Nouvelle présentation du séminaire sur Moodle

C’est ici !

Comme chaque année, nous présentons le séminaire aux futurs étudiants qui souhaiteront nous rejoindre et discuter avec nous. Cette année, quelques nouveautés en perspectives…

A découvrir.

Chemin = S7-S77 1 – 6 La ville en mouvement

Ça ne fonctionne que si vous avez un compte Moodle de l’ENSA de Toulouse !!

Carte des vélos abandonnés à Toulouse

Carte des vélos abandonnés, Toulouse, © Lucie Addé et Noël Jouenne

Voici un projet que nous menons avec Lucie Addé depuis plus d’un an et qui prend forme : La carte des vélos abandonnés sur Toulouse.
Ce projet, qui entre dans le cadre du projet global BicyTown Toulouse du LRA, prend appui sur une cartographie libre plutôt que sur un Gis.
L’idée de départ est de répertorier tous les vélos abandonnés sur Toulouse afin d’en comprendre la logique (ou d’en dégager une logique) et de réfléchir à la question des carcasses dans la ville.
La ville est ainsi jalonnée de « cadavres » qui renvoient, toutes proportions gardées, au travail d’Agnès Jeanjean sur l’excrémentiel. Cette enquête en est à sa version bêta, il faut encore affiner la saisie et solliciter ensuite les étudiantes et les étudiants afin de répertorier une masse plus conséquente de vélos abandonnés.

Pour repérer un vélo abandonné, il suffit d’identifier quelques critères comme un pneu crevé, une roue absente, la selle manquante, le guidon disparu, le pédalier et la chaîne envolés, etc. Dans cet ordre, d’abord, mais aussi une carcasse. Nous ne pouvons pas savoir depuis quand le vélo est ainsi, mais nous pouvons percevoir l’évolution de ses dégradations, et un jour, il disparaît. Ces vélos sont toujours attachés (il ne s’agit pas de répertorier les vélos flottants). J’ai aussi décidé d’autour les vélos publicitaires, ceux qui restent en journée et qui servent à faire la publicité d’une enseigne.

C’est peu pour mener une enquête, mais petit à petit et avec l’aide de tous, nous allons produire une carte quasi-exhaustive, et dégager une logique. La carte est accessible ici.

=> Agnès Jeanjean, « L’excrémentiel, un objet pour l’ethnologie », Georges Ravis-Giordani (dir.), Ethnologie(s). Nouveaux contextes, nouveaux objets, nouvelles approches, coll. Le Regard de l’ethnologue, n°21, Paris, CTHS, 2009, pp. 208-223

Le haking de 2023

Après plus d’une semaine de maintenance, suite à un haking sévère, voilà à nouveau le blog La ville en mouvement en ligne… Nous avons perdu le mois d’avril, restauré à la hâte, sans image.

Après plus de 28.000 visites depuis septembre 2017, le compteur a disparu, ce qui n’est pas plus mal. Finalement, je me suis dit que j’allais reprendre tous les billets depuis l’origine et fabriquer un petit guide, avec index, que je donnerai aux étudiants à la rentrée prochaine.

Urgence écologique

Le séminaire n’est pas en pause, mais la banalisation modifie le rapport à l’acquisition des savoirs. En attendant les États généraux demandés pour la mi-mai par le mouvement Ensa en Lutte, nous pourrons écouter en podcast l’émission sur France Inter diffusée hier dans la Terre au carré.
On y entendra les architectes Philippe Rahm et Christine Leconte qui, entre deux signatures de leur dernière livraison, viennent parler de la crise que vivent les écoles d’architecture en ce moment.
L’émission démarre avec la voix des auditeurs qui rappellera aux plus vieux les séquences de Daniel Mermet (autre époque). Maintenant que France Inter est passée à droite, les vieilles recettes n’ont pas toutes été mises à la poubelle. Après, Christine Leconte revient sur son livre dont j’ai déjà parlé. Rien de nouveau puisqu’il n’est jamais question de la base du problème : le capitalisme.
Quel est le rôle des architectes dans l’effondrement global. Comment la discipline peut-elle faire face aux problèmes du « dérèglement » climatique ? En fait, le problème est-il climatique, je veux dire, seulement climatique ? Et pourquoi utiliser cet euphémisme de « dérèglement » alors qu’il s’agit d’un effondrement.
Le fait est que parler des écoles d’architecture sur France Inter, c’est quand même quelque chose.
Comment se préparer à la transition écologique ? Il faudra d’abord se mettre d’accord sur la terminologie : anthropocène, capitalocène, technocène, de quoi parle-t-on ? Ce terme est très important parce qu’il pointe les
responsabilités : non pas l’homme, mais le capitaliste, non pas le capitaliste, mais l’ère de la technologie et du capitalisme.
L’intervention d’un étudiant de Paris Val-de-Seine permet d’offrir cette fraîcheur naïve et qui essaie de tenir tête au présentateur… et à Jean Nouvel.
Changer de pédagogie nécessite d’en définir les contours, de dire de quoi on parle en parlant de pédagogie. À mon avis, il ne s’agit pas de changer de pédagogie, mais de changer les paradigmes de l’architecture et de recentrer le tout sur les questions écologiques et sociales.
Le couplet sur l’albédo et l’idée de tout mettre en blanc, dont les routes, est extrêmement drôle parce que ça ne suffira pas. C’est très naïf !
Du positif donc !
Pourquoi c’est naïf ? C’est vrai qu’en écrivant cela, je peux passer pour un rustre et un indécrottable grincheux. Alors je vais expliquer les sous-entendus qui permettront à toutes et tous de comprendre cette remarque.
L’albédo est le pouvoir réfléchissant d’une surface. Plus la surface est claire, plus l’albédo est élevé, entre 0 et 1, mais souvent converti en pourcentage. Ainsi, 80% c’est un pouvoir de réflexion important comme le béton clair, la neige ou l’aluminium poli. Donc, en théorie c’est plutôt bien que la surface au sol réfléchisse puisque les rayons du soleil ne vont pas pénétrer et réchauffer le sol. Ils ne vont pas non plus se stocker dans le matériau et réfléchir sous forme d’infrarouge la nuit.
En revanche, lorsque les rayons repartent du sol (des matériaux réfléchissants) vers le ciel, ils repassent dans les nuages et l’atmosphère. Alors que les nuages vont absorber 3 à 5% des rayons réfléchis, l’atmosphère va en absorber 23%. Cela signifie que tous les rayons renvoyés ne vont pas repartir dans l’espace, mais réchauffer l’atmosphère. En quelque sorte, cela revient à déplacer le problème, et ne règle rien dans l’absolu.
De plus, en réchauffant l’atmosphère, nous réchauffons la planète, provoquons des dômes de chaleur, et ne réglons aucun problème lié au réchauffement climatique. Cela contribue à la formation d’ouragans, de tempêtes, etc. Voilà pourquoi il est naïf de penser qu’en repeignant les murs et les toits en blanc on fera baisser la température générale de la planète. Au mieux, le réchauffement de l’atmosphère permettra de faire fondre les glaces polaires plus vite.
Les architectes ont l’habitude de déplacer les problèmes, par exemple, en réhabilitant des quartiers d’immeubles pour chasser les plus pauvres et mettre des plus riches à la place. Cela ne règle pas le problème des pauvres, mais déplace le problème. Un changement de paradigme est donc nécessaire pour voir les choses autrement, et pour ne pas déplacer le problème.
Ce qu’il faut, ce n’est pas un changement de pédagogie, c’est un changement de paradigme.

L’architecture de demain est arrivée

« Perte de temps » voilà ce qu’a dit une collègue à propos des quatre dernières semaines, alors qu’en réalité, nous nous trouvons devant l’avenir de l’architecture, une architecture peut être sans plan, mais en réflexion constante. Des cerveaux qui fusent, des idées qui pointent, des tentatives de dialogue et des mots qui tombent à plat. Des individus qui font collectif, qui font ensemble quelque chose dont on ne sait pas encore la forme. D’autres propos qui amènent les applaudissements. Perte de temps de quoi ? Perte de quel temps ? Celui des apprentissages et du diplôme, celui de la vieillesse et du temps qui passe, ou celui du temps de l’enseignant qui ne sait pas quoi faire d’autre que ce qu’il a l’habitude de faire. (Entre parenthèses, si l’enseignement a conduit à ce que nous avons et que nous sommes, peut-être faut-il revoir quelques données.)
Attendez, la terre n’en a plus pour très longtemps, alors pourquoi perdre son temps à chercher à apprendre ? D’accord, c’est en centaines d’années, ouf ! Et puis enseigner c’est quoi ? Moi j’ai vu des jeunes prendre des initiatives, qui ont trouvé leurs repères et de la motivation, un sens à ce qu’ils faisaient, qui apprennent enfin à devenir adultes (ce que l’atelier de projet ne permet pas, visiblement). Organiser une réunion, construire une argumentaire, animer un débat, organiser les tours de parole, etc. C’est quoi sinon des compétences.
En fait, je me demande si nous n’avançons pas dans l’architecture de demain. Parce que les machines vont bientôt savoir faire mieux et plus rapidement les plans, la conception, et l’organisation des travaux. Elles n’oublieront pas une porte, calculeront la bonne portance d’une poutre, et éviteront que les balcons tombent. L’architecte, lui, va devoir réfléchir et parler, prendre la parole et négocier, entretenir des rapports humains avec les autres. Le plus important dans l’architecture ce sont les sciences sociales. Ce que l’IA ne peut pas faire, c’est entretenir des rapports humains.

Pyramide des âges

Soyons rationnel, et regardons de prêt la situation dans ma classe d’âge. Je suis né en 1963, j’ai donc 60 ans cette année (en septembre). A une autre époque, je n’aurais pas été à la retraite pour autant, car les métiers « peu fatigants » nécessitent de travailler plus longtemps. Disons qu’à 62 ans, je serais parti à la retraite. Puis à 65 ans, parce que lorsque la retraite est passée à 62 ans pour les ouvriers, elle est passée à 65 ans pour les enseignants. Trois ans de plus.
En prenant la pyramide des âges que propose l’INSEE, il est possible de savoir combien nous sommes et combien nous serons. Comme c’est une institution d’Etat, inutile de préciser qu’elle utilise le même outil dans ses calculs.
En 2023, nous sommes (hommes et femmes confondus) 892.760 selon l’INSEE nés en 1963 encore en vie. En fait, nous sommes plus nombreux (868.876 naissances en 1963) parce qu’entre-temps, des populations étrangères sont venues renforcer cette masse (immigration). Cette extrapolation est assez fine et repose sur les recensements de la population, le calcul de l’espérance de vie, l’apport démographique et les décès par année. Si tout le monde partait à la retraite cette année, il y aurait donc 892.760 personnes de 60 ans de plus.
En partant à 62 ans, c’est-à-dire dans deux ans, les personnes nées en 1963 ne seront plus que 883.057, toujours selon l’INSEE. C’est-à-dire que 9.703 personnes (hommes et femmes) seront décédées entre temps. Je sais, ce n’est pas drôle, surtout pour celles et ceux qui font partie de cette fournée.
En partant à 64 ans, et toujours avec la même pyramide, 20.936 personnes nées en 1963 seront décédées. Sachant que les hommes meurent plus précocement que les femmes, ces 20 mille personnes ne sont pas réparties en 10 mille de chaque. Mais l’outil à ma disposition ne permet pas d’être plus précis.
En partant à 65 ans, l’âge légal pour ce qui me concerne, et par rapport à 60 ans, 26.693 personnes n’auront pas eu la chance d’y arriver. Mais repoussons un peu plus, jusqu’à 67 ans, puisque c’est l’âge de mon départ à la retraite, nous serons alors 853.310 tout de même à entrer définitivement en retraite. Seulement, 39.450 personnes n’auront pas connu cet âge, puisqu’elles seront mortes entre 2023 et 2028. Serais-je encore moi-même de ce monde ?
En allongeant le départ à la retraite de deux ans, de 62 à 64 ans, c’est 11.233 personnes qui n’en profiteront pas pour cette seule classe d’âge. Trop souvent, on a tendance à croire que l’espérance de vie à la naissance nous amène tous et toutes à ces âges canoniques. Il n’en est rien, beaucoup vont mourir avant. Aussi peu drôle soit-elle, cette réalité devrait servir plus souvent de base de discussion pour éviter les mensonges d’une vie rallongée et d’une retraite paisible.

La ville est-elle politique ?

Cette semaine, nous avions un débat dans le cadre de la banalisation des cours, suite au mouvement de soutien de l’ENSA de Normandie, en grève depuis février. Le thème de la matinée était : Architecture et politique ou l’architecture est-elle politique ?
Il s’agissait d’une grande question destinée à faire prendre conscience de la valeur politique de l’architecture dans sa société.
Différencie-t-on LE politique de LA politique de LES politiques ? Dans le même ordre d’idées, on remplace les pronoms par d’autres : UN politique, UNE politique et DES politiques.
Le même mot sert en réalité à dire plusieurs choses un peu différentes; « politique » a donc plusieurs sens, et il faut d’abord les apprivoiser pour ne plus en avoir peur. Beaucoup d’étudiant.e.s ont peur de ce mot parce qu’il évoque les affaires des grandes personnes, et qu’eux-mêmes ne veulent peut-être pas grandir si vite. Mais s’occuper des affaires des grands est-ce pour autant oublier ou renier son enfance ?
Sur le coup, j’ai écouté, attentif. Une petite délégation des Sciences Politiques était présente, et nous avons pu profiter de leur savoir en la matière. Une fois rentré chez moi, j’ai repensé à cette question : Evidemment que l’architecture est politique, depuis la conception jusqu’à la réalisation, dans la mesure où le prince, LE politique, est souvent le commanditaire. Et puis j’ai repensé aux ouvrages de Eyal Weizman à propos de ce qu’il a appelé l’architecture Forensique. D’ailleurs, j’avais déjà déposé un billet à ce sujet.
D’un point de vue philosophique, l’architecte part d’une posture politique lorsqu’il trace une ligne sur sa planche à dessin (c’est une image, j’avais moi-même une table à dessiner avec pantographe lorsque j’étais jeune). Le seul trait noir de 0.7 est à l’évidence d’abord une ligne de démarcation entre un dedans et un dehors, entre nous et eux, entre elle et lui, et finalement entre « moi » et le monde. Le trait est politique.
L’architecte n’arrête pas de tracer des limites et des frontières, dans un espace domestique, pour signifier qu’ici c’est la chambre des parents et là, celles des enfants; pour signifier l’entrée de l’école d’architecture, pour contenir et canaliser les pensées, etc.
Dans son introduction, Yeal Weizman raconte que pendant la guerre en Cisjordanie, les combattants palestiniens avaient percé des trous dans les maisons accolées de sorte qu’ils pouvaient changer de quartier sans sortir dehors. Weizman écrit que « ce n’était plus l’ordre spatial établi qui dictait les modalités de déplacement, mais le déplacement lui-même qui organisait l’espace qui l’entourait » (p. 8). Voilà un acte politique et voilà pourquoi le trait est politique.
=> Eyal Weizman, A travers les murs. L’architecture de la nouvelle guerre urbaine, La Fabrique ééd., 2008, 110 p.

Repenser la dimension critique : à propos du 49-3

Ce blog n’a pas vocation politique. Cependant, la ville en mouvement est déterminée par le politique. Il faut donc aider les étudiantes et les étudiants à y voir clair. Pour cela, mettons en évidence quelques aspects de la rhétorique employée à des fins douteuses.
Dans son billet d’humeur sur France Inter, radio nationale, Clément Pétreault remet en cause l’idée d’un basculement vers une dictature. Voyons son argumentation et la rhétorique qu’il emploie afin de démontrer qu’il n’est autre qu’un petit soldat du néolibéralisme comme l’écrit l’anthropologue Patrick Gaboriau.
Dans son premier paragraphe, le journaliste attaque un partisan de La France insoumise à propos d’une phrase versée sur le compte Twitter. Je précise que je n’ai pas de compte Twitter. Et le chroniqueur d’affirmer : « c’est un peu rapide ».
Son argumentation repose sur l’utilisation de mots à connotation négative comme « opposants » et « bruyants » et « assez loin du coup d’État ». Qui a parlé de coup d’État sinon le journaliste lui-même. D’ailleurs avec une certaine habileté, il va retourner l’argumentation contre les opposants au gouvernement, les « bruyants », avec cette « possibilité de faire tomber le gouvernement » qui en d’autres circonstances serait un coup d’État. La question que le journaliste pose alors est de savoir s’il en sera ainsi, et si « les oppositions devront alors assumer le choix visible de la rente politique » comme si l’autre bord était dispensé d’en assumer leur part.
Comme l’écrit si bien notre auteur, ne s’agit-il, justement, que d’un combat de posture ?
La réponse se trouve sans doute dans le deuxième paragraphe. Même travail, celui qui consiste à repérer les mots employés pour qualifier un bord et son opposé. « Affaires » et « légitime » s’opposent ici à « anti- démocratique » et « opposition ». Nous avons ensuite « comédie » et « gourmandise » qui nous conduisent à l’argument central de la thèse : « champion » et « despote » en la personne d’un Premier ministre dénommé. Il s’agit donc d’une attaque ad hominem. Le journaliste nous dit que le processus du 49.3 a été utilisé 28 fois en trois ans par Michel Rocard, en omettant qu’il vient d’être utilisé pour la onzième fois en dix mois par notre ministre actuelle. Par extrapolation, si l’on résonne sur le principe de la comparaison et de l’analogie, on aboutira à 39 fois en trois ans. Le monopole du despotisme est bien actuel.
L’argumentation se fait donc par omission. De même, lorsque le journaliste précise que parmi les 28 lois votées, deux dispositifs comme la CSG et le CSA, dont l’une évoque une taxe sur les salaires et une institution de contrôle de l’audiovisuel qui au demeurant est plutôt une bonne chose, il omet les autres lois votées et met en parallèle des dispositifs sans commune mesure entre les trois textes d’Elisabeth Borne et les treize textes de Michel Rocard. Au demeurant, cinq motions de censure dans un cas contre quatorze actuellement, notre Première ministre arrive en tête sur le plan des désaccords. De plus, il évacue la dimension historique et contextuelle de ses deux mandats.
C’est-à-dire que dans la comparaison brute, le journaliste fait comme s’il se passait la même chose.
Il y a par conséquent une certaine mauvaise fois dans cet argumentaire, et la posture est ici celle du petit soldat du néolibéralisme. Voyons voir : Clément Péreault est titulaire, en 2004, d’un diplôme d’une école privée nantaise. Il entre ensuite au Point où il écrit pour les rubriques « politique et société ». Il doit un certain succès à un ouvrage couvrant les dernières élections dans lequel on peut lire une certaine idée de la France, sous la conduite de Charles Trenet, qu’il fredonne chaque jour. Durant un mois, notre journaliste a parcouru les régions dans un camping-car. « Un livre qui part à la rencontre de notre pays » écrit l’éditeur. À qui s’adresse cet ouvrage ?
Dans ce que Patrick Gaboriau nomme les petits soldats du néolibéralisme, une place est largement faite aux journalistes, dont Pierre Bourdieu disait qu’ils étaient les nouveaux chiens de garde. Ils sont censés protéger les pouvoir dominants et le système néolibéral. « Comment appeler le système politique dépendant de ces idées naturalisées en vision du monde, se demande Gaboriau. Le mot de dictature serait trop fort, car nombre de leaders qui le pratiquent sont élus. La tyrannie conviendrait davantage, ou mieux, l’autoritarisme » (pp. 55-56).
On est d’accord pour dire qu’entre Le Point et Médiapart deux idéologies s’opposent. Mais nous savons aussi qu’il n’existe pas de neutralité idéologique et que le propre de l’être humain est de vivre avec ses contradictions. Du côté de Médiapart, on s’y attendait, les avis sont plus nuancés en faveur d’une dictature. Deux contributions viennent renforcer cet argument. La première d’Alexandre Lauverjat qui pose directement la question : « En faisant passer de force sa réforme des retraites honnie grâce au 49.3, en verrouillant le débat parlementaire grâce au 47.1, en menaçant ses propres députés, Emmanuel Macron aura, une fois de plus, usé de ses stratégies les plus abjectes afin de faire taire, par tous les moyens, l’opposition d’un peuple uni. ». On verse moins dans la crédulité du chroniqueur de France Inter, et il n’aura évidemment pas suffi d’une phrase, mais d’un ensemble de « stratégies » visant à conserver le pouvoir. De ce point de vue, le coup d’État aurait déjà eu lieu.
Le deuxième billet est de Jean-Michel Guiart. En reprenant un jeu de mots, il articule sa question à un état de fait. La « dictature est en marche » nous dit-il. Effectivement ce rendez-vous avec l’histoire est en passe de se produire, et nous serons attentif aux réactions et aux manifestations de cette semaine. Soyons bon prince envers Pétreault, Guiart parle d’une « dictature molle », certes mais dictature tout de même.
En fait Patrick Gaboriau pense que gauche ou droite, ce ne sont plus des gouvernements qui dirigent la planète, mais le système financier. À l’échelle macro-économique les banques dirigent le monde, peu importe qui se place sur le trône du président ou du roi. Car « le néolibéralisme n’est pas seulement un système économique, de façon beaucoup plus large c’est une organisation sociale et culturelle » (soulignée par l’auteur) (p. 55). Aussi, Gaboriau est-il enclin à penser que : « contester ces règles et cette logique, c’est refuser de cautionner la puissance de l’argent et donc mettre des bâtons dans le dérailleur d’une mécanique bien huilée, et par là se voir discrédité par les milieux dominants » (p. 17). La boucle est par conséquent bouclée. Lorsque les idéologies s’affrontent, qu’y a-t-il d’autre à faire que de renforcer ses propres convictions ?
=> Normand Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, ill. de Charb, Montréal, Lux, 2006
=> Patrick Gaboriau, Les petits soldats du néolibéralisme, Paris, Ed. du Croquant, 2022 https://blogs.mediapart.fr/jean-michel-guiart/blog/180323/la-dictature-en-marche https://blogs.mediapart.fr/alexandre-lauverjat/blog/160323/macron-la-dictature-en-marche https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/histoires-politiques/histoires-politiques-du-vendredi-17-mars-2023-4042619 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/decouvrir-l-assemblee/engagements-de-responsabilite-du-gouvernement-et-motions-de-censure-depuis-1958 Publié le 17 mars 202317 mars 2023

Le tournant ontologique en anthropologie

Extrait d’une peinture de Guillaine Querrien, La vague rouge, coll. privée, Monique Selim et Pascale Phelinas, L’Harmattan, 2023

La surprise des textes d’un livre collectif est toujours un moment attendu, et pour cette livraison de l’ouvrage intitulé Devenir en régime pandémique ? sous la direction de Monique Selim, j’avoue une appréhension de l’ordre du jugement entre mon texte et celui des autres. Suis-je à la hauteur ? Ma petite contribution parmi les vingt contributions vient enrichir cette question du devenir en régime pandémique, et c’est forcément par le premier article, celui de Monique Selim elle-même qu’il faut commencer.

Disons-le tout de suite, Monique Selim appartient au courant de l’anthropologie qui considère que l’histoire sociale et politique a à voir dans l’organisation du monde et des individus entre eux. Que les rapports de domination existent et sont entretenus dans ce qu’on appelle le capitalisme qui a largement contribué à promouvoir la peur durant les deux années aujourd’hui refoulées du Covid. S’agit-il, comme beaucoup le prétendent, de défendre aujourd’hui le « confort d’une gestion libérale » (p. 13) ou bien de faire naître par une intelligence collective les moyens de faire face à ce régime pandémique « dans lequel nous nous installons mondialement » et pour lequel l’auteur pose la question de savoir s’il est « générateur de comportements délibérément réactionnaires, car avides de surprotection » p. 14). Alors que « l’extrême droite est installée en masse à l’Assemblée nationale et est désormais légitimée entièrement avec un poids politique décisif » (p. 15), « l’État en France est apparu de plus en plus comme une coquille vidée de sa substance » (ibidem). Et qu’en est-il derrière ce « climat idéologique de pacification » où règne une éthique d’État reposant sur du mensonge. 

Spécialiste de l’anthropologie féminine, Monique Selim ne manque pas d’aborder la question de la place des femmes dans un contexte de « marchés de la jouissance et de l’esthétique, où toute personne peut faire modifier son corps, en produire l’image, en acheter et vendre une partie et/ou l’entièreté, qui, nous dit-elle, font intégralement partie des processus de financiarisation du capitalisme » (p. 21). 

Mais ce qui m’a le plus intéressé dans son texte c’est les trois derniers paragraphes portant sur Latour, et consort, Descola, Ingold, Viveiros de Castro, appartenant communément à cette nouvelle branche de l’anthropologie ontologique. Ce tournant ontologique que l’auteure qualifie de « pseudo-métaphysique de l’anthropologie » (p. 27), une critique d’ailleurs adressée à Henri Lefèvre en son temps. 

L’ontologie est la branche de la philosophie qui s’intéresse à l’essence de l’être, et qui aujourd’hui s’étend aussi bien aux non-vivants qu’aux vivants. Aussi intéressant qu’il puisse paraître, notamment parce qu’il insiste sur la prise en considération des êtres dans leur nature et leur diversité, ce courant évacue totalement l’histoire sociale et politique ainsi que les déterminismes sociaux et historiques qui font la société. « Les modes ontologiques et les formes de vie remplacent dans cette optique de connaissance les organisations sociales et politiques, engloutissant l’idée même de société » (p. 28). 

En ignorant les enjeux capitalistiques, il est plus plausible de se pencher sur la transition écologique avec l’espoir qu’une technique nouvelle viendra sauver l’espèce humaine, elle-même réinvestie dans la nature, même s’il me semble que Descola modifie légèrement sa façon de penser dans son dernier livre co-écrit avec Pignocchi. Les deux hommes s’influencent peut-être mutuellement. Quoi qu’il en soit, « l’anthropologie qui s’entend comme sociale, politique et économique prend au contraire les combats écologiques contre les gouvernements comme objet et est attentive à leur dimension de plus en plus politique, transgressive et violente » (p. 28). 

Bruno Latour apparaît comme un visionnaire dont le succès « doit sans doute beaucoup à l’horizon rassurant et compensatoire qu’il dresse à portée de main : à la fois messianique, réconciliateur avec « la nature » et la plénitude vivant, rejetant la « modernité » sans renier l’archaïsme, il fait oublier la violence du régime capitaliste, financiarisé, algorithmes qui règne en maître » (p. 27).

Voilà un livre qui s’annonce bien !

=> Monique Selim et Pascale Phelinas, Devenir en régime pandémique ?, coll. Anthropologie critique, Paris, L’Harmattan, 2023

La lutte continue

Manifestation du 15 mars 2023 Toulouse

Ça y est, les 20 écoles publiques sont en suspension pédagogique pour une « banalisation » de la semaine. Des ateliers de réflexion, de prise de parole, de libération de la parole sont organisées pour permettre d’arriver à la grande question : celle des violences pédagogiques.

Alors que la bienveillance est dans toutes les bouches, un voile noir recouvre une forme d’enseignement rigide et rétrograde. Retour de la charrette, humiliations et discriminations publiques, les raisons ne sont plus limpides ni évidentes sur les motivation de telles anti-pédagogies.

Tim Ingold avance que l’anthropologie et la pédagogie ont des points communs, ne serait-ce que parce que l’anthropologie c’est aussi l’écoute de l’autre, comme l’école, « le terrain est un undercommun » —un sous-commun — « nourri par des gestes mineurs » nous dit-il. C’est un peu comme si l’on était en situation de terrain, cet espace à la fois identique et différent puisque soumis à l’observation et à l’analyse.

Avec l’effondrement du système capitaliste, que l’on ne peut pas qualifier d’effondrement soft, nous allons vers plus de manifestations diverses et variées : tempêtes extrêmes, canicules, crises économiques, disparition d’espèces, pandémies nouvelles, crises sociales et politiques, etc. Ce que nous observons cette semaine n’est qu’une manifestation de soubresauts à l’échelle de la planète. Selon toute vraisemblance, il y en aura de plus ne plus, et dans tous les domaines.

=> Reportage France 3

=> Figaro Etudiants

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