Conseil de classe

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Dring – « Bon on est en retard je sais ; essayons d’être efficace, on commence les Premières Commerce… »

Je me rends compte de la vacuité de cette phrase avant de finir de la prononcer. Il est 17 h 00. J’entends tout autour de moi les bruissements de papiers qu’on triture, les grincements de dents qu’un cocaïnomane ne renierait pas. Nombreux sont ceux qui attendent que l’un d’entre nous la prononce. La phrase libératrice. Une des ritournelles des conseils de classe.

« On se dépêche, j’ai mes enfants à aller chercher à 17 h 30 »

Et là. Ce murmure d’apaisement. On est propulsé quelques instants après un coït. Des sourires. De la gratitude. Quelqu’un s’était lancé avant les autres et tous intérieurement le remerciaient. Oublié les chiens à l’urètre délicat, cette vieille tante à qui il fallait donner le goûter, cette visite hebdomadaire chez le gynécologue qui je cite « tombait mal, mais tu sais un rendez-vous chez un spécialiste c’est très dur à placer ». Nous allions sortir tôt. Enfin 17 h 30. Le début de la nuit en somme. Des gens mangent à 17 h 30 en Suède.

Je fais rapidement le calcul. 25 élèves dans la classe. 30 minutes. Ça fait moins d’une minute par élève. Evidemment je pourrais demander au prof de maths mais il semble tellement absorbé par sa partie de clash of clans que ça le mettrait de mauvaise humeur. Et notre prof de maths de mauvaise humeur, c’est à coup sûr le risque de le voir discourir plus encore que d’habitude. En effet, quand il prenait la parole ; il se sentait toujours obligé de resituer les faits. Chaque début de phrase voyait en vous résonner le « previously, on … » des séries américaines. Rapidement les collègues avaient compris qu’il ne fallait pas le contredire, ni même à vrai dire le regarder dans les yeux, ce qui pourrait lui faire croire en un quelconque signe d’approbation de notre part.

« Ça va faire un peu juste tout de même… ». Je tente le tout pour le tout. Mais je sais qu’un report est rare, quasi chimérique. On me répond alors que la classe fonctionne bien et que ce n’est que le conseil de classe du premier semestre. C’est vrai. Il y a aussi le deuxième semestre. On se rattrapera sur celui-là. Enfin si on est mieux placé sur la ligne de départ.

Ou comme le dossier post bac se vit comme une course de grand prix. Merde. Sortie de route.

On demande de faire entrer les délégués. Je vois la prof d’EPS et de PSE (je note que l’échange de lettres peut aussi interférer sur l’échange de compétences) demander en chuchotant qui est Elodie B.
« Ah oui, la grosse-là qui s’habille moulant. Impossible de lui faire faire quoi que ce soit sur le terrain ! » Rires. « Je te dis pas quand je vais aborder l’alimentation en PSE ». Rires gras sans glucides.

Réflexions pédagogiques

Je me rends compte à quel point il est possible de forcer le trait, de caricaturer l’enseignant. Mais à quel point la réalité peut parfois dépasser toute tentative d’écriture fictionnelle.

Oui, nous avions en face de nous des jeunes souvent durs, dans leurs regards dans leurs paroles sur les autres. Donc sur nous, incarnation de l’Autorité et du Savoir. Et nous, bien souvent en face, nous étions ces mêmes jeunes, à peine vieillis, jamais sortis du système scolaire.

Du pupitre à la chaise.

Du bureau à la chaire.

Tétanisés devant la récitation hebdomadaire du Corbeau et le Renard.

Puis.

Tétanisés devant l’oral du concours, devant un jury de « collègues » qui ce jour avaient pris soin de revêtir leur costume d’apparat Pol Potien, voulant nous briser juste pour voir si nous saurions face à eux, répondre de nos actes. Faire face.

Le lendemain on irait boire un café ensemble en se tapant sur l’épaule mais pas aujourd’hui. Non. Enfin nous étions tétanisés lors de notre première heure de cours. Puis de moins en moins. Puis.

Puis ça. Et je n’étais pas le dernier à faire des blagues. La salle des professeurs est un terrain aussi miné qu’une salle de classe. Tout le monde devrait le savoir.

Réflexions démagogiques

« Mais c’est qui lui ? Je l’ai jamais eu en classe ».

Intervention de la prof d’Art Appliqués. Etonnante remarque quand on sait qu’elle met 13 à tous les élèves. Avec en appréciation « bon travail dans l’ensemble ». Elle a toutes les classes alors elle ne peut pas se rappeler de tous les gosses ! Je lui ai quand même demandé de corriger la note et l’appréciation de celui qui a quitté l’établissement au bout d’une semaine. Non ; on n’évalue pas un élève lors de la semaine de présentation des locaux et de distribution du matériel. ( des efforts sont à fournir dans le saisissement du carnet de correspondance mais beaucoup de savoir-faire dans le collage de l’emploi du temps…)

Alors, pendant que les élèves dont je suis professeur principal défilent sur l’écran d’école directe, alternant avertissements, blâmes ; mais aussi encouragements et félicitations, je nous regarde et je ne peux m’empêcher de faire ce parallèle entre eux et nous. S’ils pouvaient nous voir, là.

« Juste si on peut reprendre les choses à la base… »

Non mais qui a regardé le prof de Maths ? Qui ? On pourra jamais finir à temps et on va devoir passer à 0.50 sec par élève. Il semble s’adresser à la prof d’Anglais. Impossible. Non mais impossible personne ne lui parle. Tout le monde. Directrice compris. En a peur. Vous connaissez quelqu’un qui peut à la fois vous complimenter et vous insulter dans la même phrase ? Syndrome de bipolarité. Un élève m’a raconté qu’il avait été exclu la seconde après avoir reçu la meilleure note en version. Et sans avoir prononcé un seul mot. Impressionnant.

On arrive à la meilleure élève de la classe. 18 de moyenne. 25 demi-journées d’absence.

« Non, mais elle est au-dessus, je comprends qu’elle ne vienne pas en cours, elle est au-dessus du lot, moi j’ai pas le temps de m’en occuper y en a 20 qui comprennent rien, mais RIEN ! »
Triste constat de l’enseignant en matière professionnelle. Celle qui disait en préambule que la classe fonctionnait bien vous vous souvenez ?

Je sens les yeux de la directrice la toiser lors de cette prise de parole. Allait-on assister à un nouvel épisode de « Hell’s Children » ?

Il était évident qu’aux échanges parfois virulents en classe nous répondions aussi par des conflits intestinaux et séculaires.

INTERLUDE : On aura pas le temps ici de développer l’origine exacte de leur différent, la première disant qu’on ne peut faire cours d’informatique avec cinq postes informatiques pour vingt-cinq (ah la sempiternelle question du budget !), la deuxième répondant qu’il serait temps d’adapter les cours au 21e siècle : la monnaie de la France étant devenu l’euro depuis quelques temps par exemple. Tout ceci mettait toujours une bonne ambiance dont les élèves, avouons-le, étaient les grands vainqueurs.

FIN DE L’INTERLUDE

Le conseil touche à sa fin. 17 h 29. Le temps pour la prof d’Italien d’arriver. On peut l’excuser. Elle travaille sur cinq établissements. On dit souvent d’elle qu’elle passe plus de temps sur la route que dans une salle de classe. Une commerciale en séquences pédagogiques en somme.

La sonnerie retentit et les enseignants se propulsent à l’extérieur, laissant parfois derrière eux le petit questionnaire que les élèves ont construit lors d’une séance de vie de classe.

Dans lequel ils proposent des pistes d’améliorations dans la communication entre l’équipe enseignante et eux. Sans doute un oubli. Ce n’est pas évident de rester assis trente minutes à écouter quelqu’un parler.
Pas évident du tout à vrai dire.

Je ramasse le tout et sors du bureau. Au loin, le soleil se couche. Un semestre s’est écoulé.

Et demain ?

Quelques pas

Pour entendre le prof de Maths reprendre l’intégralité du conseil pour la prof d’Italien.

Résistants.

Une chronique de Frédéric Lapraz

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