L’école est un lieu où la parole explose, il vous suffit déjà simplement d’entrer dans la cour de récréation pour en être éclaboussés : cris, rires, discussions, appels répétitifs à voix haute, interpellation des surveillants, chansonnette de bonne humeur… ça bourdonne dans tous les sens !

Seul le retentissement de la cloche aura le pouvoir d’atténuer ce joyeux vacarme.

En route vers la classe. Faut-il faire silence ? Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… pas du tout !

La parole est un moyen de communication comme l’est l’écrit ou le mouvement du corps. À la différence de l’écrit et du corps, l’oral peut très vite devenir envahissant : il ne donne pas le choix à celui qui le reçoit car il s’entend même si la volonté de l’autre est de ne pas l’écouter. L’oral s’impose tandis que l’écrit diffère et inscrit et que le corps se manifeste au regard qu’il trouvera accrocheur ou non.

Alors, l’oral en classe, doit être maîtrisé et dosé justement pour éviter l’envahissement permanent et incontrôlable.

Un peu

Au début de la journée, il est généralement demandé à l’ensemble des élèves de parler « peu », ou à voix basse ou plutôt « intelligemment » en respectant le cadre de « distribution » de la parole que tente de préserver l’enseignant : lever de doigt, questionner après la consigne, échanger quand son travail personnel est terminé.

Cette parole, disséminée, parsème l’accueil du matin par un petit « bonjour à chacun », un échange sur la météo par l’un, une info par l’autre, un repas confirmé à la cantine par un troisième. Le tout en douceur pour réveiller les neurones et dissiper la mauvaise nuit passée de certains ou de la maîtresse. Cependant, il est important de démarrer la journée en connaissant l’état d’esprit du groupe et des élèves pour s’adapter au climat ou au contraintes apportées en classe.

Rien n’empêche de prendre la température du groupe sans pour autant donner la parole à chacun.

Doser peu mais viser bien

C’est le principe de « la météo du cœur » que j’exerce chaque matin en classe.

À la question « Comment allez-vous ? », au lieu de crier « ça va hyper bien madame ! » ou « ch’ui pas en forme… » je propose à mes élèves de répondre par un geste qui correspond à leur humeur matinale :

Ainsi, en un cliché photo de ma classe, je peux délibérément donner la parole à ceux qui « en ont besoin » :

Des informations courtes, efficaces et ciblées pour adapter son timbre, son attitude et ses exigences de travail au « mieux de chacun » dans le respect de son histoire personnelle.

Un petit peu pour un grand bien !

Beaucoup

Dans la journée d’école, le « parler beaucoup » a aussi son importance ! Comme une cocotte minute, il permet une pressurisation du groupe classe. Nous le savons bien : se contenir dans la parole, dans les déplacements en classe durant une journée n’est pas en adéquation avec les besoins réels des jeunes enfants de l’âge primaire. Ils sont des enfants de la terre non pas des enfants de la « taire » : ils ont besoin de courir, sauter, rouler, bouger, chanter…

Voilà le meilleur temps d’expression pour le « beaucoup » : le chant et le sport !

Ces moments de (presque) liberté vocale permettent à nos petits élèves (masqués, ne l’oublions pas) de vider leurs poumons et leurs angoisses contenues derrière ce masque coupe/parole. La muselière étant levée en sport, la distanciation appliquée, voici que l’activité de course de relais peut se voir ponctuée d’encouragements et de cris du cœur jusqu’à la fin du chronomètre et même au-delà. Les rires, les applaudissements, les « rageux » aussi prennent alors la parole pour vider leurs émotions et réguler leur énergie. Le sport, c’est la vie, c’est l’expression du corps et de l’esprit !

La musique aussi, le chant surtout, mène à l’expression par la libération de l’organe vocal : enfin, je peux libérer ma voix. Mais, le masque, toujours là retiendra les plus fragiles et j’avoue que de faire chanter mes élèves sous cet effet « muselière » ne me motive pas du tout et m’attriste bien plus. Comment expliquer les techniques de respiration pour améliorer le son lorsqu’on se retrouve coincé avec sa propre haleine et trempé de sa sueur extrême ? Peu réjouissant finalement… le chant… autant parfois « chanter dans sa tête »…

Passionnément

Et puis, il y a ces moments « magiques » où la passion prendra le dessus sur les règles de parole et le cadre de discussion… Ces moments d’irruption de l’improbable dans la classe ou dans la vie de la classe. Il y a quelques jours, un papillon de nuit s’est trouvé au milieu de notre salle de classe. Il ne pouvait échapper à mon œil de lynx d’autant que nous sommes en train de travailler le « vivant, non vivant »… La passion du moment prend le dessus : je m’empare de cet insecte ailé et questionne mes élèves. Vivant ? Non vivant ? Pourquoi ? De quoi a-t-il besoin enfermé dans la classe depuis 3 jours ?

Au diable alors les belles manières ! Chacun s’interpelle, propose, questionne à voix haute, les discussions font débat : il a faim, il mange le plafond, mais non il a besoin de fleurs, mais non il dort… La parole libérée, chacun a su exprimer en peu de temps son idée ou recevoir celle de l’autre, ou donner son avis, sans règles et sans interdits ! Un pur moment de plaisir passionnel dans un joyeux « brouillon d’allocutions ».

Pour mettre un terme à cette passion cependant (pour le bien du papillon et la suite de la journée), il a fallu ouvrir la fenêtre et laisser le papillon partir, retrouver ce dont il avait réellement besoin (pas top génial à manger, un plafond !).

D’autres moment d’instant d’oral passion, ce sont les moments de « Flash info » en classe.

Le principe ?

Une rencontre insolite, un objet curieux, une visite extraordinaire, un livre incroyable et l’envie de partager tout cela avec la classe. Et voici le… « Flash info » ! L’élève qui a – un peu – préparé sa présentation se trouve alors en totale liberté de parole et d’expression durant 5 à 10 minutes face à ses camarades pour partager son « aventure » : j’ai fait de la poterie, j’ai rencontré une chanteuse, je suis allée dormir dans un parc au milieu des ours…

L’échange qui s’en suit permet à cette passionnante expérience d’être comprise dans les moindres détails : les camarades exposent leurs questions au libre choix de l’exposant. Moment de liberté d’action et d’expression.

À la folie

Et puis il y a aussi ces moments particuliers où le « lâcher prise » mènera la parole à être folle. Non seulement celle des enfants mais avant tout celle de l’enseignant. Ce moment où, vous ne savez pour quelle raison, vous dites « n’importe quoi ». Peut-être pour les faire réagir… peut-être parce que votre humeur du jour, joyeuse, vous donne envie de la partager, peut-être parce que c’est… la veille des vacances !

J’avais prévu ce jour-là de faire une dictée de contrôle des bases graphophonologiques de mes élèves. Mes « faux mots » n’ayant aucun sens, je disais à mes élèves qu’il s’agissait de mots extraterrestres pour qu’ils acceptent mieux de ne rien comprendre et « d’écrire comme ils pensent ». Ça aurait pu se limiter à ça… mais … me voilà à raconter que l’extraterrestre de mon jardin m’avait regardée en tournant sur lui et en disant « brochimu » ! Et puis, lorsqu’il avait sauté partout dans tous les sens avec des paillettes qui sortaient de ses antennes, il avait ajouté « carnitan »… Folie de la parole qui entraîne la folie des élèves : ils questionnent, ils demandent, s’interpellent, en redemandent ! Par-ci, par-là, voici l’extraterrestre qui prend vie dans l’imaginaire des enfants.

Deux solutions :

Cette fois, ma dictée a été bien longue. Mais quel plaisir de s’être permis cette petite escapade de folie. J’ai certes perdu du temps, mais j’ai gagné l’adhésion de mes élèves à cet exercice peu sympathique de base que je leur demandais.

Quand la folle parole fait du bien, n’hésitez-pas à lui laisser sa place !

Et puis, il y eut une année où j’inventais « Madame Bidule » pour que l’oral puisse investir l’espace classe naturellement. Il s’agissait alors de faire semblant de m’endormir et de faire éveiller à ma place une « madame Bidule » qui était de passage mais dont seuls les enfants pensaient connaître l’existence !

Pourquoi une telle folie ? C’était en classe de CP et parler pour faire parler n’était pas super motivant pour le groupe classe. Et ils avaient raison : pourquoi raconter à la maîtresse le travail qu’on fait, ce qui vient de se passer puisqu’elle était là, elle a vu, elle a vécu !

L’arrivée de ce personnage extraordinaire qui semblait remplacer la maîtresse endormie déliait les langues. Le voyage vers la folie permettait aux élèves d’argumenter, de contre-argumenter ou simplement de se laisser aller au jeu : madame Bidule, tu sais en ce moment on prépare une exposition sur les fourmis ! Et puis notre madame elle dort alors viens voir…

Pour mettre fin à ce temps de parole follement déliée, Madame Bidule s’endormait à nouveau et me laissait revenir. Je n’avais plus qu’à résister aux petits yeux accusateurs de « ceux qui savaient » et résister à mon envie de rire face à « ceux qui doutaient et cherchaient l’erreur »…

Pas du tout

Oral ô désespoir ! Bien que parler fait du bien et amène à bien développer l’esprit d’équipe, l’esprit critique ou à libérer ses énergies tout en apprenant le respect des opinions ou de l’écoute d’un groupe de parole, il arrive un moment dans les journées de classe où l’oral n’a pas sa place.

Le temps calme, les consignes, les évaluations.

Je sais donc je tais, j’écris. C’est parfois ainsi qu’on tente de mesurer l’empreinte des savoirs de chaque élève : la restitution écrite des savoirs. Sans nul doute vous souvenez-vous avoir rouspété Mathilde qui naturellement bondissait sur sa chaise en criant « 16 ! » en réponse au 4×4 demandé à Louis qui apprend ses tables depuis trois semaines sans succès. Sans nul doute aussi avez-vous repris dix fois Gaspard qui chantait dans son coin pendant le travail de calcul ou Léonie qui ne cessait de bavarder avec son crayon ou Antonin qui ne pouvait s’empêcher de continuer de raconter son week-end à sa voisine…

Chaque chose en son temps et chaque parole dans son espace. N’oublions pas que nous sommes en classe.

Pour tenter de trouver un palliatif à cette habitude contemporaine qu’est le « coupage de parole » ou le « cause toujours ça m’intéresse… pas », il est possible de recourir à la sanction : feu rouge de comportement, ramassage de bon-points… Mais la sanction stoppe l’action sans amener à la réflexion.

En quoi le fait de parler à ce moment-là était-il gênant ?

L’enfant tentera de dire « n’ai-je pas le droit à ma liberté d’expression » ?

Le défouloir

Cette année, j’ai rapidement installé un « défouloir » dans ma classe. Cet espace équipé d’une chaise et d’une table isolée du groupe, lui tournant le dos, est un espace dédié à l’élève qui ne sait pas contrôler sa parole et son corps.

Voici le principe : tu as le droit d’être énervé ou d’avoir envie de parler ou de bouger. Seulement, dans un grand groupe classe, tu dois respecter les autres et leur besoin de calme pour travailler. Je respecte ton besoin, respecte le mien, le tien, le nôtre, le leur. Je t’offre un endroit et un moyen de réguler ton énervement, à toi de faire le reste.

Ainsi, le défouloir devient un lieu d’accueil pour enfant en besoin d’expression. Il lui permet grâce à la mise à disposition de crayons, papiers, livres, de trouver un moyen – son moyen – pour se calmer ou s’exprimer. L’élève peut lire, déchirer du papier, gribouiller, dessiner.

Il revient à sa place lorsqu’il se sent calmé et prêt à respecter la consigne de « silence » demandée pour travailler. La seule contrainte : tout le travail qui sera fait devra être rattrapé (durant un temps d’aide personnalisée ou à la maison).

Ce défouloir, d’abord amusant et attirant, par la liberté qu’il propose y a vu séjourner quelques élèves durant de longs moments… Isolement sans sanction, proposition de régularisation de la parole par autre chose qu’une frustration. A ma grande surprise, les temps de « défouloir » se sont réduits d’eux-mêmes ramenant dans le plus grand silence les enfants à leur place décidés à faire le travail demandé.

Il m’a même été donné de surprendre sur quelques feuilles de papiers des mots « extraterrestres » de dictée…

La parole est d’argent mais parfois aussi… le silence est d’or !

 

Une chronique de Claire Maurage

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