Alors qu’aujourd’hui, la voie professionnelle est promue « voie de réussite et d’excellence » par le gouvernement, il faut bien reconnaître que, dans les mentalités, il persiste encore quelques préjugés à ce sujet…
Les entretiens individuels de début d’année
En début d’année, alors que l’on reçoit chaque élève en entretien individuel pour faire connaissance, et démarrer un suivi personnalisé, à la question « Pourquoi avoir choisi le bac pro commerce (ou autre filière pro) ? », il est fréquent d’entendre « Bah…j’voulais être architecte mais j’suis trop nul à l’école, alors mes parents, y m’ont dit d’faire ça… Pis, c’est pas loin de la maison »…
Et à chaque fois, c’est la claque !
Je ne sais pas pourquoi, mais chaque année, c’est la même chose : il faut toujours que je tombe des nues lorsqu’un élève me tient ce discours… Impossible de m’y habituer !
Et cela tient à trois raisons :
- La première, c’est que je suis trop idéaliste, car en plus d’être convaincue par la voie professionnelle, j’ai toujours l’impression que l’on choisit cette voie par vocation.
- La deuxième est que je pars du principe qu’un élève ne peut pas être « nul », il a forcément des talents, des qualités que l’on doit s’attacher à valoriser et à mettre en valeur coûte que coûte (même si parfois cela demande du temps et beaucoup d’énergie).
- La troisième est que j’oublie que l’orientation peut être un choix par défaut… car la question se pose trop tôt pour certains, d’autres sont malheureusement freinés par leurs résultats, et d’autres emprisonnés dans des préjugés !
Orgueil Orientation et préjugés…
Eh oui, l’orientation n’est pas un sujet épargné par les préjugés : qu’ils soient liés au genre, à la catégorie sociale ou au niveau scolaire, en tant qu’enseignant, c’est toujours le même combat, celui de la déconstruction de ceux-ci…
Et pour déconstruire, pas de recette miracle, simplement quelques astuces que je teste régulièrement…
Quid des astuces ?
Tout d’abord, je tente, par le biais d’échanges, de contre-arguments, avec du temps, de montrer à nos élèves que la voie professionnelle ne doit pas être vue comme une voie de garage… Parce que ce n’est pas vrai, et peu valorisant pour nous tous, élèves et enseignants.
Ensuite, il n’est pas rare que nous mettions en place avec mes collègues quelques activités pour travailler l’estime de soi.
Deux exemples :
- Par petit groupe, chaque élève doit chercher deux qualités à chacun de ses pairs. Généralement, il y a de bonnes surprises et certains s’étonnent de la manière dont leurs camarades les perçoivent.
- Autre idée, j’aime bien prendre le temps, après un exercice oral individuel, de lancer un instant « chaudoudoux ». L’idée est de permettre d’exprimer à un camarade un ressenti positif sur sa prestation, ce qu’il nous a inspiré (le fameux « chaudoudoux »). Mais attention, il ne s’agit pas d’évaluer la prestation mais simplement d’« envoyer » à son camarade un « tu m’as inspiré de la gentillesse » ou « tu incarnes la joie de vivre », « Tu étais passionné par ce que tu disais », etc…
Aussi, pour évaluer la montée en compétences de chacun, je teste cette année le concept de « capsules temporelles », cette petite boîte dans laquelle j’ai invité mes élèves à y glisser un CV, des objets/photos qui les représentent aujourd’hui, la rédaction d’un autoportrait, leur test de positionnement, etc… et nous les ouvrirons à la fin de leur formation. Ainsi, cela nous permettra d’évaluer leur montée en compétences de manière très concrète pour eux, au travers de toutes les nouvelles connaissances et compétences acquises, en stage, en classe et dans la vie de tous les jours.
Également, je travaille à ce qu’ils retrouvent confiance en eux, à ce qu’ils me fassent confiance aussi… et croyez-moi quand on enseigne le français et l’HG, ce n’est pas toujours facile… Alors pour ça, je démarre l’année avec de petits exercices où, à partir du moment où ils produisent quelque chose, je trouve toujours à les valoriser… L’opportunité pour moi de commencer à tisser une relation de confiance et déconstruire cette idée « qu’ils sont nuls en français et en HG, car c’est comme ça depuis toujours »… L’opportunité pour eux de se réconcilier petit à petit avec la matière… sans espérer déclencher de passion non plus, je reste lucide !
Enfin, il n’y a pas à dire, les périodes de stage viennent contribuer également à la déconstruction des préjugés… C’est souvent un moment où ils comprennent enfin qu’ils sont dans une « vraie » formation et que l’enseignement professionnel, ce n’est pas réservé à ceux qui se pensent « nuls » ou « pas très bons » à l’école.
Et si on concluait avec une anecdote personnelle ?
Car les préjugés ne s’arrêtent pas là, ça marche aussi dans l’autre sens ! Vous savez, quand on vous ferme la voie professionnelle car vous avez largement le niveau pour des études générales…
Eh bien, vous savez pourquoi je suis devenue enseignante (au-delà du fait que cela me passionne aujourd’hui) ? Parce qu’au départ, c’était un rêve de petite fille, encouragé par la fierté qui se lisait dans les yeux des mes parents et parce que comme j’étais dite « bonne » à l’école (type « Première de la classe »), à aucun moment, on ne m’a pas laissé la possibilité d’imaginer une autre orientation, ni même proposé de découvrir autre chose… Résultat, pour mes 32 ans, je me suis lancée un défi : passer le CAP Cuisine en candidat libre… Pourquoi ? Pour le plaisir, pour me rassurer sur ma capacité à apprendre un métier plus manuel, pour retrouver la place d’apprenant…
Et vous savez quoi ? Défi réussi…pour ma plus grande fierté !