Vous savez que c’est faux tout ça, monsieur

Voilà une phrase qui a débarqué sans crier gare et sans préliminaires depuis quelques années au sein de nos salles de classe. Avant, jadis, l’enseignant déambulait dans son sanctuaire, déclamant son programme devant ses fidèles qui buvaient ses saintes paroles avant de les retranscrire mot pour mot dans des évaluations.

La parole était sacrée. Universelle. Indubitable.

C’est pas vrai ce que vous dites. C’est du fake.

Et voilà. La parole était mise à mal. Elle devenait soumise à interprétations. Aux doutes.

Puis à la négation.

La faute aux youtubeurs.

Mais nous n’étions pas les seules cibles, mieux encore, nous n’étions que des victimes collatérales du grand méchant système qui nous mettait de fausses idées en tête, et nous, en parfaits ovis stupidus. On suivait.

Un nouveau rapport aux médias

Je prends souvent cet exemple auprès de mes élèves. Exemple véritable. Quand il y a quinze ans de cela j’abordais le chapitre sur les médias, et la répercussion de l’information, je le faisais pour deux objectifs. À la fois leur expliquer le fonctionnement des médias, le travail des journalistes et des rédactions, comment on bossait sur le terrain, comment on recoupait les faits et j’en passe. Mais je voulais surtout développer leur esprit critique, et leur faire comprendre que ce n’était pas parce que la télé le disait que c’était forcément véridique, qu’il fallait parfois prendre de la distance par rapport aux informations, notamment à cause de l’infotainment. Les jeunes croyaient aux médias.

Désormais, quand je fais la même séquence, que j’ai bien entendu adaptée au XXIe siècle, mon travail est tout inverse. Je dois essayer, mais avec beaucoup plus d’ardeur qu’au préalable, de faire accepter aux nouvelles générations que les médias traditionnels ne disent pas QUE des mensonges. Oui, on en est là. Plus qu’une distance entre eux et LUI (le système politico médiatique), on est arrivé au célèbre :

C’est faux. Tout ça c’est inventé par des gens qui nous dirigent que vous savez pas c’est qui.

Vous l’avez compris. Et là, il faut chuchoter car on est sans doute en train de nous écouter, tout ça pour nous faire taire et ainsi instaurer une chape de plomb impénétrable entre les puissants de l’ombre et les masses laborieuses…

Qui ? Qui sont-ils ?

Les illuminatis ? Les francs-maçons ?

Les francs-maçons illuminatis que c’est eux qui ont caché le fils de Jésus kyste (putain, Dan Brown tu facilites pas la tâche, bordel).

Les reptiliens ?

Ah oui les reptiliens. Avec eux tout devient facile et compréhensible. En effet je veux bien aisément comprendre que si nous sommes gouvernés par une race extraterrestre supérieure douée d’une intelligence extraordinaire et démoniaque, elle en ait rien à foutre du gel d’indice des fonctionnaires, y compris du mien. Et qu’elle soit plus intéressée par le développement des geckos dans le sud de la France.

Et si ce ne sont pas les reptiliens. Ce sont de toute manière des gens qui détiennent le pouvoir, mais des gens que l’on ne connaît pas.

Qui dominent le monde et donc les médias

Et là tout s’écroule forcément.

Ma séance sur la puissance Américaine ?

Ils ont même pas découvert la lune, le drapeau il flotte alors qu’il y a pas d’air ces batards moi ils m’auront pas.

Ma séance sur les inégalités face à la santé ?

Le SIDA c’est un virus crée par les américains (ceux qui ont pas marché sur la lune mais ils veulent bien nous marcher sur la gueule) pour diminuer le nombre de gens sur terre.

Michael Jackson ?

En vie avec Ben Laden (pas forcément ensemble hein, ne commencez pas à répandre l’info).

Dupont de Ligonnès ?

Ok d’accord je sors.

Face à ces théories complotistes en pleine expansion, on a beau sortir la carte médias ou reportage, avec des faits avérés on s’aperçoit que c’est bien plus compliqué d’expliquer à des jeunes que des faits sont vrais, et d’autres faux.

Il faut donc décrypter, analyser, c’est un travail de fond, de sape.

Comment s’y prendre ?

Tout d’abord ne jamais éluder une question, voire même une remarque faite à la cantonade. Vous êtes en train de discourir de l’influence des explorateurs maritimes et là Enzo lâche un discret « Ouais mais la terre, elle est plate en fait »…

QUEEEEEEEEOI ? Vous stoppez là. Laissant Bougainville en plan. Et vous rebondissez sur la remarque. Vous en profitez pour établir d’où vient l’info, de quoi elle se compose, comment elle se démonte. Oui car au bout d’un moment, les bateaux ils vont bien finir par tomber dans un trou noir, dans le vide intersidéral. Comme la théorie d’Enzo.

Et là, en général, il y aura toujours quelques élèves qui vous soutiendront et qui parviendront sans doute mieux que vous à porter la contradiction : ça s’appelle la triangulation. Et ça fonctionne.

Reste le cas où la classe entière, fait rarissime, est contre vous. Dans ces cas-là ne pas hésitez à décaler votre réponse et à préparer une séance entière contre cette théorie, quitte à vous faire aider par un collègue. Madame Battagloua, par exemple, sera ravie de théoriser avec vous de l’utilité des vaccins, censés nous préserver des maladies et non pas nous les inoculer en secret.

Il vaut mieux être sûr de ce qu’on dit, de la manière dont on l’argumente. Surtout quand on est seul contre trente. Et surtout s’ils sont reptiliens.

Argumenter, expliquer, poser les choses valent mieux qu’un reportage tout prêt, tout emballé, tant la sphère médiatique et journalistique est gangrenée pour eux. Discuter plutôt qu’exposer les dires d’un autre.

Les réseaux sociaux

Car pour une séance de cours faite il y a par la suite douze heures passées sur les réseaux sociaux à avaler du prêt à comploter. À coup de snapchat Insta et FB, la contre information ne se réduit pas aux 35 heures par semaine, elle est continue.

Elle ne dort jamais.

Car, ils sont là, ils sont dans nos campagnes, dans les villes. Ils sont sur les réseaux sociaux….

À la base, FB était là pour réunir les membres d’une même communauté. Un réseau social. On avait pas dit ça au départ Mark ?

Parce que Mark. Toi et tes potos. Vous êtes devenus quand même le premier réseau informationnel de mes jeunes. Et ils ont du mal à faire la différence entre le figaro et le Gorafi, entre le site FB du Monde…

… et le FB du Mounde, le site à Frank et Moundir qui dékortikue l’actualité.

Alors, même si on pourrait se pencher sur ce phénomène des réseaux de manière générale (un appel au WebPédago pour une prochaine chronique. Big up !) ; il convient ici de remarquer que ces réseaux deviennent les vecteurs porteurs de l’information et de la désinformation. Alors oui, la lutte, le cœur du combat se situe essentiellement ici, dans la différenciation. Expliquer que si le site officiel FB du Parisien nous dit que Jacques Chirac (qui n’est pas le père de Kendji, non Lauriane) est décédé, c’est sans doute vrai.

Mais si c’est le FB perso de Michael Parisen qui dit que Sylvester Stallone est mort. C’est autre chose.

Et on finira par arriver à traiter, en cours de français, géo ou EMC du compte officiel de Neymar. Savoir si oui ou non il a dit ça sur Paris, son club de cœur.

Non mais Monsieur c’est pas hastag officiel c’est un fake ! Z’avez vu j’ai pris de la distance sur l’info comme z’aviez dit ! 

On avance. Pas à pas.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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