Introduction : les romantismes européens.

Introduction : les romantismes européens.

Introduction.

Le romantisme est identifié aujourd’hui à un mode de vie, à une mode vestimentaire, à un comportement sentimental. il sous entend des « bonnes manières », une « sensibilité » à la poésie, un caractère intellectuel synonyme d’idéalisme, d’engagement associé à une apparence particulière : cheveux au vent, chemises larges (l’apparence d’un BHL est tout à fait dans cette veine). Mais à côté à ses effets de mode, le romantisme est bien un mouvement culturel qui a marqué tous les domaines de la création littéraire et artistique et dont l’influence se prolonge à bien des égards jusqu’à nos jours. Les questions que pose le romantisme  ne sont pas tant celles d’un « style » artistique aux caractères esthétiques identifiables placé entre le néo-classicisme et le réalisme. Il n’est pas non plus une réaction, une  réponse à l’échec de la Révolution française, dans la mesure où les questions qu’il pose précèdent celle-ci et se développent dès la première moitié du XVIIIe siècle : art, nature, science, religion.

Dans sa définition nordique, il s’agit plutôt d’une nouvelle vision du monde, d’un nouveau rapport au monde, à la nature (:  une Weltansschauung c. à d. une conception du monde selon la sensibilité de chacun). Cette « réforme » esthétique et idéologique est cohérente, malgré sa diversité et ses contradictions.

 En Allemagne, en Angleterre c’est d’une nouvelle approche de l’imitation, de la mimésis qu’il s’agit non pas fidèle aux apparences mais plutôt pour mieux exprimer un nouveau rapport mystique entre artiste, art et principe fondateur de la nature (P. Wat). 

Dans sa version française, le romantisme artistique semble tourné  vers le politique et l’histoire, le rapport entre art littérature et théâtre. Il s’intègre également dans la longue querelle des Anciens et des Modernes et devient synonyme de modernité. Loin de rompre avec le grand genre (peinture d’histoire) il bouleverse le détourne au profit de nouveaux thèmes, de nouvelles représentations. Sur ce sujet lire : https://picasaweb.google.com/emmanuel.noussis/QuerelleDesAnciensEtDesModernes

Sur le plan esthétique, pendant trois siècles (du XVIe au XVIIIe) l’Antiquité avait fourni les modèles, (et souvent les sujets) dans les arts visuels. Les Académies garantissaient la transmission du canon et le goût des élites pour l’antique diffusé par l’Italie (cf. Voyage à Rome) la commande. Les frivolités du rococo ont pendant un moment marqué une pause, cherchant à sortir l’art du carcan classique imposé par le Grand Style louisquatorzien. Mais l’héroïsme et la plastique sculpturale des toiles de David, revenant à l’exemplum virtutis florentin, et les théories de Winckelmann sur la primauté de l’art grec (voir cours ici), ont réaffirmé la domination des leçons classiques. Pourtant, il semble qu’un retour en arrière soit impossible.

L’image de l’artiste désespéré devant la grandeur des ruines antiques, de Johann Füssli (Zürich, Kunsthaus, 1778-80) montre que les temps ont changé. Goethe avait senti “son âme à ce point saisie (…) que ses yeux ne voyaient plus »

Cette vision mélancolique de l’artiste , cette référence au fragment font de ce dessin une image emblématique d’un romantisme qui ne dit pas encore son nom. Ici l’artiste ferme les yeux dans une sorte d’introspection dramatique, face aux vestiges de l’art antique longtemps admiré comme modèle indépassable. Mais dans le romantisme naissant des années 1760 – 80, il s’agit de changer le regard sur la nature en favorisant ce que Friedrich appellera « L’oeil de l’esprit » qui nous rappelle « l’oeil du coeur » de Saint Augustin.Le romantisme, une relecture du platonisme ? A cette différence près, qu’il ne s’agit pas re chercher une beauté idéale  mais d’observer la nature pour en  dégager le principe originel, divin (P. Wat).

Car, avec la révolution de la science newtonienne, le rapport de l’homme à la naturese modifient profondément dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle ce qui aboutit à faire du paysage non plus un genre mineur comme avant mais le genre romantique par excellence au début du XIXe siècle.

Son approche par les musiciens (la Symphonie n° 6 dite la Pastorale de Beethoven) et par les écrivains (: J-J. Rousseau dans les Confessions et dans Julie ou la Nouvelle Héloïse, sur J-J Rousseau et le paysage lire ici, Goethe dans Les Souffrances du jeune Wertheret Edmund  Burke en Angleterre qui publie en 1757 l »Origine de nos idées du sublime et du beau » exaltant le rôle de l’imagination dans l’art. Les peintres (Loutherbourg, Samuel Palmer, Carus, Runge, C-D. Friedrich, J-M-W. Turner, J. Constable) réinventent l’approche de la nature en passant par le sentiment, la relation intime et émotionnelle fondée à la fois sur l’admiration de ses beautés et sur la crainte face à la puissance des phénomènes naturels extrêmes).

Ainsi, comme l’affirme P. Wat, on assiste à la fin du paradigme de la mimésis néo-classique, de l’imitation, poètes, artistes, peintres ou musiciens, se donnant désormais comme mission, non pas seulement de dépeindre la réalité (pensons au naturalisme scientifique et « théosophique » de C.G. Carus,

Carl Gustav Carus, Interieur de la grotte de Fingal sur l’ile de Staffa 1834, plume et aquarelle 27x32cm Dresde Cabinet des Estampes.

Ami de C. D. Friedrich et d’A.v. Humboldt, Carl Gustav Carus (1789-1869), peintre, médecin, savant naturaliste et Naturphilosoph, fut au carrefour de ce qu’on allait appeler peu après les « sciences de l’esprit » et les « sciences de la nature ».  Scientifique, il s’inscrit dans la continuité des Lumières et de son intérêt pour le vivant, mais aussi en rupture par rapport à elles, puisqu’il s’agit de redonner à cette theologia naturalis un statut dogmatique et non plus de la limiter, comme le voulait Kant, à une fonction heuristique.  Il crée un néologisme proposé dans les fameuses Neuf Lettres sur la peinture de paysage (1831), Erdlebenbild (représentation de la vie de la Terre abordée comme un organisme vivant) comme signe de la présence divine.

aux paysages de Paul Huet (1803-1869), d’abord membre de l’Ecole de Barbizon puis revenant vers le romantisme comme ici :

 

Paul Huet (1803-1869) Le gouffre, paysage 1861 Huile sur toile. H. 125 ; L. 212 cm Grand Palais (Musée d’Orsay)

mais « s’attacher plutôt à l’expression du sentiment«  comme le dit Beethoven  dans une de ses lettres, face à l’immensité des horizons infinis, à la quiétude d’une pastorale, à la « terribilité » d’une tempête, c’est à dire exprimer leur subjectvité. Pierre Wat dans la Naissance du romantisme, développe comme nous le verrons cette nouvelle mimésis romantique en rupture avec l’approche néo-classique de la nature et de l’art. Le paysage romantique  devient le genre majeur alors que dans la culture néo-classique il arrivait juste devant la nature morte.

A.  « Romantique » et « romantisme ».

1. Des débats interminables pour une définition impossible ?

« Quand je donne au banal un sens élevé, à l’ordinaire un aspect mystérieux, au connu la dignité de l’inconnu, au fini une lumière d’infini, je le romantise. » écrivait Novalis.

La première difficulté à la quelle nous sommes confrontés est que le terme « romantique » a surtout été utilisé pour la littérature ou la musique mais moins pour les arts visuels si ce n’est pour certains paysages qualifiés de « romantiques ».

Sur les définitions et les différents sens du terme voir article du Robert (extrait du Vocabulaire européen des philosophies). Lire aussi l’article Romantisme de l’Universalis, signé H. Zerner et Henri Peyre ici :

https://docs.google.com/file/d/0ByMLcNsCNGb5U3BfSEsycDlBaEU/edit?usp=sharing

Autre analyse du terme romantisme dans l’ouvrage Romantisme et réalisme d’Henri Zerner et Charles Rosen dont j’ai fait une prise de notes ici : https://docs.google.com/document/d/1yVWSE0cgxlCOOi3HIMG16–2JKIHiFU3BBVf0PEFmlg/edit

Nous y reviendrons à plusieurs reprises.

Le Dictionnaire du romantisme (dir. Alain Vaillant, CNRS éditions 2012) :

D’emblée il faut distinguer romantisme et romantique.L’adjectif désigne une nouvelle réalité artistique et littéraire, il  D’emblée il faut distinguer romantisme et romantique. 

L’adjectif désigne une nouvelle réalité artistique et littéraire, il se réfère aux œuvres. Il apparaît en Angleterre au XVIIe « romantic »  désigne la littérature médiévale française dans des ambiances gothiques ou le romanesque, le merveilleux, l’échevelé. (Mais un siècle plus tard, il devient synonyme d’éloge toujours en Grande Bretagne mais aussi en Allemagne sans quitter le domaine littéraire.)

 Il passe ensuite en Allemagne « romantisch » terme utilisé d’abord de manière péjorative en désignant des histoires sorties de l’imagination, affabulatrices et propres au roman, puis à partir de la 2e ½ du XVIIIe de manière plus positive plus moderne. Au XVIIIe siècle, romantic est employé en Angleterre pour des paysages qui évoquent des romans et souvent par opposition au « classique » français.

En France le nom « roman » s’inscrit dans une continuité avec le M-A alors que les anglais adoptent le terme « novel » qui remplaça le roman à la Renaissance et utilisent « romance » pour le pittoresque et le romanesque. Le mot anglais « romantic » est importé en France à peu près au même moment d’abord dans la traduction des œuvres de Shakespeare, puis dans les Rêveries d’un promeneur solitaire de J-J Rousseau (1782). Mme de Staël  le reprend dans son « De l’Allemagne » et en l’opposant au classicisme impérial français.

– Ainsi, en France, « romantique » est associé à la littérature anglaise ou allemande, pays ennemis d’où l’idée qu’être romantique c’est être anglophile, germanophile

Le nom « romantisme » de son côté suppose une définition théorique et une revendication esthétique. Il  naît en Allemagne, « Die romantik », dans la revue Athenœum des frères Schlegel. C’est la première esquisse d’une  approche théorique qui tente de sortir le mot du cadre formel (pittoresque, romanesque) ou thématique (le sujet médiéval). Le mot se répand ensuite en France et en Italie mais pas en Angleterre qui reste attachée à l’adjectif.

Pendant les Révolution française, les milieux intellectuels européens ont appelé de leur vœu un changement culturel qu’ils ont appelé romantique. Ce mouvement s’essouffle dans le 2e 1/3 du XIXe siècle car l’échec des révolutions et des insurrections nationales, l’industrialisation et l’apparition d’un nouveau public, sont favorables à un retour aux réalités concrètes. Mais les répercussions esthétiques sont considérables : primauté du paysage, subjectivité, remise en cause (ou « subversion » selon P. Wat) de la théorie de l’imitation (: la mimésis) néo-classique, amorcent le mouvement de la modernité. Ainsi, le romantisme n’est pas une « Renaissance, mais plutôt une « naissance » d’un art nouveau.

  Dans la Naissance de l’Art romantique, Pierre Wat insiste sur la définition difficile du romantisme : multiplicité des définitions, polysémie qui finit, selon Arthur Lovejoy (1925) par rendre l’utilisation du terme impossible, (certains historiens faisant remonter le romantisme jusqu’à Homère…). Pour Abrams historien d’Oxford dans « The miror and the Lamp », le passage du néo-classicisme au romantisme marque l’abandon de l’art comme imitation au profit d’un art d’expression. Ainsi le sentiment (y compris la perception, la pensées intime) est la source même de l’oeuvre poétique et artistique. En effet, René Welleck distingue différents traits communs aux romantiques ce qui permettrait une esquisse d’unité:

– l’imagination comme conception de la poésie

– la Nature comme vision du monde

– le symbole et le mythe en tant que conception du style poétique.

D’autres auteurs affirment  qu’il s’agit d’une sorte de révolte mélancolique face à la modernité industrielle, face au rationalisme des Lumières. Le romantisme opposerait non pas un retour au passé mais une critique de l’intérieur, une « critique moderne » de la modernité en tant qu’ordre bourgeois. JL Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe ( philosophes ) dans l’Absolu littéraire, considèrent que la définition du romantisme est impossible et la lecture du Fragment 116 dans la revue Athenaeum des frères Schlegel ainsi que de quelques autres textes d’époque semble leur donner raison :

2. Comment justement le mot est-il défini, appréhendé par les auteurs de l’époque ? 

La première véritable tentative de définition considérée comme le manifeste du romantisme date de 1798, il s’agit du Fragment 116 de Friedrich Schlegel extrait de la revue Athenaeum épicentre de l’école d’Iéna. Mais cette définition en est-elle une ?

Ce manifeste oppose pour la première fois « classique » et « romantique » qui cependant ne sont pas étanches puisque le romantisme « ouvre une perspective sur un classicisme infiniment croissant ». Dans ce fragment, la poésie romantique se rattache au roman, non plus un genre, mais une fusion de tous les genres (prose, poésie, critique, correspondance…). Ainsi les barrières entre les genres sont brisées comme entre l’art et la vie.   La poésie romantique est « éternellement en devenir » et peut finir par englober toutes les formes d’art et de vie. IL est vrai que le fameux cercle d’Iéna théorise la notion  l’inaccomplissement : une poésie en devenir, un éloge du fragment, cela signifie que la définition (donc l’essence du mot) est impossible, sans cesse différée. Les « autres genres de poésie sont arrivés à leur terme » ->  la poésie romantique est spécifiquement moderne. Il s’agit de libérer l’art et l’artiste de la tradition classique, comme la Révolution française a libéré l’homme de l’Ancien Régime, afin d’arriver une forme supérieure de classicisme. C’est une inversion du paradigme antérieur des renouveauxoù les formes d’art supérieures succédaient aux œuvres fausses ou barbares. De surcroît, jamais un mouvement n’avait ambitionné poétiser ou « romantiser » la vie même. La théorie romantique s’est évertuée vers 1790 – 1800  de séparer les barrières entre l’art et la vie. Pour le premier cercle romantique, celui de l’Iéna, les deux principales formes d’expression étaient le roman et le fragment. Elles s’attaquaient à l’intégrité de l’œuvre et des genres classique : le roman par la fusion des genres, le fragment parce qu’il échappait à toute hiérarchie ou classification des genres. Les Pérégrinations de Franz Sternbald (1798) de Ludwig Tieck ( : un élève imaginaire de Dürer quitte son vénéré maître pour entreprendre une sorte de voyage imaginaire  combinant à la fois la Nature « plus puissante que l’Art » (: forêts décrites avec minutie comme des tableaux, montagnes) et des villes souvent associées à de grands peintres : Lucas de Leyde mais aussi Rome où il étudie les monuments, les fresques. Quand l’apprenti apprend la mort de Raphaël en 1520, il s’interroge : Mais Dürer va mourir ? Non ! Un grand artiste est immortel !). Une œuvre qui a connu un grand succès auprès des peintres allemands. Ce type d’œuvres  échappait à toute classification : entre autobiographie, poésie lyrique, drame, histoire et conte de fées. – Le fragment n’est pas une œuvre incomplète ; Schlegel le définit dans l’Athaeneum : « Un fragment devrait être comme une petite œuvre d’art, complète et parfaite en soi, séparée du reste de l’univers comme un hérisson ». Un oxymoron donc à la fois séparé du monde quand il se sent menacé, en se mettant en boule, mais dans une forme qui n’est pas franchement délimitée puisque les épines rendent la forme de la sphère incertaine. Au tournant du XIXe la vogue du fragment touche à la fois littérature (des milliers de petites observations spirituelles sont publiées par des écrivains) et arts. Mais le fragment artistique, le goût des ruines, de l’esquisse, les effets picturaux qui laissent apparaître les touches du pinceau précèdent la littérature. Complet et inachevé à la fois, le fragment est aussi en même temps métaphore et métonymie. La première déplace la signification vers un autre élément, par comparaison, la deuxième utilise la partie pour signifier le tout (« chercher un toit » à la place de « chercher une maison »). D’autres historiens comme Roman Jakobson distinguent la métaphore plutôt utilisée par le romantisme de la métonymie plutôt utilisée par le réalisme. Mais le romantisme a plutôt été en fusion avec le réalisme. En France, le romantisme est surtout synonyme de modernité, de rupture avec un art dépassé hérité du classicisme.

Musset dénonce  l’attirance bourgeoise pour l’art du passé.

« (…) Notre siècle n’a point de formes. Nous n’avons donné le cachet de notre temps ni à nos maisons, ni à nos jardins, ni à quoi que ce soit. On rencontre dans les rues des gens qui ont la barbe coupée comme du temps d’Henri III, d’autres qui sont rasés, d’autres qui ont les cheveux arrangés comme ceux du portrait de Raphaël, d’autres comme du temps de Jésus-Christ. Aussi les appartements des riches sont des cabinets de curiosités ; l’antique, le gothique, le goût de la Renaissance, celui de Louis XIII, tout est pêle-mêle. Enfin nous avons de tous les siècles, hors du nôtre, chose qui n’a jamais été vue à une autre époque ; l’éclectisme est notre goût ; nous prenons tout ce que nous trouvons, ceci pour sa beauté, ceci pour sa commodité, telle autre chose pour son antiquité, telle autre pour sa laideur même ; en sorte que nous ne vivons que de débris, comme si la fin du monde était proche. (…)»

Ce constat de Musset, dans la Confession d’un enfant du siècle (1836), est sans appel. Curieusement, il n’emploie pas le terme « romantique » pour désigner l’art mais plutôt les « allées et les grottes » d’une « forêt romantique »(Ch. IV). Il dénonce l’absence d’un art moderne et la propension à se tourner vers les styles du passé. Mais il a aussi raillé la polysémie, et finalement le flou, qui régnait autour du mot dans, Lettres de Dupuis et Cotonet, œuvre amusante mais un peu vulgaire, (satire de deux bourgeois provinciaux pétris d’ambitions culturelles) publié en 1836, qui offre un résumé ironique de l’évolution du mouvement romantique en France depuis Stendhal (Racine et Shakespeare) jusqu’aux années 1830 :

«  On s’en est fort occupé ici ; mais nous n’ avons jamais pu apprendre clairement, ni mon ami Cotonet ni moi, ce que c’était que le romantisme, et cependant nous avons beaucoup lu, notamment des préfaces (…)

Je vous disais que nous ne comprenions pas ce que signifiait ce mot de romantique (…) vers 1824, ou un peu plus tard, je l’ ai oublié ; on se battait dans le journal des débats . Il était question de pittoresque , de grotesque, du paysage introduit dans la poésie, de l’histoire dramatisée, du drame blasonné, de l’art pur, du rythme brisé, du tragique fondu avec le comique, et du Moyen-âge ressuscité.

Nous crûmes d’ abord, pendant deux ans, que le romantisme, en matière d’ écriture, ne s’ appliquait qu’au théâtre (…) Mais on nous apprend tout à coup (c’ était, je crois, en 1828) qu’il y avait poésie romantique et poésie classique, roman romantique et roman classique, ode romantique et ode classique ; que dis-je ? Un seul vers, mon cher monsieur, un seul et unique vers pouvait être romantique ou classique, selon que l’envie lui en prenait.

Quand nous reçûmes cette nouvelle, nous ne pûmes fermer l’œil de la nuit (…) et il faut vous dire, monsieur, qu’ en province, le mot romantique a, en général, une signification facile à retenir, il est synonyme d’ absurde, et on ne s’ en inquiète pas autrement. Heureusement, dans la même année, parut une illustre préface que nous dévorâmes aussitôt, et qui faillit nous convaincre à jamais. Il y respirait un air d’assurance qui était fait pour tranquilliser, et les principes de la nouvelle école s’y trouvaient détaillés au long. On y disait très nettement que le romantisme n’était autre chose que l’alliance du fou et du sérieux, du grotesque et du terrible, du bouffon et de l’horrible, autrement dit, si vous l’aimez mieux, de la comédie et de la tragédie. Nous le crûmes, Cotonet et moi, pendant l’espace d’une année entière.

Il nous arriva sur ces entrefaites un journal qui contenait ces mots : « La poésie romantique fille de l’Allemagne …».  mon ami, dis-je à Cotonet, je crois que voilà notre affaire ; le romantisme, c’est la poésie allemande ; Mme De Staël est la première qui nous ait fait connaître cette littérature, et de l’apparition de son livre date la rage qui nous a pris. Achetons Goëthe, Schiller et Wieland ; nous sommes sauvés, tout est venu de là. Nous crûmes, jusqu’ en 1830, que le romantisme était l’imitation des allemands, et nous y ajoutâmes les anglais sur le conseil qu’on nous en donna (…)

De 1830 à 1831, nous crûmes que le romantisme était le genre historique, ou, si vous voulez, cette manie qui, depuis peu, a pris nos auteurs d’ appeler des personnages de romans et de mélodrames Charlemagne, François Ier ou Henri IV, au lieu d’ Amadis, d’ Oronte, ou de saint-Albin (…)

De 1831 à l’année suivante, voyant le genre historique discrédité, et le romantisme toujours en vie, nous pensâmes que c’était le « genre intime », dont on parlait fort (…)

De 1832 à 1833, il nous vint à l’esprit que le romantisme pouvait être un système de philosophie et d’économie politique. En effet, les écrivains affectaient alors dans leurs préfaces (que nous n’avons jamais cessé de lire avant tout, comme le plus important) de parler de l’avenir, du progrès social, de l’humanité et de la civilisation ; mais nous avons pensé que c’ était la révolution de juillet qui était cause de cette mode, et d’ ailleurs, il n’ est pas possible de croire qu’il soit nouveau d’ être républicain (…)

De 1833 à 1834, nous crûmes que le romantisme consistait à ne pas se raser, et à porter des gilets à larges revers, très empesés. L’année suivante, nous crûmes que c’était de refuser de monter la garde. L’année d’après, nous ne crûmes rien, Cotonet ayant fait un petit voyage pour une succession dans le midi, et me trouvant moi-même très occupé à faire réparer une grange que les grandes pluies m’ avaient endommagée.

Il nous offre à la fois un aperçu des effets de mode, du caractère mouvant de la définition devenue impossible, et des divers sujets associés au mouvement : romantisme associé au paysage, au fragment (« un seul vers »), à l’individu créateur et à l’importance de la perception individuelle des oeuvres, le goût des artistes et poètes romantiques pour le mélange des genres. Une définition donc déjà impossible ? Pourtant, le romantisme est au coeur de très vifs débats qui ressuscitent la Querelle des Anciens et des Modernes.

Une image d’époque semble résumer à elle seule les querelles qui ont accompagné l’arrivée du romantisme en France, notamment à l’occasion du Salon de 1827.

Eva Bouillo, (Paris Ouest) dans Le Salon de 1827, classique ou romantique ?

Salon de 1827. Entreront-ils, n’entreront – ils pas ? Grand combat entre le Romantique et le Classique a la porte du musée, gravure.

sous la restauration, le Salon 1 était le moyen privilégié pour les artistes français et étrangers de se faire connaître et pourquoi pas d’être exposé ensuite au Luxembourg. Entre 1824 date du Salon précédent et 1827 les artistes se revendiquant du romantisme sont plus nombreux mais la définition reste problématique comme le montrent plusieurs commentaires et critiques qui hésitent à classer tel ou tel artiste dans un des courants (ou « écoles »). Le contexte littéraire, où les prises de position se multipliaient depuis Stendhal dès 1823 avec Racine et Shakespeare jusqu’à Hugo un mois après l’ouverture du Salon dans la Préface de Cromwell, et le choix des oeuvres par le jury favorisaient aussi ce climat. de confrontation. Hugo prône l’abandon des formes classiques, le mélange des genres, le refus de la mimésis et l’éloge du sublime, du grotesque et du laid. La Préface de Victor Hugo pour Cromwell (1827) constitue en effet un des points d’orgue de cette bataille littéraire et artistique. Véritable pamphlet contre le classicisme il contribue à faire du romantisme le mouvement par excellence de la modernité en faisant du drame théâtral un art total. La première d’Hernani (1830) est l’occasion d’un affrontement virulent entre classiques et romantiques (Gautier, Berlioz, Nerval, Balzac…).

Mais, selon Eva Bouillo, le Salon de 1827 marque une rupture majeure dans l’histoire de l’art romantique : l’étude des articles de presse, de la critique et surtout du choix et de l’accrochage des oeuvres (3/4 du total : peintures) témoigne d’une affirmation nette du mouvement par rapport au Salon de 1824. Pour la première fois en 1827, des décors, des projets pour des grandes manifestations officielles sont proposés et témoignent des tendances de l’art officiel. Là aussi, il semble que le romantisme opère une percée. La critique recense une trentaine d’artistes catalogués « romantiques » beaucoup plus qu’en 1824 justement. Les chefs de file cités sont Delacroix, Sigalon, et Champmartin suivis par des disciples les plus appréciés Horace Vernet, Devéria, Boulanger, Delaroche, Isabey, Scheffer.

Quels critères permettent de classer les artistes dans le mouvement romantique en 1827 ?

Vérité, Originalité, liberté. On voit bien ici l’originalité du romantisme français et en même temps l’indéfinition, la subjectivité des critères.

C’est justement contre ce goût éclectique et ce flou que Baudelaire s’est également élevé en proposant une définition du romantisme qu’il assimile à la modernité (voir « Qu’est-ce que le romantisme ?« ).

QU’EST-CE QUE LE ROMANTISME ?

Peu de gens aujourd’hui voudront donner à ce mot un sens réel et positif; oseront-ils cependant affirmer qu’une génération consent à livrer une bataille de plusieurs années pour un drapeau qui n’est pas un symbole? Qu’on se rappelle les troubles de ces derniers temps, et l’on verra que, s’il est resté peu de romantiques, c’est que peu d’entre eux ont trouvé le romantisme; mais tous l’ont cherché sincèrement et loyalement.

Quelques-uns ne se sont appliqués qu’au choix des sujets; ils n’avaient pas le tempérament de leurs sujets. – D’autres, croyant encore à une société catholique, ont cherché à refléter le catholicisme dans leurs œuvres. – S’appeler romantique et regarder systématiquement le passé, c’est se contredire. – Ceux-ci, au nom du romantisme, ont blasphémé les grecs et les romains : or on peut faire des romains et des grecs romantiques, quand on l’est soi-même. – (…) Le romantisme n’est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir. 

Ils l’ont cherché en dehors, et c’est en dedans qu’il était seulement possible de le trouver.

Pour moi, le romantisme est l’expression la plus récente, la plus actuelle du beau.

Il y a autant de beautés qu’il y a de manières habituelles de chercher le bonheur.

La philosophie du progrès explique ceci clairement; ainsi, comme il y a eu autant d’idéals qu’il y a eu pour les peuples de façons de comprendre la morale, l’amour, la religion, etc., le romantisme ne consistera pas dans une exécution parfaite, mais dans une conception analogue à la morale du siècle. C’est parce que quelques-uns l’ont placé dans la perfection du métier que nous avons eu le rococo du romantisme, le plus insupportable de tous sans contredit. Il faut donc, avant tout, connaître les aspects de la nature et les situations de l’homme, que les artistes du passé ont dédaignés ou n’ont pas connus.

Qui dit romantisme dit art moderne, – c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts.

Il suit de là qu’il y a une contradiction évidente entre le romantisme et les œuvres de ses principaux sectaires. Que la couleur joue un rôle très important dans l’art moderne, quoi d’étonnant? Le romantisme est fils du nord, et le nord est coloriste; les rêves et les féeries sont enfants de la brume. L’Angleterre, cette patrie des coloristes exaspérés, la Flandre, la moitié de la France, sont plongées dans les brouillards; Venise elle-même trempe dans les lagunes. Quant aux peintres espagnols, ils sont plutôt contrastés que coloristes. En revanche le midi est naturaliste, car la nature y est si belle et si claire que l’homme, n’ayant rien à désirer, ne trouve rien de plus beau à inventer que ce qu’il voit : ici, l’art en plein air, et, quelques centaines de lieues plus haut, les rêves profonds de l’atelier et les regards de la fantaisie noyés dans les horizons gris. Le midi est brutal et positif comme un sculpteur dans ses compositions les plus délicates; le nord souffrant et inquiet se console avec l’imagination et, s’il fait de la sculpture, elle sera plus souvent pittoresque que classique. Raphaël, quelque pur qu’il soit, n’est qu’un esprit matériel sans cesse à la recherche du solide; mais cette canaille de Rembrandt est un puissant idéaliste qui fait rêver et deviner au delà. L’un compose des créatures à l’état neuf et virginal, – Adam et Ève; – mais l’autre secoue des haillons devant nos yeux et nous raconte les souffrances humaines.

Cependant Rembrandt n’est pas un pur coloriste, mais un harmoniste; combien l’effet sera donc nouveau et le romantisme adorable, si un puissant coloriste nous rend nos sentiments et nos rêves les plus chers avec une couleur appropriée aux sujets !

Avant de passer à l’examen de l’homme qui est jusqu’à présent le plus digne représentant du romantisme, je veux écrire sur la couleur une série de réflexions qui ne seront pas inutiles pour l’intelligence complète de ce petit livre.

 Baudelaire, extrait du Salon de 1846.

Ce texte fondamental est extrait des critiques du Salon de 1846 (clic pour avoir le texte intégral), un des deux textes majeurs dans l’ensemble des Écrits sur l’art du poète. Il s’agit d’une définition a posteriori du mouvement artistique qui touche petit à petit à sa fin. Véritable vade mecum esthétique à usage du nouveau public de l’art qui se presse au Salon, les critiques de 1846 invitent les « bourgeois » à une éducation du regard, un nouvel « art de voir » selon l’expression de Stendhal dans l’Histoire de la peinture en Italie de 1817, texte beaucoup plus utilisé par Baudelaire que les critiques de Diderot très peu citées. Car Stendhal avait en effet dès les années 1817 -1824 défini les contours de l’art romantique (in Critique amère du Salon de 1824 :

« Être romantique, c’est dédaigner les filiations consacrées, transgresser les interdits formels, ignorer les poétiques qui oppriment l’esprit et brident le génie, c’est choquer les habitudes, oser innover pour proposer des œuvres vivantes, en prise directe sur les urgences et les problèmes du jour : « Le romantique dans tous les arts, c’est ce qui représente les hommes d’aujourd’hui, et non ceux des temps héroïques si loin de nous, et qui probablement n’ont jamais existé »

Baudelaire est moins catégorique qu’il n’y paraît sur l’opposition néo-classique – romantique.

Baudelaire reformule l’équation de Stendhal : romantique égale moderne et définit précisément le terme comme «l’expression la plus récente et la plus moderne de la beauté ». Cela signifie, que face à l’idéal classique de la beauté que les artistes doivent chercher dans l’imitation des Anciens (comme le préconise Winckelmann : lire cours de Khâgne ici) Baudelaire oppose un idéal de beauté moderne : 

 « Le nu, cette chose si chère aux artistes, cet élément nécessaire de succès, est aussi fréquent et aussi nécessaire que dans la vie ancienne : au lit, au bain, à l’amphithéâtre. Les moyens et les motifs de la peinture sont également abondants et variés. mais il y a un élément nouveau qui est la beauté moderne ». 

A l’héroïsme néo-classique il oppose celui de la « vie moderne » et à l’artiste néo-classique qui imite les anciens il oppose l’artiste romantique qui observe la nature. C’est donc dans l’opposition romantique – néo-classique que Baudelaire établit sa théorie esthétique du romantisme mais en reprenant à son compte parfois des arguments de Winckelmann comme le rôle du climat  chaud et ensoleillé qu’utilisait ce dernier pour expliquer l’art grec. De même, il tente de créer une filiation entre le père des néo-classiques David et le romantique de Delacroix en excluant Ingres. Cette filiation n’est pas tant esthétique (la ligne rigoureuse de David s’oppose au coloris fougueux de Delacroix) mais plutôt idéologique. David est avant tout le peintre de la Révolution. Pour rapprocher, assez artificiellement, les deux artistes il se sert surtout de l’idéalisation.

L’analyse du Marat assassiné de David par Baudelaire suit deux axes : l’idéalisation et la modernité.

Jacques Louis David, Marat assassiné, huile sur toile de 165 sur 128 centimètres. Vendu par les héritiers de David au Musée des beaux arts de Bruxelles.

Le divin Marat, un bras pendant hors de la baignoire et retenant mollement sa dernière plume, la poitrine percée de la blessure sacrilège, vient de rendre le dernier soupir. Sur le pupitre vert placé devant lui sa main tient encore la lettre perfide : « Citoyen, il suffit que je sois bien malheureuse pour avoir droit à votre bienveillance ». L’eau de la baignoire est rougie de sang, le papier est sanglant : à terre gît un grand couteau de cuisine trempé de sang : sur un misérable support de planches qui composait le mobilier de travail de l’infatigable journaliste, on lit : « A Marat, David ». Tous ces détails sont historiques et réels, comme un roman de Balzac ; le drame est là, vivant dans sa toute lamentable horreur, et par un tour de force étrange qui fait de cette peinture le chef-d’œuvre de David et une des grandes curiosités de l’art moderne, elle n’a rien de trivial ni d’ignoble. Ce qu’il y a de plus étonnant dans ce poème inaccoutumé, c’est qu’il est peint avec une rapidité extrême, et quand on songe à la beauté du dessin, il y a là de quoi confondre l’esprit. Ceci est le pain des forts et le triomphe du spiritualisme ; cruel comme la nature, ce tableau a tout le parfum de l’idéal. Quelle était donc cette laideur que la sainte Mort a si vite effacé du bout de son aile ? Marat peut désormais défier l’Apollon, la Mort vient le baiser de ses lèvres amoureuses, et il repose dans le calme de sa métamorphose. Il y a dans cette œuvre quelque chose de tendre et de poignant à la fois ; dans l’air froid de cette chambre, sur ces murs froids, autour de cette froide et funèbre baignoire, une âme voltige. Nous permettrez-vous, politiques de tous les partis, et vous-mêmes, farouches libéraux de 1845, de nous attendrir devant le chef-d’œuvre de David ? Cette peinture était un don à la patrie éplorée, et nos larmes ne sont pas dangereuses.

Baudelaire, Le musée classique, 1846

 Il s’agit de la capacité de l’artiste de métamorphose spirituelle de la figure du mort afin de transcender la réalité et atteindre une beauté d’un  ordre très différent de celui de Winckelmann (référence à Apollon, donc au beau idéal antique). La nudité de Marat pourrait faire croire à la proximité avec la théorie de Winckelmann. Mais ce nu est placé dans une baignoire dans un contexte qui n’a rien à voir avec l’antiquité. Cette idéalisation est cependant moderne malgré une esthétique classique : le sujet, la manière de le traiter en témoignent. Le sujet moderne, en plus en rapport avec la révolution suffit pour attirer l’admiration du poète romantique. Marat est le symbole de l’héroïsme de la vie moderne que Baudelaire appelle de ses voeux.

Si l’art romantique ne bénéficie pas à cette époque d’une définition précise, l‘image du poète ou de l’artiste romantique est elle bien présente :

Anonyme, Le romantique, lithographie 1825 Musee Carnavalet.

Vision caricaturale du poète romantique (peut-être Chateaubriand comme semble l’indiquer la coiffure), ayant le goût du Moyen Age plutôt que celui de l’antique (ruine gothique), l‘amour de la nature sauvage (rocher, paysage), préférant la solitude (les deux personnages se tournent le dos) qui favorise les envols de l’imaginaire et la rêverie ou le cauchemar nocturne (les chauve-souris sont allusion aux « idées noires » et au goût du fantastique débridé). La présence des livres enfin et le costume noir évoquent le poète romantique perdu dans ses mots, vivant avec les textes, loin des préoccupations matérialistes de son temps (Révolution industrielle et domination des valeurs bourgeoises d’utilité et de profit). Le livre auquel il faudrait ajouter la presse, incarne aussi le nouveau rapport individuel à l’art et à la littérature, opposé aux salons artistiques et littéraires aristocratiques de l’Ancien Régime. La lecture individuelle est une forme de retrait du monde, de pratique solitaire correspondant à l’homme qui pense en silence. Les Rêveries du promeneur solitaire (Rousseau) et le Portrait Sir Brooke Boothsby (éditeur des Dialogues de Rousseau), peint par Joseph Wright of Derby en 1781.

 Joseph Wright of Derby (1734-1797), Sir Brooke Boothby, 1781, huile sur toile, 231 x 174cm   Tate Britain, London.

Si l’attitude pensive, mélancolique, sensible du lecteur solitaire est conforme à la leçon de Rousseau sur l’émotion et le sentiment, le paysage idyllique en revanche, vision rousseauiste de la Nature primitive, est très loin de la face menaçante et ténébreuse de cette même Nature que le mouvement romantique voudra représenter plus tard. L’avant gardiste romantique aime à se distinguer, à se séparer de la société en exprimant son indépendance et en adoptant des attitudes de lassitude mélancolique et des tenues vestimentaires distinctives comme les « Primitifs », les Nazaréens aux cheveux longs et aux vêtements fluides, les femmes habillées à la Marie Stuart que l’engouement médiéval avait remis au goût du jour.

Voir : « Primitifs » de l’atelier de Davidhttp://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=955

Mais cette image du « romantique » rêveur, tourmenté et retiré du monde, correspond-t-elle à une réalité ?

Le Moine au bord de la mer de Caspar David Friedrich est-il l’image du poète romantique ? Ici la solitude prend une dimension mystique, métaphysique, théologique beaucoup moins présente dans l’esprit des romantiques français car la France a connu une forte déchristianisation à partir du milieu du XVIIIe siècle accentuée par la révolution française. Caspar David Friedrich Moine au bord de mer 1808–10 Huile sur toile 110 cm × 171,5 cm Alte Nationalgalerie, Berlin, Allemagne.

Mais le poète, et spécifiquement le peintre romantique, n’est-il pas aussi un homme de son temps quand il s’engage dans les « combats du siècle » pour la liberté comme Byron en Grèce et Delacroix en France ?

B. Le romantisme dans l’histoire de l’art.

La fin du XVIIIe et la première moitié du XIXe siècle est une période culturelle très féconde  sur les plans artistique et intellectuel, qui a touché une bonne partie  des grands pays européens sans se limiter aux arts visuels et l’architecture, bien au contraire. S’il y a des domaines où le terme « romantique » est le plus approprié c’est bien la musique, la littérature et surtout la poésie mais on ne peut pas parler d’un « style romantique » dans les arts visuels ni d’une période précise de l’histoire de l’Art pouvant s’insérer entre néoclassicisme en amont et réalisme en aval. Baudelaire tente une définition esthétique en assimilant romantisme et colorisme mais qui ne résiste pas à l’analyse.

Il s’agit malgré tout de comprendre ce phénomène dans sa pluralité (ses déclinaisons à la fois individuelle et nationale). 

Les bornes chronologiques.

Elles méritent discussion tant en amont qu’en aval d’autant plus que les déclinaisons nationales multiplient les périodisations.

En France p. ex. les deux dates communément admises : 1815 – 1848 correspondant à la Restauration et à la Monarchie  Juillet. (voir plus loin). Or, un artiste comme Antoine-Jean Gros (1771-1835), pourtant élève de J-L.David, le maître initiateur du néo-classicisme français, est par certains aspects déjà un romantique, par exemple dans sa série de grands tableaux de la légende napoléonienne, une peinture d’histoire monumentale jadis réservée aux sujets antiques et désormais appliquée aux événements contemporains.

Antoine Jean Gros, Napoléon à la Bataille d’Eylau en 1807. 1808, huile sur toile, 521 x 784 cm. Musée du Louvre. 

Tableau de commande sur des instructions très précises de Dominique Vivant Denon directeur du Louvre, la Bataille d’Eylau est une oeuvre de propagande (comme celle qui l’a précédée Napoléon visitant les Pestiférés de Jaffa) qui par certains aspects plastiques annonce les grandes compositions romantiques de Géricault et de Delacroix. La peinture d’Histoire ne s’intéresse plus uniquement aux grandes figures du passé, elle tire ses sujets de l’actualité et les traite de manière à la fois réaliste (il fallait montrer le « carnage » ce que Gros traite par l’amoncellement des corps au premier plan, la folie qui s’empare d’un soldat le tout dans un paysage mélancolique enneigé) et conforme aux prescriptions de la commande (image d’un empereur à l’attitude compassionnelle indistinctement laissant à Murat l’attitude guerrière sur son cheval caracolant).

Lire plus de détails :

http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=62

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/napoleon-sur-le-champ-de-bataille-deylau-le-9-fevrier-1807

Courbet ou le passage du romantisme au réalisme.

Vers la fin de la période, au milieu du siècle, Gustave Courbet (1817-1877), le premier peintre « réaliste » à se revendiquer comme tel, il prolonge à bien es égards le romantisme, dont il est l’héritier (notamment dans ses paysages, ses autoportraits, dans sa volonté de transcrire la réalité selon sa propre vision et surtout par l’admiration qu’il porte aux deux grands « maîtres » romantiques (Géricault et Delacroix), tout en annonçant l’impressionnisme.

Gustave Courbet (1819-1877) L’homme blessé Entre 1844 et 1854 Huile sur toile H. 81,5 ; L. 97,5 cm Grand Palais (Musée d’Orsay)

Tableau romantique à plusieurs titres :

Fusion des genres : paysage (influence vénitienne), autoportrait (Rembrandt), l’artiste se travestit en duéliste blessé, ambiguité : mort ou sommeil ? Blessure physique ou blessure psychique ? (le tableau a changé de sujet trois fois : jeune femme allongée, jeune couple (l’artiste et sa compagne, homme blessé (déception amoureuse, la compagne étant partie avec un fils jamais reconnu par Courbet). Enfin, l’idée du fragment de réalité qui contient la totalité de l’être est également présente.

(voir :

http://www.franceinter.fr/emission-un-musee-dans-l-oreille-l-homme-blesse-de-gustave-courbet-1844-1854

http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/recherche/commentaire/commentaire_id/lhomme-blesse-134.html?no_cache=1

Brochure : Exhibition et vente de quarante tableaux et quatre dessins de l’oeuvre de Gustave Courbet. Paris 1855. L’avant-propos de cette brochure accompagnant son exposition personnel du pavillon du Réalisme en marge de l’Exposition universelle de 1855 – vendue 10 centimes – s’intitule « Le Réalisme ». Ce texte a souvent été considéré comme un manifeste du Réalisme mais il laisse entrevoir quelques caractéristiques essentielles du romantisme :

« Le titre de réaliste m’a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. Les titres en aucun temps n’ont donné une idée juste de choses : s’il en était autrement les oeuvres seraient superflues. Sans m’expliquer sur la justesse plus ou moins grande d’une qualification que nul, il faut l’espérer, n’est tenu de bien comprendre, je me bornerai à quelques mots de développement pour couper court aux malentendus. J’ai étudié, en dehors de tout esprit de système et sans parti pris, l’art des anciens et des modernes. Je n’ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres : ma pensée n’a pas été davantage d’arriver au but oiseux de « l’art pour l’art ». Non! J’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité. Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Etre à même de traduire les moeurs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation, être non seulement un peintre, mais comme un homme, en un mot faire de l’art vivant, tel est mon but ».

Ce texte, mieux que tout autre, exprime le refus de l’artiste moderne à s’intégrer dans un système de références artistiques (ce qui rejoint la définition ouverte du romantisme par Schlegel) et l’aspiration à exprimer sa subjectivité, son propre regard  (un des caractères principaux du romantisme.) mais sur son époque,  Alors, Courbet était-il un romantique ? Un réaliste ? L’un et l’autre à la fois ? L’esprit d’école est étranger aux artistes romantiques.

Delacroix (1778-1863), lui même considéré comme le peintre de génie du romantisme français, disait « Je suis un pur classique ». D »ailleurs Baudelaire l’appelait « le dernier des renaissants, le premier des modernes ».

Tous les peintres majeurs entre 1800 à 1850 sont qualifiés de romantiques. De quoi donc brouiller les pistes. Cette difficulté à inscrire le romantisme dans une période précise est renforcée par la multiplicité des « centres » de l’expression romantique en Europe (Allemagne et Angleterre d’abord, puis France, Espagne et Italie) et par les décalages dans le temps qu’elle induit. Ainsi, le thème du programme nous invite explicitement à raisonner à l’échelle européenne mais il paraît difficile d’embrasser la quasi totalité du continent sans se disperser.

Seuls quelques artistes allemands se revendiquent du romantisme en rapport avec les théories de Schlegel : Runge, Friedrich, Carus.

Je commencerais par l’approche la plus audacieuse :

-> Robert Rosenblum et les temps longs. La « foi inquiète en la fonction de l’art » des écoles du Nord : de Ruisdael à Rothko.

Robert Rosenblum dans la préface à la première édition anglaise de Peinture Moderne et tradition romantique du Nord (1978) insiste justement sur ce décentrement par rapport au poids écrasant de Paris (école ou domine la conception de l’art pour l’art) dans la généalogie de l’art moderne (de Géricault et Delacroix à Picasso) afin d’inscrire des artistes comme Mondrian ou Rothko dans une filiation romantique « nordique » fondée sur une « foi inquiète en la fonction de l’art ».

Dans la première partie de l’ouvrage, Rosenblum place deux tableaux pour marquer les deux extrémités de sa période (grosso modo du début de XIXe siècle au aux années 1950 -1960) afin de montrer cette filiation prolongée du romantisme jusqu’au XXe siècle.

La première est Moine au bord de la mer de Caspar David Friedrich (1809) :

Caspar David Friedrich Moine au bord de mer 1808–10 Huile sur toile 110 cm × 171,5 cm Alte Nationalgalerie, Berlin, Allemagne.

Mark Rothko Green over blue 1956 huile sur toile 228×161 cm University of Arizona Museum of art

Qu’est-ce qui rapproche ces deux tableaux ?
Le premier fut montré pour la première fois à l’académie de Berlin à l’automne 1810 et déconcerta le public par son originalité.  Une amie de Friedrich lui reprochait l’absence de sujet, un sentiment angoissant de vide, comme si le sujet était le « rien ».
Le Rothko laissa lui aussi les spectateurs sans voix, une image du néant. Le parallèle peut être fait pour démontrer la « pseudomorphose » définie par Panofsky comme une  apparition fortuite à différents moments de l’Histoire de l’art d’oeuvres ayant des analogies formelles  étroites alors qu’elles sont très éloignées par la période et par la signification. Ou alors la similitude formelle révèle-t-elle des préoccupations proches chez les deux artistes : intention, sensibilité voire la volonté de Rothko de poursuivre une tradition qui remonterait aux paysages évanescents d’un Turner que Friedrich est en train d’inventer ici.
Rosenblum tente en effet d’établir une généalogie entre les peintres romantiques du premier XIXe siècle et les premiers artistes contemporains comme Jackson Pollock et ses tourbillons dynamiques d’une énergie abstraite, Marc Rothko et ses étendues statiques dématérialisées, Barnett Newman et ses recherches pour une peinture mystique puisant sa spiritualité dans les civilisations primitives et Clifford Still un des initiateurs de l’expressionnisme abstrait. La manière de Turner d‘isoler  des éléments primordiaux de la Nature,  lumière, énergie, matière élémentaire, a-t-elle un lien avec les vocabulaires abstraits de Rothko, le perpetuum mobile de Pollock ou Still.
Une marine ? Une peinture de genre ?
Difficile de classer cette peinture de Friedrich ce qui en principe suffirait à cette époque pour la qualifier de « romantique », donc une marine issue de la tradition hollandaise du Siècle d’Or comme les tableaux de Ruisdael. Ces marines comprenaient des détails anecdotiques : bateaux, des personnages placés sur le rivage. Ces oeuvres auraient pu fournir à Friedrich des modèles. Mais il n’y a rien qui rapproche cette vue de la mer aux paysages de bord de mer hollandais du XVIIe.
Jacob Ruisdael (qu’admirait John Constable)  Tempête avec bateaux a voile vers 1668 huile sur toile 50 x 63 cm Musée Thyssen Madrid.
Ici des personnages, des bateaux alors que Friedrich s’en désintéresse, même s’il a vécu vécu au bord de la Mer Baltique au début de sa carrière et s’est inspiré par les motifs marins : ciel, côte, mer, bateaux.
Pourtant Moine au bord de la mer est très étrange, mélancolique avec cette dense étendue ininterrompue, à la lumière sombre bleu gris, à l’horizon bas et en l’absence de tout élément conventionnel d’une marine. On trouve donc ici une image marquée par l’angoissante vision du néant dans sa profondeur auquel est confrontée l’unique figure solitaire. Vide audacieux, sans objet, sans détails anecdotiques, au ciel infini d’un gris morne qui cache pourtant la première idée de l’artiste visible aux rayons X : bateaux sur la mer dont un se détache même sur l’horizon. Il les a supprimés laissant le moine seul devant l’abîme. L’artiste abandonne le contenu empirique (l’observation du réel) au profit d’un contenu symbolique :
Un paysage « enveloppé de brume paraît plus vaste, il anime l’imagination et renforce l’attente semblable à une fille voilée » écrivait Friedrich.
Pourquoi un moine ? Un tableau plus ancien nous donne la réponse.
Richard Wilson Solitude vers 1762 huile sur toile 142.1 x 210.1 cm 
Un moine à gauche dans ce paysage mélancolique (saules pleureurs). Monde de contemplation du paysage, d’ascetisme mais ce tableau paraît bien artificiel et impersonnel comparé au tableau  de Friedrich rempli de mystère religieux car justement il exprime le glissement vers le thème de la démesure de l’Univers que l’individu doit affronter.
 Cependant, le vide de Friedrich n’est pas une abstraction.

Le paysage, genre romantique par excellence, doit se débarrasser du sujet, de l’anecdotique, pour exprimer un nouveau rapport à la Nature marqué par le sentiment, par une sorte de nouveau mysticisme chez Friedrich, la recherche de l’énergie cosmique de la matière et de l’air chez Turner, les nuances de la lumière chez Constable.

A l’occasion de la grande exposition de 1978 sur la Peinture romantique allemande, Alain Montandon (professeur de littérature comparée à l’Université de Clermont-Ferrand) signe un article tout à fait intéressant (voir ici) dans lequel il évoque en termes élogieux l’ouvrage de Rosenblum qui révolutionnait à cette époque (fin des années ’70) l’approche du romantisme dans les arts visuels. Plutôt que prendre comme point de départ la littérature et les oppositions thématiques traditionnelles entre romantisme allemand et romantisme français, Rosenblum se sert d’aspects formels et des conceptions de l’art propres aux artistes du Nord et qui se perpétuent jusqu’à l’art contemporain du XXe siècle.

Dans ce même article, Montandon critique la conception de cette exposition intitulée « La peinture allemande à l’époque du romantisme » et non pas « la peinture romantique », risquait de créer la confusion sur la définition même  de l’oeuvre romantique dans la mesure où des paysages héroïques de Joseph Anton Koch (<-clic) (sur le paysage héroïque voir définition de Roger de Piles)  cohabitent avec ceux, romantiques et sacralisés de Friedrich qui, comme toute l’école romantique  allemande fait de l’oeuvre d’art une « fenêtre ouverte sur l’invisible ». 

Joseph Anton Koch, Paysage héroïque avec arc-en-ciel, 1815, huile sur toile 188x171cm. Munich Newe Pinakothek.
…Le style héroïque est une composition d’objets qui dans leur genre tirent de l’art et de la nature tout ce que l’un et l’autre peuvent produire de grand et d’extraordinaire. Les sites en sont tout agréables et tout surprenants : les fabriques n’y sont que temples, que pyramides, que sépultures antiques, qu’autels consacrés aux divinités, que maisons de plaisance d’une régulière architecture, et si la nature n’y est exprimée comme le hasard nous la fait voir tous les jours, elle y est du moins représentée comme on s’imagine qu’elle devrait être. Ce style est une agréable illusion et une espèce d’enchantement quand il part d’un beau génie et d’un bon esprit, comme étant celui de Poussin, lui qui s’y est si bien exprimé. Mais ceux qui voudront suivre ce genre de peinture et n’auront pas le talent de soutenir le sublime qu’il demande courent souvent le risque de tomber dans le puéril…
Roger de Piles Cours de peinture par principes (textes réunis en 1766). 
Sur cette exposition, voir catalogue (CDI) : Peinture allemande à l’époque du romantisme. Orangerie des Tuileries, 25 octobre 1976 – 28 février 1977. Paris : éd. des Musées nationaux, 1976.
Dans Naissance du romantisme (édition Poche champs Flammarion, 2013), Pierre Wat, (membre du jury ENS) affirme le caractère incertain des définitions et questionne le concept en se focalisant sur les pays où il a connu son plus grand développement, la Grande Bretagne et l’Allemagne.
Mais il se place davantage dans une optique d’histoire culturelle plutôt qu’en historien de l’Art. Même quand il parle des artistes comme les peintres Turner, Constable, Friedrich, Runge, Carus (médecin) c’est en insistant sur les liens de leur vision du monde et de la Nature avec celle des grands poètes et écrivains : Novalis, Schlegel, Hölderlin mais aussi avec les sciences naturelles et la Physique qui se développent au XVIIIe. Son corpus est davantage textuel que visuel car il a pris le parti d’étudier davantage  les écrits des artistes que leurs oeuvres. Loin d’opposer modernité scientifique fondée sur le rationalisme des Lumières et soit disant anti-modernité romantique, comme on le voit souvent, Pierre Wat rappelle l’influence des progrès scientifiques sur la vision du monde de ces artistes romantiques.
Plus précisément, P. Wat avance la thèse d’une stratégie romantique de « subversion » de la théorie classique de l’imitation dans les arts (la mimésis). Les artistes romantiques ont refusé tout esprit de système ouvrant les possibilités esthétiques sans pour autant renverser l’ancien système classique fondé sur le beau idéal. D’où le terme de subversion. Il s’agit de détourner des règles classiques pour la transformer en expression individuelle. La finalité est ce qu’il appelle l’ambition romantique : réévaluer l’art pictural et plus généralement la culture pour les sortir du désenchantement qu’a provoqué la science newtonienne. Il s’agit bien de créer un « Art Nouveau », un art absolu en rapport avec la nature et les profondeurs de l’âme humaine. l’art romantique, dit P. Wat est la fusion de la nature, de l’artiste et de la peinture là où le néoclassicisme prônait les écarts : mimésis, idéal et réel, écarts de la hiérarchie des êtres, écarts entre genres, écart entre l’idéal de beauté des anciens et le moderne…
Dans son compte rendu de lecture paru le dans le Monde (22/09/2012) , Philippe Dagen reconnaît l’ouverture de l’historien de l’Art vers le monde des idées :

« Le mérite de Wat est de suivre et d’analyser la spéculation sans oublier la tonalité. Il y a dans son livre des études attentives de l’anti-newtonisme de Blake, de la conception de la couleur selon Goethe (clic ici), puis selon Runge, de celle de la perspective par Turner. Il introduit l’optique, la météorologie, la physiognomonie, sciences et pseudo-sciences dont le développement affecte la perception du réel. Dans ces parties, il livre les éléments d’une histoire intellectuelle qui ne sépare pas théorie et expérimentation, lecture et peinture. Turner, quand il prononce à la Royal Academy ses conférences sur la perspective, a en tête l’ouvrage de Thomas Malton Sr., A complete Treatise on Perspective in Theory and Practice, publié en 1775. Constable, qui suit de l’oeil les métamorphoses incessantes des cieux et de la lumière, a lu et annoté les Researches about atmospheric Phaenomena de Thomas Forster, parues en 1813, ainsi que l’ouvrage de Luke Howard, The Climate of London, deduced from meteorological Observations. »

  Runge cité par P. Wat écrit en 1802, dans une lettre en 1802 :

« Il m’est difficile de croire que renaisse un art dont la beauté égale le sommet de l’art historique avant que toutes les oeuvres pernicieuses d’une époque récente ne soient anéanties ; il faudrait emprunter une voie radicalement nouvelle que l’on voit déjà assez nettement tracée devant nous et peut-être viendrait alors le temps où pourrait revivre un art véritablement beau, et cette voie est celle du paysage. »

On voit bien que le romantisme est loin de constituer un nouveau canon stylistique. C’est plutôt d’une nouvelle vision de l’art et du monde qu’il s’agit fondée sur l’observation, l’expérimentation dont le résultat importe moins que la recherche comme le dit Schlegel  qui s’oppose à ceux qui « croient trouver la forme parfaite de la philosophie dans l’unité systématique » alors qu’« elle n’est rien d’autre qu’un  « chercher »  et « non-trouver »  « infinis ».

Le romantisme : un art de la sensibilité fondé sur la primauté du sentiment.

Pour Gombrich, le romantisme est une « rupture dans la tradition » (voir chapitre 24 de son Histoire de l’Art). Dans le domaine de la peinture et de la sculpture, la rupture romantique a été favorisée par la pratique des expositions régulières, le public se substituant progressivement aux quelques amateurs d’art éclairés qui passaient commande aux artistes.

Est-ce parce que pour la première fois « l’art pouvait s’approprier les forces de la religion, en devenant le véhicule d’expériences mystiques ou surnaturelles » comme le disait Robert Rosenblum dans la préface de l’édition française (1996) de son ouvrage majeur : Peinture Moderne et tradition romantique du Nord ?

Ou est-ce parce qu’on assiste à partir du milieu du XVIIIe siècle et surtout au début du XIXe à l’« invention du sentiment » selon l’expression choisie pour le titre de l’exposition d’avril – juin 2002au Musée de la musique ? Dans le catalogue de cette exposition plurielle (musique, peinture, arts graphiques…) on peut lire sous la plume de François Calori (p. 29) que vers la fin du XVIIIe siècle s’affirme une approche de l’oeuvre d’art par le goût (que certains assimilent au sentiment) qui consiste à privilégier l’immédiateté de l’émotion sans pour autant renier la rationalité classique.

Romantisme et fusion des arts.

« La nature est […] un instrument de musique dont les sons (…) sont les touches des plus hautes cordes en nous »
(Novalis)
Une des grandes caractéristiques du romantisme allemand est d’avoir tenté d’élaborer une nouvelle théorie des arts (voir cours suivant sur l’esthétique romantique) autour du concept d’oeuvre d’art totale et de l’union des arts, c’est à dire une réflexion sur les relations antre différentes formes d’expression artistique, notamment à travers l’approche synesthésique des arts. Dans l’article De l’esthétique à la poïétique interartistique, brève généalogie d’une démarche créatrice (lire l’article ici), Victoria Llort Llopart , CNRS groupe de recherche Transpositions) analyse la relation entre littérature et arts, en particulier la musique et la peinture au XVIIIe siècle. L’instrument de musique, l’univers musical d’un compositeur ou d’une pièce et les sentiments provoqués   chez l’auditeur, s’intègrent dans la narration (par exemple le piano chez George Sand) comme d’ailleurs l’oeuvre picturale (Le chef d’oeuvre inconnu de Balzac, 1831).
Voici comment Rousseau définissait le rapport entre musique et image :
La Musique sembleroit avoir les mêmes bornes par rapport à l’ouïe ; cependant elle peint tout, même les objets qui ne sont que visibles : par un prestige presque inconcevable, elle semble mettre l’œil dans l’oreille, et la plus grande merveille d’un Art qui n’agit que par le mouvement, est d’en pouvoir former jusqu’à l’image du repos. La nuit, le sommeil, la solitude et le silence entrent dans le nombre des grands tableaux de la Musique. […] L’art du Musicien consiste à substituer à l’image insensible de l’objet celle des mouvements que sa présence excite dans le cœur du Contemplateur. Non-seulement il agitera la Mer, animera la flamme d’un incendie, fera couler les ruisseaux, tomber la pluie et grossir les torrents ; mais il peindra l’horreur d’un désert affreux, rembrunira les murs d’une prison souterraine, calmera la tempête, rendra l’air tranquille et serein, et répandra de l’Orchestre une fraîcheur nouvelle sur les Bocages. Il ne représentera pas directement ces choses, mais il excitera dans l’âme les mêmes mouvements qu’on éprouve en les voyant.
Rousseau, Dictionnaire de musique (1764) in Œuvres complètes, vol. V, Gallimard, Paris, 1995, pp. 860-861.
Rousseau multiplie les « images mentales » de paysages – visions que nourrit l’écoute de la musique, pourtant art abstrait par excellence.

Sur le « génie wagnérien » et ses relations avec les artistes en France, voir Histoire par l’image :

http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=932

et une page spéciale de France culture : http://www.franceculture.fr/2013-08-08-wagner-et-la-france-difficile-contrepoint

Au-delà du sentiment, existe-t-il une esthétique romantique ?

En effet, existe-t-il un art romantique, c’est à dire un mouvement qui s’insère entre le néo-classicisme héritier des Lumières du XVIIIe et le réalisme qui s’impose à partir des années 1850 ? Les historiens de l’art sont divisés sur la question.

L’attitude et les idées des artistes, des écrivains telles qu’elles apparaissent dans les oeuvres et les critiques d’art n’incitent pas aux oppositions stylistiques simplificatrices. Longtemps on a opposé le souci de la ligne, du dessin, le fini du pinceau chez les néo-classiques, celui de la couleur posée à la brosse, du « non finito » et de l’esquisse chez les romantiques.

– L’idéal de beauté et le sujet antiques des premiers ont été opposés à la modernité du sujet (y compris historique) des seconds.

– La Renaissance classique fondée sur les arts du dessin comme référence d’un art absolu issu du raphaélisme et conservé par les Académies d’un côté, l’exubérance baroque, le ténébrisme, le colorisme vénitien de Titien, la touche libre d’un Rubens ou d’un Rembrandt de l’autre.

D’un côté David maître absolu de la peinture européenne à la fin du XVIIIe, et son successeur attitré Ingres (moins académique cependant qu’il n’apparaît voir proportions du corps dans certains portraits ou dans l’Odalisque), exprimant dans leurs tableaux ce  que Winckelmann admirait le plus dans la sculpture grecque classique ( : IVe – Ve siècles av. JC) : la « noble simplicité et sereine grandeur ».

Jean Auguste Dominique Ingres, Portrait de Madame Rivière,  1806, huile sur toile, 116x90cm, Musée du Louvre.

(voir analyse de l’oeuvre sur le site du Louvre ici) Jeune élève de David et pensionnaire de l’Académie de Rome, Girodet (1767-1824) peint ici un tableau à la charnière entre néo-classicisme et romantisme. La beauté du berger, endormi depuis trente ans car puni par Junon, qui se réveille grâce au rayon lumineux de la lune envoyé par Diane et facilité par Zéphyr écartant les branches de laurier, donne l’occasion de figurer un nu académique.

De l’autre, Géricault (sorte d’étoile filante de la peinture, aussi éphémère qu’inclassable), puis Delacroix exprimant eux aussi la grandeur mais de manière fougueuse, héroïque, tourmentée, et farouchement opposée à l’ordre néo-classique.

Les « portraits » de la main de Géricault sont des exemples de « fragments anatomiques » qu’il affectionnait particulièrement.

La première aux accents de vanité, est présentée comme un tableau normal (composition, lumière…) selon l’habitude de l’artiste.

Théodore Géricault Etude de main attrapant une grosse mouche, huile sur bois, 0.255 x 0.374 m. Bayonne, musée Bonnat.

La deuxième est une esquisse académique exécutée peu avant sa mort (1824). Son réalisme blafard et mélancolique devient l’image même du désespoir du jeune artiste face à la maladie qui l’affaibli et le ronge.(maladie vénérienne ?).

Théodore Géricault (1791-1824), La main gauche de l’artiste, 1823, Crayon noir, lavis de sanguine, crayon bleu – 23 x 29,7 cm Paris, collection particulière.

Les références historiques elles mêmes faites par les artistes, les architectes et bien sûr les écrivains et les poètes, ne concourent-elles pas également à opposer l’esprit néo-classique tourné vers une « Antiquité rêvée » alors que l’esprit romantique serait plus attiré par un Moyen Age sublimé préférant les héros de l’histoire immédiate aux héros des temps homériques ou de la Rome antique ?

Au salon de 1841, Delacroix propose un tableau d’Histoire qui a beaucoup impressionné le public et les critiques

E. Delacroix, Entrée des croisés à Constantinople ou Prise de Constantinople par les croisés. 1840, huile sur toile 411 x 497 cm Paris, Louvre.
(longue analyse de M. Butor ici : http://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/delacroix/entredescroisesdansconstantinople.htm

L’argument tel qu’il est présenté dans le Livret du Salon :

« Baudouin, Comte de Flandre, commandait les Français qui avaient donné l’assaut du côté de la terre, et le vieux doge Dandolo, à la tête des Vénitiens, et sur ses vaisseaux, avait attaqué le port; les principaux chefs parcourent les divers quartiers de la ville, et les familles éplorées viennent sur leur passage invoquer leur clémence. »

Un des textes les plus célèbres provoqués par ce tableau est celui de Charles Baudelaire dans son compte-rendu de l’Exposition universelle de 1855:

« Parmi les grands tableaux il est permis d’hésiter entre la Justice de Trajan et la Prise de Constantinople par les Croisés. La Justice de Trajan (aujourd’hui au Musée de Rouen, voir ici) est un tableau si prodigieusement lumineux, si aéré, si rempli de tumulte et de pompe ! L’empereur est si beau, la foule, tortillant autour des colonnes ou circulant avec le cortège, si tumultueuse, la veuve éplorée si dramatique! Ce tableau est celui qui fut illustré jadis par les petites plaisanteries de M. Karr, homme au bon sens de travers, sur le cheval rose; comme s’il n’existait pas des chevaux légèrement rosés, et comme si, en tous cas, le peintre n’avait pas le droit d’en faire.

Mais le tableau des Croisés est si profondément pénétrant, abstraction faite du sujet, par son harmonie orageuse et lugubre! Quel ciel et quelle mer! Tout y est tumultueux et tranquille, comme la suite d’un grand événement. La ville, échelonnée derrière les Croisés qui viennent de la traverser, s’allonge avec une prestigieuse vérité. Et toujours ces drapeaux miroitants, ondoyants, faisant se dérouler et claquer leurs plis lumineux dans l’atmosphère transparente! Toujours la foule agissante, inquiète, le tumulte des armes, la pompe des vêtements, la vérité emphatique des gestes dans les grandes circonstances de la vie! Ces deux tableaux sont d’une beauté essentiellement shakspearienne. Car nul, après Shakespeare, n’excelle comme Delacroix à fondre dans une unité mystérieuse le drame et la rêverie. »

Si Delacroix semble confirmer la tendance de Baudelaire à faire pencher le romantisme du côté du coloris et de la touche libre, d’autres artistes hésitent, se place à ma croisée des deux mouvements. C’est le cas p. ex. de Anne-Louis Girodet :

Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, Le Sommeil d’Endymion, 1791, huile sur toile, 198×261 cm. Musée du Louvre.

Enfin, on a pu relever la contradiction entre une propension mélancolique, nostalgique un penchant pour le sensible et le sentimental, l’individuel (cf. Confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset) chez les romantiques qui aurait succédé à la recherche d’idéal artistique et politique du néo-classicisme et qui précéderait l’intérêt pour la société. Cette opposition romantique – néo-classique rejoint les couples antinomiques d’une Histoire de l’Art à la manière de Heinrich Wölfflin qui voit dans toutes les périodes artistiques l’opposition entre :

– colorisme et dessin,

– baroque et classique : chaque période classique (ordre,harmonie) serait suivie par une période de libération de la forme.

– réalisme ou naturalisme et idéalisation…

L’ouvrage de P. Wat (Naissance du romantisme) ainsi que celui de Lebensztejn (L‘Art de la tache, Introduction à la nouvelle méthode d’Alexandre Cozens) dont nous parlerons lors des exposés sont fondamentaux sur ce thème.

Un autre ouvrage tente une approche originale afin d’arriver à une définition sur des critères esthétiques :

Jean Clay, Le romantisme (Hachette, 1980)

Conformément aux prescriptions de Baudelaire, l’auteur refuse l’entrée par le sujet, ni par la « vérité exacte », mais préfère aborder le mouvement par la « manière de sentir « en partant d’aspects purement plastiques qui forment la trame du livre. Jean Clay tente de montrer qu’il existe bel et bien une originalité plastique du romantisme. L’ouvrage s’organise justement autour de termes picturaux : aplat, ligne, flou, couleur, assemblage. Il se réfère également à une phrase de Walter Benjamin : 

« Depuis le romantisme seulement, l’idée s’est imposée qu’une oeuvre d’art pourrait être saisie dans sa nature véritable dès lors qu’on la contemple pour elle même, indépendamment à la théorie ou la morale et qu’elle pourrait suffire de ce regard ».

En effet, dans la pensée classique, l’art et  le discours sont soumis à un objectif qui leur est extérieur (par exemple l’imitation de la nature, instance supérieure)  alors que chez les romantiques ils forment un domaine autonome. Le tableau est donc abordé pour lui même sans référence à tel ou tel programme politique ou religieux. Jean Clay tente donc de créer des « séries » d’oeuvres   afin de mettre en évidence les principaux traits de la signification et de la construction des oeuvres. Il part du postulat que la spécificité, et la modernité, de la peinture romantique  résident dans ses constituants matériels, dans la forme et la manière dont elle est questionnée dans un « devenir » perpétuel (comme l’art poétique selon Friedrich Schlegel dans Athenaeum).

Quoi qu’il en soit, l’époque du romantisme marque un nouveau rapport entre l’art et la nature ainsi qu’aux oeuvres d’art.

 En effet, le contexte de création, d’exposition et d’approche des oeuvres d’art est bouleversé au XVIIIe siècle comme l’explique Pascal Griener, professeur à l’Institut d’histoire de l’art et de muséologie de l’Université de Neuchâtel :

http://www.youtube.com/watch?v=zQAVU_z650Q&feature=player_detailpage

On peut affirmer que le modèle de la mimésis est abandonné et même inversé, c’est elle qui imite l’art, elle est perçue à travers le prisme de l’art (peinture, poésie, littérature de voyage). Ce renversement trouve un terrain de prédilection dans le paysage qui a dès le XVIIIe été associé au mot « romantic ».  L’expérience romantique se réfère davantage à des tableaux qu’à la littérature. Certes, la peinture se réfère comme avant à la littérature (il n’y a qu’à voir le nombre de tableaux sur des textes littéraires, notamment la poésie et le théâtre : Shakespeare, Milton) mais la littérature aussi s’intéresse aux tableaux.

Le roman à succès de Ludwig Tieck Les pérégrinations de Franz Sternbald (Franz Sternbalds Wanderungen, 1798), un assistant de Dürer qui entreprend une sorte de voyage imaginaire et  initiatique d’apprenti artiste en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie, à Rome, où le voyage s’achève brutalement, met souvent en scène la Nature, « plus puissante que l’Art ». Ses  forêts sont décrites avec minutie comme des tableaux, ainsi que les montagnes et les villes, notamment celles associées à de grands peintres comme Lucas de Leyde, Metsys, mais aussi Raphaël à Rome où il étudie les monuments, les fresques. L’oeuvre de Tieck a connu un grand succès, notamment auprès des peintres allemands. Ce type d’œuvres  échappait à toute classification : entre autobiographie, poésie lyrique, drame, histoire et conte de fées.

Les toiles peintes par Sternbald (Pérégrinations..., Ludwig Tieck) ne sont pas uniquement des épisodes ou des anecdotes au cœur du récit, des digressions, des prétextes pour des exercices d’ekphrasis, mais constituent des formes d’aboutissement de son parcours d’apprentissage, chaque toile étant à la fois le lieu de dévoilement d’une conception esthétique ainsi qu’un événement romanesque. La première toile de Sternbald, qu’il peint à l’église de son village natal, constitue le « premier degré d’initiation à un art autre que celui appris dans les ateliers de Nuremberg ». Il s’agit d’un tableau religieux, sûrement de style proche du mouvement nazaréen, et bien qu’il s’agisse d’une Annonciation, c’est le paysage qui l’intéresse.

Le paysage romantique est une expérience à la fois picturale et littéraire : cf. poèmes des Lakistes (district des Lacs écossais) : William Wordsworth, Samuel Taylor Coleridge, dont les Ballades lyriques constituent le point de départ du romantisme britannique.

Un paysage typique de la région des Lacs en Ecosse dans la Langdale Valley :

La Complainte du vieux marin est un des poèmes les plus connus de ce recueil ici illustré par Gustave Doré :

Voici les thématiques poétiques selon Wordsworth. la nature et le paysage y tiennent bonne place :

« Le poète se distingue d’abord des autres hommes par une plus grande promptitude à penser et à ressentir sans éprouver d’excitation immédiate, et aussi par sa faculté d’exprimer de la même manière les pensées et les sentiments qui l’animent. Cependant, ces passions et ces pensées sont les passions, les pensées et les sentiments qui animent tous les hommes. Et à quoi se rapportent-elles ? Sans le moindre doute à nos sentiments moraux et à nos sensations primitives […], aux fluctuations des éléments et aux différents aspects du monde sensible, avec ses tempêtes, ses ensoleillements, la mutation des saisons, le froid, la chaleur, la perte d’amis et de parents, la blessure et le ressentiment, la gratitude et l’espoir, la crainte et le chagrin. »

 De la poésie inspirée de la nature à la peinture naturaliste.

Les paysages de Constable qui sont une forme d’esthétisation de la nature constituent le pendant pictural de la poésie de Wordsworth et Coleridge :

John Constable, La Cathédrale de Salisbury vue des terres de l’évêque. 1823. Huile sur toile 87,6 x 111,8 cm. Metropolitan, New York

John Constable, La cathédrale de Salisbury vue des prairies. 1831, huile sur toile, 152 x 190 cm. Londres. National Gallery.

Mais Constable se place en observateur du ciel qui contrairement à l’artiste néo-classique qui corrige la nature, il obéit à la nature. Il prône une éducation du regard au contact de la nature et en particulier du ciel. Son naturalisme se veut scientifiquement juste comme ici où il décrit des phénomènes précis : arc an ciel, nuages, orage. Mais la finalité de sa peinture n’est pas scientifique. C’est une sorte de journal intime météorologique car pour lui le ciel était à  la fois la base de l’échelle du paysage et surtout du sentiment que lui avait procuré l’observation : il date et localise toutes les études.  La cathédrale souligne ici la présence de « l’architecte divin » comme il disait dont il cherche à révéler les lois qui structurent la nature.

Mais le romantisme est aussi une plongée dans les abîmes de l’âme humaine une différence fondamentale avec la Renaissance même si celle ci s’est aussi intéressée aux sorciers, aux « hérétiques ». Une pulsion de mort caractérise l’art pictural de Géricault ou de Goya comme la poésie de Novalis, de Léopardi, de Goethe dont les Souffrances du jeune Werther (1774) aboutissent au suicide du jeune amoureux en témoignent. William Blake et surtout Francisco Goya sont sans doute les artistes les plus représentatifs de l’imaginaire, le premier comme artiste – prophète visionnaire, le second comme peintre hanté par des visions cauchemardesques.

« Pour occuper mon imagination mortifiée dans la considération de mes maux, et pour compenser en partie les grandes dépenses qu’ils m’ont occasionné, je me suis consacré à la peinture d’un jeu de tableaux de cabinet, dans lesquels j’ai réussi à faire des observations que l’on ne peut faire dans les œuvres de commande où le caprice et l’invention n’ont pas leur place »

La peinture comme remède à l’imagination mortifère. Cette conception de l’art aboutit en 1799 aux Caprices et plus tard aux peintures noires sur les murs de sa maison de Madrid en 1819.

Voir :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Los_Caprichos

Mouchards. N° 48 des 80 eaux fortes des Caprices.

On pourrait ajouter un artiste moins important mais qui a beaucoup impressionné ses contemporains :

John Martin et ses visions d’architectures fantastiques dans l’anti-monde inspirées du poème de John Milton (Le Paradis perdu, XVIIe) :  Le Pandémonium, lieu où Satan réunit tous les démons.

John Martin, Le Pandemonium, 1841, huile sur toile, 123 x 185 cm, Musée du Louvre.

Quelle périodisation ?

Comme pour la Renaissance, le mouvement s’amorce dès 1750 – 1760 et se prolonge bien après 1850.  Sur cette question lire l’introduction du Dictionnaire du Romantisme (sous la dir. d’Alain Vaillant, CNRS, 2012)  : Une chronologie à géométrie variable pp. XVII-XX). L’auteur parle de « phases » du romantisme mais au sens large, en tant que mouvement culturel global :

Les ouvrages les plus récents revisitent la traditionnelle triple séquence : romantisme -> réalisme -> symbolisme. Si l’on considère que le romantisme est une sorte de rêve de fusion entre le fantasmatique, l’idéel  et le matériel, entre le concret brut et la représentation abstraite, il s’agit à l’issue de ce mouvement de définir la part respective de chaque tendance : où placer le curseur du réel et de l’imaginaire ? Le réalisme aurait opté pour la fascination du réel, sorte de volonté exacerbée de le scruter pour en tirer des émotions esthétiques. Inversement, le symbolisme tendait vers un intellectualisme poussé à l’extrême qui récuse l’utilitarisme et le matérialisme modernes. Ainsi l’échec du romantisme dans sa tentative d’équilibre entre ses deux penchants contradictoires  aurait provoqué la succession des deux tendances dans le temps après 1850 : d’abord le réalisme poussant vers le réel (1850-> impressionnisme) , puis le symbolisme tourné vers l’idéel (années 1870-1890 y compris Gauguin).

D’après, Dir. Alain Vaillant, Dictionnaire du romantisme.

Dans le catalogue de l’exposition : Les années romantiques, la peinture en France entre 1815 et 1850, (voir aussi une autre critique dans Libération)  on voit que l’année 1815, début de la Restauration, est choisie comme date de départ alors que 1850 est la date souvent présumée du début du réalisme (Un enterrement à Ornans) et par conséquent de la fin du romantisme. Mais le propos de cette exposition (limitée exclusivement aux peintres français)  n’était pas tant de définir le romantisme et ses limites chronologiques mais de raisonner en termes de « génération » d’artistes au lendemain des temps révolutionnaires (marqués par la figure de David), mais aussi de perpétuation du « davidisme » et de prolongement romantique chez le premier Courbet. Cette exposition organisée comme un Salon en classant les tableaux par genre, met cependant en valeur la fusion de genres romantique. Les commissaires ont choisi le terme « années romantiques » dans l’intitulé de l’exposition dont les oeuvres sont classées par période politique : Restauration, Monarchie de Juillet, Seconde République. C’est un parti pris historiciste mais qui n’hésite pas à intégrer les remises en cause récentes : « il n’existe pas de style romantique au sens où ce mot définirait un langage commun » peut-on lire dans la présentation de l’exposition.

Werner Hoffmann, dans Une époque en rupture 1750 – 1830 (Coll. L’Univers des formes, Ed. Gallimard, 1995), fait débuter le processus qui mène des Lumières au romantisme vers 1750 avec la rupture du néo-classicisme (: un nouveau rapport à l’antique fait de nostalgie pour un âge d’or révolu mais aussi d’une approche historique du « corpus » des oeuvres antiques exprimée dès le début du XVIIIe siècle en Angleterre et affirmé de manière exemplaire par Winckelmann dans son ouvrage Histoire de l’art chez les anciens en 1764 ).

Il l’achève vers 1825 – 1830 avec la mort de Goya, de Goethe de Frédéric Schlegel, une chronologie discutable, nous le verrons. Selon lui, il s’agirait d’une véritable rupture artistique, au même titre que la Renaissance. Cette rupture est « picturale » car elle remet en cause le point de vue unique sur le monde sensible imposé par la perspective monofocale depuis les primitifs italiens et prône le retour à la polyfocalité médiévale et au regard levé vers le ciel (ou l’imaginaire) opposé à la terre mesurable (« commensurable ») incarnée par la perspective. Hoffmann parle de « désintégration » de l’art pictural par la multiplication d’approches artistiques individuelles qui sont autant de coups portés au canon académique. La Révolution française n’aurait fait que faciliter davantage ce mouvement en plaçant  l’individu dans une nouvelle temporalité, un nouveau rapport à l’histoire, en l’ancrant dans l’Aujourd’hui, le temps de l’histoire en marche.

L’intérêt nouveau pour le médiéval (et singulièrement le gothique « forme vinante » selon Blake) le « gothic revival » s’exprime pour lui aussi la première fois avec la transformation du Strawberry Hill dès 1750 (en pleine vogue de palladianisme) par son propriétaire Horace Walpole (1717-1797), homme politique, esthète et écrivain qui affirmait :

 » Il convient d’avoir du goût pour apprécier les beautés de l’architecture grecque ; la passion suffit pour bien sentir le gothique »

«Strawberry Hill» par William Marlow, 1776-1780.

«La bibliothèque à Strawberry Hill», vers 1781, par Edward Edwards (1738-1806). Lewis Walpole Library, Université de Yale. La cheminée s’inspire des décorations de Westminster.

Par ce retour au gothique Horace Walpole inaugure un nouveau rapport au « style » : le choix du style de l’édifice est une affaire individuelle, on choisit le style comme on le fait pour n’importe objet décoratif. Lassé par les villas palladiennes, Walpole se tourne vers l’héritage médiéval britannique.

Cependant, ce « gothic revival »était associé à la persistance des références classiques à la Renaissance et à l’antiquité, en Angleterre grâce au Comte de Caylus (1692-1765) (ami de Walpole) et son ouvrage majeur, le Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises, publié en sept volumes entre 1752 et 1767, également en Allemagne grâce à Winckelmann qui ravive l’intérêt pour l’art grec antique au détriment de Rome. Le « gothic revival » va de pair avec le « greek revival ».

Le cas le plus emblématique de cette double sensibilité dit Hofmann est le prince Léopold de d’Anhalt-Dessau qui demanda à son architecte von Erdmannsdorff de construire dans son parc de Wörlitz un château palladien et une maison gothique (voir photos ici).

Cette rupture aurait favorisé l’émergence de l’individualité de l’artiste par opposition au canon académique ainsi que la pluralité des approches d’un même genre, sans véritable hiérarchie (scène d’histoire y compris contemporaine, nouvelle peinture de paysage, la scène de genre ou le portrait), en ayant toujours recours au sentiment (« le romantisme est dans la manière de sentir » disait Baudelaire) : passion, plaisir, émotion, mélancolie, nostalgie,  (voir exposition L’invention du sentiment) comme seule expression de la vérité dans l’art et comme force motrice du rapport à la nature. Cette révolution s’oppose à l’artificialisation excessive, prônée à la fois par les académies à la recherche du beau idéal et par le rococo privilégiant l’effet à la vérité et à la simplicité. Mais ce mouvement ne concerne pas spécifiquement l’art. Il a d’ailleurs été initié par la littérature.

Chronologie et géographie internes du romantisme (Dictionnaire…)

Alain Vaillant dans l’introduction du Dictionnaire...distingue trois phases principales, chacune correspondant d’abord à un contexte national avant de se diffuser en Europe

La 1e vague est essentiellement allemande, dès 1798 – 1800 autour du cercle d’Iéna et de la revue Athenæum.  puis elle se diffuse en Europe du Nord essentiellement.  En Angleterre on aura deux vagues successives : Les Lyrical ballads          « Ballades lyriques » sont un recueil de poèmes de William Wordsworth et Samuel Taylor Coleridge, publié pour la première fois en 1798, et généralement considéré comme ayant marqué le début du mouvement romantique anglais en littérature.

La 2e vague du romantisme européen se situe entre 1820 et 1830. Elle correspond à la chute de l’Empire et à la Restauration, avec un retour au mysticisme puis l’effervescence artistique qui suivit la Révolution de 1830. Cette phase est dominée par le romantisme français qui sert de référence commune.

La 3e vague, vers 1850, concerne les pays périphériques pris dans des luttes pour l’indépendance d’où un certain retard : Hongrie, Balkans, Amérique Latine.

Ces trois vagues reflètent les trois sources principales du romantisme :

–  le romantisme allemand cantonné dans un milieu d’intellectuels et surtout dans l’espace luthérien

les temps révolutionnaires et de l’Empire où le romantisme est marqué par les guerres et les  nationalismes

à partir de 1830, la France auréolée des Trois glorieuses, devenue libérale, elle accueille dans sa capitale tous les exilés politiques et devient le dernier grand centre du romantisme international.

Deux glissements s’opèrent justement entre 1820 et 1850 : de l’Allemagne vers la France et du monde des intellectuels vers l’espace public, vers la sphère de la consommation culturelle bourgeoise, modèle exporté par les modes de vies du monde britannique. Cette  culture britannique mondialisée à la mode embrasse comprend le tourisme, le dandysme, le fashionable (être à la mode, dans la tendance du moment, notamment par le vêtement), les paradis artificiels (opium, haschich), la gravure et l’illustration, l’équitation et les courses.

René Jullian, dans Le mouvement des arts, Romantisme au symbolisme, insiste sur le « second romantisme » que serait la période des années 1860 – 1880. L’esprit romantique se perpétue aussi bien chez des hommes de lettres comme Baudelaire ou Zola mais aussi des compositeurs comme Verdi, Mahler, des sculpteurs comme Rodin ou Carpeaux dont le style « néo-baroque » s’inspire très largement du romantisme. L’exotisme de Gauguin et l’intérêt la couleur locale, la passion pour l’histoire, la primauté de la couleur (pas tant son éclat mais son expressivité, son lyrisme) à la fois dans la musique (Gabriel Fauré, César Franck) , la description littéraire (Zola) et bien sûr la peinture au détriment du dessin (Cézanne, Gauguin, Van Gogh).

Quant à Charles Rosen et Henri Zerner dans Romantisme et réalisme (chapitre Réalisme et avant-garde), ils s’interrogent sur la définition du romantisme et du réalisme    à partir de la notion davant-garde. Selon les théories avant-gardistes, elle-ci trouverait ses origines dans le romantisme à partir de 1800, quand naît l’idée d’un art novateur en rupture radicale avec le canon d’un art officiel, donc un art moderne.

Dans la peinture, il s’agissait d’une nouvelle conception de l’espace en rupture avec l’héritage de la Renaissance fondé sur la centralité et marqué par son caractère infini, homogène et continu. Les nouveaux espaces sont plus subjectifs, déformés par la perception ou délibérément aplatis comme chez Manet ou gauchis par la force expressive. La couleur a même fini par représenter l’espace chez Matisse alors que le cubisme se donnait comme mission de le fragmenter.

Edouard Manet, La lecture, 1865-1873, huile sur toile, 61 x 76 cm. Musée d’Orsay

Mme Manet, née Leenhoff tourne le dos à son fils Léon (que Manet n’a jamais reconnu) plongé dans une lecture.

L’autre caractère de la modernité est de détruire progressivement la hiérarchie des genres qui plaçait au sommet la peinture religieuse et d’histoire. La distinction entre sublime (religieux, historique) et le familier (le paysage, nature morte, scènes de genre) a été abolie. Enfin, et surtout, le romantisme aurait fini par émanciper l’art des contraintes de la commande et des commentaires littéraires et historiques pour lui donner son langage propre.

Ce schéma chronologique et explicatif doit être nuancé.

Rosen et Zerner, rappellent que le mythe de l’artiste d’avant-garde isolé, incompris, exclu, sacrifiant sa réussite à l’art ne résiste pas à l’analyse. Les artistes dits d’avant-garde ont eu de puissants appuis, même dans les milieux officiels, plusieurs toiles de Delacroix, de Courbet ou de Puvis de Chavannes ont rapidement rejoint les collections publiques. On peut même dire que des peintres conservateurs ont connu des difficultés car quel acheteur rêvait de décorer sa maison d’immenses toiles religieuses ou historiques ?

Pour autant, l’histoire de l’art a besoin de cette notion d’avant-garde car elle faisait partie de la réalité de la création et du marché de l’art. Elle a joué un rôle essentiel dans la structuration de la création artistique entre 1820 et 1870 quand l’artiste d’avant-garde est le héros romantique par excellence même si sa définition est difficile à établir. Il existe des artistes qui sont passés inaperçus, que peu de gens connaissent aujourd’hui et dont le style était pourtant très proche de celui de Friedrich mais sans aucun succès au Salon. C’est le cas de Charles Cuisin, peintre qui a surtout travaillé à Troyes, dont on ne connaît que quatre toiles.

Charles Cuisin (Paris 1815, Troyes 1859).  Effet de crépuscule, environs de Troyes, la chaussée du Vouldy, Huile sur toile, Paris, Musée du Louvre

Cette vue est très originale, entre Friedrich, Corot, entre naïf et académique, romantique et réaliste, inclassable, originale mais sans postérité contrairement à plusieurs avant-gardistes qui ont fait la tradition moderne. Les Géricault ou Delacroix intriguaient, fascinaient et finalement plaisaient, même s’ils dérangeaient certains esprits académiques.

Quand peut-on placer finalement le début du romantisme ?

En 1774 avec les intuitions exprimées par J-J Rousseau dans le livre posthume  des Rêveries du promeneur solitaire ? Ou en 1798 dans le fameux premier numéro de l’Athenaeum des frères Schlegel quand s’établit le soubassement théorique du mouvement autour de l’idée du fragment ?

En 1815 – 1820 ?

Le romantisme dans les arts visuels s’inscrit aussi dans un temps long qui plonge ses racines dans le caravagisme et le rembranisme du XVIIe, puis dans les caprices et les vedute du XVIIIe ainsi que dans  les paysages d’Alexander Cozens ou dans la rupture davidienne loin de se résumer au qualificatif simpliste du néo-classicisme. Et en aval ? Comment distinguer romantisme et débuts du réalisme qui en est une émanation directe ? Par plusieurs aspects, Courbet est un romantique. La difficulté  de définir une chronologie précise vient des limites floues entre courants (la distinction néo-classique = ligne, romantique = coloris est dépassée), de l’individualité des artistes (une des données fondamentales du contexte artistique) passant d’un courant à l’autre parfois dans la même oeuvre ainsi qu’à la composante régionale ou nationale.

L’opposition romantisme – classicisme qui structure la critique artistique et littéraire dans la première moitié du XIXe (cf. Salon 1827 plus haut), se prolonge tout au long du XIXe siècle sous d’autres formes, notamment entre académisme et réalisme puis face à l’impressionnisme ( qui reprend aux artistes romantiques l’intérêt pour la nature et l’absence de sujet mais sans le caractère mystique de la fusion artiste – art – nature) et jusqu’à  la réaction symboliste, sorte de réminiscence romantique de l’imaginaire. Ces oppositions peuvent être vues comme une nouvelle querelle entre Anciens et Modernes mais on doit se garder de tout schématisme. Comme nous l’avons vu précédemment, Delacroix, admiré par Baudelaire, s’affirmait pourtant « un pur classique » et pourtant il devait affronter des critiques virulentes de la part des académiques au Salon de 1859, ce qui retarde son entrée dans l’Institut. Berlioz et Wagner sont critiqués également, mais ils trouvent des soutiens, le premier en Russie, le second chez Louis II de Bavière.

Il n’y a donc pas de déclin du romantisme après 1850. Peut-on parler de déclin du romantisme après 1850 quand on regarde la Lutte de Jacob avec l’ange (1861 Huile sur toile, 750 x 485 cm. Eglise Saint-Sulpice, Paris) de Delacroix ?

Faut-il pour autant aller jusqu’à qualifier de « romantique » l’abstraction, mouvement majeur de la peinture du XXe siècle ?

Et la fin du mouvement ? Comment distinguer le romantisme du réalisme ?

L’idée d’une avant-garde romantique de Géricault, de Delacroix à laquelle répondrait une autre avant-garde, réaliste avec Courbet, Manet, puis Degas ou Seurat est simpliste.

Pour mieux définir la relation entre réalisme et romantisme Rosen et Zerner partent de Mme Bovary de Flaubert. Le grand enjeu de l’écriture selon lui est la manière de concilier la trivialité du propos des médiocres dépeints dans le roman et le style, l’art de l’écriture, sans passer par le filtre héroïque. Les classiques idéalisaient au nom de l’art et de la rhétorique, en littérature comme en peinture. Les figures des tableaux suivaient les formules classiques du pathos à travers la gestuelle, la composition par groupes (cf. tableaux d’histoire de David).

Les peintres « réalistes » du XIXe reprenaient parfois ces formules en les parodiant (Olympia et Déjeuner sur l’herbe de Manet) ou alors les ignoraient en essayant d’inventer un nouveau code de gestuelle comme la figure étrangement affaissée des Cribleuses de blé de Courbet (1855). L’école réaliste a innové en refusant d’anoblir ou de rendre pittoresques les sujets vulgaires ou banals.

Mais les romantiques s’intéressaient aussi au réel.

Si Géricault, dans la Méduse, avait choisi, conformément à la définition romantique de Novalis, de « rendre le familier étrange et l’étrange familier », Flaubert et les réalistes comme Courbet refusaient cette transformation. Le familier devait rester familier. Il fallait renoncer aux effets pittoresques ou exotiques des premiers romantiques. Il ne s’agissait donc pas pour le peintre de « romantiser » la réalité, la médiocrité mais s’intéresser plutôt aux moyens de la représentation. Ainsi, la valeur esthétique de l’oeuvre repose non pas sur le sujet mais le style personnel de l’artiste qui lui même garantit la vérité du tableau.

Depuis la Renaissance les artistes insistaient sur le réalisme de la représentation visant l’illusion de l’espace pictural tridimensionnel (l’effet « fenêtre »). L’art dépendait de cet effet de réel par la vigueur des objets représentés, par les effets de lumière et la géométrie. On retrouve ces effets dans certains tableaux préraphaélites ou chez Meissonier jusqu’à l’hallucination. Ces tableaux sont à la fois « réalistes » et irréels.

Ernest Meissonier, La partie  de piquet, 1872. Huile sur toile.

En tout état de cause il est très difficile d’articuler le mouvement des arts d’un courant à l’autre alors que les temporalités peuvent diverger, les rythmes et les décalages chronologiques étant toujours la règle dans l’histoire de l’art. Le courant classique plonge ses racines dans la Renaissance florentine, puis dans le classicisme du Grand Siècle, et se poursuit tout au long du XIXe siècle malgré le romantisme, le réalisme et le symbolisme (peintres académiques pompiers).

  La composante nationale. Romantisme – romantismes.

L’apparition du romantisme au coeur du XVIIIe siècle, le siècle des Lumières.  Le romantisme apparaît en littérature dans trois pays, l’Angleterre, l’Allemagne et la France, dans la  deuxième moitié du XVIIIe siècle. C’est en Angleterre que le changement s’opère d’abord. En 1745 le poète Edward Young fait paraître un  recueil de poèmes, Les nuits, qui multiplie les images macabres. Mais une grande mutation a lieu entre 1760 et  1765, lorsque paraissent des poésies épiques d’un poète écossais du IIIe siècle, Ossian. Ces poèmes traduits du  gaélique obtiennent un immense succès en Europe. Ils font resurgir une littérature épique, enfouie par la civilisation  chrétienne, qui fascine les gens cultivés.

En vérité Ossian n’a jamais existé ! C’est le prétendu traducteur, James  Macpherson, qui est le vrai auteur de ces ballades qui fascinent par le côté épique, leur côté mélancolique et leur  goût pour le passé, loin de la mythologie gréco-latine et de la Bible. (Cf. texte d’Ossian lu en cours).  L’Angleterre voit aussi l’apparition du roman noir, ou roman gothique, qui met en scène des héroïnes  pures aux prises avec des être démoniaques, dans un décor médiéval. Walpole avec Le Château d’Otrante (1764) et  Lewis avec Le Moine (1795) sont les représentants les plus éminents de ce courant qui exploite parfois des  phénomènes surnaturels. Frankenstein, de Mary Shelley (1818), se rattachera à ce genre littéraire. En France, le romantisme apparaît avec Rousseau (1712-1778), qui met en valeur la sensibilité et les  sentiments intimes dans son roman La Nouvelle Héloïse (1761) puis dans les Confessions (1782, publication  posthume) et Rêverie d’un promeneur solitaire. C’est également avec Bernardin de Saint-Pierre, l’auteur d’un roman  d’amour tragique qui se passe à l’ïle Maurice, Paul et Virginie (1787), que la sensibilité romantique se développe. Ce mouvement naissant co-existe donc avec la philosophie des Lumières qui domine la pensée française et  européenne.  En Allemagne, avant les frères Schlegel, le mouvement se manifeste dans la pensée religieuse avec le  philosophe Haman (1730-1788) et Herder, puis en littérature avec Goethe (1749-1832) et Schiller. Il  correspond au mouvement du Sturm und Drang (tempête et passion). Herder est fasciné par la culture du peuple car  il estime que le peuple est dépositaire d’une culture nationale ancestrale, qui n’est pas reconnue par les écrivains des  Lumières. Il s’agit de la révéler. Il publie les Volkslieder (chants du peuple) en 1778. Un roman de Goethe, Les  Souffrances du jeune Werther (1774), où le héros se suicide à la suite d’une déception amoureuse, incarne aussi  une nouvelle tendance. L’amour sensible et malheureux sera l’un des grands thèmes du romantisme. Mais le  romantisme va toucher aussi la philosophie, non seulement avec les frères Schlegel et leur revue, mais aussi avec  Goethe qui en 1808 publie une pièce de théâtre qui aura un retentissement considérable dans tous les arts- et ce  jusqu’à aujourd’hui, Faust.

Le XIXe siècle est marqué par la montée des identités nationales partout en Europe. Deux  conceptions de la nation existent. L’une issue de la Révolution française, est fondée sur l’idée qu’une nation se  constitue sur un projet politique commun à des peuples de langue et de religion différentes. L’autre modèle, c’est  celui de la communauté linguistique et culturelle, qui tente de rassembler tous les peuples qui ont la même langue  (l’allemand et ses dialectes par exemple). Les nationalistes allemands vont développer, autour d’Herder, cette  conception de la nation.

 L’aspiration à l’unité nationale est forte dans deux pays qui ne sont pas unifiés et qui sont sous  domination de l’Autriche : l’Allemagne et l’Italie.

L’Allemagne est divisée dans une confédération de 38 états,  sans armée ni pouvoir communs, dominés par l’Autriche (comme la Bavière, la Saxe, le Würtemberg, etc…).  L’Autriche ne veut pas d’un état allemand unifié concurrent à sa frontière. Elle réprime donc les aspirations  à un état allemand national et libéral. La Prusse, le plus puissant de tous ces états rêve cependant de réaliser  l’unité allemande à son profit : elle y parviendra en 1871. Elle est donc rivale de l’Autriche, son partenaire de la  Sainte-Alliance. Dans la première moitié du XIXe siècle, l’aspiration à l’unité allemande se répand dans l’art, la  musique et la littérature. D’où l’importance de ce qui se passe dans la musique. Wagner jouera un rôle important  dans la constitution de l’unité allemande.

 Comme l’Allemagne, l’Italie est divisée en sept États, dont les États de l’Eglise, autour de Rome. L’Autriche, qui contrôle la majorité du nord du pays en l’occupant ou par l’intermédiaire de régimes amis, se heurte à l’aspiration à l’unité des Italiens qui rêvent d’un pays unifié sous la direction du roi de Piémont-  Sardaigne Victor-Emmanuel, le roi du plus important des états italiens. L’Autriche réprime et écrase les révoltes qui  éclatent chez les partisans italiens. La musique, avec Verdi, joue un rôle important pour favoriser la lutte nationale.  La Sainte-Alliance est cependant contrainte de constater l’apparition de deux nouveaux États qui se  constituent en 1830, la Grèce et la Belgique. En 1822, les Grecs proclament leur indépendance. Ils sont réprimés  violemment par les Turcs (cf. le tableau de Delacroix, Les massacres de Scio). La cause grecque soulève de  nombreuses solidarités en Europe. Les régimes de la Sainte-Alliance, notamment la Russie, se trouvent contraints  d’appuyer le mouvement des Grecs et d’intervenir militairement. La Grèce (le sud du pays en fait) obtient son  indépendance en 1830.  Tout est plus rapide en Belgique, dominée par les Pays-Bas. Une révolte à Bruxelles après la représentation  d’un opéra, provoque un soulèvement général contre les Néerlandais. La Sainte-Alliance est contrainte d’accepter  l’apparition d’un nouvel État catholique, la Belgique, qui réunit Flamands et Wallons.

En France, avec la Restauration, la monarchie de l’Ancien Régime, celle des Bourbons, revient. Deux  rois se succèdent Louis XVIII (1815-1824) et son frère Charles X (1824-1830). Les nobles émigrés reviennent en  France et ont soif de revanche. Après une période de monarchie absolue, Louis XVIII, qui est intelligent, accorde  une charte qui est une sorte de constitution. Il y a un parlement, une chambre des pairs et une chambre de députés  élus au suffrage censitaire : seuls les électeurs hommes âgés de plus de 30 ans qui paient un impôt de 300 Francs,  le cens, peuvent voter. Autrement dit, seuls les plus riches décident. Ce suffrage censitaire est contraire bien entendu  au suffrage universel, instauré par la Révolution. Il n’y a donc pas de régime démocratique. Le roi garde l’essentiel  des pouvoirs. Au parlement, les royalistes, les ultras, se heurtent aux libéraux.

Le nouveau roi, Charles X, rêve de rétablir la monarchie absolue. Après une phase d’affrontement avec les  libéraux, majoritaires au parlement, il supprime la liberté de la presse, rétablit la censure et dissout le parlement le  25 juillet 1830. Le peuple de Paris se soulève alors. Ils chasse en trois jours les troupes du roi, qui est contraint  d’abdiquer. C’est la Révolution de 1830 et les Trois Glorieuses évoqués par Victor Hugo dans les Misérables (Gavroche) et par Delacroix dans la Liberté guidant le peuple (Louvre) . Un roi plus libéral prend le pouvoir, Louis-Philippe. On appelle son  régime, issu de cette révolte de juillet 1830, la Monarchie de juillet (1830-1848).  Sous le règne de Louis-Philippe, une monarchie constitutionnelle, la bourgeoisie a enfin le pouvoir. Les  plus riches sont favorisés. Le suffrage censitaire est maintenu. Le peuple, qui a porté le roi au pouvoir, est trahi. Le  régime se heurte aux républicains, qui développent l’agitation populaire, la revendication de la liberté de la presse.

Les révoltes ouvrières sont écrasées comme en 1831 à Lyon (révolte des ouvriers/artisans du textile, les canuts) et en  1832 à Paris (enterrement du général Lamarque –cf. Les Misérables de Victor Hugo).  Après une période de répression, le régime se heurte à une montée des mécontentements, notamment à la  suite de grandes difficultés économiques en 1846, et à la montée des républicains. La monarchie de Juillet sera  renversée par une révolution en février 1848.

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