour titre Vivre ou laisser mourir, ou la fin tragique de M. Duchamp . Ils reprochaient à celui-ci d’être resté très classique et peu critique en continuant à signer ses œuvres ( sauf le ready-made Fountain). Or, pour eux « mieux vaut travailler sans signer que signer sans travailler » . Ils veulent redonner à l’art sa fonction sociale et refuse de faire de l’art la simple production d’œuvre d’art qui seraient exposées , prisonnières des musées.

 « de spectacle attrayant pour l’œil ou de sonorité séduisante pour l’oreille, l’art est devenu projectile avec le dadaïsme » selon Walter Benjamin en 1930

Selon Malraux, une œuvre d’art n’a plus à être belle mais impressionnante.

Esthétique du laid, du repoussant ,de l’odieux ou horrible (étalages sanglants de boucherie humaine, dans La mariée de Spoerri en 1973).

Le tout est de susciter une réaction, un intérêt.

  • sa conservation comme priorité mais une redéfinition de sa nature :

C’est ce qu’on voit avec le surréalisme, né d’une réaction contre ce pessimisme nihiliste dadaïste, qui essaie, lui, de sauver l’art en s’émancipant de l’objet extérieur qui reste la référence même dans le cubisme. On parie désormais sur l’automatisme, le rêve, le hasard,le jeu. On n’a pas rénoncé à produire du beau, mais plus du beau au sens classique du terme. Cette beauté ne vient pas de l’harmonie méditée des parties (rejetée au nom de l’automatisme), ni de l’utilité qui est assimilée à la morne et répressive quotidienneté qu’on entend fuir, ni d’un bien moral qui est social et  conventionnel, ni même  du charme des couleurs et des matières purement décoratif. La beauté vient de l’étrangeté, de la nouveauté. Comme le dira Lautréamont, dans Les chants de Maldoror, « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d »un parapluie et d »une machine à coudre ».

André Breton parle d’ « une beauté convulsive » qui se caractérise par 3 couples d’adjectifs contradictoires ou dialectiques :

  1. érotique-voilée (opposée à la beauté de la nudité classique  froide, désincarnée, cadavérique),
  2. explosante-fixe (un objet réel ; déterminé mais renvoyant à une infinité de connaotations imaginaire, à une explosion d’images conscientes ou inconscientes),
  3. magique-circonstantielle, comme ce concours de circonstances:

« Le 10 avril 1934, en pleine occultation de Vénus par la lune (ce phénomène ne devait se produire qu’une seule fois dans l’année), je déjeunais dans un petit restaurant situé assez désagréablement à côté d’un cimetière. Il faut, pour s’y rendre, passer sans enthousiasme devant plusieurs étalages de fleurs. Mais j’observais, n’ayant rien de mieux à faire, la vie charmante de ce lieu. Le soir le patron « qui fait cuisine » regagne son domicile à motocyclette. Les ouvriers semblent faire honneur à la nourriture. Le plongeur, vraiment très beau, d’aspect très intelligent, discute de choses apparemment sérieuses avec les clients. La servante est assez jolie : poétique plutôt.

Le 10 avril 1934, elle portait, sur un col blanc à pois espacés rouge fort en harmonie avec sa robe noire une très fine chaîne retenant trois gouttes claires, gouttes rondes sur lesquelles se détachait à la base un croissant de même substance pareillement serti. J’appréciai une fois de plus, infiniment, la coïncidence de ce bijou et de cette éclipse. Comme je cherchais à situer cette jeune femme, en la circonstance si bien inspirée, la voix du plongeur : « Ici, l’Ondine » et la réponse exquise, enfantine, à peine soupirée, parfaite : « Ah ! Oui, on le fait ici, l’on dîne ! » Est-il plus touchante scène ? Je me le demandais hier encore, en écoutant les artistes de l’atelier massacrer une pièce de John Ford.

« La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. »

André Breton, L’amour fou, 1937

La modernité serait donc en quelque sorte dans un retour à Dionysos, Apollon appartenant au passé!