C’est la rentrée ! Première séance le 19 septembre

Plage de Narbonne-Plage avant la rentrée, août 2018, photo NJ

Tout d’abord, voici le Programme 2018-2019 tel qu’il est proposé en première lecture. Quelques aménagements auront peut-être lieu dans le courant du semestre, mais rien de très essentiel. Il est calibré pour douze étudiants, notamment concernant le suivi au second semestre. Nous avons intégré les cinq séances en matinées destinées aux étudiants de retour de mobilité. Ces séances seront utile aux S9 comme aux S7 qui verront en amont comment structurer leur pensée pour en produire un mémoire…

Cette rentrée s’accompagne également en ouverture du séminaire d’une lecture intitulée Des paradigmes en sciences sociales  constituée de deux articles de Francis de Chassey, publiés respectivement en 1997 et en 2003. Le sociologue s’intéresse à un débat passionnant centré sur les paradigmes des sciences sociales et notamment le vieux conflit entre le modèle holiste et le modèle de l’individualisme méthodologique. Il dresse également le panel des modèles de pensée utilisés depuis Auguste Comte ou Émile Durkheim, et bien sûr, à l’orée des années 2000. Son recul historique lui permet de mesurer l’impact d’un modèle au détriment d’un autre, à travers une analyse historique, économique et politique qu’il articule dans ce qu’on appelle généralement le contexte.

Plage de Narbonne-Plage avant la rentrée, août 2018, photo NJ
« La société est-elle une totalité qui est toujours plus que la somme de ses parties, c’est-à-dire que le comportement et les représentations des individus qui la composent, ou n’est-elle en définitive que l’effet d’agrégation de ces comportements et représentations individuelles, soit d’une multitude de choix rationnels individuels ?  » nous demande Francis de Chassey. Voilà une question auxquels les étudiants devront répondre et se positionner. Ces deux articles se complètent car ils portent sur la même thématique. Il y a donc des redondances et des précisions qui font qu’il n’est pas inutile de s’abstenir de les lire. Certains étudiants trouveront ces textes compliqués, mais c’est pour bien montrer les enjeux au centre des sciences sociales. Une ville n’est pas un assemblage d’immeubles, mais la mise côte à côte d’institutions, et tout ce qui fait société (suivant le paradigme) avec, c’est-à-dire les gens.

 

 

Pourquoi regarder les animaux ? Un ethnologue à PlanetOcean ;-)

Public devant l’aquarium aux requins, Planet Océan, Montpellier, photo NJ

Ce titre renvoie directement à l’ouvrage que John Berger publia en 2011, qui est en réalité un recueil de textes rédigés entre 1974 et 2009. Ce penseur (1926-2017) attirait l’attention sur le fait que ce que nous regardons en allant au zoo, c’est nous-même. Il ne s’était pas trompé si l’on en juge par la teneur de l’image prise à l’aquarium de Montpellier cette semaine.

J’ai vu une femme en vidéo-conversation avec une amie qui montrait le vaste écran de verre nous séparant du monde aquatique. Elle faisait une visite à distance. Au même endroit, des dizaine de personnes saisissant leur téléphone cellulaire à la recherche d’une prise de vue, faisant de grands gestes, ne se souciant plus des autres visiteurs pourvu que leur cliché soit « réussi ». J’ai vu d’autres personnes la main serrée contre la poignée d’une perche attentives aux mouvements des poissons colorés, mais plus au reste. J’ai vu d’autres personnes, souvent des femmes, se photographiant elles-mêmes à l’aide de la fonction ad hoc : le selfi. On prend les enfants devant les vitres, avec pour arrière plan un poisson. Peu importe, les noms ne sont ni lus ni mémorisés. On reste dans l’à peu près. Certains s’essaient à la devinette, mais se trompent souvent, même devant les requins. J’ai vu énormément de gens se photographier et photographier à l’aide de leur téléphone. Ces actes répondent-ils au besoin insatiable de saisir, ou de cumuler ces micro-événements de leur journée ?  Pour se souvenir une fois rentré chez eux, ou pour témoigner de ce bon moment passer à ne pas voir, mais à filmer, flasher ou shooter. Enregistrer toute sa vie, voilà le vrai sujet. Malgré tout, les gens restent seuls et ne communiquent pas entre eux (sauf à l’intérieur de leur famille).

Dans ce texte écrit en 1977, John Berger aborde la question des limites entre l’homme et l’animal. Il écrit que le zoo est apparu au moment où l’animal en peluche (l’imitation) faisait son apparition. C’est aussi à cette période que les espèces commencèrent à disparaître. « Les zoo publics sanctionnaient le pouvoir colonial contemporain. La capture d’animaux figurait symboliquement la conquête de terres lointaines et exotiques (p. 44-45) ». Cependant les zoo ont aujourd’hui repensé leur rapport à leur histoire et certaines espèces ne vivent quasiment plus à l’état naturel. Le zoo reste le seul espoir de voir « vivant » ces animaux.

« Les animaux s’avèrent rarement à la hauteur des réminiscences adultes, tandis qu’aux enfants ils apparaissent la plupart du temps étonnamment mous et ennuyeux (p. 48) ». A l’intérieur des aquariums, le regard est beaucoup plus complexe à analyser car l’œil du poisson ne cligne pas. A-t-on l’impression de croiser quelque chose en croisant l’œil d’un requin ? Ou bien est-il comme le lion au zoo inerte à notre présence car dépecé de son instinct animal qui le consacrait jadis roi de la jungle ?

« Le zoo est un révélateur de la relation entre l’homme et les animaux » nous dit John Berger. Mais c’est aussi un révélateur des comportements de l’espèce humaine. Dans la seconde partie des bâtiments, Planet Océan abrite un espace dédié à l’espace. J’ai été confronté à une scène qui en dit long sur les comportements humains et sur ce que viennent chercher les gens. Devant un grand écran des gens se trémoussaient en regardant leur image restituée à partir d’une caméra infra-rouge. On ne devinait que le contour des corps, les parties non protégées par des vêtements prenaient une couleur rouge alors que les parties protégées étaient vertes, en passant par le jaune. Chacun bougeait ses bras et ses jambes en essayant de se repérer sur l’écran. Ensuite, armé de son téléphone cellulaire, chacun prenait des photos de ces scènes qui visiblement comblaient d’avantage les « visiteurs » que les précédentes scènes devant les aquariums.

« Le zoo ne peut que décevoir » nous dit encore John Berger, car « le visiteur de zoo non accompagné se retrouve seul » (p. 54). Comme on le perçoit c’est avant tout soi-même le centre d’intérêt principal, et finalement se voir, se filmer ou se photographier sont les raisons qui motivent cette théâtralisation.

 

=> John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?, Editions Héros-Limites, 2011

 

La ville rêvée

La Tentation de Saint Antoine. RF3936. Huys Pieter (vers 1520-vers 1577). Huile sur toile, 70 x 103 cm. Localisation : Paris, musée du Louvre. (C) RMN / Gérard Blot

 

La ville rêvée, non pas celle dont on rêve, mais celle que l’on voit en rêve. Voilà un projet passionnant que l’on pourrait constituer à partir de la création d’une onirothèque et de récits parallèles. Cette bibliothèque qui rassemble les rêves des gens au sujet de la ville pourrait nous permettre de mesurer l’écart entre « la ville rêvée » celle que chacun de nous souhaiterait ou imaginerait, et celle qui apparaît dans nos rêves. En soit, l’écart mesuré pourrait être très intéressant.

Pour collecter les rêves, il faut un certain entrainement, car les rêves sont fugaces et s’évaporent le matin à notre réveil. Des techniques existent pour collecter ce genre de matériaux. L’une d’elles consiste à consigner dès le réveil les derniers éléments du dernier rêve sur un carnet, et d’essayer de se remémorer le rêve dans son intégralité. Petit à petit et avec patience, il est ainsi possible de constituer une onirothèque personnelle. Chaque rêveur doit être identifié sociologiquement, à travers une « biographie sociologique », comme le soumet Bernard Lahire. Je n’entre pas dans le détail ici.

Dans les techniques de l’entretien, cette méthode consiste à relancer la personne en essayant de s’approcher de détails. Il ne s’agit d’interpréter les rêves, mais de guider le rêveur sur les détails. Car nous avons besoin de détails pour cerner avec la meilleure acuité possible la ville dont nous rêvons. Une des grosses difficultés du rêve c’est qu’il ne peut être appréhendé qu’à travers le récit, et donc à travers une forme plus ou moins romancée, censurée, modifiée du rêve.

Salvador Dali, Banlieue de la ville paranoïaque-critique, 1936, DR

 

Ensuite, nous pourrons rechercher les origines des matériaux de nos rêves. Où puisons-nous nos sources ? Dans les films, dans les livres, dans notre créativité ? Et quelles sont les différences d’avec la réalité ? Les villes rêvées sont-elles simples et banales ou bien extra-ordinaires et délirantes ? Le plus souvent, dans un rêve, on ne perçoit pas la ville dans son entièreté, mais à un endroit : cela se passe dans un magasin, dans la rue, sur une place, etc. Pouvez-vous décrire cette place ? Quels sont les éléments caractéristiques ? Quels en sont les liens avec la réalité vécue ?

Il existe de nombreux témoignages d’auteurs racontant leurs rêves, ou de peintres ayant pris le rêve comme médium, comme le montre Nicolas Heckel, à qui j’ai emprunté l’image de Jérôme Bosch. Mais le plus actuel et important travail revient au sociologue Bernard Lahire qui vient de publier le premier tome d’une enquête sur le rêve.

Près de 500 pages pour élaborer un programme de recherche pour une sociologie du rêve, voilà de quoi bien terminer l’été. Page 97, je note : « un rêve ne peut donc être correctement interprété si le récit de rêve n’est pas articulé aux dispositions incorporées du rêveur dont une partie a pu commencer à être formée dès la petite enfance, à l’état de sa problématique existentielle dans la période où il rêve […], aux éléments contextuels déclencheurs du rêve dans le passé immédiat […] et au cadre du sommeil dans lequel prennent forme les images animées du rêve ».

Pour nous aider à collecter et à décrypter ces rêves, voici plusieurs ouvrages qu’il serait important de parcourir, avant ou pendant la lecture du travail de Bernard Lahire qui apporte un regard critique à l’histoire de cet objet :

=> Freud Sigmund, L’interprétation des rêves, (1899), Paris : Points, 2013

=> Jouvet Michel et Gessain Monique, Le grenier des rêves : essai d’onirologie diachronique, Paris : Odile Jacob, 1997

=> Jung Carl Gustav, Sur l’interprétation des rêves, Paris : Livre de Poche, 2000

=> Lahire Bernard, L’interprétation sociologique des rêves, Paris : La Découverte, 2018

Repousser les limites : l’exemple de la musique spectrale

Rebecca Wenham, violoncelliste, interprète une œuvre de Kaija Saariaho intitulée Sept papillons, 2012, DR

Comment l’intérêt pour la musique contemporaine peut-il aider à comprendre la question des limites face à la Ville ?

Partir d’une idée simple et l’exploiter d’un domaine à l’autre. Voilà comment ce billet commence. Faire des aller-retour entre avant et maintenant, entre le courant moderne, et nos jours, entre la musique contemporaine et l’architecture moderne.

 

Rebecca Wenham, violoncelliste, interprète une œuvre de Kaija Saariaho intitulée Sept papillons, 2012, DR

Quelle école ou quel courant se rapproche-t-il le plus de ce style de musique ? Le déconstructivisme ? Le spectralisme ?

Selon les propos de Florent JEDRZEJEWSKI, dans sa thèse consacrée à la musique spectrale chez les percussionnistes, notre compositeur finlandaise Kaija SAARIAHO évolue dans le courant de la musique spectrale. Nous avons déjà dépassé le déconstructivisme.

Ce courant qui consiste à utiliser dans sa totalité « la manière spectrale de traiter les possibilités sonores spécifiques de chaque instrument » (Jedrzejewski, p. 140) permet de repousser les limites instrumentales comme celles de l’écriture. Il ne s’agit pas simplement de déconstruire, mais d’utiliser l’ensemble du spectre de chaque instrument. « Par leur recherche des qualités spectrales des sonorités, les compositeurs de ce mouvement ont dégagé des propriétés qui leur permettent de mélanger les sons en se fondant sur les caractéristiques de leurs spectres » (Jedrzejewski, p. 145). Il y a par conséquent un au-delà de la musique, que l’architecture, semble-t-il, n’a pas encore atteint.
Si l’on considère la ville dans son aspect spectral, cela reviendrait à réinventer le rapport à la norme établie en la dépassant. Les règles figées sont transgressées, dépassées pour aboutir à de nouveaux usages, mais également à de nouvelles règles. Par exemple, l’utilisation d’un espace vacant comme lieu de rencontre ou de co-voiturage, transformer pour un temps une rue en fête de quartier. Pour faire évoluer la ville, il faut forcément revoir les règles et les renouveler. Définir de nouveaux usages et de nouvelles limites. C’est ce que cette musique semble évoquer.
Dans le domaine de l’architecture, posons-nous la question des squats et de la réécriture de ces architectures dans leurs usages. La réglementation n’offre pas cette possibilité de développement humain que l’on pourrait penser attendre d’une ville spectrale.
Aucune réponse définitive ne viendra de ce billet. Je lance cette question qui trouvera peut-être une réponse dans un ailleurs et plus tard.
=> JEDRZEJEWSKI Florent, Le son dans le son : les percussions dans la musique spectrale, Thèse sous la direction de Pierre MICHEL, Université de Strasbourg, 2014
=> SEAY Albert, La musique au Moyen Age, Arles : Actes Sud, 1988

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