Rappel pour celles et ceux qui auraient raté le début

L’année dernière, à la même époque, j’avais commencé à attaquer les phalanges distales de ma main droite. J’avais obtenu ma mutation et c’était le moment délicat où j’étais multi-tiraillé…

Tiraillé entre une anxiété palpable face au départ de mon petit lycée où j’avais passé 7 ans de ma longue existence d’enseignant.

Et une anxiété palpable face à mon arrivée dans un nouveau bahut, un lycée beaucoup plus grand, plus imposant. Oui, la taille, des fois, peut compter.

bilan-fred

Entre les collègues à qui il fallait dire au revoir, les collègues à qui il ne fallait PAS dire au revoir ; et les prises de contacts avec le nouvel établissement, histoire de ne pas arriver comme « bleuzaille de service » inscrit sur le front. Toujours difficile à gommer par la suite.

Et au milieu de ces deux malaises, je me débattais aussi avec mes classes de terminales bac pro qui, comme chaque année, s’étaient réveillées de leur douce torpeur de 8 mois pour me demander, en résumé, ce qu’il fallait retenir de tous les cours que j’avais donnés.

Rien. Vas-y à l’inspi gros.

 

JUIN 2017.

J’étais rincé. En bout de ligne.

 

Et voici donc, quelques mois plus tard, la chronique qui sera la dernière de l’année (j’en entends qui soupirent de soulagement…).

Chronique bilan de 10 mois passés dans mon nouvel habitat naturel.

Les élèves

Par où commencer quand on traite de ces bambins nouvelle version. Sans doute par l’aspect extérieur. Je fus soulagé de constater que cette année, je ne serais plus obligé de connaître le nom de toutes les grandes équipes de football européen pour comprendre la mode vestimentaire du lycéen de CAP et bac pro. Bien entendu, il y avait et il y aura toujours ces éternels admirateurs du ballon rond, capables de vous sortir les noms, prénoms et postes privilégiés des joueurs de l’équipe du Bayern Munich (ceux des moins de 16 ans également), mais incapables de se souvenir de trois procédés d’écriture ; les mêmes procédés d’écriture que vous avez serinés toute l’année durant, en vous adaptant pourtant à eux :

«  Il est fort comme Messi… »

«  Le ballon semblait glisser vers lui comme la marée sur la grève. »

« L’arbitre, ce je-vois-tout aveugle. »

Mais étaient venus s’ajouter aux footeux d’autres univers, des plus classiques : j’ai pu ainsi redécouvrir la chemise, accessoire qui était sorti de mon champ visuel ; mais aussi les métalleux, les goths, les émos, les émos-métalleux-goths, les artistes, les geeks et j’en passe et des meilleurs.

Une mixité de matières et de couleurs que n’aurait pas reniée une campagne de pub Benetton.

Passée cette différenciation sociologique couturière, il y avait bel et bien un grand, un massif point d’achoppement entre nos jeunes.

Le portable. J’étais bien heureux de retrouver mes bases d’enseignant de lycée pro, qui consistent, après une certaine heure, à pouvoir observer les clartés nuquales des élèves, s’escrimant à se planquer pour tâter du smartphone.

Alors là encore, différenciation dans l’utilisation de l’objet. Si avant j’étais assis aux premières loges, apprenant la sortie de l’album de NISKA avant que lui-même ne soit au courant…

Y a mon daron il a pisté son cousin il le connaît il passe des fois au quartier pour toucher.

Ici j’étais plutôt au centre d’un gigantesque jeu dont j’étais pourtant le seul exclu. Oui les élèves jouent entre eux et souvent nous ne sommes que les spectateurs d’un Monopoly géant qui se passe dans leur trousse ou sur leurs cuisses.

Quel dommage que Clash of Clans ne se passe pas durant la Seconde Guerre mondiale.

J’aurais eu ma foutue séance d’accroche.

Pour le reste, un élève reste un élève. Les réactions, les peurs, les joies, sont transcommunales, et pour faire une métaphore musicale, si les instruments sont différents, la symphonie reste la même.

Le lycée

Le choc. On m’avait certes prévenu. J’avais cru discerner les difficultés quand on m’avait remis un plan format A3 lors de la réunion de pré-rentrée. Mais bon. Le lycée était grand. TRÈS GRAND. J’avais l’impression que dans les bâtiments tout au fond là-bas, on ne devait plus parler notre langue. Je me rendis vite compte, au bout de quelques jours, que j’allais devoir renouveler mon stock de sneakers plus vite que prévu et, au bout de quelques mois, en bon colporteur pédagogique, j’avais les cuisses plus affutées qu’un marathonien aguerri. Pire encore, au-delà de la grandeur de l’établissement, c’était son côté labyrinthique qui m’impressionnait. De multiples étages, des accès qui se rejoignaient et s’entrelaçaient. De quoi évidemment se perdre. Je croisais d’ailleurs des élèves cherchant toujours à se rendre au bureau du CPE, jurant à chaudes larmes qu’on ne les reprendrait plus là-dessus… un an plus tard. Plus qu’un plan, c’est la carte du Maraudeur qu’il m’aurait fallu posséder pour ne pas déambuler comme une âme en peine à la recherche de la salle F403, salle que l’on trouve en passant devant la D204. Près de la A206. VDM.

Les collègues

Passer de 40 à 110, quelles que soient les situations, qu’on parle de pourcentages ou de centimètres, c’est toujours délicat. Là, je parle de l’effectif professoral. Impossible, même au bout d’un an, et sans trombinoscope, de savoir qui est qui. J’avais l’impression de jouer à « Qui est-ce ? » chaque fois que je m’entretenais avec un collègue ou un élève d’un autre professeur :

« Il a des lunettes ? Elle a les cheveux longs ? Il porte une casquette ? »

Il fallait donc utiliser les conseils de classe pour rapidement mémoriser qui bossait avec moi dans les différentes sections et j’ai dû rapidement les prendre en photo à leur insu et créer ainsi mon propre book pour pouvoir savoir où j’allais. Alors, après, bien évidemment, j’ai ma part de torts à assumer. En début d’année, j’ai peu fréquenté la SDP, et je me la jouais poète maudit, sans la mèche fouettant mon visage au sommet de la falaise, mais quasiment. Je n’allais pas vers les gens ; et vu qu’eux ne venaient pas vers moi non plus, il n’y avait pas de rencontres envisageables. Ainsi, il ne fut pas curieux d’apprendre que les hypothèses les plus folles naviguaient entre les casiers enseignants.

À mon sujet.

Des questions fusaient parfois :

« Excusez-moi, vous pourriez demander s’ils peuvent un peu corser leur déca, là c’est vraiment du jus de chaussette ! »

« Faudrait mettre du A3, y a bientôt les examens blancs. »

« Vous avez réparé la serrure de la A205 ? »

« Mais finalement vous êtes stagiaire dans quelle classe ? »

Au bout de quelques mois, on a enfin mis un nom sur mon visage, et ça allait mieux. Et j’ai pu donc analyser une situation que je me devais d’évoquer.

Le placement mobilier. Je me rendis vite compte que la séparation lycée professionnel et lycée Général et technologique se visualisait également en SDP par des tables et des chaises bien précises. Il n’y avait donc pas d’espace Schengen scolaire en ces lieux. Un jour, je me trompai de table et les collègues qui me faisaient face me regardaient avec un air mortifié, alors que ceux de ma maison me suppliaient presque de revenir, craignant que je ne sombre à leur contact dans la paramnésie la plus complète.

Oui je parle de maison car je comparais ce fonctionnement à celui d’un Poudlard français.

Nous, on était les «  Aboutdesoufl’ », les profs de lycée pro, quasiment des Moldus ou des Sang-de-bourbe. Souvent fatigués de nos élèves il est vrai.

Et puis y avait les autres. Mais on ne pouvait pas prononcer leur nom… Et tout le monde passait et se croisait comme dans un gigantesque HUB, avant d’être propulsé via Portoloin jusque dans leur salle.

Fin de la métaphore filée.

 

 

Voilà donc ce que fut cette première année dans ce nouvel établissement, et au final tout finit par rentrer dans l’ordre, un ordre certes différent de ce que l’on connaissait ; mais après tout ne demande-t-on pas à l’enseignant à la fois de la remise en question, du renouvellement…

 

Mais également de la bienveillance.

Sur ces belles paroles, je vous souhaite de bonnes vacances. (En plus ça rime.)

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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