Les conquérants
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;
Ou penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.
José-Maria de Hérédia Les Trophées (1893)
VOYAGES
Un train siffle et s’en va, bousculant l’air, les routes,
L’espace, la nuit bleue et l’odeur des chemins ;
Alors, ivre, hagard, il tombera demain
Au cœur d’un beau pays en sifflant sous les voûtes.
Ah ! la claire arrivée au lever du matin !
Les gares, leur odeur de soleil et d’orange,
Tout ce qui, sur les quais, s’emmêle et se dérange,
Ce merveilleux effort d’instable et de lointain !
Voir le bel univers, goûter l’Espagne ocreuse,
Son tintement, sa rage et sa dévotion ;
Voir, riche de lumière et d’adoration,
Byzance consolée, inerte et bienheureuse.
Voir la Grèce debout au bleu de l’air salin,
Le Japon en vernis et la Perse en faïence,
L’Égypte au front bandé d’orgueil et de science,
Tunis, ronde, et flambant d’un blanc de kaolin.
Voir la Chine buvant aux belles porcelaines.
L’Inde jaune, accroupie et fumant ses poisons,
La Suède d’argent avec ses deux saisons,
Le Maroc, en arceaux, sa mosquée et ses laines…
Anna de NOAILLES, L’ombre des jours (1902)
Îles
Îles
Îles
Îles où l’on ne prendra jamais terre
Îles où l’on ne descendra jamais
Îles couvertes de végétations
Îles tapies comme des jaguars
Îles muettes
Îles immobiles
Îles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous
Blaise CENDRARS, Feuilles de route (1924)