L’année touche à sa fin

C’est le moment des bilans paraît-il…

Le bilan, arme à double tranchant car comme le référendum, il peut provoquer un remaniement pédagogique assez conséquent, voire faire dissoudre votre majorité au sein du groupe classe. À manier avec précautions, en choisissant des questions opportunes. Et surtout, disons-le tout de go, des élèves opportuns. Par opportuns j’exclus déjà les élèves opportunistes qui seront ravis de vous caresser dans le sens du poil pour obtenir vos faveurs l’année prochaine, ce qui fonctionne bien je l’avoue, avec mon égo surdimensionné.

J’ai donc choisi trois élèves lambdas de ma classe de Terminale Industrie Graphique, Claire, Chloé et Léa, pour répondre à quelques questions.

Voilà les réponses !  (J’insiste bien, les vraies réponses)

1. Que retenez-vous de cette année ?

« Vous nous avez appris trop de trucs, j’ai le cerveau en compote à force de réfléchir à tout. »

« En français, vous nous avez appris à charcuter les textes. La charcuterie c’est plus qu’un métier, c’est une passion. »

« Vous nous avez appris à faire des rédactions argumentées et à faire le chirurgien. »

Alors non, bien entendu, je n’ai pas pu assez digresser au sein de mes séances pour aborder également le programme de la fac de médecine et du CAP boucherie… bien que parfois les copies de mes élèves ressemblent plus à un carpaccio rédactionnel qu’à un réel essai argumentatif. Néanmoins, deux remarques : les élèves travaillent trop (prenons quelques dixièmes de secondes pour les plaindre, voilà ça suffira), et les élèves aiment les images. Donc oui, les questions d’analyse et d’interprétations du bac devenaient sous mon influx un corps qu’il fallait disséquer, et j’exhortaient mes apprenants à prélever l’hyperbole comme d’autres prélèvent la rate. Quitte à les laisser en cours…. bouillon, ou plutôt bouillis.

2. Votre pire moment dans cette année scolaire…

« Quand je me lève le vendredi pour seulement deux heures de cours avec lui mais bon, il mérite. Les heures de sommeil perdues et les 3 heures de transports je n’en parlerai pas. »

« Les contrôles et les exposés »

Eh oui, le monde est parfois cruel et il place les heures de cours de manière complètement injustifiée et injustifiable ; réveillant les élèves aux aurores ou les faisant sortir tellement tard le soir qu’ils croisent des chauves-souris sur leur chemin. Le tout est de leur proposer quelque chose d’attractif. Ok, donc pas d’évaluation. Ok, donc pas d’exposé. Ok, on va pas encore lire et étudier des textes. Ok, on va pas ENCORE écrire une rédaction ou analyser une carte géographique. En résumé les élèves aiment bien se lever pour faire des goûters. Les goûters, c’est ce que l’Éducation nationale a inventé de plus efficace pour contrer l’absentéisme des élèves et souder un groupe classe. Les goûters, c’est la vie.

3. Votre meilleur moment…

« Les exposés !!!!! Je suis une grande fan ! »

« Quand j’ai eu un magnifique 17 et des magnifiques commentaires sur ma copie. Un bonheuuuuuuur ! »

« Quand il n’y a pas de contrôle ni d’exposé. »

Deux éléments clés dans le comportement adulescent de nos élèves ressortent de ces réponses : leur profonde diversité, ça c’est fait. Le second ? Leur côté borné. Ajoutez ces deux ingrédients et multipliez ça par 24 et vous obtiendrez la recette de l’effiloché professoral. Quoi que vous proposiez, ils ne seront jamais tous d’accord, ni tous contents. Que ce soit dans le choix du support, de l’exercice proposé ou de l’opus d’Harry Potter visionné. Et à la fin. Y en aura toujours un qui boudera et vous en voudra à mort pour toujours/pour la journée. Car à la fin de celui-là, Dobby il meurt.

4. Quel est l’objet d’étude en français qui vous a intéressé ?

« À vrai dire tous ceux de français, l’éthique et la décolonisation en Inde et Algérie et… non en fait, c’est bon. »

« Identité et Diversité. »

Bon ok, vous m’avez eu, vous m’avez démasqué. J’ai pris trois élèves qui connaissaient ce qu’est un objet d’étude. C’est choupinou. Car certains se demandent encore pourquoi on a étudié la bioéthique et la PMA en Géographie. Privilège d’enseigner 4 matières. Avec toujours la même gueule à proposer. La mienne en l’occurrence. Du coup, toujours préciser dans quelle matière on est, sous peine de lire des rédactions portant sur la décolonisation en plein bac de français.

5Et sinon, la France dans l’Union Européenne ?

« C’est ultra chiant, trop de dates et pas assez fun. Là j’ai failli dormir. »

« C’est aussi intéressant que le chapitre sur les logarithmes népériens. Je connais que le nom de cette leçon de maths, pas ce qu’elle contient… »

« C’est chiiiiiiant et galère à retenir, bordel de cul. »

Oui ça ce n’était qu’un vil test de plus pour évaluer leurs connaissances à l’orée du baccalauréat. On retiendra que la première confond la séquence de géographie avec celle d’histoire sur la construction européenne. Oui, la géo ce n’est pas « fun ». On joue difficilement avec la diagonale du vide et j’ai toujours eu du mal à les distraire avec les plateformes multimodales. On retiendra également que les mathématiques sont définitivement une matière aux confins du glamour, et qu’on ne peut donc pas se plaindre de sa matière quand on voit celle des autres. Il y a toujours pire ailleurs. Ah oui et les élèves sont d’une vulgarité, putain de merde. C’est dingue.

6. Que changeriez-vous chez Monsieur Z ?

« Sa petite calvitie précoce ? »

« Ses expressions. Non parce que « À + dans l’bus » ça passe plus en 2019. »

 « Rien, même si c’est un fossile »

Il était pourtant évident que je parlais d’éléments purement pédagogiques. J’attendais « sa manière de présenter le plan Schuman », « sa rapidité lors de la dictée de la trace écrite » ou même sa qualité d’élocution. Mais non, pensez-vous ! Que vive la trivialité de la jeunesse, qui décidément ne pardonne rien. Mais rien. Ni les années qui passent et qui nous usent à la fois moralement mais aussi physiquement. Oui, j’ai 41 ans, mais de là à être traité de la sorte… avec des expressions ringardes, mais que nenni ! Diantre. Me voilà fort marri.

7. Un truc à avouer avant de partir ?

« Vous êtes le seul prof avec qui je n’ai pas dormi en cours. »

« J’ai écrit les dates clés sur ma table à certains contrôles d’histoire… Mais bon, sans rancune, hein ? »

« Je pense que j’en ai assez dit, merci ! Ah si, j’adore votre coiffure ! »

 

De la rancune point du tout. Au contraire.

De la joie profonde d’avoir partagé cette année avec elles. Et les autres. Petit pincement, non… grave gros pincement. Quand une classe a si bien fonctionné. Et quand on voit ce que l’avenir nous réserve, nous enseignants de français en lycée professionnel. Finalement, ce bilan fait du bien. Merci donc à eux, et merci à vous de m’avoir suivi cette année.

À l’année prochaine !

Ps : je me coupe les cheveux très très court en fait.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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