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French tech : pourquoi des géants français ne verront jamais le jour

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     ENQUÊTE. French tech : pourquoi des géants français ne verront jamais le jour

Par Frédéric Filloux dans l’hebdo du 1er avril
Malgré quelques licornes, l’écosystème des start-up françaises ne décolle pas. En cause, une insuffisance de talents scientifiques, des débouchés financiers peu attractifs et un marché du travail encore trop rigide
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A y regarder de plus près, malgré de beaux spécimens, et une chouette ambiance, l'écosystème de la startup-nation tricolore est poussif. (Illustration Adria Fruitos/L'Express)

A y regarder de plus près, malgré de beaux spécimens, et une chouette ambiance, l’écosystème de la startup-nation tricolore est poussif. (Illustration Adria Fruitos/L’Express)

La French Tech, c’est MesLégumes.fr financé par la BPI et le conseil régional ; et si l’entreprise décolle, elle deviendra MyVegetables.com, lèvera des fonds additionnels auprès de capitaux-risqueurs californiens où elle finira par s’installer. Telle est à peu près l’état de la tech française.

La France compte une dizaine de « licornes », ces entreprises dont la valorisation dépasse le milliard d’euros. Personne ne nie que toutes sont ce qu’on appelle « de belles boîtes »: managements solides, équipes techniques de top niveau, bons produits, et beau marché potentiel.

Pas question, donc, de gâcher l’auto-congratulation endémique d’une French Tech arborant son petit coq rouge en origami. « Ce sont des labradors. Ils ont le poil luisant, on les exhibe, on les cajole, on les félicite », regrette Nicolas Colin, inspecteur des finances passé au financement de start-up et aujourd’hui basé à Munich. « Mais ils ne courent pas très vite. Or on a besoin de lévriers ». A y regarder de plus près, malgré de beaux spécimens, et une chouette ambiance, l’écosystème de la startup-nation tricolore est poussif.

Le cocktail américain

Pour en comprendre les maux et envisager les remèdes, un parallèle s’impose avec les succès étrangers, à commencer par la tech américaine. La Silicon Valley doit son succès à trois facteurs principaux : l’argent public – du secteur de la défense notamment qui a irrigué un appareil de recherche ultra dynamique constitué par des universités d’élite, une immense disponibilité en capitaux prompts à parier sur l’innovation, et une flexibilité du marché du travail poussée à l’extrême. On en voit les résultats dans les bâtiments scientifiques de l’Université de Stanford : sciences informatiques, ingénierie mécanique, chimie, physique des matériaux, etc. Tous les géants du complexe militaro-industriel américain figurent parmi les donateurs. Depuis des décennies, l’argent du Pentagone nourrit la recherche américaine dans des domaines aussi variés que les microprocesseurs ou les véhicules autonomes.

« C’est impensable en France, pour deux raisons : d’abord, chez nous l’argent de la défense va vers les grandes entreprises du secteur et non vers la recherche académique », explique Gilles Babinet, co-président du Conseil national du numérique (CNNum) et chargé de ces questions à l’Institut Montaigne. « Ensuite, il n’est pas envisageable pour l’université, d’accepter des financements militaires comme le font les universités américaines avec la DARPA. Même chose d’ailleurs pour les programmes de recherches privés qui sont la plupart du temps malvenus dans le monde académique français ».

Aujourd’hui, c’est la Big Tech qui a pris le relais des militaires dans la recherche de pointe, avec par exemple ce chiffre étonnant : la seule R&D de Google en 2020 (27,6 milliards de dollars) et comparable au budget français de la recherche et de l’éducation (28,5 milliards d’euros).

La misère de l’université française

C’est donc la double peine pour l’université française. Car non seulement elle est financièrement exsangue, mais sa production d’ingénieurs est comparativement faible, d’où une absence…