Voir la ville de chez soi depuis un arbre blanc, une folie

L’arbre blanc, Fujimoto/Laisné/Rachdi, 2014-2019, Montpellier © Fujimoto/Laisné/Rachdi

A chaque génération d’architectes, les médias cherchent des portes paroles de demain. Dans ce domaine, la starisation est un phénomène de reconnaissance qui supporte des rites d’institution très symboliquement marqués. Croire au futur est une ambiguïté car ce qui est construit aujourd’hui appartient déjà au passé. Mais en voulant en faire une architecture de demain, les médias ne se perdent-ils pas dans la subjectivité qui ne repose que sur l’emploi d’adjectifs comme « folie », « folle », etc. mais à quel titre ?

J’en suis venu à m’intéresser à ce projet parce que durant la journée de l’oral d’entrée à l’école d’architecture, beaucoup d’élèves ont parlé de l’arbre blanc de Montpellier. J’ai donc voulu en savoir plus.

Un petit détour par la presse paraît essentiel. D’abord, il faut s’entendre sur les termes. En étiquetant l’objet « une folie architecturale », la presse écrite confond-elle et parle-t-elle d’autre chose ? Selon l’étymologie, récupérée à partir du site Ortolang on peut lire que :

« Étymol. et Hist. 2. 1690 (Fur. : Il y a aussi plusieurs maisons que le public a baptisées du nom de la folie, quand quelqu’un y a fait plus de despense qu’il ne pouvoit, ou quand il a basti de quelque maniere extravagante). Prob. altération d’apr. folie1* (cf. Hubertifolia, 1077, Dict. topographique de la France, Calvados ds Romania, loc. cit.) de feuillée* qui présentait dans le domaine pic. des formes anc. en -ie (foillie, fullie, folie, v. T.-L.) : à partir du sens de « abri de feuillage; petite maison, cabane », le mot a désigné une maison de campagne, et l’étymol. pop., qui le rapprochait depuis longtemps de folie1(cf. loculus stultitiae, 1080, Dict. topogr., Eure-et-Loir, ds Romania, loc. cit.) a justifié ce terme en faisant référence à une idée de construction dispendieuse ou extravagante (v. Ch. Nyrop, Ling. et hist. des mœurs, pp. 229-238; FEW t. 3, p. 679b et 686a note 13). »

L’arbre blanc, Fujimoto/Laisné/Rachdi, 2014-2019, Montpellier © Fujimoto/Laisné/Rachdi

Le Petit Robert fait référence au XVIIè et XVIIIè siècle pour ces maisons de plaisances et cite Proust dans le texte : « Des parcs du XVIIè et XVIIIè siècle, qui furent les « folies » des intendants et des favorites ». Mais la folie est avant tout une altération de la santé psychique, un trouble du comportement et de manière adoucie une bizarrerie. Quant vers 1956, les marseillais nommèrent la « maison du fada » l’immeuble conçu par Le Corbusier, c’est de l’architecte dont il était question et non de ses habitants. Le terme de folie va-t-il se diffuser parmi les habitants de cette tour ?

Si l’on se réfère à l’étymologie, il s’agit bien d’une construction dispendieuse (6.000 euros le m2 annoncé), et extravagante de part sa forme « d’arbre », d’une folie comme on pouvait en voir au XVIIIè siècle (mais qu’on ne voyait pas sous cette forme-là). Au centre du projet, trois architectes dont le pilier japonais Sousuke Fujimoto, star à 40 ans, et deux anciens de l’atelier Jean Nouvel, de la même génération.

Et c’est bien d’une folie proustienne dont il est question, comme le remarque le blog Homunity. Montpellier, nous dit-on, a lancé un appel pour la construction de onze folies, afin de renouer avec son histoire architecturale. D’un point de vue social, nous pourrions dire également afin de renouer avec un passé bourgeois extravagant, décadent et ostentatoire.

L’arbre blanc, Fujimoto/Laisné/Rachdi, 2014-2019, Montpellier © Fujimoto/Laisné/Rachdi

Mais il s’agit de travailler sur l’image de la ville elle-même, sur la perception qu’en ont les habitants comme les touristes.  « Une icône dialoguant, depuis les nuages, avec un monde qui ne connait plus de frontières » est-il écrit dans le dossier de presse. Décryptage : « depuis les nuages » fait référence à cet immeuble de 17 étages, de 56 mètres de hauteur, donc soumis à la réglementation IGHz, puisque abritant un bar au dernier étage. Quant aux frontières, non seulement elle existe bien, mais ce genre de projet affiche en toute lettre le pouvoir de l’argent et par conséquent la frontière entre la richesse et la pauvreté. Comparée à New-York, cette frontière est tout de même plus modeste puisque d’un appartement de standing à 42 millions de dollars dans l’immeuble de Jean Nouvelle, nous passons à un studio de 45m2 pour 220.000 euros, soit environ 5.000 euros le m2. Mais le duplex de 300 m2 au 16ème étage coûtera 1,8 million d’euros.

Y verra-t-on la ville plus belle ? Cela me rappelle l’étude assez originale de Monique Eleb et Jean-Louis Violeau, Entre voisins, qui traitait des relations dans un immeuble à Saint-Nazaire à partir d’une enquête créée au moment de l’ouverture de l’immeuble. Bien sûr il était question de mixité sociale, ce qui ne semble pas exister ici. Pris dans le budget global des 50 millions d’euros de ce programme, une enquête ethnographique sur la réception aurait été un plus. Gageons que les étudiants de l’ENSA de Montpellier s’en saisissent, et viennent faire la part des choses entre la folie et l’habitabilité.

Comme ce bâtiment sera inauguré en juin (19 juin), beaucoup d’encre va encore couler. Une phrase lâchée en conseil municipal en 2018 résume le projet : « Michaël Delafosse (PS), ancien adjoint à l’urbanisme d’Hélène Mandroux, se souvient que l’Arbre blanc faisait partie d’un projet global. Celui “de douze folies architecturales prévues, le long du tramway, sur douze terrains publics. La parcelle de l’Arbre blanc aura ainsi rapporté 6 M€ (4 M€, corrigera le maire). Et ce projet a permis à Montpellier de figurer dans 1 500 articles internationaux. Sans un euro d’argent public !” (Midi Libre du 5 avril 2018).

 

=> Monique Eleb et Jean-Louis Violeau, Entre voisins, dispositif architectural et mixité sociale, éditions du Linteau, 2000

 

Liste des sujets développés en Erasmus

Détournement culturel, Lycée Saint Sernin, mai 2019, © NJ

Pour aider les étudiants à choisir un thème ou un sujet, voici la liste non exhaustive des sujets que Mohammed Zendjebil et moi-même ont pu suivre avec les étudiants en Erasmus (mémoire de S87) et autres parcours recherche (mémoire de S10), où plus spécifiquement sur Toulouse (marketing urbain). Vous pouvez cliquer sur les liens pour voir le résumé et accéder au mémoire :

 

Calabuig, Charlotte ; École nationale supérieure d’architecture, 2011
Lalanne, Laurie ; École nationale supérieure d’architecture, 2011
Duprat, Caroline ; École nationale supérieure d’architecture, 2012
Pontaud, Auriane ; École nationale supérieure d’architecture, 2012
Pic, Mélisande; École nationale supérieure d’architecture, 2012
Marjorie Hervé; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2017
Zoé Riolet; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2017
Colette Zdan; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2017
Elena Mary; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2017
Marthe Grézaud; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2016
Maïwen Roudaut; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2015
Pierre Proust-Langlois; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse, 2016
Alexia Vasseur; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2015
Images de villes : Casablanca : quels sont les repères qui façonnent l’image de la ville, de l’échelle urbaine à l’échelle du quotidien
Fanny Landart; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2017
Malak Zizi; Ecole nationale supérieure d’architecture de Toulouse , 2015
Université Jean Jaurès, mai 2019, © NJ

Bien évidemment le choix d’un sujet est personnel, car il dépend à la fois de la trajectoire de l’étudiant, mais aussi de sa sensibilité et de ses centres d’intérêts. Se rendre dans un pays étranger pour un an, c’est reposer la question de son identité, de ses valeurs et mettre à l’épreuve ses acquis. C’est prendre un gros risque et c’est accepter de dépasser ses propres limites. L’étudiant peut donc commencer par se questionner sur le pourquoi du pays avant d’envisager d’aller plus loin. S’intéresser aux populations pauvres, s’intéresser aux phénomènes urbains, se passionner pour la construction à partir de matériaux de récupération, adorer la musique et la pratiquer, vouloir comparer ses origines à d’autres cultures, etc. Il y a forcément un point de départ qu’il faut trouver… Ensuite viendra le sujet.

Une liste des thèmes possibles…

Coursiers à vélo, Toulouse, photo NJ

Comme avant d’aller faire les courses, cette liste permet d’éviter d’oublier le thème auquel on pense très fort et que l’on oublie juste au moment d’en parler.
Mais il s’agit aussi de donner quelques pistes, en évitant ce qui a été trop traité, et en insistant sur ce qui ne l’a pas été. Les étudiants qui vont choisir ce séminaire devront évoquer leur motivation au travers d’un thème, d’un sujet ou d’un lieu. Par exemple : j’aimerais travailler sur le développement durable (thème), ou bien j’aimerais travailler sur l’agriculture urbaine (sujet), ou bien encore j’aimerais travailler sur Carcassonne (lieu). Bien sûr, un étudiant pourrait vouloir travailler sur l’agriculture urbaine à Carcassonne dans une problématique de développement durable. Voici quelques idées, sans souci d’exhaustivité, mais en progression constante…

 

Les territoires en crise : du centre-ville au périurbain

• Depuis l’événement social des Gilets jaunes, en octobre 2018, la société a été confrontée à des discours et des populations souvent absentes des débats politiques. Comment ces événements agissent-ils sur notre perception de la ville ? Qui sont ces gens ? Quelles perspectives pour l’avenir ?

La ville à l’heure de la transition énergétique

• Comment nos villes vont-elles faire face à la transition énergétique ? Quels sont les plans pour les années à venir ?

Les mobilités et la question des distances

• Favoriser les déplacements en modes doux est-il envisageable à grande échelle ?

Les frontières invisibles : la ville à quatre vitesses

• La ville à quatre vitesse. Après Donzelot et la ville à trois vitesses, n’est-on pas face à des écarts toujours plus grands entre riches et pauvres, d’où la possibilité d’une quatrième vitesse… Voire une cinquième.

Les animaux dans la ville

• Entre chiens et chats, leurs propriétaires, les réseaux de sociabilité, les points de rencontre en ville (exemple quartier de Saint-Etienne)…

L’apprentissage de la ville

• Les enfants en draisiennes à l’école, comment certains enfants apprennent-ils à mesurer la ville ?

• Comment les enfants apprennent-ils à lire leur quartier, à le définir et à l’apprivoiser ? (On peut imaginer le même travail avec des nouveaux venus).

Les déplacement en ville : réseaux et raisons

• Chaque groupe social envisage son rapport à la ville en fonction de sa consommation, des lieux d’approvisionnement et des lieux d’activité comme de loisir. On entrevoit ici les questions de classe d’âge, de genre et de niveau social.

La carte mentale de la ville et les représentations

• Quelles sont les habitudes d’une famille ou d’un groupe social qui conduisent à des cartes mentales spécifiques, et donc à un rapport à la ville spécifique.

Que veut dire smart city ?

• Le futur est-il un élément à prendre en compte dans nos représentations de la ville et dans notre quotidien ?

A quoi sert le street art toulousain ?

• Mode d’expression, mode d’appropriation de la ville, le street art toulousain a une histoire, des spécificités, une identité…

Les espaces verts en ville

• Le poumon vert est aussi un espace de détente et de rencontre.

Culture et compostage : la conscience écologique

• Les pratiques des jardins ouvriers aux pratiques informelles. Du rapport à la nature aux pratiques de subsistance.

Démonstration aïkido, Toulouse, août 2014, photo DR

Le jeu et la ville

• Qui joue en ville : de l’escape game au laser game, la ville devient un espace de jeu permanent, mais pour quoi ?

Les sports en ville

• Comment ont évolué les pratiques sportives au cours des vingt dernières années ?

La trottinette électrique et les déplacements urbains

• Qui sont ces utilisateurs de moyens de déplacement individuel, quel est leur regard sur la ville, et leur regard sur la société et les autres ?

Les lieux festifs en ville et la vie nocturne

• Le temps personnel se transforme, l’accélération du temps y est sûrement pour quelque chose.

L’approvisionnement en ville : du marché bio à la livraison à domicile

• L’accélération du temps et la gentrification ont-ils à voir avec les nouvelles formes d’approvisionnement en ville ?

Coursier à vélo et autoentrepreneur

• Nouvelles pratiques professionnelles et nouvelle forme de salariat.

Montaudran et la Halle des Machines

• Quelle nouveau rapport au quartier pour cet équipement culturel ?

Les collectifs d’artistes

• Depuis 30 ans, les collectifs d’artistes de rue créent un nouveau rapport à la ville. Comment ont-ils évolué .

Les nouveaux commerces ambulants

• Le vélo aujourd’hui s’affiche comme un argument écologique et responsable. C’est un objet urbain par excellence, du réparateur en triporteur, au livreur, en passant par les Tiny Restaurants en vélo cargo.

L’habitat et la cohabitation

• L’étude des formes d’habitat relève du fonds de commerce du séminaire, de l’habitat individuel à l’habitat collectif, en passant par les formes d’autoconstruction (type Castors) à l’habitat participatif.

Le bio comme vecteur d’urbanité

• Les circuits courts, mais aussi la consommation bio nous fait entrevoir une dimension nouvelle de la ville. De la production du miel béton aux Amaps, comment ces nouvelles pratiques organisent-elles la ville ?

Le handicap et la ville

• La prise en compte du handicap physique ou autre, de la vie quotidienne à l’accès aux services. La ville pour tous…

L’habitat informel

• En relation avec la pauvreté (les sans-abris) ou bien les questions politiques (réfugiés politiques, squats), ou de migration économique (globalisation économique), ces questions ouvrent sur une vision de la ville par en-dessous.

 

Faites votre choix, et améliorez-le !

Voir la ville sous l’effort

La ville peut être appréhendée de différentes manières, nous l’avons déjà vu. Au regard des nouvelles modalités du rapport au travail, il est intéressant de  voir comment les coursiers à vélo appréhendent la ville. Deux articles vont illustrer mes propos et nous aider à cerner cette question. Je découvre cette Nouvelle revue du travail avec la livraison de ce numéro 14 qui n’est pas spécifiquement lié à la ville, mais qui traite d’activités dans la ville. Laissons de côté les murs des immeubles, des bâtiments publics et autres activités pour voir ce qui se passe à l’échelle humaine.

Les coursiers à vélo forment une communauté très particulière à New-York, tout comme les nettoyeurs de vitre des grattes-ciels, mais ici à Toulouse, ils sont relativement récents. Ceci est lié, en partie, à l’arrivée des formes d’ubérisation du travail que connaissent bien les étudiants, puisque la plupart d’entre eux doivent passer par de l’autoentrepreneuriat pour s’insérer professionnellement. Du reste, et comme le montrent les articles suivants, ces nouvelles formes de rapport au travail introduisent, par ailleurs, des nouvelles formes de rapport à la ville, où l’accélération et la prise de risque vont de pair.

Fabien Lemozy analyse dans cette enquête participante les ressorts de l’activité de l’entreprise Deliveroo et montre comment les « partenaires » sont maintenus dans une forme de soumission vis-à-vis de la plate forme. Toujours pressés par les courses, pressés par l’attente, sous le regard déshumanisé de l’algorithme qui calcule les meilleurs rendements, les meilleurs « partenaires » et les plus dociles. Comment voir la ville lorsque le rapport qu’entretiennent les livreurs sont optimisés grâce à des liens économiques ? La ville raccourci, la ville à contre-sens, la ville de tous les risques…

 

Arthur Jan, quant à lui, dresse le profil des trois types de livreurs rencontrés durant son enquête. Il met en avant les stratégies destinées à valoriser cette activité qui reste, pour la plupart d’entre eux, une activité temporaire et renvoie à une précarisation du travail pour ceux qui n’ont que cette possibilité comme ressources.

L’un comme l’autre ne positionnent pas leur axe d’analyse au regard des trajets effectués, en termes d’intentionnalité par exemple, même si nous comprenons que la logique des trajets vaut pour une recherche de rationalité en finalité, puisque seul le temps compte. Les livreurs sont donc conduits à aller toujours plus vite, au péril de leur vie. D’autres études à venir combleront ces axes de recherche. Pour l’heure, ces lectures sont déjà assez éclairantes.

Et puis cela montre que la ville se dessine suivant deux grands types d’individus : ceux qui servent et ceux qui se font servir, dans des rôles qui sont parfois presque interchangeables (le cas des étudiants qui se font livrés par exemple). Dans un monde où la sueur est bannie, où l’effort est proscrit, quelle métaphore s’offre à nous lorsque nous voyons que chaque soir, lorsque les travailleurs sont rentrés chez eux, que d’autres travailleurs arpentent les rues et gagnent leur vie à la sueur de leur front.

 

=> Fabien Lemozy, « La tête dans le guidon », La nouvelle revue du travail [En ligne], 14 | 2019, mis en ligne le 07 mai 2019, consulté le 12 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/nrt/4673 ; DOI : 10.4000/nrt.4673

=> Arthur Jan, « Livrer à vélo… en attendant mieux », La nouvelle revue du travail [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 29 octobre 2018, consulté le 12 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/nrt/3803 ; DOI : 10.4000/nrt.3803

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