Comment j’ai failli m’étouffer

trump

Profitant des vacances (toujours les fameuses vacances des profs…), je m’apprêtais à écrire une chronique pour le Petit Journal des Profs. J’en avais choisi le thème, et je gloussais toute seule en laissant vagabonder mon imagination et en laissant affleurer les 7 ans 3/4 de mon véritable âge mental.

Le temps de laisser les idées se mettre en place tranquillement dans mon cerveau, je flânais sur la Toile, une tasse de café à la main.

Et puis, je suis tombée sur cette coupure journalistique sur le site du Monde et j’ai failli en recracher mes précieuses molécules de C8H10N4O2 (ou caféine, pour les intimes) :

Là, comme une évidence, le sujet de ma chronique a immédiatement changé de bord. Finies les gloussades sous cape, bonjour l’envie-d-avaler-des-lames-de-cutter-pour-ne-plus-lire-ce-genre-d-actualités.

Un monde parallèle ?

J’ai fermé les yeux et j’ai imaginé pendant une minute comment, dans la vraie vie, dans un monde qui ne serait pas le monde parallèle de Trump, ce type de mesure pourrait avoir des conséquences si elle était mise en place en France.

Au début, j’ai pensé que cela amènerait à poser des questions de baaaaaaase comme :

 

Est-ce que, en tant qu’enseignante, je pourrais un jour être capable d’assurer la sécurité de quiconque en utilisant une arme à feu alors que j’ai déjà du mal à comprendre comment faire des photocopies recto-verso avec le photocopieur de la salle des maîtres ?

 

Qui serait le plus à même d’assurer la « formation spéciale préalable » pour savoir utiliser une arme en milieu scolaire sachant que l’an dernier, à l’Espé, nous n’avons jamais réussi à obtenir une réponse sur la réaction à adopter face à un élève qui n’arrête pas de bavarder ?

 

Est-ce que la « formation spéciale préalable » s’imputera sur les 18 h de formation continue prévues par la circulaire 108 h ? Non, je pose la question parce que j’ai déjà fait mon quota d’anim’ péda’ pour cette année donc à un moment donné, c’est bon, y a pas de raison que j’en fasse plus, déjà que c’est toujours les mêmes qui…

 

Est-ce qu’il faudra acheter les armes en question avec la coop’ ? C’est pas de la mauvaise volonté, mais c’est-à-dire qu’on doit déjà faire attention à notre consommation de pochettes pour la plastifieuse donc…

 

Est-ce que les enseignants armés auront droit à une prime ou à des points en plus pour participer au mouvement comme lorsque on enseigne en éducation prioritaire (non je ne fais aucun lien entre le port d’armes à feu et le fait d’enseigner dans des réseaux d’éducation prioritaire) ?

 

À quelles conditions précisément un enseignant sera-t-il autorisé à faire usage de son arme ? Est-ce qu’elle poura servir – à titre dissuasif bien entendu – envers des élèves refusant de façon manifeste et réitérée de souligner la date à la règle comme demandé 278 fois par jour ?

 

J’essayais de rire (jaune certes) en imaginant les discussions houleuses en salle des maîtres pour savoir qui a pris la dernière boîte de cartouches de l’armoire du fond sans en ressortir une de la réserve.

Je me disais que, heureusement, NOUS, Français donc peuple civilisé, NOUS, qui pourrions étancher la dette de la Sécurité Sociale si nous recevions des royalties sur ce wording de ouf que sont « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme » nous serons au moins, NOUS, à même d’assurer à nos enfants, à nos élèves, le premier de ces droits : celui de vivre tout simplement.

PAR EXEMPLE en n’introduisant pas délibérément des armes à feu dans des lieux grouillant de zapprenants-de-plus-ou-moins-petite-taille.

Parce que, aux dernières nouvelles, on est trop malins, nous, les Français, non ?

Fini de rire…

Et puis, j’ai arrêté de rire quand j’ai lu cet autre article :

J’ai arrêté de rire parce que, même si je n’enseigne pas dans un de ces « établissements choisis par l’État », le décalage spatio-temporel avec les crétineries de Trump et de toute sa clique n’était soudain plus de mise. Je ne pouvais plus, gallocentriste que je suis, me réfugier derrière un dédaigneux « Crazy America ! »

Oui, évidemment, ce n’est pas la même chose que ce soit un policier plutôt qu’un enseignant qui soit armé. Oui, bien sûr, c’est le métier des policiers, leur fonction fondamentale : assurer la sécurité de tous. Oui, incontestablement, nous avons le devoir d’empêcher toute intrusion ou attaque dans les établissements scolaires.

Oki doki.

Mais, je pose ici la question quand même : est-ce que PAR HASARD on ne ferait pas en sorte d’arrêter le populisme de bon aloi en prétendant qu’un policier (oui même un policier armé !) pourrait protéger toute une école contre d’éventuels fous furieux surarmés ?

Est-ce que, alors que nous identifions dans nos « documents uniques d’évaluation des risques » les cartables mal rangés comme une source de risque de chute, nous ne pourrions pas éviter un risque d’accident mortel causé par un tir d’arme, arme qui aurait été pourtant autorisée par l’État lui-même ?

Je ne sais pas hein, mais juste, si nous pouvions nous poser collectivement la question…

 

Bref, après tout ça, le café refroidi au goût soudain insipide est resté en plan sur mon bureau.

J’ai attrapé mon clavier et je me suis mise à écrire sans réfléchir véritablement, juste en pensant à tous ceux, élèves, enseignants et autres personnels, familles, qui ne pourront jamais oublier comment flottait l’odeur âcre du sang mêlée à celle de la poudre dans un établissement d’enseignement.

Crazy world, for our children’s sake…

Une chronique de Sophie Pouille

5 réponses

  1. Billet intéressant. Trois remarques en complément :
    – je doute que, même dans un monde parallèle, vous soyez concernée par la mesure de Trump. En effet, je pense (et j’espère pour vous) que vous ne savez pas utiliser une arme à feu. La mesure que Trump souhaite mettre en place s’applique uniquement aux enseignant.e.s « adeptes de la gachette » suivant déjà un entraînement annuel. A moins que vous ne souhaitiez ajouter à la « formation spéciale préalable », le temps de formation au maniement d’une arme à feu…
    – Des points en plus pour la mutation, Trump ne le dit pas, mais il évoque une prime annuel, en effet (« yearly bonus »).
    – Je vous rejoins tout-à-fait sur vos réflexions sur la mise en place de policiers armés dans les écoles. A Parkland, en Floride, où a eu lieu le massacre, il y avait déjà 3 policiers dans le proche voisinage du lycée, mais aucun n’est intervenu. Qu’auraient-ils pu faire avec leur simple pistolet contre un individu équipé d’une arme de guerre et bien décidé à en découdre ? Voir ici : https://www.nbcnews.com/news/us-news/three-sheriff-s-deputies-remained-outside-school-during-parkland-shooting-n850946

    1. Merci pour tes remarques. Pour la dernière, oui, cela a déjà été démontré par le passé, un policier armé « normalement » et pris par surprise ne peut rien faire face à une bande de fous avec des armes de guerre. Pour compléter ton exemple, les policiers abattus par les frères Kouachi (et ce n’est qu’un exemple) en janvier 2015 en ont été les premières victimes – et cela ne remet pas en cause ni leur engagement ni leur professionnalisme…

    1. Si, tu as raison, mais fondamedntalement ce qui m’interpelle c’est ce message sécuritaire autour des établissements scolaires : quel message on envoie (que ce soit aux élèves, aux parents ou même aux policiers concernés) en mettant des policiers dans les écoles ?

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