Développement autour de la notion de marge

Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine, Grenoble, © NJ

La notion de marge interroge celle, fondatrice et universelle, de limite posée par un acte volontaire qui permet de séparer le nous de l’autre. Pourtant pour Georg Simmel, la frontière est d’abord «entre» : plus que séparer elle induit une réciprocité car elle se présente comme une interposition dans l’espace qui sépare deux mondes qui s’opposent. Georg Simmel voit dans les antagonismes une source de tension créatrice ; l’étranger reflète cette tension, car il est celui qui vient d’ailleurs et qui s’installe quelque part : il est donc à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Le sociologue Robert Ezra Park propose la figure de l’homme marginal découlant, elle-même, de l’image de l’étranger. L’homme marginal est l’individu de l’entre-deux par excellence : il habite entre deux sociétés, entre deux cultures. Il est déchiré par cette ambivalence et porte en lui la « richesse » de ce mélange. Il peut transformer son sentiment social de perte en une ressource culturelle.
Cette perte génère parfois l’expression d’une sous-culture particulière dont l’homme de la rue, le « SDF », figure emblématique de l’espace public et paradigme de l’entre-deux, constitue un exemple.

La notion de marge révèle donc un espace potentiellement « créateur et créatif », un espace où se mettent en place des dispositifs rituels qui s’emploient à séparer des individus ou des groupes d’un statut pour les agréger à un autre. Pour Arnold Van Gennep, entre les deux moments de séparation et d’agrégation, des moments incertains (espace liminaire) et des lieux incertains (sorte de no man’s land) existent : dans ces zones d’attente, de repli ou de transition, où l’individu est suspendu (en marge), s’accumulent les procédures les plus déconcertantes.

La marge peut parfois répondre à des configurations spécifiques dont les gardiennes et gardiens d’immeubles sont un exemple. Mais elle peut aussi, comme chez les « SDF », devenir l’expression d’une situation qui s’éternise, empêchant toute sortie et toute réagrégation au corps social.

La notion de marge nous intéresse donc par sa capacité à mobiliser les notions de continuité et rupture, ainsi que celle de « cultures de l’entre-deux ». L’expérimentation de cette culture, celle du migrant, de l’étranger, d’une marginalité sociale, culturelle ou artistique, se perçoit aussi dans la mise en place des pratiques dans l’espace et des usages de l’espace, dans des lieux spécifiques de la ville qu’on pourra explorer.

La notion de marge implique également un retour sur le concept d’hétérotopie (du grec topos, « lieu », et hétéro, « autre »: « lieu autre ») forgé par Michel Foucault. Les hétérotopies (localisations physiques de l’utopie) sont des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire (une cabane d’enfant ou un théâtre). Elles servent aussi pour la mise à l’écart (les « hétérotopies de déviation ») comme les maisons de retraite, les hôpitaux psychiatriques, les prisons, les asiles ou les cimetières : il s’agit des lieux qui, à l’intérieur d’une société, en constituent le négatif, ou les marges.

Les marges peuvent être aussi examinées comme des interstices des villes, des terrains vagues, des friches, des espaces en chantier, des « zones blanches » non définies sur les cartes, des zones grises ou brunes… Des « tiers paysages » (Gilles Clément) délaissés dont la diversité « n’est pas répertoriée comme richesse » et où il se passe pourtant quelque chose, des « espaces du possible », des laboratoires pour de nouvelles pratiques. Quelles sont ces expériences ? En quoi permettent-elles de réinventer l’espace urbain ? Comment investir ces interstices tout en leur laissant leur qualité d’incertitude et de questionnement de la ville ?

Finalement, la notion de marge interroge, d’un point de vue structuraliste, la société, car cette dernière, dans ses contours « contient le pouvoir de récompenser le conformisme et repousser l’agression » (Mary Douglas). La marge, comme la structure elle-même, est donc un réservoir de symboles de la société.

Je dois à mon ami Gilles Teissonnières ce texte qu’il a co-écrit avec Barbara Morovitch. Nous avons ces auteurs en commun.

Bibliographie

Centlivres, P., Hainard, J. (dir.), 1986, Les rites de passage aujourd’hui, Neuchâtel : L’Âge d’homme.

Clément, Gilles, 2004, Manifeste pour le Tiers-paysage, Paris : éd. Sujet Objet.

De Biase, Alessia et Bonnin, Philippe (dir.), 2007, L’espace Anthropologique, l’abécédaire anthropologique de l’architecture et de la ville, Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n. 20-21.

Douglas, Mary, 1992, De la souillure, études sur la notion de pollution et de tabou, Paris : éd. la découverte.

Foucault, Michel , 1993, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris : Gallimard.

Foucault, M., 2001, « Des espaces autres », (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), dans Dits et écrits, vol. 2 : 1976-1988, Paris : Gallimard.

Goffmann, E., 1968, Asiles. Etude sur la condition sociale des malades mentaux, Paris : Ed. De Minuit.

Geremek, B., 1987, La potence ou la pitié, L’ Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, Paris : Gallimard.

Grafmeyer, Yves, Joseph, Isaac, 1984, L’Ecole de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris : Aubier.

Hall, E., 1978, La dimension cachée, Paris : Seuil.

Simmel, Georg, 1993, « Le pont et la porte » in La tragédie de la culture et autres essais, Paris : Rivages.

Simmel, Georg, 1999, « Excursus sur la frontière sociale » in Sociologie : Études sur les formes de la socialisation, Paris : PUF.

Simmel, G., 2009 (1908), « Digressions sur l’étranger »  in Grafmeyer, Yves, Joseph, Isaac, L’école de Chicago : naissance de l’écologie urbaine, Paris : Champs Essais.

Turner, Victor W., 1990, Le Phénomène rituel. Structure et contre structure, Paris : PUF.

Van Gennep, Arnold, (1909), rééd.1981, Les rites de passage, Paris : Picard.

Choix du sujet ?????

La place du vélo comme vecteur de socialisation, © NJ

Quel sujet choisir se demande Marine ? Peut-être sera-t-elle intéressée par l’étude de la pratique du vélo en ville, mais peut-être que ses centres d’intérêts sont tout autres. Pourtant, l’étude de la pratique du vélo chez les enfants scolarisés en maternelle ouvre sur des perspectives en termes de gentrification, rapports de genre, de domination, d’exclusion, etc. J’expliquerais plus tard pourquoi et comment.

N’oublions pas que nous naviguons entre les marges, les limites et/ou les frontières. Nous sommes dans la ville, et nous explorons ses frontières. Il faut donc que ce sujet se positionne quelque part au bord, à la marge, à la frange de quelque chose. Cela peut aider à trouver un sujet, en abordant un thème par ses limites. Par exemple, celui de « la colocation et les limites du vivre ensemble », ou bien « le street art et les limites du discours politique ». L’habitat social dans ses marges, serait un autre sujet.

Pour résumer comment vous aider à trouver un sujet, pour ceux qui cherchent encore, il vous faut partir d’un centre d’intérêt et chercher à le percevoir à travers une limites, dans ses marges ou à la frontière de quelque chose, par un de ses bouts.

Mur de Berlin, East Side Gallery, photo NJ

Autre exemple : le mur de Berlin représente aujourd’hui une image d’un passé dépassé. Quelles sont les limites du discours autour des fresques ?

Comme nous n’avons aucun étudiant sur Berlin, l’exemple tombe à l’eau, mais d’autres pointes leur nez. On fera un petit point prochainement, alors à vous de jouer…

Atelier de réflexion du 17 ocotbre 2018

Variations sur la ville ou la ville partagée, © NJ

Ville Partagée

Une journée de partage entre deux ateliers de projet et notre séminaire. Une initiative remarquée par notre directeur, Pierre Fernandez, et une journée riche en foisonnement d’idées.

Pour ce qui nous concerne, seulement trois étudiants étaient présents pour partager leur sujet : Marianne, Océane et Romuald. Un grand merci pour les efforts d’intégration, la rapidité avec laquelle ils ont dû préparer leur intervention et un point positif pour l’appropriation du logiciel Xmind et le traitement de la carte mentale. On attend de nos deux autres étudiants un travail similaire pour la semaine prochaine.

Une assistance attentive dans le cadre de la salle du château (LRA), photo © NJ

Dans leur conclusion, nos deux initiatrices ont parcouru la journée en pointant les quatre idées découlant du partage : objet, action, temps et participation. En effet, on peut partager suivant un de ces quatre biais ou en associant ces biais. La démarche méthodologique a été remarquée elle aussi, autour des conditions d’observation, qui vont de l’observation flottante à l’observation provocante, en passant par l’observation participante. On ne peut rester passif et mener une observation directe dans ce genre de sujet. La proximité existe aussi dans la place de l’intervenant, du militant à l’acteur engagé, elle ne peut rester neutre. Les enjeux liés à l’implication doivent cependant être décris, décortiqués et assumés.

Clara Sandrini et Anaïs Leger-Smith, nos deux initiatrices en action, photo © NJ

Événement ! Variations sur la Ville

Voici un événement à l’approche de l’automne avec ce recueil de textes choisis de Collette Pétonnet.

Textes réunis par deux membres du LAU (Laboratoire d’anthropologie urbaine), Liliane Kuczynski et Daniel Terrolle, une unité particulière du CNRS puisque l’équipe avait été classée Unité Propre de Recherche, ce qui était assez rare aux débuts des années 1980, et Thierry Paquot, philosophe parisien.

Comme je n’ai pas encore reçu l’ouvrage, je ne peux en dire plus, sinon que ce corpus a nécessité près d’une année de travail, entre la reprise des textes, leur choix et l’écriture d’une introduction… Mais je compléterais ce billet. Il fait suite à l’hommage rendu à sa mémoire. On y trouvera forcément l’observation flottante, l’anonymat dans la ville, et quelques perles issues de son travail qui ont marqué l’ethnologie française et surtout l’ethnologie urbaine.

Journée d’étude du 17 octobre

Détail de l’affiche

 

Le Programme de la journée

L’atelier de réflexion sur la Ville partagée est une journée d’étude permettant de confronter des points de vue différents, des méthodes originales et des questionnements soumis à la controverse. Cette journée sera donc intéressante dans la mise en place du sujet de recherche, car l’étudiant pourra poser des questions directement en rapport avec sa thématique, ou par analogie, envisager une voie à laquelle il n’avait pas pensé. La richesse vient du collectif.

Paul en Argentine

L’immeuble d’en face, © Paul Peysson 2018

Paul nous envoie ce message d’Argentine.

« Lorsque j’ouvre la fenêtre de ma chambre, la première chose que je vois est ce bâtiment gris d’environ six niveaux. Ma chambre se situe au quatrième étage de mon bâtiment. A première vue, nous pouvons croire que le quartier ou je vis est un quartier dense constitué de bâtiments relativement haut qui évoquent presque une sensation d’étouffement.

Cependant, je vis dans le quartier de San Telmo à Buenos Aires, qui est ,par rapport au reste de la ville, un quartier constitué d’anciennes maisons coloniales ne dépassant pas deux niveaux. La particularité de ce quartier est justement l’hétérogénéité de ses bâtiments. Par exemple sur l’immeuble d’habitation qui se situe en face du mien, celui-ci est entouré de maisons coloniales ne dépassant pas deux étages. Ce qui fait que les tours qui composent San Telmo sont des édifices assez isolés les uns des autres venant ponctuer le quartier d’éléments verticaux.

La proximité de ces deux bâtiments fait que nous pouvons voir dans les logements d’en face. Cela crée un lien entre les habitants de ces deux immeubles. En effet, ce sont des personnes que nous pouvons voir souvent dans la journée. Ainsi cela devient une habitude de vivre avec ces personnes la. »

 

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