Rencontre avec une perle
Au sein des collèges, on trouve des petites perles (et des huîtres vides, il va sans dire !). Toujours le sourire et le petit truc pour faire rire : c’est elle. Elle, c’est l’éducatrice spécialisée qui est dans l’ULIS de notre collège (Unité locale pour l’inclusion scolaire). Alors, m’dame, prête pour la p’tite interview ?
- Tu es en poste depuis combien de temps ?
Dans ce collège, c’est ma deuxième année. Dans l’autre, puisque je travaille dans deux collèges, à 33 pour cent chacun (soyons précis), depuis 9 ans. Et avant cela, j’ai travaillé 15 ans dans un Institut Médico-Éducatif.
- Quelle est ta formation ? Tes formations ?
J’ai obtenu un Diplôme d’État d’Éducateur Spécialisé au siècle dernier.
- Alors heureuse ?
On parle de la vie pro bien sûr… C’est comme dans un tableau de peintre : par petites touches, et c’est ce qui donne du relief au dessin.
- Ah, vous les impressionnistes !
- Tes horaires ?
Ohlàlà compliqué ! Pour faire simple, je commence, selon les jours, entre 7 h 45 et 8 h 55 et je finis entre 12 h 30 et 17 h 40.
- Ton salaire, on en parle ?
Ça ne pose aucun problème : 1 256 euros.
- Tu as dû te tromper, toi aussi… non ?
Non, non, j’ai vérifié ma fiche de salaire.
- Ton coup de griffe ?
La précarité du poste d’Éducateur en ULIS au collège.
- J’ai connu un temps (zut, c’était aussi au siècle dernier, je crois qu’on est un peu vieilles, du coup), comme toi, où il y avait des éducateurs. Te souviens-tu ? C’était le temps des classes-relais… et puis un jour, plus rien. Peux-tu nous parler un peu plus de cette précarité ? Une ULIS, qu’est-ce donc pour les lecteurs qui ne connaissent pas ?
Une ULIS est une Unité d’Inclusion Scolaire, c’est-à-dire un dispositif (le mot « classe » est inadapté) qui accueille des élèves en situation de handicap pour suivre les matières trop difficiles à comprendre dans leur classe de référence. Ces élèves sont alors soutenus dans leurs apprentissages adaptés par un(e) enseignant(e) spécialisé(e), un(e) AVS et, en Haute-Savoie… roulement de tambours… un éducateur spécialisé. Notre contrat est précaire parce que reconductible chaque année, sujet à la sensibilité des acteurs politiques départementaux qui, jusqu’à présent, ont perçu l’utilité (notre « plus-value » comme ils disent) de nos actions.
Gageons que l’éducation devienne, reste, soit (multi-choix) une priorité nationale.
- Ton coup de cœur ?
Les profs qui me considèrent comme une collègue et reconnaissent la légitimité de mon travail.
- Mais c’est l’île fantastique ! Cela n’a pas toujours été le cas ?
Les éducateurs spécialisés sont formés pour travailler en équipe pluridisciplinaire. En collège, les profs fonctionnent souvent par matières, ainsi l’équipe ULIS est un peu partout et nulle part à la fois… pas toujours facile d’être reconnu(e) quand l’approche et les outils d’action sont différents. Souvent, la relation est d’emblée plus facile avec les profs de Segpa.
- MAIS, nous travaillons en équipe… tu sais les EPI ! Faut pas se mentir, tu as raison, nous n’avons pas, dès le début, une formation pour cela…
- Les devoirs de ton métier ?
BEER ! J’explique : Bienveillance, Écoute, Empathie et Respect.
- C’est pas mal comme moyen mnémotechnique.
- Le plus joli souvenir ?
Le plus émouvant en fait. J’avais 19 ans, sans expérience professionnelle. C’était avec un enfant polyhandicapé lors d’un atelier de communication non-verbale. Aveugle, il a découvert mon visage avec ses petits doigts difformes, à tâtons, sans un son, mais avec une concentration assourdissante. La relation a été très forte, j’ai été très émue et des moments pareils confirment mon choix professionnel : donner ET recevoir.
- La façon dont tu le décris est effectivement émouvante et la situation extrêmement forte. Beau souvenir M’dame. On est bien peu de chose lorsque l’autre nous apprend à voir autrement…
- Ton pire souvenir ?
Avoir perdu un jeune en plein Salon de l’Automobile à Genève et se rendre compte que tout peut basculer en deux secondes (je précise quand même pour les lecteurs émotifs qu’après avoir alerté tout le service de sécurité, visionné les images des caméras, on l’a retrouvé à 5 mètres du lieu où il avait disparu, fasciné par un petit robot).
- Rooo… non mais en même temps, je comprends le jeune… suivre le groupe ou le robot, j’aurais choisi le robot. Tout est bien qui se termine bien !
- Complète cette phrase : « Pour vivre heureux au collège, vivons… »
… en harmonie avec les autres et surtout avec ses convictions et ses valeurs.
- Quelle chanson résumerait ton métier ?
C’est la chanson qui m’a accompagnée durant mon adolescence et qui m’a suivie dans ma démarche de formation « Ton Autre Chemin » de J.-J. Goldman.
- Pour terminer, et parce qu’une touche de couleur ne fait pas de mal, as-tu une illustration, un peintre, une photo qui pourrait venir clore cette interview un peu décalée ? Aux lecteurs d’interpréter, même sous la torture, nous nous tairons.
Oui, l’interview est suuuuuuuuuper longue mais je crois que les éducateurs spécialisés méritent bien qu’on prenne du temps et qu’on les écoute aussi un peu plus. Nous disons souvent que nous ne pouvons pas avoir toutes les casquettes, nous, enseignants… et pour cause : éducateur spécialisé, cela ne s’improvise pas.
Quelle réalité du métier et quel regard de nos politiques sur l éducation au travers de cet interview..
A mettre dans toutes les mains qui pensent que de nombreux fonctionnaires sont des « fainéants « .grassement payés
Merci pour ce témoignage.
Merci à vous ! Vous avez cerné le but ! Bon week end. Tara 😉