Le moment du rangement ?
Il y a deux bonnes raisons de faire passer des évaluations :
Une officielle : tester les connaissances et compétences de ses élèves.
Une officieuse : avoir la paix et en profiter pour ranger son bureau.
Mais ça, c’est la théorie…
11 h 00 :
- Voici la prochaine évaluation sur les mesures de longueur. Je vous mets au tableau les exercices à faire directement sur la feuille et ceux à faire sur le cahier. Vous pouvez utiliser vos tableaux de conversion de mesures de longueurs si vous le souhaitez.
11 h 02 :
- Maîkreeeesse ! Les exercices, on les fait sur la feuille ou sur le cahier ?
Il est vrai qu’il m’arrive de parler en même temps que certains élèves. Cette impolitesse notoire les empêche de profiter pleinement des consignes que je leur prodigue.
11 h 03 :
- On peut prendre notre tableau de conversion ?
Je me demande parfois si j’ai réellement donné les consignes ou si j’ai rêvé que je les donnais.
11 h 04 :
- Maîtreeeesse ! Je comprends pas le premier exercice !
- As-tu lu la consigne ?
- Ben non !
- Alors c’est le moment ou jamais !
11 h 06 :
- Maîtresssse ! Je peux jeter mes mouchoirs dans la poubelle ? me demande un enfant qui d’ordinaire, se lève 3 fois par minute sans jamais demander la permission.
11 h 07 :
Mon bureau est toujours couvert d’un monticule de paperasses : les commandes de photos, les mots pour la prochaine sortie vélo-ciné, les retours de commandes des sapins de Noël, les mots attestant que les parents ont bien lu le règlement intérieur… Toutes ces tâches si éloignées de la pédagogie me laissent parfois à penser que je me suis trompée de métier.
11 h 08 :
- Maîtressssse : on peut utiliser notre tableau de conversion ? Parce que mon voisin, il l’utilise son tableau de conversion. Et toi, t’as pas dit qu’on pouvait l’utiliser…
11 h 10 :
- J’peux aller faire pipi ? C’est pressé !
11 h 12 :
- Je vais jeter mes papiers maîtresse !
Cet enfant aurait pu finir sa phrase par un « point d’interrogation » de convenance en transformant de la sorte son affirmation par une question à laquelle il aurait été possible que j’acquiesce ou pas. Mais pourquoi s’encombrer de pareilles précautions ?
11 h 15 :
Je savoure ces trois minutes de silence durant lesquelles j’en ai profité pour chercher sur l’ordinateur une musique Zen pour aider mes élèves à la concentration. On entend le clapotis de l’eau, le bruissement des feuilles, le gazouillis des oiseaux…
11 h 16 :
- Elle est chiante la musique maîtresse. On peut pas la changer ?
11 h 17 :
Mon bureau ne sera pas rangé aujourd’hui. Je me lève et déambule dans la classe. Je récolte au passage quelques coins de tables donc quelques bleus à ajouter à ma collection. Certains élèves, très inspirés, grattent furieusement le papier pour y déposer leur leçon sans doute trop rapidement apprise, avant qu’elle ne s’envole.
D’autres se concentrent et plissent les yeux comme pour mieux voyager dans les méandres de leurs souvenirs.
Il y a celles et ceux qui sont visiblement ravi.e.s de se confronter à une difficulté dont ils savent pertinemment qu’ils sortiront vainqueurs.
Il y a enfin celles et ceux qui font semblant d’écrire pour combler le vide de leur incompréhension. Celles et ceux qui savent mais qui n’osent pas. Celles et ceux qui perdent tous leurs moyens dès qu’ils entendent le mot « évaluation ».
11 h 20 :
- J’ai fini ! Je fais quoi ?
Je suis toujours épatée par cette incapacité à s’occuper seul.e : lire, finir un exercice, anticiper sur une leçon à apprendre, réviser la liste des mots à connaître…
11 h 25 :
Le minuteur géré par le « maître du temps » sonne le glas. C’est la fin des hostilités.
Certain.e.s négocient du rabe…
On ramasse les cahiers. Mon bureau n’est toujours pas rangé et s’y ajoutent déjà des évaluations qui attendent d’être corrigées.
En feuilletant les premières réponses, je me rends compte que les problèmes n’ont pas été réussis. Ai-je été trop rapide ? Ai-je présumé du talent de mes élèves ?
Je pense déjà à l’évaluation de la deuxième chance que je commence à rédiger dans ma tête… Ce week-end, il me faudra la finaliser puis la faire passer la semaine prochaine.
Cette fois, peut-être, aurai-je l’occasion de ranger mon bureau…ou pas.