Et si on parlait un peu d’eux ?

Vous savez, je parle de ces petits bouts de vie qui restent sans se plaindre assis la journée sur leur chaise en bois à tenter de rester suspendus aux lèvres de leur enseignant qu’ils ne voient plus remuer sous le masque de papier… Vous savez, ces petites boules de nerfs qui, pour se détendre, ont pour habitude de grignoter le bout de leur crayon en guise de décompression et qui ne peuvent plus sentir le goût du plastique entre leurs dents de lait ou tester leurs définitives fraîchement arrivées… Ces petites boules de mots qui parlent à tout vent, qui chuchotent en cachette dans le dos de l’enseignant…

Et si on parlait un peu d’eux ? Nos élèves ? Nos héros ? qui sans un mot à donner, sans une opinion à exprimer se sont retrouvés du jour au lendemain muselés comme des bêtes sauvages… Comment vont-ils dans leur monde scolaire ?

Petit bilan

Avant, on chantait à tue-tête et on partageait les goûters, on aimait se prêter nos affaires sans aucun geste barrière, on passait nos récrés à se courir après… avant…

On allait faire du sport dans la salle du village, on pouvait taper du ballon, taquiner le cerceau, fêter la victoire et pleurer nos défaites ensemble. On choisissait nos livres à la bibliothèque, petite sortie extra chouette ! On récitait des poésies en chorale de mots mêlés, on rassemblait nos tables pour être plus proches encore en groupes, confortables, aimable moment… avant… On allait partager des moments sacrés avec les personnes âgées, prendre des photos pour une belle expo dans le hall de la mairie… avant…

Aujourd’hui, l’expo-photo c’est « interdit » et les personnes âgées, vaut mieux pas s’en approcher.

Et puis, on évite de chanter tant on a peur de la chaleur sous le masque.

En classe, le matériel est réservé, personnel : chacun pour soi, adieu jolie solidarité…

Le sport ? Dans la cour si le temps est clément, masqués si trop prêts évidemment.

Les goûters ? Oui bien sûr ! Mais chacun dans son coin, pas de partage, pas d’intrusion dans la zone de protection, pas de comparaison des goûts et des passions. Et n’oublions pas le 10e lavage de mains de la journée.

Jouer ? Oui toujours, encore, heureusement ! Mais qu’il est dur de terminer sa récré tout trempé sous ce maudit papier qu’il nous faudra changer dans la classe aérée… Aération durant les récréations, attention chute de température, voici l’heure de la dictée, sous les 15 degrés…

Alors oui, ce sont aussi des héros ! Ces petits marmots qui subissent sans un mot ! Mais des héros brimés dans leur jeunesse bridée…

Comment les aider quand soi-même on est muselé ?

D’autant qu’ « ON » demande à l’adulte enseignant d’être encore plus fort, plus inventif, plus réactif, plus dynamique parce qu’il faut les aider, ces petits élèves masqués. Pour vous aider, ON vous dira que « vous savez faire et que vous étiez prêt de toute façon à cette éventualité »

Alors, bon enseignant encore bien passionné, cherche les étoiles pour tenter d’égayer cette triste toile sombre d’hiver : il donnera un nom de super-héros à chacun de ses élèves, il tentera de bouger encore plus ses sourcils, d’arrondir encore plus ses yeux, il troublera sa voix pour la rendre plus vivante (jusqu’à la perdre), il lèvera les bras pour dévier la tourmente… Et puis, il lui faudra feindre d’ignorer les signaux corporels qui lui rappellent comme une alerte clignotante « vous êtes en chute libre d’oxygène » : maux de tête, palpitations cardiaques, étourdissements, suées… crevé en fin de journée…

Le chercheur d’étoiles tentera d’organiser sa classe autrement, ses cours différemment, les chansons seront écoutées plutôt que chantées à grandes goulées oxygénées. La piscine sera libératoire tandis qu’il faudra toujours éviter de se croiser dans le couloir. Il essayera de varier les supports, de faire rêver ses petits écoliers au demi-visage autrement… Il continue à faire lire, à faire rire, à applaudir mais… ça n’a plus le même goût et puis ce corps qui dit « stop, c’est tout ».

Je décroche, tu décroches…

Voici le temps des fêtes qui approche… Et ça y est, tout le monde décroche. Tandis que les contraintes nous maintiennent pieds au sol (les livrets, bulletins, évaluations…) les projets, les décorations, les préparatifs des festivités en mode déconfiné nous font illusion d’une LIBERTE retrouvée… on s’envole !

Les élèves veulent rêver, veulent quitter leur masque d’interdits, veulent VIVRE à plein sourire cette période si féerique à leurs yeux : ils oublient de remettre leur masque et on voit leur sourire comme avant, ils parlent en masse en classe créant un brouhaha détonnant, comme avant, ils sortent le nez tout le temps pour tenter de retrouver le goût du vent, comme avant…

Quoi leur dire puisqu’on les comprend ? L’envie d’en faire autant d’ailleurs me surprend ! Courir avec eux démasqués à travers les flaques de la cour de récré, manger du gâteau avec les doigts, chanter des chants de Noël en se serrant dans les bras, jouer aux jeux de société, s’offrir de merveilleux cadeaux,…

Oui, j’avoue ils décrochent, je décroche, on « décaroche » mais n’est-ce pas pour se raccrocher à un autre essentiel ? V I V R E !

Alors bon décrochage à tous et bonnes fêtes de fin d’année !

 

Une chronique de Claire Maurage

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