les registres littéraires. Exercices.

Cette fiche vous est offerte par Mme Parmoli, professeur de français au lycée.

LES REGISTRES_exercices

Les genres littéraires.

Fiche sur les genres littéraire.

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Stendhal

Stendhal (1783-1842)

Repères chronologiques

1783
Naissance à Grenoble de Henri Beyle, fils de Henriette Gagnon et Chérubin Beyle.
1786-1788
Naissance de ses deux sœurs : Pauline (en 1786) et Zénaïde (en 1788).
1790
Mort de sa mère. Rapprochement avec son grand-père maternel, le docteur Henri Gagnon.
1792
Début du préceptorat de l’abbé Raillane qui fera souffrir Henri Beyle par sa tyrannie.
1796
Entrée à l’École centrale de Grenoble.
1799
Obtention du premier prix de mathématiques à l’École centrale de Grenoble. Départ pour Paris afin de se présenter au concours d’entrée de l’École polytechnique, mais Henri Beyle finit par y renoncer.
1800
Grâce à son cousin Pierre Daru, entrée au ministère de la Guerre en tant que surnuméraire. Engagement dans l’armée de réserve de Napoléon et participation à la campagne d’Italie. Engouement de Henri Beyle pour ce pays, qu’il considèrera désormais comme sa patrie.
1801
Obtention d’un congé maladie qui lui permet de retourner à Grenoble.
1802
Rencontre à Grenoble de Victorine Mounier, dont il s’éprend. Démission de l’armée pour pouvoir se consacrer à la littérature.
1803
Écriture d’une comédie, Les Deux Hommes.
1804
Correspondance active avec sa sœur Pauline. Création d’une nouvelle comédie, Letellier.
1805
Amant de l’actrice Mélanie Guilbert, avec qui il part pour Marseille. Emploi dans une maison d’import-export.
1806
Départ pour la Prusse où il assiste de loin à des batailles napoléoniennes, qui seront source d’inspiration pour La Chartreuse de Parme.
1810
Accession à la fonction d’auditeur au Conseil d’État, puis à celle d’inspecteur du mobilier et des bâtiments de la Couronne.
1811
Liaison avec Angela Pietragrua, dont il avait fait la connaissance onze ans plus tôt lors de son premier séjour à Milan.
1812
Écriture de l’Histoire de la peinture en Italie.
1815
Élaboration de son premier livre, Lettres sur Haydn, Mozart et Métastase, qui paraît à Paris sous le pseudonyme de Louis-Alexandre-César Bombet. Rupture avec Angela Pietragrua.
1817
Publication de l’Histoire de la peinture en Italie, puis, sous le nom de M. de Stendhal, Rome, Naples et Florence en 1817.
1819
Conception d’Une vie de Napoléon. Début d’une grande passion pour Mathilde Dembowski.
1821
Accusations d’espionnage par le gouvernement autrichien, qui l’oblige à quitter Milan et à faire ses adieux à Mathilde.
1822
Parution en deux volumes du traité De l’amour.
1823
Publication du premier Racine et Shakespeare, manifeste en faveur du « romanticisme », et de la Vie de Rossini.
1825
Mise en vente du second Racine et Shakespeare et du pamphlet D’un nouveau complot contre les industriels. Mort de Mathilde Dembowski.
1827
Publication d’Armance, son premier roman.
1829
Parution des Promenades dans Rome et d’une nouvelle qui est publiée dans la Revue de ParisVanina Vanini.
1830
Publication en deux volumes du roman Le Rouge et le Noir.
1839
Mise en vente de La Chartreuse de Parme.
1840
Écriture de Lamiel, roman qui tente de donner un pendant féminin à Julien Sorel, mais qui restera inachevé.
1842
Décès de Stendhal, qui sera inhumé au cimetière Montmartre.
Photographie de la tombe de Stendhal qui se trouve au cimetière de Montmartre à Paris.
Photographie de la tombe de Stendhal qui se trouve au cimetière de Montmartre à Paris.

Manuscrit original d’une lettre de l’auteur

Extrait d’une lettre de Stendhal adressée à sa sœur, Pauline Beyle, le 20 août 1805.
Extrait d'une lettre de Stendhal adressée à sa soeur, Pauline Beyle, le 20 août 1805.

© Droits réservés.
Ta lettre est charmante pour moi, ma chère Pauline, et pour tout autre elle serait sublime. Ce qui me charme surtout, c’est cette peinture naturelle et profonde d’un caractère sublime et touchant. C’est précisément ce que tu voulais ôter. Ne fais donc plus cette faute de jugement qui te fait croire que les endroits les moins intéressants de tes lettres sont ceux où tu parles de toi. C’est une excessive modestie qui te porte à cette erreur. D’abord pour moi, tu sais s’ils sont les plus intéressants. Pour le public, si tes lettres étaient destinées à être publiées, ils le seraient encore ; ces endroits développent un grand caractère, mêlé à une profonde sensibilité, et c’est ce qui touche le plus.
Le reste de tes lettres ne serait intéressant qu’à proportion de ce qu’il y aurait du toi dedans, enfin ce qui ne serait que simple récit serait indifférent en général au public, parce que le hasard ne t’a pas encore rendue témoin d’événements bien intéressants. Plus on creuse avant dans son âme plus on ose exprimer une pensée plus secrète, plus on tremble lorsqu’elle est écrite : elle paraît étrange et c’est cette étrangeté qui fait son mérite. C’est pour cela qu’elle est originale et si d’ailleurs elle est vraie, si vos paroles copient bien ce que vous sentez, elle est sublime. Écris-moi donc exactement ce que tu sens.
Il y a un écueil dans cette habitude qu’il faut prendre. On ne se trouve pas assez d’esprit pour peindre juste ce qu’on sent, et, convenant du principe, on se conduit comme si on ne le croyait pas. C’est une erreur, il faut écrire indifféremment dans tous les moments.

L’auteur vu par d’autres écrivains

Stendhal a toujours suscité des avis très partagés sur son style d’écriture et sur sa personne, comme peuvent en témoigner ces quelques citations d’écrivains célèbres.
Paul Valéry (1871-1945)
« Henry Beyle est à mes yeux un type d’esprit bien plus qu’un homme de lettres. Il est trop particulièrement soi pour être réductible à un écrivain. C’est en quoi il plaît et déplaît, et me plaît. »
André Pieyre de Mandiargues (1909-1991)
« Je crois qu’il est hautement salubre, printanier en quelque sorte, païen dans le meilleur sens du mot. »
Julien Gracq (1910-2007)
« Il n’a ni grande invention, et il le sait (il lui faut la béquille du fait divers) ni grande technique (quoiqu’il s’en vante) ni grande imagination (et il s’en moque) ni, autant qu’on le dit, de cette « profondeur psychologique » qui est surtout chez lui vivacité de la formule et ingéniosité du trait – rien que cet allegro intime, ce staccato grêle et un peu sec qui n’est qu’à lui, mais au rythme duquel la vie en effet se remet irrésistiblement à danser. »
Georges Perros (1923-1978)
« Il aime les femmes. Mais il s’aime bien davantage à leur contact. Sans leur compagnie il s’étiole, ne se sent plus, perd ses couleurs. Comme je le comprends ! Comme j’eusse aimé vivre à sa manière allègrement, espièglement tragique. »
http://www.ibibliotheque.fr/le-rouge-et-le-noir-stendhal-ste_rouge/autour-de-l-auteur/page4

Le Rouge et le Noir de Stendhal.

L’affaire Berthet, une source d’inspiration pour Stendhal

Stendhal s’est notamment inspiré de l’affaire Berthet pour écrire Le Rouge et le Noir. Il a établi le canevas de son roman en s’appuyant sur les grandes étapes de la vie d’Antoine Berthet : fils d’un maréchal-ferrant, entrée au séminaire, occupation de la fonction de précepteur…
Les articles ci-après, dont Stendhal a pu avoir connaissance, relatent les circonstances de l’affaire.
LA GAZETTE DES TRIBUNAUX
« […] Jamais les avenues de la cour d’assises n’avaient été assiégées par une foule plus nombreuse. On s’écrasait aux portes de la salle, dont l’accès n’était permis qu’aux personnes pourvues de billets. On devait y parler d’amour, de jalousie et les dames les plus brillantes étaient accourues. L’accusé est introduit et aussitôt tous les regards se lancent sur lui avec une avide curiosité. On voit un jeune homme d’une taille au-dessous de la moyenne, mince et d’une complexion délicate ; un mouchoir blanc passé en bandeau sous le manteau et noué au-dessus de la tête, rappelle le coup, destiné à lui ôter la vie, et qui n’eut que le cruel résultat de lui laisser entre la mâchoire inférieure et le cou deux balles dont une seule a pu être extraite. Du reste, sa mise et ses cheveux sont soignés ; sa physionomie est expressive ; sa pâleur contraste avec de grands yeux noirs qui portent l’empreinte de la fatigue et de la maladie. Il les promène sur l’appareil qui l’entoure ; quelque égarement s’y fait remarquer. Pendant la lecture de l’acte de l’accusation et l’exposé de la cause, présenté par M. le procureur général de Guernon-Ranville, Berthet conserve une attitude immobile. On apprend les faits suivants : Antoine Berthet, âgé aujourd’hui de 25 ans, est né d’artisans pauvres, mais honnêtes ; son père est maréchal-ferrant dans le village de Brangues. Une frêle constitution, peu propre aux fatigues du corps, une intelligence supérieure à sa position, un goût manifesté de bonne heure pour les études élevées, inspirèrent en sa faveur de l’intérêt à quelques personnes ; leur charité plus vivre qu’éclairée songe à tirer le jeune Berthet du rang modeste où le hasard de la naissance l’avait placé, et à lui faire embrasser l’état d’ecclésiastique. Le curé de Brangues l’adopta comme enfant chéri, lui enseigna les premiers éléments des sciences, et grâce à ses bienfaits, Berthet entra en 1818 au petit séminaire de Grenoble. En 1822, une maladie grave l’obligea de discontinuer ses études. Il fut recueilli par le curé, dont les soins suppléèrent avec succès à l’indigence de ses parents. À la pressante sollicitation de ce protecteur, il fut reçu par M. Michoud qui lui confi a l’éducation d’un de ses enfants ; sa funeste destinée le préparait à devenir le fléau de cette famille. Mme Michoud, femme aimable et spirituelle, alors âgée de 36 ans, et d’une réputation intacte, pensa-t-elle qu’elle pouvait sans danger prodiguer des témoignages de bonté à un jeune homme de 20 ans dont la santé délicate exigeait des soins particuliers ? Une immoralité précoce dans Berthet le fit-il [sic] se méprendre sur la nature de ces soins ? Quoi qu’il en soit, avant l’expiration d’une année, M. Michoud dut songer à mettre un terme au séjour du jeune séminariste dans sa maison. Berthet entra au petit séminaire de Belley pour continuer ses études. Il y resta deux ans, et revint à Brangues pendant les vacances de 1825. Il ne put entrer dans cet établissement. Il obtint alors d’être admis au grand séminaire de Grenoble ; mais, après y être demeuré un mois, jugé par ses supérieurs indigne des fonctions qu’il ambitionnait, il fut congédié sans espoir de retour. Son père, irrité, le bannit de sa présence. Enfin, il ne put trouver d’asile que chez sa sœur, mariée à Brangues. Ces rebuts furent-ils la suite de mauvais principes reconnus et de torts de conduites graves ? Berthet se crut-il en butte à une persécution secrète de la part de M. Michoud qu’il avait offensé ? Des lettres qu’il écrivit alors à Mme Michoud contenaient des reproches violents et des diffamations. Malgré cela, M. Michoud faisait des démarches en faveur de l’ancien instituteur de ses enfants. Berthet parvint encore à se placer chez M. de Cordon en qualité de précepteur. Il avait alors renoncé à l’Église ; mais après un an, M. de Cordon le congédia pour des raisons parfaitement connues et qui paraissent se rattacher à une nouvelle intrigue. Il songea de nouveau à la carrière qui avait été le but de tous ses efforts, l’état ecclésiastique. Mais il fit et fit faire de vaines sollicitations auprès des supérieurs des séminaires de Belley, de Lyon et de Grenoble. Il ne fut reçu nulle part ; alors le désespoir s’empara de lui. Pendant le cours de ces démarches, il rendait les époux Michoud responsables de leur inutilité. Les prières et les reproches qui remplissaient les lettres qu’il continua d’adresser à Mme Michoud devinrent des menaces terribles. On recueillit des propos sinistres : Je veux la tuer, disait-il dans un accès de mélancolie farouche. Il écrivait au curé de Brangues, le successeur de son premier bienfaiteur : Quand je paraîtrai sous le clocher de la paroisse, on saura pourquoi. Ces étranges moyens produisaient en partie leur effet. M. Michoud s’occupait activement à lui rouvrir l’entrée de quelque séminaire ; mais il échoua à Grenoble ; il échoua de même à Belley où il fit exprès un voyage avec le curé de Brangues. Tout ce qu’il put obtenir fut de placer Berthet chez M. Trolliet, notaire à Morestel, allié de la famille Michoud, en lui dissimulant ses sujets de mécontentement. Mais Berthet, dans son ambition déçue, était las, selon sa dédaigneuse expression, de n’être toujours qu’un magister à 200 francs de gages. Il n’interrompit point le cours de ses lettres menaçantes ; il annonça à plusieurs personnes qu’il était déterminer à tuer Mme Michoud en s’ôtant la vie à lui-même. Malheureusement un projet aussi atroce sembla improbable par son atrocité même ; il était pourtant sur le point de s’accomplir ! […] Le dimanche 22 juillet, de grand matin, Berthet charge ses deux pistolets à doubles balles, les place sous son habit et part pour Brangues. Il arrive chez sa sœur, qui lui fait manger une soupe légère. À l’heure de la messe de la paroisse, il se rend à l’église et se place à trois pas du banc de Mme Michoud. Il la voit bientôt venir accompagnée de ses deux enfants dont l’un avait été son élève. Là, il attend, immobile… jusqu’au moment où le prêtre distribua la communion… « Ni l’aspect de sa bienfaitrice, dit M. le procureur général, ni la sainteté du lieu, ni la solennité du plus sublime des mystères d’une religion au service de laquelle Berthet devait se consacrer, rien ne peut émouvoir cette âme dévouée au génie de la destruction. L’œil attaché sur sa victime, étranger aux sentiments religieux qui se manifestent autour de lui, il attend avec une infernale impatience l’instant où le recueillement de tous les fidèles va lui donner le moyen de porter des coups assurés. Ce moment arrive, et lorsque tous les coeurs s’élèvent vers le Dieu présent sur l’autel, lorsque Mme Michoud prosternée mêlait peut-être à ses prières le nom de l’ingrat qui s’est fait son ennemi le plus cruel, deux coups de feu successifs et à peu d’intervalle se font entendre. Les assistants épouvantés voient tomber presque en même temps et Berthet et Mme Michoud, dont le premier mouvement, dans la prévoyance d’un nouveau crime, est de couvrir de son corps celui de ses jeunes effrayés. Le sang de l’assassin et celui de la victime jaillissent confondus jusque sur les marches du sanctuaire. […] »
Extrait de l’article paru en décembre 1827 dans La Gazette des tribunaux.
LA GAZETTE DES TRIBUNAUX
« C’est le 23 février, à 11 heures du matin, que Berthet a subi son supplice sur la place d’armes de Grenoble. Une foule immense, composée principalement de femmes de tout âge, se pressait dans les rues qu’il devait parcourir. L’intérêt, que son indigne défense avait éloigné de lui, s’est réveillé à ce moment suprême ; on ne pouvait voir dans ce malheureux jeune homme, qui n’avait échappé à la mort du désespoir que pour arriver à la mort de l’échafaud, ni un assassin ordinaire, ni un scélérat ; c’était plutôt une victime de ses passions, entraînée à sa ruine par un funeste concours de circonstances, qui appelait l’étonnement et la pitié plutôt que la terreur. L’intervalle de temps écoulé depuis sa condamnation avait accoutumé à l’idée que son recours en grâce serait suivi d’une commutation de peine, et cette faveur, sollicité par M. le procureur général, aurait satisfait l’attente publique. M. Appert, membre de la société d’amélioration des prisons, visitant, il y a quelque temps, celle de Grenoble, vit Berthet, et promis de s’intéresser à lui. De retour à Paris, il a fait des démarches qui sont demeurées infructueuses ; il lui écrivit dernièrement une lettre qui, à ce qu’on croit, dut lui laisser peu d’espoir. Aussi la veille Berthet disait à l’une des dames de prison qui se sont constamment relevées auprès de lui : J’ai l’impression que demain sera mon dernier jour ! On ne put lui répondre que par le silence ; on savait que le recours en grâce venait d’être rejeté. Tous les secours de la religion lui ont été prodigués ; il les avait demandés, et les a reçus avec calme : les exhortations du prêtre ont un instant fait couler ses larmes. On l’a vu sortir de la prison, assisté de deux ecclésiastiques dont l’un le soutenait d’une main et de l’autre lui présentait le crucifix. Extrêmement amaigri, pâle, la barbe longue et le visage défait, il était penché sur le christ et paraissait réciter des prières à voix basses, mais avec un mouvement de lèvres si précipité qu’on aurait pu l’attribuer à l’agitation convulsive du délire aussi bien qu’à la ferveur. Il est ainsi arrivé au pied de l’échafaud. Là, cependant, il a semblé envisager sans crainte le terrible appareil. Il s’est retourné vers les deux ministres, qui lui avaient rendu un triste et dernier revoir, et les a embrassés ; puis recueillant toute sa fermeté, il est monté seul ; le bourreau l’avait précédé. Sur l’échafaud, il a fl échi le genou et a paru se recueillir et prier. Une minute après, il s’est relevé, et s’est mis luimême dans l’attitude… Une espèce de cri involontaire, arraché à l’émotion de la multitude, a annoncé que tout était fini. »
Extrait de l’article paru en février 1828 dans La Gazette des tribunaux.

Le roman et la critique

L’accueil du Rouge et le Noir par la critique du xixe siècle est d’une façon générale assez négative, à la grande déception de Stendhal. Il lui est entre autres reproché de mettre au jour des vérités qui ne sont pas bonnes à peindre ; tel est le sens de la déclaration de Mérimée : « Il y a dans le caractère de Julien des traits atroces dont tout le monde sent la vérité, mais qui font horreur. Le but de l’art n’est pas de montrer ce côté de la nature humaine. »
Dans l’article qui suit, Jules Janin, critique du Journal des Débats, fait une analyse du roman qui se veut au final relativement bienveillante. Mais il ne semble pas avoir reconnu l’affaire Berthet qui est à l’origine du Rouge et le Noir, ni décelé sa valeur historique.
JOURNAL DES DÉBATS
« […] Julien est le héros du drame. J’ai besoin de dire quel il est. Mais avant tout, je dois vous prévenir qu’en y pensant bien je crois avoir deviné le sens à donner au titre de cette chronique Le Rouge et le Noir, sur lequel l’auteur ne s’explique pas. Selon moi, M. de Stendhal, ayant eu dessein de peindre la société telle que l’avait faite le jésuitisme de la Restauration, et ne voulant pas se hasarder à intituler son ouvrage Le Jésuite et le Bourgeois, par exemple, ou bien encore Les Libéraux et la Congrégation, a imaginé de désigner les uns et les autres par des couleurs emblématiques : de là ce titre, Le Rouge et le Noir. Seulement, j’ignore encore qui est le rouge, qui est le noir, d’autant plus qu’un Jésuite comme l’entend M. de Stendhal peut aussi bien être femme et porter une robe de gaze et un bonnet avec des fleurs, que des aiguillettes de colonel, un cordon bleu de France ou une robe de missionnaire. Mais je laisse cette petite diffi culté à résoudre aux plus fins que moi, je reviens à Julien Sorel. Julien Sorel est un petit jeune homme faible et joli, aux yeux noirs, battu de bonne heure par son père et par ses frères, les détestant du fond de l’âme. C’est un jeune homme méfiant, envieux, colère en dedans, fier surtout, plus fier que M. de Rênal avec sa maison, sa grille en fer, sa fabrique de clous, son titre de maire de la ville et son précepteur. […] Au reste le petit Julien est d’abord assez vrai. C’est bien le paysan humilié, isolé, ignorant, curieux, plein d’orgueil, égoïste avant tout, profondément égoïste, méchant, n’aimant personne. Somme toute, ce Julien, M. de Rênal, M. Valenod, l’abbé Frilair, ce sont là de très vilains personnages, très hideux les uns et les autres, surtout si vous les laissez vieillir. Julien ressemble en outre à tous les savants de province. En province, il y a peu de livres, la plupart sont à l’index ; c’est maintenant parmi les livres à l’index que choisit tout jeune homme qui se croit de l’avenir. […] À son héros, M. de Stendhal n’a choisi ni Rousseau, ni Voltaire, ni Goethe, il lui a donné Napoléon : le Mémorial de Sainte-Hélène est le livre favori de Julien. Vous ne sauriez croire tout ce que cette lecture jette de sotte vanité dans la tête du petit rustre. À force de lire le Mémorial, Julien se croit un héros, plus d’une fois il se dit : Je serai Bonaparte ! Voilà en effet le malheureux qui, de propos délibéré, se fait un coeur de fer, une tête de fer. Bientôt cet enfant n’est plus qu’un mauvais fanatique pétri d’orgueil et de misère. […] Si le dernier roman de M. de Stendhal est, avec de si graves invraisemblances et si peu morales, un ouvrage remarquable, vif, coloré, plein d’intérêt et d’émotions, il mérite d’être lu, même dans le grand oubli de la littérature contemporaine. M. de Stendhal est un de ces écrivains à plusieurs noms, à triple visage, toujours sérieux, dont on ne saurait trop se méfier. C’est un observateur à froid, un railleur cruel, un sceptique méchant, qui est heureux de ne croire à rien, parce qu’en ne croyant pas, il a le droit de ne rien respecter et de flétrir tout ce qu’il touche. […] J’imagine bien qu’on puisse obtenir un succès avec un livre ainsi rêvé, mais jamais, jamais on n’aimera l’auteur qui vous aura gâté toutes vos illusions, qui vous aura montré le monde trop laid pour que vous osiez désormais l’habiter sans pâlir. […] »
Extrait de l’article paru en décembre 1830 dans le Journal des Débats et écrit par Jules Janin.

Montesquieu.

montesquieu

Repères chronologiques

1689
Naissance au château de La Brède – près de Bordeaux – de Charles-Louis, fils de Jacques de Secondat et de Marie-Françoise de Pesnel.
1696
Mort de sa mère.
1700
Études au collège des Oratoriens de Juilly, près de Meaux.
1705
Entrée de Charles-Louis à la faculté de droit de Bordeaux.
1708
Obtention de sa licence de droit. Il est ensuite admis comme avocat au parlement de Bordeaux. Lors de ses premiers séjours à Paris, Charles-Louis fréquente les milieux savants et lettrés.
1713
Mort de son père. Il hérite du château de La Brède et de ses riches vignobles.
1714
Entrée en fonctions de Charles-Louis comme conseiller au parlement de Bordeaux.
1715
Mariage de Charles-Louis avec Jeanne de Lartigue – une riche propriétaire protestante.
1716
Décès de son oncle Jean-Baptiste de Secondat, qui lui lègue la charge de président du parlement de Bordeaux, la baronnie de Montesquieu et tous ses biens. Charles-Louis publie Sur la politique des Romains dans la religion – un traité de philosophie politique.
1717
Élection de Montesquieu à l’Académie royale des sciences de Bordeaux.
1721
Publication anonyme des Lettres persanes, à Amsterdam. Ce roman connaît un immense succès.
1725
Écriture du Temple de Gnide – un poème en prose inspiré du microcosme mondain parisien.
1726
Vente de sa charge de président à mortier, pour payer ses dettes.
1727
Élection de Montesquieu à l’Académie française.
1728-1731
Voyages de Montesquieu dans différents pays d’Europe : Autriche, Hongrie, Italie, Allemagne, Hollande et Angleterre.
1734
À son retour en France, publication des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.
1747
Début des problèmes de vue de Montesquieu.
1748
Parution anonyme à Genève de L’Esprit des Lois. Cette œuvre, qui suscite de vraies polémiques, rencontre un succès considérable.
1750
Pour contrer les attaques féroces de ses adversaires, le philosophe publie la Défense de l’« Esprit des Lois ».
1751
Mise à l’Index de L’Esprit des Lois par le pape.
1753
Montesquieu est élu directeur de l’Académie française.
1754
Publication de Lysimaque. Montesquieu rédige l’Essai sur le goût pour l’Encyclopédie.
1755
Mort de Montesquieu à Paris, victime de la fièvre jaune. Diderot assiste à son enterrement.

Montesquieu ou le « gentilhomme-vigneron »

Montesquieu a déclaré un jour avec humour :
« Je ne sais si mes vins doivent leur réputation à mes livres ou mes livres à mes vins. »
Originaire du Bordelais, Montesquieu est l’héritier d’une famille de juristes-viticulteurs. La vigne est sa principale source de revenu. Elle lui permet l’indépendance financière qui assure sa liberté intellectuelle.
À la mort de son père, Montesquieu reçoit en legs les domaines de La Brède, dont celui de Rochemorin à Martillac qui se trouve à cinq kilomètres du château familial. Une bonne partie de la production du « gentilhomme-vigneron » est assurée par les onze hectares de vignes situés dans le terroir des Graves, au sud de Bordeaux.
La Guyenne, qui fut une possession anglaise du xiie au xve siècle, exporte depuis toujours le meilleur de sa production vers l’Angleterre. Or, en février 1725, un arrêt du Conseil royal interdit les plantations de vignes nouvelles pour freiner la surproduction. Montesquieu rédige alors un mémoire d’arguments pour convaincre les autorités de revenir sur leurs positions. Il prône le développement de vins de qualité :
« La Guyenne, comme nous avons dit, doit fournir à l’étranger différentes sortes de vins, dépendantes de la diversité de ses terroirs. Or, le goût des étrangers varie continuellement, et à tel point qu’il n’y a pas une seule espèce de vin qui fût à la mode il y a vingt ans qui le soit encore aujourd’hui ; au lieu que les vins qui étaient au rebut sont à présent très estimés. Il faut donc suivre ce goût inconstant, planter ou arracher en conformité. »
Son mariage avec Jeanne de Lartigue lui apporte en dot d’immenses domaines viticoles situés en Graves, dans l’Entre-Deux-Mers et dans l’Agenais. Montesquieu gère ses nombreuses propriétés avec sa femme, laissant l’exploitation quotidienne à son régisseur, Guillaume Grenier – surnommé « l’Éveillé ». Pendant la saison des vendanges, Montesquieu s’installe au château de La Brède pour surveiller les opérations, arpentant ses vignes avec son fidèle collaborateur.
Il dirige lui-même l’expédition de ses vins en tonneaux et en bouteilles vers Londres ou Paris. Il n’hésite pas à en faire la promotion lors de ses voyages ou lorsqu’il reçoit des hôtes étrangers au château, notamment ses amis anglais – le maréchal de Berwick et les lords Chesterfield, Warburton et Bulkeley – très friands du vin « claret ». Bulkeley le tance un jour avec malice :
« Misérable enfant de la terre, j’espère que vous en avez recueilli les fruits, et que votre chai se trouve à présent rempli de cette maudite liqueur dont vous empoisonnez nos pauvres Anglais. »
Vue du château de La Brède où est né Montesquieu le 18 janvier 1689. Il y restera très attaché.
Vue du château de La Brède où est né Montesquieu le 18 janvier 1689. Il y restera très attaché.

Montesquieu et Mme de Lambert

Comme tous les beaux esprits de son époque, Montesquieu fréquente assidûment les brillants salons qui fleurissent à Paris, à savoir celui de la marquise du Deffant, de Mme de Geoffrin, de Mme de Tencin, ou le très fermé club de l’Entresol. Mais le plus en vue est, sans nul doute, celui tenu par Mme de Lambert.
Anne-Thérèse de Marquenat de Courcelles, marquise de Lambert, peut être considérée à juste titre comme l’une des personnalités marquantes du « siècle des Lumières » – expression forgée par Montesquieu lui-même. Pendant plus de vingt ans (1710-1733), elle reçoit à Paris, dans son hôtel de Nevers, toute l’élite française du moment : écrivains, artistes et savants se pressent à ses réunions du « mardi » ou du « mercredi ». Son salon est un véritable temple des Modernes où s’échangent les pensées les plus hardies, où fleurissent l’esprit critique et le bon goût.
Après le prodigieux succès des Lettres persanes, Montesquieu y est introduit à son tour par l’abbé de Saint-Pierre. C’est dans ce cadre élégant et raffiné que Montesquieu fait la connaissance des grandes figures de son temps : Fénelon, La Rochefoucauld, l’abbé de Bernis, Marivaux, Crébillon, Fontenelle, Houdart de La Motte…
Montesquieu et la marquise de Lambert, qui s’estiment mutuellement, partageront une longue amitié. Dans une lettre qu’il lui adresse en 1724, Montesquieu déclare :
« Voici, Madame, quelques Lettres persanes. Vous voyez que j’emploie toutes sortes de moyens pour surprendre votre estime. C’est qu’il n’y a personne dans le monde à qui j’ai plus ambition à plaire. »
Très influente, Mme de Lambert contribue d’une façon décisive à la diffusion des idées nouvelles et à la protection de leurs auteurs. Le marquis d’Argenson dira d’elle : « Il est certain qu’elle avait fait la moitié des académiciens. »
Cette femme de lettres appuie en effet la candidature de Montesquieu à l’Académie française, malgré les réserves du roi Louis XV et de son ministre, le cardinal de Fleury, agacés par le ton satirique et badin des Lettres persanes.

L’auteur vu par d’autres écrivains

Montesquieu est l’un des principaux représentants de l’esprit des Lumières. Ses idées novatrices et la subtilité de ses écrits sont saluées par tous, comme en témoignent ces quelques citations d’écrivains célèbres.
Voltaire (1694-1778)
« Un génie mâle et rapide. »
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
« Le droit politique est encore à naître. Le seul moderne en état de créer cette grande science eût été Montesquieu ; mais il n’eut garde de traiter des principes des droits politiques ; il se contenta des droits positifs des gouvernements établis. »
Diderot (1713-1784)
« J’écrivais ces réflexions, le 11 février 1755, au retour des funérailles d’un de nos plus grands hommes, désolé de la perte que la nation et les lettres faisaient en sa personne, et profondément indigné des persécutions qu’il avait essuyées. »
Jean d’Alembert (1717-1783)
« Sa conversation… était coupée comme son style, pleine de sel et de saillies, sans amertume et sans satire. »
Mme de Staël (1766-1817)
« Il était impossible qu’aucun écrivain de l’Antiquité pût avoir le moindre rapport avec Montesquieu ; et rien ne doit lui être comparé, si les siècles n’ont pas été perdus, si les générations ne se sont pas succédé en vain, si l’espèce humaine a recueilli quelque fruit de la longue durée du monde. »
Benjamin Constant (1767-1830)
« Quel coup d’œil rapide et profond ! Tout ce qu’il dit dans les plus petites choses se vérifie tous les jours. »
Stendhal (1783-1842)
« Ce n’est pas précisément de l’amour que j’ai pour Montesquieu, c’est de la vénération ; il ne m’ennuie jamais en allongeant ce que je comprends déjà. »
André Gide (1869-1951)
« C’est un maître écrivain ; je veux dire qu’il y a profit à se mettre à son école ; à condition de ne pas y rester. »
Le mot de Jean d’Ormesson.
Montesquieu est un grand écrivain. Et un esprit universel qui s’est illustré dans les domaines les plus divers. Avec ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, et surtout avec L’Esprit des Lois qui connaît un succès immense, dont vingt éditions se succèdent, dont les traductions se multiplient, il est l’héritier laïque de Bossuet, le rival de Voltaire et de Gibbon, l’auteur anglais de Decline and Fall of the Roman Empire, l’annonciateur de Hegel et de Tocqueville. Avec ses Lettres persanes, il est un pamphlétaire libertin, insolent et hardi.
Parues sans nom d’auteur en 1721, en pleine Régence, dans l’effervescence des idées et des passions trop longtemps contenues par la gloire du Roi-Soleil, lesLettres persanes sont un roman où, caché derrière Rica et Usbek qui visitent la France et qui, en bons musulmans, peuvent s’étonner librement de tout ce qu’ils voient et de la religion chrétienne, Montesquieu s’inscrit dans la lignée très classique des épistoliers satiriques. Il fonde en même temps, par la méthode des regards obliques, la sociologie moderne.
Les Lettres persanes sont un portrait de la France sous la Régence. C’est une satire sociale, et l’occasion de jugements sans compromis sur la religion catholique et le gouvernement monarchique. Elles sont assez licencieuses pour que l’avocat de Flaubert puisse s’en servir, plus d’un siècle plus tard, au procès intenté contre Madame Bovary. Quelques années à peine après la mort de Louis XIV et de Mme de Maintenon, elles attaquent la religion dominante avec une audace ironique et allègre : « Si les triangles faisaient un dieu, ils lui donneraient trois côtés » ou « Il y a un autre magicien encore plus fort, c’est le pape : tantôt il fait croire que trois ne sont qu’un, que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce. » Et elles annoncent déjà la cruauté ravageuse de la satire de Swift. Rica passe en revue les théâtres et les cafés littéraires ; Usbek, plus grave, traite de théologie et du gouvernement : « Un grand seigneur est un homme qui voit le roi, qui parle aux ministres, qui a des ancêtres, des dettes et des pensions. » Beaumarchais est déjà là. Et toutes les affaires d’aujourd’hui. Quand Montesquieu se présente à l’Académie française, il faut bien révéler le nom de l’auteur des Lettres persanes au cardinal de Fleury. Le cardinal s’amuse de l’affaire, et pardonne. Et Montesquieu est élu.
Né au château de La Brède, près de Bordeaux, Montesquieu a un mendiant pour parrain – la tradition féodale tend la main à l’humanisme et à la Révolution. Il a un heureux caractère : « Je m’éveille le matin avec une joie secrète, je vois la lumière avec une espèce de ravissement. Tout le reste du jour, je suis content. » Il aime l’étude : « L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. » Il a le cœur bon : « Je n’ai jamais vu couler les larmes sans être attendri. » Il aime plaire et instruire.
Réunies sous le titre Cahiers, les pensées de Montesquieu sont brillantes. Il indique que l’essence de la littérature consiste à sauter les idées intermédiaires. C’est une vue moderne et profonde. Dans les grandes choses et dans les petites, Montesquieu est de tous les temps.
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Molière

Molière (1622-1673) par Nicolas Mignard.

Molière (1622-1673) par Nicolas Mignard.

Dossiers : moliere-dom-juan-

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Repères chronologiques

1622
Naissance à Paris de Jean Poquelin (qui prendra le nom de Jean-Baptiste deux ans plus tard, pour ne pas être confondu avec son petit frère, Jean), fils de Marie Cressé et Jean Poquelin, maître tapissier.
1632
Mort de la mère de Jean-Baptiste.
1633-1642
Études jusqu’en 1637 au collège des pères jésuites de Clermont (actuel lycée Louis-le-Grand), où sa passion pour le théâtre se développe. En 1642, arrêt de ses études de droit à Orléans.
1643
Décision de Molière (qui prend officiellement ce nom à cette époque) de devenir comédien. Création de sa troupe de théâtre, « L’Illustre Théâtre », avec sa compagne Madeleine Béjart.
1645
Dissolution de la troupe à cause de difficultés financières importantes.
1646-1650
Intégration de Molière et des Béjart à la troupe de Dufresne, protégée par le duc d’Épernon. Début d’une vie nomade et difficile : représentations à Bordeaux, à Agen…
1651-1652
Perte de la protection du duc d’Épernon. Durant la même période, abandon par Dufresne de la direction des comédiens : Molière est à nouveau chef de troupe. En 1652, patronage par le prince de Conti de la troupe qui porte son nom.
1655
Création de la première pièce de Molière, L’Étourdi, inspirée de la commedia dell’arte.
1656
Arrêt du patronage du prince de Conti qui se convertit au jansénisme et qui devient l’un des plus violents ennemis des pièces de Molière.
1658-1659
Installation de la troupe à Paris, sous la protection de Monsieur, frère du roi. Triomphe inattendu du Docteur amoureux, un divertissement joué devant le roi. Malgré cela, entêtement de Molière à jouer des tragédies de Corneille, alors que le public populaire lui réclame des comédies. En novembre 1659, première représentation des Précieuses ridicules qui assoit la réputation et le succès du dramaturge.
1660-1661
À travers Le Cocu imaginaire, création du personnage de Sganarelle qui se retrouve dans L’École des maris, pièce jouée au théâtre du Palais-Royal en 1661. La même année, représentation des Fâcheux pour le surintendant Fouquet qui inaugure la comédie-ballet.
1662-1663
En 1662, mariage de Molière avec Armande Béjart qui est la sœur ou la fille de Madeleine Béjart, son ancienne maîtresse. La même année, création de L’École des femmes, dont le succès suscite de nombreuses critiques. En guise de réponse, mise en scène par Molière de La Critique de L’École des femmes et de L’Impromptu de Versailles.
1664
Représentation des trois premiers actes de Tartuffe à l’occasion d’une grande fête dans les jardins de Versailles. Conspuation par la cabale des dévots de cette pièce qui sera interdite et qui ne sera achevée qu’en 1669.
1665
Création de la pièce Dom Juan, également interdite après quelques représentations. Patronage par Louis XIV de la troupe qui prend le nom de « Troupe du Roi, au Palais-Royal ».
1666
Représentation du Misanthrope, dont l’accueil est mitigé. Décision de Molière de créer un grand nombre de « petites » comédies en quelques mois, telles que Le Médecin malgré lui ou L’Amour médecin.
1667
Problèmes de santé qui obligent Molière à se reposer et à délaisser quelque temps la scène.
1668
Création d’Amphytrion et de L’Avare.
1669-1670
Élaboration de comédies-ballets telles que Monsieur de Pourceaugnac (1669) et Le Bourgeois gentilhomme (1670).
1672
Mort de Madeleine Béjart, ce qui affecte beaucoup Molière. Représentation de sa dernière grande comédie en vers : Les Femmes savantes. Nouveau drame : Lulli obtient de Louis XIV le privilège exclusif des ballets et de la musique dans les spectacles.
1673
Création du Malade imaginaire. Mort de Molière quelques heures après une représentation de cette pièce.

L’auteur et le roi

Molière est particulièrement en faveur auprès de Louis XIV qui accepte même d’être le parrain de son fils aîné. Le roi protège l’auteur des attaques du parti dévot et le charge des divertissements royaux.
« Si le Roi n’avait eu autant de bonté pour Molière à l’égard de ses Femmes savantes, que Sa Majesté en avait eu auparavant au sujet du Bourgeois gentilhomme, cette première pièce serait peut-être tombée. Ce divertissement, disait-on, était sec, peu intéressant, et ne convenait qu’à des gens de lecture. « Que m’importe, s’écriait M. le Marquis ***, de voir le ridicule d’un Pédant ? Est-ce un caractère à m’occuper ? Que Molière en prenne à la Cour, s’il veut me faire plaisir. » « Où a-t-il été déterrer, ajoutait M. le Comte de ***, ces sottes femmes, sur lesquelles il a travaillé aussi sérieusement que sur un bon sujet ? Il n’y a pas le mot pour rire à tout cela pour l’homme de Cour, et pour le Peuple. » »
Extrait de La Vie de M. de Molière écrit en 1705 par J.-L. Gallois, sieur de Grimarest.

La mort de l’auteur

La légende prétend que Molière, homme de théâtre sans pareil, serait mort sur scène en interprétant le personnage d’Argan. En réalité, le comédien est mort quelques heures après avoir achevé la quatrième représentation duMalade imaginaire.

La Mort de Molière, 1673 par Émile Renard (1850-1930) et François Antoine Vizzavona (1876-1961), © RMN/ François Vizzavona.
Grimarest est l’auteur de la première biographie de Molière, qui servira de source principale à toutes les biographies postérieures. Pour l’écrire, il s’est appuyé sur sur le témoignage de l’acteur Baron, l’un des fidèles de Molière.
Dans l’extrait ci-dessous, il souligne intentionnellement la fin relativement pieuse de celui qui s’est attiré les foudres des dévots et qui n’a pas eu le temps de renier avant sa mort sa vie de comédien – ce qui théoriquement lui interdit les obsèques religieuses. Seule l’intervention directe du roi permettra à Molière d’obtenir une inhumation chrétienne.
« Quand la pièce fut finie, il prit sa robe de chambre, et fut dans la loge de Baron, et il lui demanda ce que l’on disait de sa pièce. M. Baron lui répondit que ses ouvrages avaient toujours une heureuse réussite à les examiner de près, et que plus on les représentait, plus on les goûtait. « Mais, ajouta-t-il, vous me paraissez plus mal que tantôt. — Cela est vrai, lui répondit Molière, j’ai un froid qui me tue ». Baron, après lui avoir touché les mains, qu’il trouva glacées, les lui mit dans son manchon pour les réchauffer ; il envoya chercher ses porteurs pour le porter promptement chez lui ; et il ne quitta point sa chaise, de peur qu’il ne lui arrivât quelque accident du Palais-Royal dans la rue de Richelieu, où il logeait. Quand il fut dans sa chambre, Baron voulut lui faire prendre du bouillon, dont la Molière avait toujours provision pour elle ; car on ne pouvait avoir plus de soin de sa personne qu’elle en avait. « Eh, non ! dit-il, les bouillons de ma femme sont de vraie eau-forte pour moi ; vous savez tous les ingrédients qu’elle y fait mettre : donnez-moi plutôt un petit morceau de fromage de Parmesan. » Laforest lui en rapporta ; il en mangea avec un peu de pain, et il se fit mettre au lit. Il n’y eut pas été un moment qu’il envoya demander à sa femme un oreiller rempli d’une drogue qu’elle lui avait promis pour dormir. « Tout ce qui n’entre point dans le corps, dit-il, je l’éprouve volontiers ; mais les remèdes qu’il faut prendre me font peur ; il ne faut rien pour me faire perdre ce qui me reste de vie. » Un instant après, il lui prit une toux extrêmement forte, et après avoir craché il demanda de la lumière : « Voici, dit-il, du changement. » Baron ayant vu le sang qu’il venait de rendre s’écria avec frayeur. « Ne vous épouvantez point, lui dit Molière : vous m’en avez vu rendre bien davantage. Cependant, ajouta-t-il, allez dire à ma femme qu’elle monte. » Il resta assisté de deux sœurs religieuses, de celles qui viennent ordinairement à Paris quêter pendant le carême, et auxquelles il donnait l’hospitalité. Elles lui prodiguèrent à ce dernier moment de sa vie tout le secours édifiant que l’on pouvait attendre de leur charité, et il leur fit paraître tous les sentiments d’un bon chrétien, et toute la résignation qu’il devait à la volonté du Seigneur. Enfin, il rendit l’esprit entre les bras de ces deux bonnes sœurs ; le sang qui sortait par sa bouche en abondance l’étouffa. Ainsi, quand sa femme et Baron remontèrent, ils le trouvèrent mort. J’ai cru que je devais entrer dans le détail de la mort de Molière, pour désabuser le public de plusieurs histoires que l’on a faites à cette occasion. »
Extrait de La Vie de M. de Molière écrit en 1705 par J.-L. Gallois, sieur de Grimarest.

Dom Juan de Molière

Grand seigneur libertin, Dom Juan abandonne Elvire, son épouse, pour une nouvelle conquête. Sauvé d’un naufrage par un paysan, il convoite aussitôt la fiancée de son sauveur, puis une autre paysanne, promettant à chacune le mariage. Après la rencontre d’un mendiant dont il tente en vain d’acheter la conscience en le faisant blasphémer, il sauve la vie de Dom Carlos, frère d’Elvire, qui renonce à venger l’honneur de sa sœur. Toujours flanqué de son valet Sganarelle, il défie la mémoire du Commandeur, qu’il a lui-même tué, en invitant sa statue à dîner. Les visiteurs qu’il recevra ensuite, son père, son épouse, un mystérieux spectre, essaieront en vain de le convertir au bien. Son châtiment est inéluctable…

Mythe et réécritures de l’œuvre

Le personnage de Don Juan a été créé en 1620 par Tirso de Molina dans sa pièce El Burlador de Sevilla. Don Juan n’a donc pas été inventé par Molière, mais celui-ci lui a donné une ampleur et une complexité nouvelles. Le personnage n’a cessé, depuis, de fasciner et tend à s’imposer comme un mythe.
«  DON GONZALE
Donne-moi cette main, n’aie pas peur, donne-moi donc la main.
DON JUAN
Que dis-tu ? Moi ! peur ?… Ah ! je brûle !… Ne m’embrase pas de ton feu !
DON GONZALE
C’est peu de choses au prix du feu que tu cherchas. Les merveilles de Dieu, Don Juan, demeurent insondables, et c’est ainsi qu’il veut que tu payes tes fautes entre les mains d’un mort, et si tu dois ainsi payer, telle est la justice de Dieu : « Œil pour œil, dent pour dent. »
DON JUAN
Ah ! je brûle !…. Ne me serre pas tant !…. Avec ma dague je te tuerai… Mais… Ah !… Je m’épuise en vain à porter des coups dans le vent. Je n’ai pas profané ta fille… Elle avait démasqué ma ruse avant que je…
DON GONZALE
Il n’importe, puisque tel était ton but.
DON JUAN
Laisse-moi appeler quelqu’un qui me confesse et qui me puisse absoudre.
DON GONZALE
Il n’est plus temps, tu te repens trop tard. »
Extrait du dénouement de El Burlador de Sevilla (acte III) écrit par Tirso de Molina en 1620.

La critique

Malgré le grand succès rencontré lors des premières représentations, le Dom Juan de Molière suscite de vives réactions et attire à son auteur de nouvelles attaques. À bien des égards, la pièce est jugée scandaleuse et contient des passages choquants pour des dévots déjà partis en guerre contre Tartuffe. Molière choisit d’interrompre très rapidement les représentations de sa pièce, qui ne sera ni rejouée ni imprimée de son vivant.
Frontispice de Dom Juan dessiné par P. Brissart et gravé par J. Sauvé dans l’édition de 1682.
Frontispice de Dom Juan dessiné par P. Brissart et gravé par J. Sauvé dans l'édition de 1682.

Controverse théologique avec un valet

Le personnage de Dom Juan incarne un libertin, briseur de tabous, qui rejette en pleine conscience toutes les valeurs morales et religieuses. Quand Molière crée son Dom JuanTartuffe vient d’être interdit par le parti dévot. Aussi Dom Juan peut-il apparaître comme le porte-parole de Molière lui-même, non pas dans une quelconque mise en cause de la religion, puisque dans sa pièce Dom Juan subit le châtiment divin, mais dans la controverse avec le parti dévot qui a fait interdire Tartuffe et fera tomber Dom Juan après quinze représentations.
Dans cette scène de l’acte III, la position d’apologiste de la religion chrétienne du valet Sganarelle a pu paraître scandaleuse. C’est en effet lui qui a la charge d’argumenter en faveur de la croyance en Dieu, sans réussir le moins du monde à ébranler le scepticisme de Dom Juan. Le valet finit par se ridiculiser.
Extrait
SGANARELLE
Je veux savoir un peu vos pensées à fond. Est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel ?
DOM JUAN
Laissons cela.
SGANARELLE
C’est-à-dire que non. Et à l’Enfer ?
DOM JUAN
Eh !
SGANARELLE
Tout de même. Et au diable, s’il vous plaît ?
DOM JUAN
Oui, oui.
SGANARELLE
Aussi peu. Ne croyez-vous point l’autre vie ?
DOM JUAN
Ah ! ah ! ah !
SGANARELLE
Voilà un homme que j’aurai bien de la peine à convertir. Et dites-moi un peu, [le Moine bourru, qu’en croyez-vous, eh !
DOM JUAN
La peste soit du fat !
SGANARELLE
Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n’y a rien de plus vrai que le Moine bourru, et je me ferais pendre pour celui-là. Mais] encore faut-il croire quelque chose [dans le monde] : qu’est-ce [donc] que vous croyez ?
DOM JUAN
Ce que je crois ?
SGANARELLE
Oui.
DOM JUAN
Je crois que deux et deux sont quatre, SGANARELLE, et que quatre et quatre sont huit.
SGANARELLE
La belle croyance [et les beaux articles de foi] que voilà ! Votre religion, à ce que je vois, est donc l’arithmétique ? Il faut avouer qu’il se met d’étranges folies dans la tête des hommes, et que pour avoir bien étudié on est bien moins sage le plus souvent. Pour moi, Monsieur, je n’ai point étudié comme vous. Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m’avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n’est pas un champignon, qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là-haut, et si tout cela s’est bâti de lui-même. Vous voilà vous, par exemple, vous êtes là : est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n’a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l’homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l’un dans l’autre : ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ces… ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là, et qui… Oh ! dame, interrompez-moi donc si vous voulez : je ne saurais disputer si l’on ne m’interrompt ; vous vous taisez exprès et me laissez parler par belle malice.
DOM JUAN
J’attends que ton raisonnement soit fini.
SGANARELLE
Mon raisonnement est qu’il y a quelque chose d’admirable dans l’homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauroient expliquer. Cela n’est-il pas merveilleux que me voilà ici, et que j’aie quelque chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu’elle veut ? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droite, à gauche, en avant, en arrière, tourner…
(Il se laisse tomber en tournant.)
DOM JUAN
Bon ! voilà ton raisonnement qui a le nez cassé.
SGANARELLE
Morbleu ! je suis bien sot de m’amuser à raisonner avec vous. Croyez ce que vous voudrez : il m’importe bien que vous soyez damné !

La Princesse de Clèves.

L’action de La Princesse de Clèves se déroule en 1558, à la cour du roi Henri II. Mlle de Chartres, 16 ans, élevée par sa mère dans les principes d’une morale rigoureuse, paraît pour la première fois au Louvre. Le prince de Clèves, ébloui par sa beauté, tombe amoureux d’elle au premier regard et la demande en mariage. Mlle de Chartres, qui n’a aucune expérience de l’amour, l’épouse en n’éprouvant pour lui qu’une grande estime. Au cours d’un bal, elle rencontre le duc de Nemours. Un amour immédiat et partagé naît entre eux. Mme de Chartres, mourante, conjure sa fille de lutter contre cet amour coupable. Désormais sans soutien moral, Mme de Clèves se retire en province, afin d’éviter M. de Nemours. Mais ils sont destinés à se revoir…

Jugements sur l’œuvre

Mme de Lafayette
Elle juge son propre roman, dont elle se refuse à faire connaître qu’elle en est l’auteur. « Je le trouve très agréable, bien écrit, sans être extrêmement châtié, plein de choses d’une délicatesse admirable, et qu’il faut même relire plus d’une fois, et surtout ce que j’y trouve, c’est une parfaite imitation du monde de la cour et de la manière dont on y vit. Il n’y a rien de romanesque, ni de grimpé ; aussi n’est-ce pas un roman, c’est proprement des mémoires et c’était, à ce que l’on m’a dit, le titre du livre, mais on l’a changé. » (Extrait de la lettre écrite par Mme de Lafayette en 1678 et adressée à Lescheraine, secrétaire de Mme Royale de Nemours-Savoie.)
Voltaire
« La Princesse de Clèves et sa Zayde furent les premiers romans où l’on vit les mœurs des honnêtes gens et des aventures naturelles décrites avec grâce. Avant elle, on écrivait d’un style ampoulé des choses peu vraisemblables. » (Extrait du Siècle de Louis XIV, 1754.)
Sainte-Beuve
« Il est touchant de penser dans quelle situation particulière naquirent ces êtres si charmants, si purs, ces personnages nobles et sans tâche, ces sentiments si frais, si accomplis, si tendres ; comment Mme de Lafayette mit tout ce que son âme aimante et poétique tenait en réserve, des premiers rêves toujours chéris, et comme M. de la Rochefoucauld se plut sans doute à retrouver dans M. de Nemours cette fleur brillante de chevalerie dont il avait trop mésusé. Ainsi ces amis vieillis remontaient par l’imagination à cette première beauté de l’âge où ils ne s’étaient pas connus, et où ils n’avaient pu s’aimer. » (Extrait de Portraits de femmes, 1852.)
Taine
« Ce style est aussi mesuré que noble ; au lieu d’exagérer, Mme de Lafayette n’élève jamais la voix. Son ton uniforme et modéré n’a point d’accent passionné, ni brusque. D’un bout à l’autre de son livre, brille une sérénité charmante ; ses personnages semblent glisser au milieu d’un air limpide et lumineux. L’amour, la jalousie atroce, les angoisses suprêmes du corps brisé par la maladie de l’âme, les cris saccadés de la passion, le bruit discordant du monde, tout s’adoucit et s’efface, et le tumulte d’en bas arrive comme une harmonie dans la région pure où nous sommes montés. C’est que l’excessif choque comme le vulgaire ; une société si polie repousse les façons de parler violentes, on ne crie pas dans un salon. » (Extrait d’Essais de critique et d’histoire, 1866.)
Stendhal
« Le bonheur de Don Juan n’est que de la vanité basée, il est vrai sur des circonstances amenées par beaucoup d’esprit et d’activité ; mais il doit sentir que le moindre général qui gagne une bataille… a une jouissance plus remarquable que la sienne ; tandis que le bonheur du duc de Nemours quand Mme de Clèves dit qu’elle l’aime est, je crois, au-dessus du bonheur de Napoléon à Marengo. » (Extrait de De l’amour, 1822.)
Jean Cocteau
« Les ombres, les angoisses, les épouvantes, les fuites, les reprises, les reculs, les larmes de la Princesse nous laissent entendre les rêves qui doivent la tourmenter la nuit. Là, ceux qui subissent une règle deviennent libres et trompent impunément ceux qui les regardent dormir. Que deviennent Mme de Clèves et le duc dans leur sommeil ? Sade et Freud s’ébauchent dans ces âmes qui se croyaient simples. » (Extrait de la préface de La Princesse de Clèves.)
Chardonne
« L’auteur avait connu peut-être comme un remords, un tel amour. M. de Lafayette qui adorait sa femme a beaucoup compté pour Mme de Lafayette. Et c’est bien sa propre vie qui donne aux trois-quarts de ce récit, ce goût de vrai qui nous touche encore. Elle définissait tout son mérite quand elle disait de son œuvre « Ce n’est pas un roman ». C’est aussi un roman, l’un des plus beaux que je connaisse, un roman aristocratique par excellence, non point à cause de ses princes, mais parce que rien n’y est outré. » (Extrait deTableau de la Littérature française, 1939.)
Albert Camus
« La Princesse de Clèves. Pas si simple que cela. Elle rebondit en plusieurs récits. Elle débute dans la complication si elle se termine dans l’unité. À côté d’Adolphe, c’est un feuilleton complexe. Sa simplicité réelle est dans sa conception de l’amour ; pour Mme de Lafayette, l’amour est un péril. C’est son postulat. Et ce qu’on sent dans tout son livre comme d’ailleurs dans La Princesse de Montpensier, ou La Comtesse de Tende, c’est une constante méfiance envers l’amour. (Ce qui bien entendu est le contraire de l’indifférence.) » (Extrait de Carnets, posthume, 1964.)

Coup de foudre à la cour

La La Princesse de Clèves est le premier roman sentimental de l’histoire du genre. L’auteur y plonge ses personnages dans les affres de l’amour impossible, Mme de Clèves se refusant à aimer M. de Nemours pour ne pas trahir son époux, qu’elle estime à défaut d’éprouver pour lui de la passion, et respecter la parole donnée à sa mère mourante. Cet extrait est le récit de leur première rencontre.
Extrait
Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu’un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu’elle cherchait des yeux quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait. Ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu’il avait pris de se parer, augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne, mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement
M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu’il fut proche d’elle et qu’elle lui fit la révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient et s’ils ne s’en doutaient point.
— Pour moi, madame, dit M. de Nemours, je n’ai pas d’incertitude, mais comme Mme de Clèves n’a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j’ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.
— Je crois, dit Mme la dauphine, qu’elle le sait aussi bien que vous savez le sien.
— Je vous assure, madame, reprit Mme de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.
— Vous devinez fort bien, répondit Mme la dauphine, et il y a même quelque chose d’obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l’avoir jamais vu.
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Madame de La Fayette.

Mme de Lafayette (1634-1693).

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Repères chronologiques

1634
Naissance à Paris de Marie-Madeleine, première fille d’Isabelle Pena et de Marc Pioche de La Vergne.
1635
Naissance d’Éléonore-Armande, deuxième fille de La Vergne. La famille s’installe dans un hôtel particulier situé rue de Vaugirard, à Paris.
1636
Naissance d’Isabelle-Louise, troisième fille de La Vergne. Les deux cadettes seront destinées à la vie religieuse pour favoriser le mariage de Marie-Madeleine, l’aînée.
1648
Installation de la famille au Havre.
1649
Mort de leur père.
1650
Remariage de leur mère avec le chevalier René-Renaud de Sévigné, oncle de la marquise de Sévigné – l’épistolière qui deviendra la plus chère amie de Marie-Madeleine.
1651
Début de la relation d’amitié avec Gilles Ménage, jeune érudit proche de M. de Sévigné, qui conseillera Marie-Madeleine dans ses lectures et l’encouragera à écrire.
1652
Départ de Paris de M. de Sévigné – impliqué dans la Fronde – pour son domaine de Champiré en Anjou, où sa famille le rejoint pour quelques mois. Pendant son « exil », Marie-Madeleine entretient une correspondance suivie avec Gilles Ménage.
1654
En décembre, retour de la famille à Paris.
1655
Mariage « arrangé » de Marie-Madeleine avec le comte François de Lafayette, officier en retraite de trente-huit ans. Ils s’installent en Auvergne.
1656
Mort de la mère de Mme de Lafayette.
1658
Naissance en Auvergne de Louis, premier fils de Mme de Lafayette.
1659
Naissance à Paris d’Armand, son second fils. Début de son amitié avec Henriette d’Angleterre. Publication dans La Galerie de portraits (collectif) d’un portrait de Mme de Sévigné, unique texte paru sous le nom de Mme de Lafayette de son vivant. Année probable de sa rencontre avec Jean Regnaud de Segrais et Pierre-Daniel Huet, avec lesquels se nouent des amitiés durables.
1660
Fréquentation de l’Hôtel de Nevers, un cercle janséniste.
1661
Début du règne personnel de Louis XIV. Mariage d’Henriette d’Angleterre avec Philippe d’Orléans (« Monsieur », frère du roi). Séparation du couple : M. de Lafayette vit désormais en Auvergne ; Mme de Lafayette reste à Paris.
1662
Publication de La Princesse de Montpensier.
1665
Début d’une longue amitié entre Mme de Lafayette et La Rochefoucauld. Rencontre de grands auteurs tels que Corneille, Racine, Boileau.
1669
Publication, sous la signature de Segrais, du tome I de Zaïde – rédigé en collaboration avec Segrais, Huet et La Rochefoucauld.
1670
Installation de Segrais dans la maison de Mme de Lafayette, où il restera jusqu’à son départ pour sa Normandie natale en 1676. Deuxième édition du tome I de Zaïde.
1671
Publication du tome II de Zaïde.
1678
En mars, publication de La Princesse de Clèves. En mai, critique élogieuse de Fontenelle dans le Mercure galant. En décembre, publication des Lettres à Madame la marquise de *** sur le sujet de La Princesse de Clèves attribuées à Valincour. Ces lettres dénoncent le manque de vraisemblance dans le roman.
1679
Publication des Conversations sur la critique de « La Princesse de Clèves » attribuées à l’abbé de Charnes, et qui répondent aux critiques.
1680
Mort de La Rochefoucauld.
1683
Mort de M. de Lafayette.
1689
Composition des Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689.
1693
Mort de Mme de Lafayette.
1718
Première publication anonyme de l’Histoire de la Comtesse du Tende dans le Mercure.
1720
Publication posthume de l’Histoire de Madame Henriette d’Angleterre. Ce livre de mémoires est la première œuvre où figure le nom de Mme de Lafayette en tant qu’auteur.
1724
Nouvelle publication de La Comtesse du Tende attribuée à Mme de Lafayette.
1731
Publication posthume des Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689.

Mme de Lafayette à la cour

Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, à la fois belle et spirituelle, connaît très tôt le succès mondain. Sa mère, remariée avec Renaud de Sévigné, reçoit la meilleure société. À seize ans, Marie-Madeleine devient fille d’honneur de la reine Anne d’Autriche. C’est pour elle le début d’une longue carrière à la cour de Louis XIV. Devenue Mme de Lafayette, elle tient un salon dans l’hôtel familial de la rue de Vaugirard. Elle lie une amitié intime avec Henriette d’Angleterre, fille exilée du roi Charles Ier d’Angleterre – mort décapité. Quand son amie épouse le frère de Louis XIV, Philippe d’Orléans, elle devient un personnage incontournable de la cour. Elle a laissé un ouvrage de mémoires, l’Histoire d’Henriette d’Angleterre – qui ne sera publié qu’à titre posthume, en 1720 –, et Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689 publiés en 1731.
Portrait d'Henriette peu après son mariage.

Les amis écrivains de l’auteur

Jusqu’à la mort de La Rochefoucauld en 1680, Mme de Lafayette a toujours vécu entourée d’écrivains. C’est d’abord Gilles Ménage, longtemps amoureux d’elle, qui a contribué à sa formation littéraire. Ce seront ensuite Segrais et Huet qui collaboreront à la composition de ses œuvres. L’amitié la plus tendre et la plus constante, que la mort seule interrompra, sera celle du duc de La Rochefoucauld.
Gilles Ménage
« Le plus galant des savants, ou le plus savant des galants » selon la formule de Roger Duchêne – biographe de Mme de Lafayette. Gilles Ménage est de l’entourage de René-Renaud de Sévigné, originaire d’Anjou comme lui. Philologue, auteur d’un Dictionnaire étymologique ou les Origines de la langue française (1650), il suscite l’admiration de la jeune Marie-Madeleine, pour laquelle il nourrit un amour platonique. Il la célèbre – au côté de Mme de Sévigné – dans ses Miscellanea. Quand la famille doit quitter Paris pour Champiré, c’est Gilles Ménage qui permet à Marie-Madeleine de se tenir au courant de la vie mondaine et littéraire par ses lettres et ses envois de livres. C’est à lui que sera confié le manuscrit de La Princesse de Montpensier pour le faire imprimer – sans nom d’auteur – en 1662.
Portrait supposé de Ménage, par Bernard Vaillant (1666).
Portrait supposé de Ménage, par Bernard Vaillant (1666).
Jean Regnault de Segrais
Jean Regnault de Segrais, qui a fait de brillantes études au collège des Jésuites de Caen, est déjà l’auteur de plusieurs œuvres poétiques, d’un roman et d’une tragédie quand il entre au service de « la grande Mademoiselle » en 1647. Traducteur de Virgile, il compose des poèmes pastoraux et publie en 1656 Les Nouvelles françaises – un recueil de nouvelles fait d’historiettes et de portraits de femmes de la cour, dont l’atmosphère galante évoque les fêtes données au temps de la Fronde. L’une de ses héroïnes développe une théorie littéraire de la nouvelle, que Mme de Lafayette illustrera avec La Princesse de Montpensier. Accueilli à l’Académie française en 1662, c’est en 1670 qu’il entre dans la maison de Mme de Lafayette et participe avec La Rochefoucauld à la composition de ses premiers romans. C’est sous son nom que paraît Zaïde en 1670. À partir de 1676, Segrais retourne vivre dans sa ville natale de Caen où il fait un beau mariage. Le recueil de souvenirs intitulé Segraisiana paraît à titre posthume en 1721, vingt ans après sa mort. On y trouve l’attribution de deux romans, Zaïde et La Princesse de Clèves, à Mme de Lafayette.
Portrait de Jean Regnault de Segrais (1624-1701).
Portrait de Jean Regnault de Segrais (1624-1701).
Pierre-Daniel Huet
Après des études chez les Jésuites de Caen, puis à Paris, Pierre-Daniel Huet suit son maître Samuel Bochart à la cour de la reine Christine de Suède. Il traduit les Pastorales de Longus, écrit une nouvelle intitulée Diane de Castro et donne avec son Traité de l’origine des romans une histoire du genre romanesque publiée en préface de Zaïde – paraissant sous le nom de Segrais. On lui prête un rôle de « correcteur » des manuscrits de Mme de Lafayette. Esprit éclectique, il traduit des classiques latins, s’intéresse à l’astronomie, à l’anatomie, à la chimie, et fonde à Caen en 1662 une académie de physique. Reçu le 30 juillet 1674 à l’Académie française, il entre dans les ordres en 1684 et occupe différents évêchés, avant de se retirer dans la Maison Professe des Jésuites à Paris. Il y passera les vingt dernières années de sa vie.
Portrait de Pierre-Daniel Huet (1630-1721).
Portrait de Pierre-Daniel Huet (1630-1721).
La Rochefoucauld
On s’est beaucoup interrogé sur la nature exacte de la « liaison » entre Mme de Lafayette et le duc de La Rochefoucauld. Elle fait allusion à « la belle sympathie qui est entre nous » dès 1656, dans une lettre à Ménage. Dans les dernières années de la vie du duc, ils ne se quittent guère. Aussi la mort de l’auteur des Maximes sera-t-elle une rude épreuve pour Mme de Lafayette, comme en témoigne cette lettre écrite par Mme de Sévigné.
À M. et Mme de Grignan
À Paris, dimanche 17 mars 1680
Quoique cette lettre ne parte que mercredi, je ne puis m’empêcher de la commencer aujourd’hui, pour vous dire que M. de la Rochefoucauld est mort cette nuit. J’ai la tête si pleine de ce malheur, et de l’extrême affliction de notre pauvre amie, qu’il faut que je vous en parle. Hier samedi, le remède de l’Anglais* avait fait des merveilles ; toutes les espérances de vendredi, que je vous écrivais, étaient augmentées ; on chantait victoire, la poitrine était dégagée, la tête libre, la fièvre moindre, des évacuations salutaires ; dans cet état, hier à six heures, il se tourne à la mort. Tout d’un coup les redoublements de fièvre, l’oppression, les rêveries ; en un mot, la goutte l’étrangle traîtreusement ; et quoiqu’il eût beaucoup de force, et qu’il ne fût point abattu des saignées, il n’a fallu que quatre ou cinq heures pour l’emporter ; et à minuit, il a rendu l’âme entre les mains de M. de Condom. M. de Marsillac ne l’a pas quitté d’un moment ; il est mort entre ses bras, dans cette chaise que vous connaissez. Il lui a parlé de Dieu avec courage. Il est dans une affliction qui ne se peut représenter ; mais il retrouvera le roi et la cour ; toute sa famille se retrouvera en sa place ; mais où Mme de Lafayette retrouvera-t-elle un tel ami, une telle société, une pareille douceur, un agrément, une confiance, une considération pour elle et pour son fils ? Elle est infirme, elle est toujours dans sa chambre, elle ne court point les rues ; M. de la Rochefoucauld était sédentaire aussi ; cet état les rendait nécessaires l’un à l’autre ; rien ne pouvait être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié. Ma fille, songez-y, vous trouverez qu’il est impossible de faire une perte plus sensible, et dont le temps puisse moins consoler. Je ne l’ai pas quittée tous ces jours : elle n’allait point faire la presse parmi cette famille ; ainsi elle avait besoin qu’on eût pitié d’elle. Mme de Coulanges a très bien fait aussi, et nous continuerons encore quelque temps aux dépens de notre rate, qui est toute pleine de tristesse.
* Il s’agit d’un mélange de vin et d’une infusion de quinquina, remède élaboré par Talbot.
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