Remise en question

Il y a maintenant une petite dizaine d’années, les difficultés que rencontraient mes élèves dans l’intégration des connaissances et surtout leurs mauvais résultats aux évaluations, m’ont amené à me poser des questions.

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Un enseignement de masse

La plus importante est sans conteste la question des objectifs poursuivis par le ministère et donc de la tâche qui m’est confiée en tant que fonctionnaire. Il devient de plus en plus net qu’une cohorte d’élèves qui entre en sixième arrivera en troisième. Ce constat a des implications fortes. Il n’y a plus de sélection et il convient d’amener le plus loin possible les élèves. C’est le fameux socle commun des connaissances et des compétences mis en place par le Décret du 11 juillet 2006. Il deviendra bientôt le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini par le décret n° 2015-372 du 31 mars 2015. Désormais, l’ensemble de ce que doit connaître et savoir faire un élève à l’issue de sa scolarité obligatoire est non seulement défini, mais devient l’objectif de formation.
En règle générale, le programme de 2008 d’histoire-géographie fait la part belle aux études de cas et développe l’idée des tâches complexes. L’analyse des sujets du brevet des collèges, ainsi que les pratiques en lycée, montrent, notamment, l’importance qui est accordée au document et à son décodage. C’est particulièrement vrai au lycée.

Un public nouveau

Il est particulièrement évident que le public que j’ai en face de moi, dans ces années-là, est devenu très différent de celui que j’avais dans les années 1990. C’est même leurs enfants ! Biberonnés aux écrans, c’est moins les fameux « hyper actifs », très souvent aussi intelligents qu’agités – et je ne parle pas ici des nouveaux TDAH –, qui dominent la classe mais des élèves incapables de se concentrer plus de trois minutes, zappant constamment et exigeant, sans aucun filtre, tout, et immédiatement. Des réponses à n’importe quelles interrogations, n’ayant de préférence aucun rapport avec le cours, le droit de sortir de la classe, de pouvoir boire et j’en passe.
Des élèves qui ont de plus en plus de difficultés à apprendre quelques phrases, quelques lignes de définition. Qui éprouvent beaucoup de mal à écouter une narration au moment ou le ministère propose un retour important à l’histoire racontée.

Un regard neuf

En parcourant les programmes d’histoire et de géographie, on trouve des formules précises comme celle-ci : « le thème ou des études de cas permettent d’éviter l’exhaustivité en se fixant sur des objets précis, afin de faire acquérir aux élèves les connaissances et les capacités qui constituent les objectifs à atteindre ». Ou bien encore : « le document peut être utilisé selon des modalités variées : simple illustration, entrée dans un thème ou fondement d’un travail critique. Les techniques de l’information et de la communication doivent, chaque fois que possible, être mises à contribution pour conduire la recherche, l’exploitation et le travail critique sur les documents ».
Il y a bien cette dernière formule : « Il convient non seulement de varier les modalités d’utilisation des documents mais aussi d’accorder une place au récit par le professeur : sa parole est indispensable pour capter l’attention des élèves grâce à un récit incarné et pour dégager l’essentiel de ce qu’ils doivent retenir ». Le déficit d’attention qui s’impose dans la plupart des classes va réduire cette partie à la portion congrue du bas-clergé ! Si le professeur n’est pas un bon conteur, il dispose de trois minutes maximum pour son récit !

Un enseignement innovant ?

Tout d’abord, il s’agit d’un terme que je récuse. Je refuse d’être un innovateur. Et d’abord, ne vous en déplaise, je n’en suis pas un.
J’ai donc privilégié le document et centré les activités des élèves sur les attendus du socle commun. En début d’heure, je propose une fiche d’exercices. Sa résolution, qui s’appuie sur le manuel, permet à l’élève de trouver tous les éléments fondamentaux de la leçon. En reliant les réponses corrigées, il a son résumé. Le vocabulaire est repris dans la fiche ou fait l’objet d’une question. Surtout, les éléments fondamentaux sont repérés. Enfin, il y a toujours une question de rédaction. En général, elle consiste à faire créer un résumé par l’élève. Ainsi, l’élève se trouve dans une position de travail pendant l’ensemble de l’heure. Je peux passer dans les rangs apporter une aide ponctuelle à ceux qui en ont besoin et donc individualiser mes apports aux élèves dans des classes de 30. En aval, la question de l’évaluation est claire et positive. L’élève dispose d’un programme de révision rédigé sous la forme « je connais, je sais faire, je sais rédiger ». Aucune surprise dans l’évaluation. Bien souvent, je montre sa forme physique : l’élève y repère un fond de carte, un texte, une image. Il peut être rassuré. D’ailleurs, pendant le contrôle, il peut venir demander un conseil, qui demeure gratuit. C’est ma version du système d’évaluation par contrat de confiance. En outre, j’ai évacué de la séance toutes les activités inutiles et chronophages, c’est ma contribution à la classe inversée.

Un petit bilan

Certes, les élèves très scolaires rechignent : où est le cours qu’il s’agit d’apprendre pour le recracher à la demande, le jour J ? Les élèves moins scolaires se piquent au jeu. Ils n’ont pas l’impression de travailler et d’apprendre. Pourtant, ils acquièrent des savoir-faire qui leur permettent d’obtenir des résultats honorables en extrayant des réponses dans les documents. Les élèves en difficultés réussissent également à tirer leur épingle du jeu, ce qui améliore un peu leur estime de soi. Mais tout n’est pas aussi rose. La courbe de Gauss des résultats a effectivement disparu, mais les élèves qui refusent de travailler en cours ne peuvent obtenir que des résultats médiocres (en général, ils ne connaissent aucune définition, aucune date, puisqu’ils refusent de mémoriser). Le système permet surtout aux élèves moyens, la tranche 8-12, de progresser. Les très bons élèves doivent être motivés autrement car l’évaluation ne leur permet pas d’être « au taquet ». D’ailleurs, certains refusent et tiennent absolument à rester au niveau demandé. Leur progression est donc moindre.
En ce qui me concerne, un des éléments les plus positifs est le travail sur l’estime de soi. Les « mauvais » élèves se trouvent en position de réussir. Certains retrouvent même un peu le sourire : ils peuvent enfin prétendre à des bonnes notes.

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

2 réponses

  1. Je vous félicite pour vos convictions et votre implication…
    Je me permets de vous recommander la lecture d’un livre porteur d’espoir et tellement enrichissant…« École : le poumon manquant de Jean-Marie Daru ». Éditions du mieux-apprendre.
    Jean-Marie Daru est parent, professeur et auteur, dans son témoignage il nous parle de la place de l’erreur à l’école et d’un nouveau souffle pour l’école. Si nous ne nous engageons pas, alors qui le fera ? Si nous ne le faisons pas maintenant, alors quand le fera-t-on ? Une école inspirante, sans poumon manquant, c’est nous et maintenant ! Ce livre a pour but d’éveiller les consciences sur un savoir-faire ébranlé par de nouvelles générations d’apprenants. Il nous interpelle face à la nécessité d’insuffler une dynamique innovante à un système scolaire boiteux âgé de 130 ans ! L’auteur nous livre à travers multiples histoires révélatrices et parfois déroutantes, son constat sur le système éducatif actuel. Il nous invite également au voyage, et explore les champs des possibles, pour tous les acteurs éducatifs en quête de sens.

    J’aime particulièrement cette citation de Confucius.
    « La vraie connaissance est de connaître l’étendue de son ignorance.».
    Aussi je constate que nos espaces institutionnels s’évertuent à répéter des pratiques stériles et productrices d’exclusions, les attentes de l’Éducation Nationale dans la normalisation d’enfants différents avec ou sans handicap ne facilitent pas le travail des enseignants. En effet, l’enseignant se doit d’appartenir à cette institution, mais en même temps il n’est pas reconnu dans les difficultés de son travail. Les enseignants sont confrontés à la réalité du terrain, l’absence d’aide et de soutien de la part de l’Éducation Nationale et le manque de reconnaissance de la difficulté de leur travail génèrent un sentiment de dévalorisation et d’échec.
    La société doit prendre en considération ces enfants différents, elle doit comprendre que ces enfants différents sont une richesse pour notre monde.
    Sandrine Marois présidente de l’association Autisme3D située à Créteil, professeur d’histoire et titulaire d’un master en science de l’éducation sur l’adaptation de la scolarisation des personnes avec autisme a souhaité partager la réflexion philosophique de mon fils qui a malheureusement connu un parcours scolaire jalonné d’obstacles.
    Voici le texte et le lien de parution sur le site : http://www.autisme3d.com/echanges-et-partages

    Pensée philosophique…
    « A l’origine, notre vie doit être vécue comme chacun la ressent, chacun possède son propre système de vie.
    Certaines personnes ont déformé ce système et l’ont transformé en un système de normalité. La normalité modifie le système propre à chacun et a entraîné un mode de survie inutile.
    Au lieu de vous laisser changer par la normalité, changez plutôt la normalité en différence et vivez comme vous êtes ».
    Evan, 13 ans en classe de 4ème…

    A méditer !

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