Un appel à l’action

Remontant l’A7 mardi 28 août pour rejoindre mes pénates, j’ai eu tout loisir d’écouter ce moment de confession et de psychanalyse en direct qu’a été la démission de Nicolas Hulot sur France Inter. Buzz médiatique affolant Twitter dans l’instant, l’entretien s’est surtout révélé riche tant sur le plan de la situation environnementale que sur le sens de l’engagement politique, mêlant information et émotion sans sombrer dans le sensationnalisme. Jetant l’éponge, Nicolas Hulot lançait par la même occasion un appel à l’action qui nous interpelle tous et immanquablement ceux qui forment les consciences.

Pour cette rentrée, j’ai voulu que la leçon inaugurale avec tous mes élèves porte sur ce fait politique à la croisée de tant de sujets au cœur de nos programmes : politique nationale et internationale, développement durable, géographie des risques et migrations climatiques. En jargon Educ’Nat’, c’est un cours d’EDD soit « l’éducation au développement durable qui permet d’appréhender la complexité du monde dans ses dimensions scientifiques, éthiques et civiques. Transversale, elle figure dans les programmes d’enseignement. » De la maternelle au baccalauréat, chaque enseignant doit y contribuer pour sensibiliser les élèves et faire bouger les lignes.

Toi ministre, que ferais-tu ?

Pour la séquence « Moi, ministre de l’écologie », j’ai avant tout cherché à expliciter l’événement car une bonne partie des élèves ne connaissaient pas Nicolas Hulot. L’éducation au développement durable passe par une éducation au politique qui ne se contente pas d’égrener les valeurs de la république pour rendre les élèves penseurs et acteurs. Il faut entrer dans la complexité de notre système politique où être au pouvoir ne signifie pas nécessairement avoir le pouvoir. Comme le dit l’ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage dans cette interview, un.e ministre ne peut avancer ses pions qu’avec l’accord du président et du premier ministre. Cela fait forcément réfléchir aux formes de l’engagement qui ont causé bien des dilemmes à Nicolas Hulot (où est-on le plus utile ? fallait-il entrer dans le gouvernement ou pas ? jusqu’où aller au regard de nos contradictions et de celles de la société ?).

En ce début d’année, faire prendre conscience aux élèves de la gravité de la situation en leur donnant les clés pour discuter et débattre était mon objectif premier. En s’appuyant sur des vidéos et une Google Maps (disponibles ici), les élèves devaient comprendre une sacrée contradiction : que s’est-il passé pour que Nicolas Hulot, pilier de l’écologie et homme de pouvoir, démissionne alors que « la planète est une étuve » ? Mis en situation de remplacer le ministre, les élèves ont produit des textes qu’ils ont lu ou clamé à leurs camarades. Écoutez cet élève de 6e (lecteur ci-dessous) et rassurons-nous, beaucoup d’élèves ont déjà une connaissance des enjeux environnementaux et des solutions possibles pour lutter contre le réchauffement climatique. Toutefois, bon nombre n’ont pas intégré les gestes pour la planète pourtant enseignés depuis l’entrée à l’école et j’ai vu dans chacune de mes classes des élèves regarder le bout de leurs chaussures quand on parle de ne pas jeter papiers et mégots par terre. On sait mais on ne fait pas.

Mobiliser les élèves, c’est éduquer au politique

De fait, la sensibilisation ne suffit pas. Il faut mettre nos élèves en projet sur ces questions et si de nombreuses initiatives ont fleuri dans les établissements scolaires, ne manque t-il pas une démarche plus globale, coopérative et politique pour que les élèves soient vraiment mobilisés par l’enjeu ? Certes, la labellisation « E3D École/Établissement en démarche de développement durable » a été un levier pour éveiller les consciences, mais si je regarde mon établissement labellisé éco-collège il y a 4 ou 5 ans, on s’essouffle sur le sujet par manque d’interactions, de partenariats et d’un projet fédérateur. Dans les Cahiers Pédagogiques, Sylvain Connac mise sur la pédagogie de projet et les approches coopératives pour mobiliser tous les élèves :

« Ce n’est pas une dynamique qui ne concerne que quelques élèves, choisis parmi les meilleurs. Au contraire, elle s’adresse à chacun des jeunes fréquentant nos écoles, y compris les plus fragiles et modestes. Il est même à prévoir que, d’ici quelques années, si l’Éducation nationale et ses partenaires parviennent à associer massivement les élèves français à cette cause impérieuse, ce sont d’autres défis éducatifs que nous parviendrons à résoudre, notamment celui de la réussite des élèves les plus éloignés de la culture scolaire. Ou comment faire se rejoindre écologie et fraternité. »

J’ai lu cette année, mais je ne retrouve plus le lien… excusez donc les approximations, qu’une collègue de maternelle emmenait une fois par semaine sa classe au jardin quels que soient la saison et le temps. Sauter dans les flaques, sentir le froid, avoir chaud, creuser la terre, cueillir un bouquet… Ce contact hebdomadaire avec la nature lui servait de matière en classe pour évoquer les sensations et émotions qui nous relient à l’environnement. Plus besoin de longs discours pour comprendre qu’il faut protéger la nature, les élèves le savent et le sentent. Aux échelons supérieurs, il faudrait que cette conscience environnementale chevillée au corps serve leurs capacités d’action au sein des Conseil de vie collégienne et lycéenne. Pour que monte de nos classes une génération prête à lutter contre le lobbying, les enjeux économiques et politiques de court terme qui freinent la lutte contre le dérèglement climatique, l’éducation au politique compte autant voire plus que l’EDD. Comprendre pourquoi on lutte c’est bien, savoir comment c’est mieux.

 

Une chronique d’Emmanuel Grange

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