Réflexions (2) Art et mémoire, mémoire de l’art.

Réflexions (2) Art et mémoire, mémoire de l’art.

 

8. Une mémoire de l’art ?

L’artiste manipule plusieurs strates de mémoire : celle qui lui est propre, une mémoire intime, singulière, mais aussi celle plus politique, collective, qui se rapporte aux grands événements historiques, aux commémorations officielles et même à la mémoire de l’art, c’est à dire le sujet traité par d’autres artistes, les grands artistes dont il se réclame, avec qui il a dialogué à travers ses oeuvres (cf. Picasso et les Maîtres).

Comment se perpétue et se tranforme la mémoire du Nu féminin depuis l’antiquité ?

Le nu féminin est un topos de l’art occidental depuis l’Antiquité mais c’est la Renaissance qui lui donne à la fois une forme idéale inspirée de l’antiquité et une valeur symbolique en l’associant à la beauté idéale, céleste.

Vénus Médicis (du type « pudica »), copie romaine du 1e s. av. JC, d’après original : Aphrodite de Cnide (voir ici) de Praxitèle (IVe s. av. JC), Florence Musée des Offices.

Elle fut admirée, considérée comme le modèle absolu de la beauté idéale de la Renaissance au XVIIIe siècle mais supplantée au XIXe siècle par la Vénus de Milò et tombée dans l’oubli  :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c2/Front_views_of_the_Venus_de_Milo.jpg/544px-Front_views_of_the_Venus_de_Milo.jpg

Vénus dite de Milò, IIe siècle av. J.-C, marbre de Paros, département des antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre (1821)

Le néo-platonicien florentin Marsile Ficin (1433-1499) tente de fondre en un nouveau dogme la philosophie (et la mémoire) de Platon (donc l’Antiquité) et le christianisme. Il écrit la « Théologie platonicienne » (terme impensable au Moyen Age).

Comment cette mutation s’est-elle traduite dans le rapport « artistique » à la mémore de l’Antiquité ? Selon Panofsky deux œuvres d’un ami intime de Ficin, Sandro Botticelli incarnent ce courant humaniste à la fin du Quattrocento et les deux se rapportent à la beauté et a nu féminin :

la Naissance de Vénus (1485 Tempera sur toile, 172.5 x 278.5 cm),

et le Printemps (Primavera). (1482, Tempera sur bois, 203 x 314 cm (Offices Florence)

http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/b/botticel/5allegor/

D’innombrables livres tentent d’interpréter ces peintures allégoriques. L’apparence des deux « Vénus » diffère :
pudica pour la Naissance attention sa Beauté disornata (dépouillée) est supérieure, probablement dérivée d’une statue antique appelée « Automne » (on peut affirmer qu’il s’agit d’une même figure)
–  ou drapée dignement dans la Primavera selon l’idée de la Beauté ornata (habillée)
Ce thème de la hiérarchie qui s’établit dans les sphères de la Beauté céleste et de l’Amour terrestre est une véritable obsession à la Renaissance.
Le reste de l’iconographie s’inspire d’un poème d’Ange Politien en l’honneur de Julien de Médicis lors d’un tournoi et fourmillant de souvenirs « classiques » Homère, Ovide, Horace et surtout Lucrèce. La proximité des deux tableaux est accentuée par le fait que seule la saison du Printemps vient habiller la déesse sortant des flots (anadyomène) alors qu’elles étaient trois.
Pour Panofsky, cette dualité du nu féminin rappelle les deux Vénus de Praxitèle (sculpteur grec du IVe siècle qui pour la première fois a sculpté un nu féminin intégral).
http://mini-site.louvre.fr/praxitele/index_flash_fr.html
La Vénus nue a été refusée par les habitants de l’île de Kos qui l’ont faite remplacer par une habillée.

L’amour sacré et l’amour profane de Titien reprend cette dialectique : le premier est l’Amor divinus, transcendant, très supérieur à l’Amor humanus, l’amour humain et naturel. Pour Platon comme pour Ficin, les deux sont bien sûr acceptables, mais ils sont d’origines différentes c’est à dire de deux Vénus. L’une, la Céleste, est née miraculeusement des organes génitaux d’Uranus jetés dans mer. Sans mère, elle reste du domaine de l’esprit sans rapport avec la matière. L’amour qu’elle génère est contemplatif, il permet d’accéder à la beauté divine. L’autre la Vénus vulgaris est née de l’union de Zeus et d’Héra (Junon), donc de manière naturelle, par accouplement.

Pour une analyse et interprétation plus poussée du tableau :

https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/titien/amoursacreprofane.htm

Titien, L’Amour Sacré et l’Amour Profane, 1514, Huile sur toile, 118 x 279 cm. Galerie Borghese, Rome

On voit que les interprétations se succèdent mais pour ce qui est de la mémoire, le tableau fonctionne comme une image emblématique du mariage, un des types de tableau qui permetue l’art de la mémoire médiéval : correspondances entre détails symboliques et inspiration dess recueils d’emblèmes qui foisonnent à la Renaissance.

Pour revenir à Botticelli, la Vénus anadyomène dans la « Naissance… » serait donc cette Vénus céleste, née des eaux, tandis que le Printemps pourrait s’intituler « Le royaume de la Vénus naturelle » (si en plus elle est enceinte comme cela semble être le cas). Les amours engendrés par ces deux Vénus sont « honorables et dignes de louanges bien qu’à des degrés différents ». Chacune des deux Vénus « nous pousse à créer de la beauté mais chacune à sa manière » dit Marsile Ficin dans son commentaire du Banquet. Le Printemps serait une sorte de fête terrestre, une fête naturelle, en son honneur.

Mercure à gauche, dieu de la Raison qui certes n’a pas accès à la sphère de la Vénus céleste mais qui se détourne aussi des sensations terrestres, aux flèches enflammées de l’Amour, à la danse des trois Grâces et aux dons embaumés du Printemps. Il tente de dissiper la brume qui enveloppe les « facultés inférieures » de l’âme (Ficin). Sa solitude est celle de l’esprit de raison à la fois exclu de l’Amor divinus (inaccessible) et qui s’exclue de lui même de l’Amor humanus méprisé.

Le modèle du nu féminin inspiré de Vénus est réinventé au XIXe et au XXe siècles :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/05/Ingres_Venere_Anadiomene.jpg

Jean, Auguste Dominique Ingres, Vénus Anadyomène, 1808 – 1848, huile sur toile, 163 × 92 cm, Musée Condé, Salle de la Tribune, Chantilly.

Pablo Picasso, Les Demoiselles d’Avignon, Pablo Picasso ,1907, Huile sur toile 243.9 x 233.7 cm. MOMA, New York.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/46/Jean_Auguste_Dominique_Ingres_-_The_Spring_-_Google_Art_Project_2.jpg/512px-Jean_Auguste_Dominique_Ingres_-_The_Spring_-_Google_Art_Project_2.jpg

Jean Auguste Dominique Ingres (1780–1867), La Source, 1820 -1856, huile sur toile, 163 cm x 80 cm, Musée d’Orsay

René Magritte, Les bons jours de Monsieur Ingres, 1943, huile sur toile, 72.4 x 49.5 cm, collection privée.

Alain Jacquet, La source d’après Ingres, 1965, report sérigraphique sur matelas pneumatique,105x65cm, coll privée.

On voit bien que le rapport art – mémoire est constitutif de la création artistique, chaque œuvre étant selon lui une sorte d’archive, ce qui annonce la triple temporalité qui caractérise l’œuvre d’art qu’évoque Daniel Arasse : la superposition de manière archéologique des regards successifs portés sur l’oeuvre, par l’artiste créateur d’abord, puis à différentes époques par artistes, critiques, amateurs et enfin le regard contemporain du conservateur, du collectionneur ou du public qu’il soir spécialiste ou pas. S’il est possible de retracer l’historique d’une oeuvre depuis sa commande, il  arrive éfréquemment que des œuvres ou des artistes importants soient totalement oubliés (Georges de La Tour) même s’ils furent célèbres par le passé. D’autres sont devenues célèbres après leur redécouverte comme la Joconde au XIXe s. D’autres enfin, oubliés et montrés à nouveau provoquent un véritable engouement artistique auprès de jeunes artistes. C’est le cas du Bain turc d’Ingres exposé en 1905 au Salon d’automne.

Ingres, Jean-Auguste-Dominique, ‘Le Bain turc 1862.Huile sur toile, 110 x 110 cm, Paris, Musee du Louvre.

Picasso, Le Harem, Gòsol 1906 huile sur toile 154 x 110 cm, Cleveland Musum of Art.

Quatre filles nues se coiffent, se baignent, un colosse cuve le vin qu’il vient de boire du porron qu’il tient à sa main gauche et digère son repas dont on voit les restes sur une nappe par terre, sorte de nature morte placée au premier plan. Une vieille femme, la maquerelle est accroupie à l’angle de la pièce pauvre nue, près d’une sorte de marmite. Visiblement, Picasso a détourné le thème du Bain turc en une sorte de bordel rustique.

Ambiance aux antipodes de la Joie de vivre de Matisse où l’on retrouve des citations (figure se coiffant, nus lassifs aux lignes courbes…) mais absolument pas les allusions crues de Picasso aux maisons closes et à la domination masculine.

Mais le dialogue (ou l’opposition) entre les trois peintres autour d’Ingres et du Bain turc va beaucoup plus loin car chacun y place sa conception de la peinture dans un contexte de vifs débats sur l’art des avant-gardes.

Le Bonheur de vivre reprend le thème de l’idylle dans la nature, un paysage arcadien, de Luxe calme et volupté (1904), mais après la vision du tableau d’Ingres le dessin est réhabilité contre le divisionnisme, les anatomies retrouvent une couleur plus conventionnelle.

Matisse Le bonheur de vivre. 1905-1906 176×241 cm huile toile. Barnes Foundation, Lincoln University, Merion, USA.

Derain L’Age d’Or 1906, huile sur toile, Musée de Téhéran.

L’Age d’or de Derain est aussi une idylle (: poésie pastorale) mais inversée, les trois figures d’affliction occupent le premier plan, certes dans un effet repoussoir (couleurs rouge et violet foncés) mais qui interpellent le spectateur et introduisent une nuance par rapport au tableau de Matisse. Sur le plan technique il s’agit d’une toile divisionniste (mais pas entièrement). C’est une sorte de réplique à l’ambiance de plaisir de la toile de Matisse et au Bain turc, comme s’il voulait montrer qu’il pouvait peindre une grande toile à figures. Il choisit en plus un sujet traité par Ingres peuplé de nus des deux sexes. Chez lui, comme chez Vlaminck, la volonté d’opposer une réalité « crue », voire violente à l’idéal de beauté est constante.

Deux autres exemples intéressants de la « vie » d’une œuvre sont analysés par Hans Belting dans Le chef d’oeuvre invisible :

  • La Madone Sixtine
  • Les Demoiselles d’Avignon

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/7a/RAFAEL_-_Madonna_Sixtina_%28Gem%C3%A4ldegalerie_Alter_Meister%2C_Dresden%2C_1513-14._%C3%93leo_sobre_lienzo%2C_265_x_196_cm%29.jpg/560px-RAFAEL_-_Madonna_Sixtina_%28Gem%C3%A4ldegalerie_Alter_Meister%2C_Dresden%2C_1513-14._%C3%93leo_sobre_lienzo%2C_265_x_196_cm%29.jpg

Raphaël, Madone Sixtine 1513-14, huile sur toile de lin, 265 x 196 cm, Gemäldegalerie Alter Meister, Dresde.

Œuvre qualifiée de « tableau suprême », de « trésor en Allemagne », « la plus grande expérience picturale » de Thomas Mann, de « tableau qui réunit toutes les questions irrésolues de l’art et de l’œuvre d’art » selon Heidegger.

Copié à plusieurs reprise en Allemagne pour décorer divers palais et résidences princières et en particulier pour le « panthéon de Raphaël » à l’Orangerie du Château de Sansouci à Potsdam.L’original était entré dans les collections de l’électeur de Saxe et transféré dans la galerie de Dresde en 1753.
Dès lors il devient une icône de l’art changeant brusquement et totalement de statut pour devenir un chef d’oeuvre de l’art ce qui était très rare pour une peinture religieuse au XVIIIe.
Au même moment Winckelmann s’apprêtait à quitter Dresde pour aller à Rome ce qui favorisa le rapprochement entre le beau idéal des Grecs, l’imitation de cet idéal que les artistes se devaient de suivre et le tableau de Raphaël considéré comme la plus belle de ces imitations. Pour Winckelmann, la grandeur de Raphaël reposait dans son affinité, réelle ou supposée, avec l’Antiquité.

Dans le contexte du romantisme naissant et du renouveau néo-classique en Allemagne, ce tableau a cristallisé les débats, les uns le considérant comme chef d’œuvre d’un art religieux les autres voyaient dans la figure de la Madone une déesse antique.

D’une certaine manière, comme le dit Hans Belting, les Allemands ont très largement recréé l’œuvre. Aux uns l’oeuvre paraissait pieuse, avec une Vierge Marie d’une grande pureté esthétique aux autres, notamment les romantiques, sa beauté plastique incarnait l’essence même de l’art et jouissait d’une grande « dévotion » esthétique.

Le rêve de Raphaël, est un topos des romantiques allemands selon lesquels la Vierge serait effectivement apparue à Raphaël. Une sorte de rapport métaphysique s’est ainsi établi entre l’artiste et son chef d’œuvre. Seule une apparition divine, une vision intérieure pouvait expliquer la réalisation d’un tel tableau et non pas l’imitation de la nature. C’est ainsi qu’un tableau admiré pour sa facture classique devenait paradoxalement l’incarnation d’un absolu dans l’art du point de vue romantique.

Il est repris dans ce tableau des frères Riepenhausen (proches des Nazaréens) qui furent meilleurs graveurs que peintres. Comment pouvait-on expliquer la perfection de la figure de la Vierge autrement que par une apparition à l’artiste ? Elle a pénétré son âme et à son tour l’oeuvre pénètre l’âme des visiteurs extasiés devant une telle beauté. (tout ceci est très romantique en effet).

Les Demoiselles d’Avignon.

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Pablo Picasso, Les Demoiselles d’Avignon, 1906-1907, huile sur toile, 244×234 cm, MOMA, New York.

« Un chef d’œuvre invisible ».

Cette composition « initiale » est tout à fait visible dans le dessin du Musée Picasso :

Étude d’ensemble a sept personnages cinq demoiselles, l’étudiant en médecine et marin mars – juillet 1907, Paris 1907 crayon noir papier 19x24cm Musee Picasso Paris. Carnet 9,

Un tableau aux figures qui sont « nulle part » (les aspects narratifs présents dans les études ont été gommés par Picasso) comme l’autre tableau charnière : les Saltimbanques (1905) Aucune narration, aucun « lieu », un espace indéfinissable, quasi inexistant, une sorte d’hésitation, un regard vide. Un grand format dépourvu cependant de toute référence historique ou narrative.

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P. Picasso, Les Saltimbanques, 1905, huile sur toile, 213×230 cm, National Gallery of Art, Washington, D.C.

L’art détrône ici le sujet traditionnel. Apollinaire l’avait compris lorsqu’il envoyait à Picasso le Poème « Saltimbanques » comme réponse au tableau.

Comment les Demoiselles sont-elles devenues le tableau mythique qui incarne l’entrée de l’art dans la modernité du XXe siècle ? Tableau primitiviste (africaniste et ibériste), archaïque, violent, il plonge ses racines plastiques dans ce double archaïsme, l’un en rapport avec l’exorcisme plongeant dans le monde des sorciers de la nuit des temps, l’autre dans l’ingrisme et ses exagérations plastiques. Le mythe d’un art préhistorique (primitivisme) vient ainsi supplanter celui de l’art occidental incarné dans les deux nus idéalisés du milieu. Picasso voulait-il ainsi régénérer l’art en inventant le « cubisme », une rupture radicale avec tout ce qui avait existé jusque là ? C’est ce que semble révéler la composition qui voit se transformer la figure du nu féminin.

Le tableau est resté dans l’atelier,  a été cité à deux – trois reprises dans des témoignages d’amis et montré dans une petite exposition en 1916 alors que Picasso était déjà le maître incontesté du « cubisme » mouvement considéré souvent comme la première grande rupture avec la tradition picturale occidentale.

C’est ce que pensait André Breton et la longue invisibilité du tableau dont on connaissait cependant l’existence a favorisé le mythe. Il est devenu ainsi le nouveau Chef d’œuvre inconnu de Frenhofer dans le récit de Balzac (Picasso dessine d’ailleurs des illustrations à la réédition du récit de Balzac en 1931 chez Vollard).

Pour Breton, et contre ses camarades surréalistes, il s’agit ni plus ni moins d’une œuvre indispensable à la compréhension de la culture du XXe siècle (il la compare à la Madone de Cimabue qui était transportée en procession dans les rues de Florence). Le poète se plaçait ainsi dans une sorte de généalogie du couple peintre – poète si important pour Picasso : Picasso et Apollinaire – Picasso et Cocteau, Picasso et Breton.

Breton convainc le grand couturier, collectionneur et mécène français, Jacques Doucet d’acheter le tableau en 1924.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/a/a1/Jacques_Doucet%27s_h%C3%B4tel_particulier%2C_33_rue_Saint-James%2C_Neuilly-sur-Seine%2C_1929_photograph_Pierre_Legrain.jpg

L’hôtel particulier de Jacques Doucet, 33 rue Saint-James, Neuilly-sur-Seine, 1929 photographie de Pierre Legrain.

Le tableau, acquis en 1937 par le MOMA, retrouve la visibilité lors de la grande rétrospective au musée new-yorkais en 1939.

https://www.moma.org/explore/conservation/demoiselles/analysis_2_c.html

Les critiques l’ont élevée au rang de mythe du modernisme et parmi eux le conservateur du MOMA Alfred Barr dans son célèbre arbre généalogique de l’art moderne.

Le schéma d’Alfred Barr historien de l’art et premier directeur du MOMA (1929-1943) qui dirigea en 1936 deux expositions fondamentales sur les courants de l’art moderne 1936 intitulée Cubism & Abstract Art et Fantastic Art, Dada and Surrealism(voir également la grande rétrospective Picasso évoquée par Hans Belting autour du « chef d’oeuvre désormais visible », les Demoiselles d’Avignon : (Picasso: Forty Years of His Art. November 15, 1939-January 7, 1940).

Le schéma manuscrit d’Alfred Barr

Mais une autre œuvre emblématique témoigne du rapport très riche qu’entretenait Picasso avec la la mémoire et l’histoire.

La réalisation de Guernica a été photographiée par Dora Maar dans l’atelier de Picasso :

Picasso a produit d’innombrables dessins et études préparatoires des motifs individuels et utilisant des couleurs qu’il élimina cependant de la toile finale.

https://i.pinimg.com/564x/27/26/ce/2726ceb64b51a3474f1469ba17c48b48.jpg

Il fit photographier les métamorphoses du tableau en sept étapes par Dora Maar. D’autres photos comme celle ci-dessus, montrent le peintre au travail et suggèrent que le rituel plastique est tout aussi important que le message politique. Comme souvent, les études n’avaient qu’un faible lien avec le tableau final et peuvent être considérées comme des oeuvres autonomes. Œuvre commémorative s’il en est, exilée puis ramenée au pays en 1981 avec l’instauration de la démocratie en Espagne. Icône de la modernité, Guernica est aussi une dénonciation de la violence et de ses destructions qu’engendre le progrès technique. Mais l’œuvre est aussi représentative du travail de l’artiste comme en témoignent certains tableaux comme femmes à la toilette (1938) :

http://lartduplan.com/wp-content/uploads/2014/02/tapis-couleur-picasso.jpg

P. Picasso, Femmes à la toilette, collage (448 X 299 cm). Musée Picasso.
Mais il reviendra aussi au thème de la guerre (Le Charnier en 1945, Guerre et Paix au début des années ’50.

L‘œuvre comme remémoration de l’art du passé.

L’œuvre elle-même dans sa conception et sa réalisation est également porteuse d’une mémoire qu’on pourrait qualifier de « mémoire de l’art ». L’artiste ne crée pas ex nihilo mais puise dans ses souvenirs qu’ils soient en rapport avec sa vie d’artiste ou sa vie tout court.

Certains artistes pratiquent l’art de la citation comme le montre  Hans Belting, L’oeuvre comme souvenir, in Le chef d’oeuvre invisible, pp 526-553)

C’est le dernier chapitre de l’ouvrage. Au moment où la création d’œuvres est remise en cause par des formes modernes d’expression et de création (happenings ..) certains artistes pratiquent la citation en opposition à la copie ou à l’imitation. Le Pop Art notamment a favorisé ces expérimentations qu’incarnait le mouvement Art about Art dans les années ’70.

La série de Tom Wesselmann Great american nude est caractéristique. Dès 1962 on voit la vie quotidienne américaine envahie par des sortes de stéréotypes de l’art soit comme décors en toile de fond, soit comme ici par une figure centrale, un nu allongé, une sorte d’Olympia américaine dans une composition qui emprunte à la fois à Picasso et à Matisse.

Tom Wesselmann Great American Nude 2, 1961, synthétique, polymère peint, enduit de gypse, craie, huile, collage sur bois plie? MOMA.

Malcolm Morley The School of Athens 1972, acrylique sur toile, 151×120 cm, coll prive?e.

On a pu penser ainsi à une sorte de fin de l’art et créé le néologisme « Nachbilungen » (copies ou récréations) et Nachbilder (d’après tableaux, ou littéralement après les tableaux). Le public désorienté d’autant plus que des fresques monumentales comme l’École  d’Athènes étaient transformées en tableau de galerie comme The School of Athens de Morley.

Renato Guttuso, peintre réaliste du XXe siècle, peint en 1973, année de la mort de Picasso, une série intitulée le Banquet. Ici il ne s’agit pas de citations. une sorte de veillée funéraire est organisée par l’artiste à la mémoire de son ami Picasso. Avec un style proche de Picasso, Guttuso apporte sa spontanéité en plaçant Picasso au milieu de maîtres qu’il a réinterprété dans les nombreuses séries des années 50 – 60.

https://4.bp.blogspot.com/-Yoxx9uM_IVY/Wa2hgAzKqBI/AAAAAAABdeI/x89rtqw2UackAg1Qji7d9yvRm_b4odQRgCLcBGAs/s640/Renato%2BGuttuso%2BLe%2Bbanquet%2B1973%252C%2BAcrylique%2Bsur%2Bpapier%2Bcoll%2Bprivee.jpg
Renato Guttuso, Le banquet 1973, Acrylique sur papier coll privée.
https://4.bp.blogspot.com/-Oip5qrUTJKY/Wa2rl7kxeCI/AAAAAAABdeY/hdcD5mozpJMMl9aWFrsiuAEMs-dou1XlwCLcBGAs/s1600/Renato%2BGuttuso%2BConversation%2Bwith%2Bthe%2Bpainters%252C%2B1973%252C%2Bacrylique%2Bet%2Bmate%25CC%2581riaux%2Bdivers%2B%2Bpapier%252C%2BGraphis%2BArte%252C%2BLivourne.jpg
Renato Guttuso Conversation With the painters, 1973, acrylique et mate?riaux divers papier, Graphis Arte, Livourne.
L’artiste a transformé le rapport créatif que Picasso entretenait avec les maîtres du passé en une sorte de veillée entre génies de la peinture.

Mais comme l’écrivait André Chastel, il ne s’agit pas de rechercher une quelconque « influence », terme qu’il qualifie de « désastreux » car « il implique une fatalité d’emprunts » mais de rechercher le plus l’important, « l’acte d’appropriation ». Là encore Picasso est une référence majeure.

L’exposition Picasso et ses maîtres (2008) a justement posé de manière éclatante la question de l’appropriation dans la peinture.

http://www.ina.fr/video/3741946001018

Les critiques n’ont pas été très positives.

« Picasso et les mai?tres » au profit de qui ?, Philippe Dagen, Michel Guerrin

Picasso et les Mai?tres – La Tribune de l’Art

1954 est l’année du décès de Matisse qui a donné à Picasso le sentiment d’être le dernier défenseur de l’art moderne face aux assauts des artistes abstraits. C’est à ce moment là que Picasso abandonne les peintures politiques (un « art de la mémoire » du témoignage engagé pour l’histoire) pour se lancer dans « la peinture de la peinture » en prenant comme modèle quelques tableaux importants de l’histoire de l’art.

  • Le déjeuner sur l’herbe
  • Les femmes d’Alger
  • Les Ménines
  • Des dizaines de portraits qu’il soumet aux déformations caractéristiques de son œuvre.

Voici en quels termes Jean Clair déplore le « renversement du processus de création » opéré par Picasso et les artistes contemporains :
« 
C’est pourquoi il était dans la logique interne de cette œuvre qu’ainsi privée du domaine concret où s’épanouir (celui de la durée et de la maturation) elle en vînt, ainsi que le montrent les tableaux depuis 1950 et comme pour échapper à l’asphyxie qui la guette perpétuellement, à privilégier ce qui en elle justement n’est pas l’œuvre : c’est-à-dire à faire que la créativité même l’emportât sur la création, que le geste devînt plus important que son résultat, que le tableau ne fût plus que la trace, à l’extrême quasi impalpable, d’une intention créatrice ; ainsi les démiurges jouent-ils avec leurs créatures. Picasso est à la source de ce renversement — pour ne pas dire perversion — du processus créateur qui caractérise la plus grande part de l’art contemporain. »

Ne fait-il pas ici une allusion au dripping de Pollock, sorte de pendant abstrait de la démarche expérimentale de  Picasso ? La mémoire du geste artistique inscrite sur la toile au-delà du sujet ou plutôt en deça.

L’application gestuelle de la peinture s’affirme chez Pollock, l’acte de peindre prend le dessus sur la sémiotique hypothétique de  l’image. La voie s’ouvre vers une échelle plus grande et pour affirmer la prééminence du geste pour le geste dont il faut garder la mémoire, d’où le film et les photographies : sorte de figuration d’une abstraction.

Jackson Pollock One, Number 31, 1950 huile et e?mail sur toile 270×530 cm MOMA

http://4.bp.blogspot.com/-N1h8ymJ1eho/UwCxVcRA5RI/AAAAAAAACkw/Zt8efzl1SUI/s1600/jackson_pollock01.jpg

Jackson Pollock dans son atelier, photographie de Hans Namuth, 1950£

Sur l’analyse de l’œuvre du photographe, son rapport à l’art de Pollock et les effets de ses photographies sur la perception et la réception de la peinture de Pollock lire ici :

http://pollock.free.fr/Grand2_3.htm

La dernière invention de Picasso donc  consiste à faire de l’histoire de la peinture le sujet de sa propre activité créative : une peinture mémorielle. C’est à la fois une création artistique et une réflexion théorique sur l’art qui passe par une étude de plusieurs toiles majeures de l’art occidental, il multiplie les reprises et les variations sur le thème du peintre et de son modèle, thème déjà évoqué dans la Suite Vollard, dans les années ’30, (scènes de l‘Atelier du sculpteur et du peintre où il menait déjà une réflexion sur les styles et le sens de l’oeuvre, cf. Picasso surréaliste). Mais cette fois les références aux maîtres sont plus explicites alors que dans la suite Vollard seul Rembrandt avait été directement évoqué :

Suite Vollard L075 (Rembrandt à la palette II) Paris, 27-Janvier 1934  eau forte édition 250 28 x 20,3 cm Christie’s.

Suite Vollard L074 (Rembrandt et têtes de femmes) Paris, 27-Janvier 1934 eau forte sur papier Montval, edition 300 50 x 38,5 cm Sotheby’s.

L’approche de Picasso suit trois voies dont les deux premières apparaissent dès les années ’50 :

– oeuvres « d’après »

– peintre et son modèle

– déductions à partir des deux thèmes (années ’60)

Dans la dernière décennie, les trois thèmes s’entremêlent et deviennent obsédants. Il s’agit donc de s’interroger sur cette démarche qui englobe l’oeuvre antérieure de Picasso et la nécessité intérieure de l’artiste, l’histoire de l’art et la situation de l’art à cette époque.

Rappelons le rapport aux maîtres, anciens et modernes, qu’entretient Picasso jusqu’aux années 1940.

Relation positive.

Cette relation s’exerce de manière classique : absorption, détournement, allusion directe ou elliptique. Cela se fait en fonction d’une idée, d’un sujet qui appelle la référence à un autre artiste : la tragédie de Van Gogh et du Greco ainsi que le style du Greco pour évoquer la mort de Casagemas, la Crucifixion qui fait appel à Grünewald, mais aussi le crime (Le meurtre dessin des années ’30) qui renvoie à David comme les portraits et les nus à Ingres quand ce n’est pas à Rembrandt dans la suite Vollard.

Pour ce qui est de ses contemporains, Degas, Toulouse-Lautrec, Cézanne, Gauguin pour les plus âgés, Matisse, Derain et bien sûr Braque sont indissociables du travail de Picasso au moins jusqu’en 1914 qu’il soit en rupture avec le fauvisme idyllique de Matisse ou répondant aux expériences de Braque. Amitié, conversation, rivalité ou confrontation toutes ces postures sont tenues par Picasso face aux autres grands artistes de sa génération.

Les arts non occidentaux sont également mis à contribution pour « secouer » un art occidental dont l’intensité expressive s’est affaiblie. Au musée du Trocadéro, au marché aux puces, en feuilletant les revues surréalistes Documents ou le Minotaure, Picasso découvre d’autres formes plastiques qui rompent avec les styles et les procédés de l’histoire de l’art européen.

Relation négative.

Mais à côté de ces relations « positives », Picasso a également mis en cause avec beaucoup de force le modèle hérité de la Renaissance, surtout après les Demoiselles d’Avignon. Son art a longtemps été perçus comme une offense au beau, à l’idéal qu’incarne cet héritage.  Picasso, le plus grand artiste du XXe siècle, est aussi celui qui comme Cézanne avant lui a été les plus discuté, contesté, voire détesté. Sa peinture est mise en cause à la fois par les tenants de la tradition classique et par ceux de l’impressionnisme.L’oeuvre de Picasso apparait ainsi comme une succession d’insultes, de destructions, de sacrilèges infligés à la figure humaine, objet de toutes les attentions depuis la fin du Moyen Age. Si nous sommes maintenant « habitués » à voir des Picasso, à s’interroger sur son oeuvre, cela n’a pas été toujours le cas. Traité d’obscène, de provocateur, d’iconoclaste, d’escroc ou d’imposteur selon l’expression consacrée « même un enfant pourrait faire autant ».

Il faut dire qu’il a tout fait pour provoquer ce rejet. D’abord en malmenant la figure humaine, ce qui a toujours choqué : Baigneuses de Cézanne, portrait de Madame Matisse ? La dame au chapeau dans la « cage aux fauves » de 1905. Picasso profanateur de la figure et en particulier de la figure féminine. Mais ce qui aggrave encore son cas c’est que Picasso apparaît comme un profanateur de l’art alors qu’il est capable de peindre et de dessiner de la manière la plus haute, égalant les plus grands maîtres du passé. C’est cette incompréhension qui a déçu les tenants du « retour à l’ordre » croyant que Picasso allait « se ranger ». Mais en 1953 Picasso déçoit de nouveau car il refuse de rallier la cause du réalisme socialiste.

Mais que pense Picasso de tout cela ?

Face à ces tensions, Picasso avance une explication à Geneviève Laporte « Les hommes ne pardonnent pas qu’on s’attaque au visage humain. Corot célèbre, vendait des paysages et ses natures mortes comme il voulait, ses personnages difficilement. » Il revendique sa place dans l’histoire de l’art en s’opposant à l’héritage académique : « Depuis Van Gogh nous sommes tous des autodidactes – on pourrait presque dire des peintres primitifs. La tradition ayant elle même sombré dans l’académisme., nous devons recréer un ce langage de A à Z. On ne peut lui appliquer aucun critère a priori puisque les règles n’ont plus cours » paroles que rapporte Françoise Gillot.

En 1956 il déclare dans Vogue :

« J’ai horreur des gens qui aiment le beau. Qu’est-ce que le beau ? Il faut parler des problèmes en peinture ! Les tableaux ne sont que recherches et expériences. » En 1957 il pousse plus loin encore la critique : « On parle constamment de la Renaissance, mais c’est vraiment dramatique. J’ai vu quelques Tintoret récemment. Ce n’est que du cinéma, du cinéma bon marché. Cela fait de l’effet parce qu’il y a beaucoup de gens, beaucoup de mouvements et gestes grandiloquents. Et puis il est toujours question de Jésus et de ses apôtres. Mais comme c’est mauvais, comme c’est vulgaire! Les têtes elles mêmes sont mauvaises ». Propos publiés par Kahnweiler en 1957. Picasso déclare préférer Cranach à Mantegna, visitant les Loges De Raphaël il déclare « Bien. Très bien. Mais on peut en faire autant… »

On voit bien que Picasso n’apprécie guère l’art de la Renaissance. Mais cette relation négative n’est pas plus importante que les relations positives qu’il a entretenues jusqu’au années 1940 avec le Greco ou avec Ingres. Ces relations obéissent au principe de l’adéquation du dispositif stylistique au sujet :  Le Greco pour la dramatisation, Ingres pour le nu. Ces références ne sont pas des hommages mais plutôt le signe d’une appropriation, d’une assimilation comme ce fut le cas avec les masques africains ou les têtes ibériques. Elles sont appelées en fonction du sujet et non pas au nom d’un nouvel académisme d’une nouvelle « école ».

Mais à partir des années 1950, Picasso introduit un nouveau rapport à la peinture ancienne, il invente la peinture moderne de la peinture ancienne. Paradoxe qui risque de nouveau de créer des malentendus à la fois avec les tenants de la modernité radicale et avec les admirateurs de Poussin ou de David.

Reprises et variations sur quelques grands tableaux de l’histoire de l’art.

Une chronologie des œuvres de Picasso en rapport à  d’autres artistes extraite du catalogue Picasso et les maîtres ici : https://photos.app.goo.gl/3v2ZMEn3bwkJjPuK2

Cette « peinture de la peinture » connaît ses premières expériences dès la fin du mois d’août 1944, en plein combat pour la Libération de Paris. Il peint une aquarelle d’après une Bacchanale de Poussin : Le triomphe de Pan (1636, National Gallery de Londres).

Bacchanales- Triomphe de Pan (d’après Poussin) Paris, 24~29 aout 1944 aquarelle et gouache sur papier 30,5 x 40,5 cm collection Privée (non localisée). Cette oeuvre appartenait encore à Picasso en 1972.

Picasso vient de connaître Françoise Gillot (elle caresse un faune hilare au milieu du tableau) mais l’oeuvre témoigne tout autant de la liesse de la Libération. Femme sur le dos d’un bouc, satyre cornu sous un arbre, chèvre qui met bas à l’arrière plan, filles nues partout, porteurs de fruits et joueurs de trompes. Le plaisir et les corps sont partout. Poussin est appelé ici non pas sur le plan stylistique mais comme parce que son Triomphe de Pan, que Picasso découvre dans une reproduction, exprime tout à fait la liesse, l’ivresse publique et les réjouissances (y compris physiques) qui suivent la Libération. Et puis, Poussin était peut-être aussi le fondateur de la peinture française que le jeune Picasso avait découvert au Louvre (cf. Autoportrait « Yo Picasso »), ce qui justifierait également ce choix en ces moments de communion nationale.

D’autres brefs retours ont lieu avec Cranach à propos de David et Bethsabée que Picasso interprète dans quatre lithographies e mars 1947 et en mai 1949 sur le thème de la toilette féminine surprise par le vieux roi qui envoie le jeune mari à la guerre pour avoir le champ libre.

Picasso appréciait particulièrement  Lucas Cranach l’ancien et dont il possédait quelques photos, notamment Bethsabée et Vénus.

https://www.wga.hu/framex-e.html?file=html/c/cranach/lucas_e/06/4david.html&find=David

David et Bethsabée (d’après Cranach) Paris, 9-Mai 1949 lithographie édition 50, 65,3 x 48,1 cm. MOMA. (Voir la version de 1947 ici).


Sur le lien entre Picasso et les maîtres allemands lire l’excellente mise au point de Carsten-Peter Warncke dans le catalogue de l’exposition « Picasso et les maîtres ».

Se tourner vers un peintre allemand, par ailleurs admiré des nazis, après la guerre était un acté courageux. Ainsi, il dissociait l’art ancien des récupérations opérées par les nazis. Dans les années ’30l avait déjà revisité la Crucifixion du retable d’Issenheim de Mathias Grünewald en peinture comme en gravure.

Le travail sur cette plaque de zinc (dessin au lavis et gravure) a duré plusieurs jours (ajouts, grattages, éléments redessinés après recouvrement du zinc par l’encre) avant que Fernand Mourlot, lithographe de Picasso à partir de 1945 et auteur d’un catalogue des lithographies en 1970, ne reporte le dessin sur pierre dans son atelier. Période tendue à cause des débats sur le réalisme socialiste et de l’essor de l’art abstrait contemporain. Picasso décide de se confronter à un maître ancien, qui plus est allemand comme pour mieux provoquer ceux qui rejettent l’Allemagne après les crimes de la guerre.

En 1950 il reprend les Demoiselles des bords de Seine (1857, Petit Palais) de Courbet, tout en courbes enlacées accentuant la suggestion saphique et érotique en référence au Sommeil (1866, Petit Palais) du même Courbet.

Les demoiselles au bord de la Seine d’après Courbet Vallauris, Février 1950 huile sur contreplaqué100,5 x 201 cm Kunstmuseum Basel.

Le choix de Courbet (d’où le format oblong rappelant à la fois, dans de moindres dimensions, Guernica et l’Enterrement à Ornans) peut s’expliquer par le contexte des débats esthétiques sur le réalisme socialiste dont Courbet serait un précurseur, dernier représentant de la « grande peinture réaliste » française. Picasso invente ici la « figuration à découpages » qu’il développera par la suite.

Quant au Greco, il est de nouveau appelé en février 1950 pour le portrait d’un peintre qui n’est cependant ni le Greco ni Picasso.

Portrait d’un peintre (d’après El Greco) Vallauris, 22-Février 1950 huile sur bois 100,5 x 81 cm Picasso-Sammlung der Stadt Luzern, Suisse. Dans ce chef d’oeuvre de la « figuration à découpages » (Daix) conçue pour les Demoiselles des bords de Seine, Picasso montre ici la capacité du langage moderne de la peinture à l’exprimer que l’essentiel. Selon Daix, le portrait s’inspire de l’Homme à l’épée du Greco (Musée du Prado) que Picasso connaissait depuis son séjour à Madrid (1895). Mais les commissaires de l’exposition Picasso et les Maîtres le rapprochent (à plus juste titre) du Portrait d’un artiste (Museo de Bellas Artes de Séville, vers 1600-1605). Greco – Picasso pour rappeler la continuité de la peinture, Cranach et Courbet pour suggérer qu’a toutes les époques les peintres ont aimé les scènes amoureuses. En 1947, un soir de fermeture, Georges Salles donne à Picasso l’occasion de placer les toiles dont il vient de faire don au Musée d’Art Moderne – qui ne lui avait acheté jusque là la moindre oeuvre – au Louvre, avec les maîtres du passé : Zurbaran, Delacroix, Courbet. Mais Picasso en cette fin des années 1940 préfère la conversation avec les maîtres du présent comme Matisse dont il ne cesse de parler et auquel il consacre quelques variations comme le Manteau polonais ou la Femme assise dans un fauteuil de 1947.

La femme au fauteuil Paris, 16-Février 1947, Lithographie couleur, édition 50  48,9 x 31,8 cm Graphikmuseum Pablo Picasso, Münster

Femme au fauteuil I manteau polonais (II,IV) Paris, 23-Decembre 1949,  Lithographie, édition 50, 69,8 x 54,6 cm  Christie’s.

Femme au fauteuil manteau polonais IV (I,V) Paris, 3-Janvier 1949  Lithographie edition 50, 76,7 x 56,6 cm Christie’s

Plusieurs variations sur ce thème avec Françoise Gilot reprise en n & b ou en couleurs portant un manteau aux manches – gigot dont les courbes se confondant avec les lignes du fauteuil.

Mais à partir de 1954, Picasso entreprend des rencontres avec les maîtres d’une toute autre ampleur. (Voir chronologie)

De décembre 1954 à février 1955 autour des Femmes d’Alger de Delacroix. D’août à décembre 1957 plus de cinquante études à partir des Ménines de Velàsquez. De mars à août 1960 il s’attaque au Déjeuner sur l’herbe de Manet (sur le travail de Picasso voir exposition Picasso et les Maîtres). A ces groupements d’oeuvres conséquents s’ajoutent d’autres ensembles plus réduits : en 1962, L’enlèvement des Sabines de David, auquel il ajoute celui de Poussin pour réunir tous les signes du traitement classique et néo-classique de l’Antiquité. Entre 1965 – 1971 une suite se réfère à Rembrandt : Femme au bain, La pisseuse, L’autoportrait avec Saskia (ou la gravure) pour plusieurs Homme  et femme nus, Danaé pour plusieurs « Nus allongés » de 1969. Velàsquez revient en 1969 pour les variations autour du Portrait du bouffon Sebastian de Morra. Au tournant des années ’60, les références deviennent tellement nombreuses qu’il devient impossible de les distinguer : Greco, Rembrandt, Velàsquez, Hals se confondent.

Comment caractériser le travail de Picasso dans cette séquence ?

Chaque tableau est soumis à une analyse insistant alternativement sur sa composition et dans plusieurs parties ou détails, des éléments sont enlevés ou rajoutés : figures, accessoires, restrictions ou élargissements de l’espace. Autre travail, une interprétation selon différents styles nettement distincts. C’est donc une mise à l’épreuve de la toile qui subit des métamorphoses variées tout en restant toujours reconnaissable. Les modifications peuvent apparaître successivement ou simultanément.

Chaque série est une chronique de l’exécution d’une toile divisée en de dizaines de toiles. Elle est aussi un condensé des expériences picassiennes depuis les Demoiselles, selon le principe des références à différents moments de son histoire artistique. En ce sens , Picasso fait œuvre de remémoration et d’invention selon le principe médiéval de l’art de la mémoire.

Par exemple dans les Femmes d’Alger.

Eugène Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement, 1834,  huile sur toile, 180x229cm. Musée du Louvre.

Femmes d’Alger d’après Delacroix étude Royan, 10-Janvier~26-Mai 1940  crayon 10,5 x 16 cm Musée Picasso, Paris « Carnet de Royan » 217. Un des quatre dessins sur le tableau de Delacroix dès 1940.

Femmes d’Alger (d’après Delacroix) Étude Royan, 10-Janvier 26-Mai 1940 crayon 10,5 x 16cm Musée Picasso Carnet de Royan 217.

Voir aussi article de Pierre Daix. (+ Article Delacroix)

Les femmes d’Alger (d’après Delacroix) VIII Paris, 11 février 1955 huile sur toile 130 x 162 cm Helly Nahmad Gallery, Londres.

Les femmes d’Alger (d’après Delacroix) XIII Paris, 11-Février 1955 huile sur toile130 x 195 cm collection privée.

Les femmes d’Alger (d’après Delacroix) XV Paris, 14-Février 1955 huile sur toile 114 x 146 cm collection privée, Europe.

Version biomorphique et sexuelle au colorisme à la Matisse du 28/12/1954 – version anguleuse au colorisme fauve également rappelant les collages du 14/02/1955, version anguleuse et monochrome cubiste. Dans cette dernière version coexistent plusieurs modes d’expression : le nu géométrique  en parallélogrammes et trapèzes à droite, la femme au buste et au visage dessinés par des touches fluides et colorées à gauche, la servante toute en courbes au deuxième plan devenue symbole sexuel. Le reflet dans le miroir est traité de la même manière, l’ensemble n’ayant plus rien à voir avec le tableau de Delacroix. à l’exception du premier mode d’expression à gauche. Picasso l’a défini comme une reprise à mi-chemin entre Delacroix et Matisse comme il le disait à Kahnweiler en janvier 1955 : « Je me dis quelquefois que c’est peut-être l’héritage de Matisse. En somme pourquoi est-ce qu’on n’hériterait pas de ses amis ? »

« Au fond, tous mes tableaux ont été comme ça au début, mais ils ont changé après. Les couleurs éclatantes ont été enterrées sous d’autres et même le sujet a souvent changé (…) Vous comprenez, ce n’est pas le temps « temps retrouvé », mais « le temps à découvrir ». Picasso explique ainsi sa démarche sérielle à Kahnweiler. (Propos sur l’art) : il s’agit de suivre le cheminement d’une toile jusqu’à son état final.

Les variations sur les Femmes d’Alger précèdent le tournage du Mystère Picasso qui peut être considéré comme une succession de photogrammes qui montrent les états successifs de la toile, donc l’intégralité du cheminement, l’histoire complète de l’oeuvre. Cette conception de la création se retrouve dans la donation d’une soixantaine d’oeuvres sur le thème des Ménines de Velázquez au Musée Picasso de Barcelone, afin de préserver la cohérence de l’ensemble.

Le travail sur les Ménines.

Picasso considérait Velásquez comme le plus grand maître espagnol de tous les temps. L’importance que Picasso accorda à cette série se manifeste par sa décision de s’enfermer complétement pendant quatre mois dans l’étage supérieur de La Californie absorbé par son travail et refusant toute visite. Nul n’a regardé avec autant d’attention la toile de Vélasquez.  Picasso procéda comme d’habitude face aux toiles des maîtres, à la manière du taureau, jaugeant d’abord avec précision l’arène avant de se laisser emporter par la frénésie de la « faena » du « travail ». Il data avec soin la totalité de la soixantaine de tableaux dont il fit don au Musée de Barcelone. Comme son grand prédécesseur, Picasso tente ainsi de pénétrer le mystère de la peinture, le secret de l’illusion picturale à la quelle son confrontés artiste et spectateur du tableau.

« Supposons que l’on veuille copier Les Ménines purement et simplement, il arriverait un moment, si c’était moi qui entreprenais ce travail, où je me dirais : qu’est-ce que cela donnerait si je mettais ce personnage-là un peu plus à droite ou un peu plus à gauche ? Et j’essaierais de le faire, à ma manière, sans plus me préoccuper de Vélazquez. Cette tentative m’amènerait certainement à modifier la lumière  ou à disposer autrement, du fait que j’aurais changé un personnage de place. ainsi, peu à peu, j’arriverais à faire un tableau Les Ménines qui, pour un peintre spécialiste de la copie, serait détestable ; ce ne serait pas les Ménines telles qu’elles apparaissent pour lui sur la toile de Vélasquez ; ce serait mes Ménines… »

Jaime Sabartés, Picasso, « Les Ménines » et la vie. Paris 1959 p.5.

Diego Velázquez – Las Meninas (La Famille de Philippe IV), 1656. Museo del Prado, Madrid, Espagne.

La première étape : Les Ménines- vue d’ensemble (d’après Velázquez) Cannes, 17-Aout 1957 huile sur toile 194 x 260 cm Museu Picasso, Barcelone. Elle contient à elle seule toutes les évolutions ultérieures en particulier la tendance à la simplification presque enfantine du dessin à droite.

Les Ménines- Vue d’ensemble (d’après Velázquez) Cannes, 19-Septembre 1957 huile sur toile 161 x 129 cm Museu Picasso, Barcelone. Ici la simplification est radicale les formes humaines relèvent du graffiti, le noir absorbe tous les détails, l’espace et le chevalet sont à peine évoqués, parfois par de simples formes quasi abstraites rappelant les toiles suprématistes : carré rouge sur fond noir.

Les Ménines- vue d’ensemble (d’après Velásquez) Cannes, 2-Octobre 1957 huile sur toile 161 x 129 cm Museu Picasso, Barcelona. Ici la surface est saturée de polygones colorés juxtaposés de manière serrée de sorte que les figures se morcellent hormis le chien blanc et la figure grise à droite qui semble le suivre. Seul demeure bien visible le motif de l’homme ouvrant la porte au fond, chevalet et les autres protagonistes sont plus difficiles à identifier. Cette version semble avoir absorbé celle du 19 septembre comme si Picasso avait fragmenté l’évolution du motif sur des toiles séparées au lieu de le reprendre successivement sur la même toile.

Les Ménines- vue d’ensemble (d’après Velázquez) Cannes, 3-Octobre 1957 huile sur toile 129 x 161 cm Museu Picasso, Barcelone. Cette version semble dériver de celle du 17 août en n&b comme si le graphisme avait disparu sous les aplats découpés et les constructions prismatiques rappelant le cubisme.  Il en va de même des détails comme par exemple L’infante Margarita Marìa.

Les Ménines- L’Infante Margarita (d’après Velázquez) Cannes, 21-Aout 1957 huile sur toile 100 x 81 cm Museu Picasso, Barcelone.

Les Menines l’Infante Margarita_14_septembre_1957 huile sur toile 100x81cm Museo Picasso Barcelone.

On pourrait en dire autant du Déjeuner sur l’herbe où il varie les motifs à l’infini : habillages et déshabillages, disproportions, apparition d’un autoportrait éphémère le 30 juillet 1961.

Voir toute la série ici et ici ainsi que ci-dessous un exemple de variation avec un glissement vers le thème du Peintre et de son modèle (Musée Picasso). Remarquer la figure féminine au bain à l’arrière plan traitée à la manière biomorphique des années ’30.

Picasso, Le déjeuner sur l’herbe (d’après Édouard Manet) Vauvenargues, 3 mars – 20 août 1960. Huile sur toile. 130 x 195 cm. Musée national Picasso

Cette démarche exceptionnelle consiste en effet à montrer tout autant les variations entre les différentes versions et par rapport à l’œuvre originale qui reste toujours  la référence. Cette dernière reste le repère central  par rapport auquel  toute la palette des variations se déploie. Chacune de ces séries montre ainsi le rythme des expériences qui frappent par l’aisance et la liberté dont témoigne Picasso dans cet exercice. Des états très différents se succèdent et Picasso choisit de les laisser visibles en inscrivant chaque état dans une nouvelle toile. Chacune de ces toiles ne nous apprend rien sur l’original, elles sont toutes le témoignage de l’art picassien et s’inscrivent dans son œuvre.

Aucune imitation même partielle, dès le début, pour chaque suite il s’agit de mesurer des écarts contre toute règle de la « copie » d’un chef d’œuvre pourtant très courante au XIXe siècle ni avec la « reprise » d’un style comme ce fut le cas dans les années 1920 quand Derain peignait à la manière hollandaise du XVIIe ou de Corot, de Courbet. De Chirico lui même pensait à Titien, à Tintoret ou à Canaletto. Picasso ne cherche pas à peindre comme les maîtres du passé mais à sa manière.

Entre différentes versions des Femmes d’Alger les variations fonctionnent comme pour les Femmes à la fontaine dans les années 1920. Mais entre temps, le registre stylistique s’est élargi avec les les expériences des années ’30 et ’40.

Les femmes d’Alger (d’après Delacroix) Étude IV Paris, 28-Décembre 1954 plume et encre sur papier 21 x 27 cm Musée Picasso

Les femmes d’Alger (d’après Delacroix) [Étude] II Paris, 21-Décembre 1954 encre 34,5 x 43 cm Musée Picasso.

Les femmes d’Alger (d’après Delacroix) III Paris, 28-Décembre 954 huile sur toile 54 x 65 cm collection privée.

Les anatomies en grappes qu’on voit ici ne sont pas une nouveauté, ni les femmes phallus. Elles apparaissent ici de manière évidente. Mais Picasso n’hésite pas à placer un profil (Jacqueline) plus classique dans le dessin du 21 Décembre, présenté comme une sculpture sur socle. Quelques nus structurés de manière plus anguleuse rappellent le cézannisme géométrisé de 1908. Les allusions à Matisse ne sont pas nouvelles non plus.

La même variété se remarque dans les Ménines : souvenirs de 1913 – 1914, femmes dentées des années ’20, visages déformés de 1937. L’espace et les figures sont disposés en plans frontaux à la manière des papiers collés ou des gouaches de Matisse, des lignes obliques et des angles esquissent une profondeur au niveau des murs et du plancher. Plusieurs fois les Ménines sont réduites à des dessins rudimentaires mais là aussi ce n’est pas systématique. L’infante du 14 septembre ressemble à Marie-Thérèse des années ’30 Les réminiscences sont donc nombreuses  mais en même temps transformées, selon les choix de Picasso. C’est avec cette liberté stylistique que lui procure la disponibilité et la capacité de transformation qu’il a toujours travaillé.

Certains ont employé le terme de « paraphrase » pour désigner le travail de Picasso sur les chefs d’oeuvre de l’Histoire de l’Art. Selon Pierre Daix à tort car le terme induit soit une sorte de commentaire explicatif, soit un verbiage, soit une fantaisie au sens musical. Il préfère le terme de transposition dans l’espace et dans le temps qui vise à confronter le chef d’oeuvre aux moyens plastiques du XXe faits de simplifications de raccourcis, et inversement.

Les séries des ateliers.

Les séries sur le thème de l’atelier révèlent justement d’une autre manière ces facultés de Picasso.

L’atelier est d’abord prétexte à réintroduire le motif avec l’Ombre et Nu dans l’atelier de décembre 1953.

L’ombre sur la femme Vallauris, 29-Decembre, 1953 huile sur toile130,8 x 97,8 cm The Israel Museum, Jerusalem.

L’ombre (La chambre à coucher de l’artiste dans sa villa La Californie), Vallauris, 29-Decembre 1953 huile et gouache fusain sur toile 129,5 x 96,5 cm Musée Picasso.

Picasso est à la Galloise, villa située à l’écart de petite ville de Vallauris, sur les collines de l’arrière-pays d’Antibes,  (où Picasso faisait des séjours avec Françoise entre 1948 et 1953), inconfortable c’est ce qui explique que Picasso travaillait souvent dans d’autres ateliers, à l’extérieur, d’abord pour ses céramiques, pais aussi pour les toiles et les sculptures. Mais Françoise Gilot est partie avec les enfants depuis trois mois. Dans la toile au fusain l’ombre s’est approchée du nu féminin. Sur une étagère des sculptures, un char attelé, un vase oiseau siciliens. L’ombre de Picasso, voilà ce qui reste de lui dans ce lieu de création, ombre projeté sur un corps de femme biomorphique dans l’Ombre, en lignes et en plans séparés dans le Nu dans l’atelier. Dans les deux oeuvres, le nu sort de la toile et se poursuit sur une autre toile ou hors cadre comme pour mieux marquer la vie de ces corps, une allusion à l’atelier de la Suite Vollard.

Ces toiles nous ramènent à Avignon, en 1914.

Homme assis au verre (Femme et homme) Avignon été 1914 huile sur toile 236 x 167,5 cm collection privée, Madrid. Toile joyeuse comme Le portrait de jeune fille du Centre Pompidou où l’on retrouve cette ombre masculine peut-être devant une figure féminine.

Femme nue dans l’atelier Vallauris, 30-Decembre 1953 huile sur toile 89 x 116 cm Heinz Berggruen Collection, Genève.

Dans le Nu dans l’atelier on retrouve le même espace d’atelier suggéré  par des toiles retournées, les châssis et les chevalets entassés, des toiles inachevées.

Robert Picault, L’atelier de Picasso à Vallauris. 1950. Fonds de la famille Picault.

Le deuxième ensemble d’ateliers se situe en 1955-1956 entre les Femmes d’Alger et les Ménines.

Il s’agit de villa complétement fermée au monde extérieur, ce qui permettait de dissuader les indiscrets. Elle possédait un vaste séjour que Picasso transforma en atelier et lieu de réception de ses visiteurs, il l’a « picassisé » comme dit Pierre Daix. C’est ici que Picasso réalise ces « paysages d’intérieur » que sont ces vues de l’atelier commencées en octobre 1955, interrompus en novembre par la séquence de Jacqueline au costume turc, repris ensuite en avril 1956 avec la série de la Femme dans l’atelier (voir deux versions plus loin). Ici Picasso pousse plus loin les transformations de l’atelier grâce à la présence de Jacqueline : pénombre à contre jour, lumière, peinture synthétique avec un minimum de signes en traits ou aplats de couleurs légères. Cette séquence a été révélée en 1957 pour l’inauguration de la galerie Louise Leiris. Elle marque parfois une tendance matissienne très forte.

Robert Picault et Picasso à la Californie 1955. Jacqueline à la Californie 1957, coll. Getty.

L’atelier II Cannes 1-Avril 1956 huile sur toile 89 x 116 cm, coll. privée. L’atelier de La Californie, Cannes, 30 mars 1956 huile sur toile 114 x 146 cm Musée Picasso

On y retrouve le même désordre, l’encombrement, le mélange de toiles achevées, inachevées, voire vierges comme cette toile blanche placée au milieu (allusion à l’Atelier de Courbet). Les sculptures sont là également comme dans les années 30, têtes sur des sellettes alors qu’il n’exécute aucune sculpture de ce genre. L’atelier est à l’image de ses toiles, un réceptacle de tous les styles, de toutes les périodes. « Temps à découvrir », comme il disait pour les toiles blanches, « Temps retrouvé » pour les allusions au passé omniprésentes.


Femme dans l’atelier II Cannes, 3~7-Avril 1957 huile sur toile 46 x 55 cm The Speed Art Museum, Louisville Kentucky.

Femme dans l’atelier III Cannes, Mai Juin 1956 huile sur toile 65 x 81 cm coll privée.

Les impostes mauresques des fenêtres évoquent sa filiation avec Matisse qui lui a « légué ses odalisques ». L’atelier se transforme en permanence par la présence de sa compagne, Jacqueline. Tout est réduit à un ensemble très limité de signes, d’aplats, de traits de couleur légères comme s’il voulait prendre possession du lieu.

la réflexion autour du thème Le peintre et son modèle, avait commencé avec la série de gravures sur le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac commencées en 1927, un petit roman racontant l’histoire d’un vieux peintre, Frenhoffen qui travaille depuis des années sur une œuvre dont il parle fréquemment en termes élogieux. Lorsqu’il consent à révéler ce tableau à ses amis, ces derniers restent perplexes : ils voient la peinture mais sont incapables d’identifier quelque sujet que ce soit. L’artiste avait passé des années à repeindre et à effacer pour créer une œuvre qui triompherait de la réalité. Le résultat finalement importait peu car l’acte de création était tout aussi important. L’œuvre, si longtemps dissimulée, était en réalité une tentative de rendre l’art visible en tant que tel, une sorte d’épiphanie définitive. Sorte d’art absolu, le chef-d’œuvre ne pouvait que rester invisible pour que les artistes continuent à nourrir l’espoir de le réaliser un jour.

Le Chef-d’œuvre Inconnu (Peintre et modèle tricotant) Paris 1927 eau forte papier édition 99 25,2 x 32,5.

Le Chef-d’œuvre Inconnu (Peintre au travail) Paris fin1927 eau forte papier édition 99. 19,4 x 27,7 cm Musée Picasso.

Un artiste barbu dessine une femme âgée, l’air revêche, en train de tricoter, une version triviale de la Parque (Parques inspirées des Moirai : 3 divinités de la destinée humaine Nona celle qui file, Decima celle qui met le fil dans le fuseau, Morta celle qui coupe le fil) fileuse ? L’artiste trace sur la toile des diagrammes et des lignes non imitatives. Observez comment l’artiste se désintéresse du modèle classique (Olga ?) poursuivant sa quête du chef d’oeuvre absolu de l’art qui ne peut qu’être une idée. L’artiste a beau noircir la surface du tableau, l’idée initiale demeure. Même si cette idée trouve sa source dans la nature, elle n’en est pas la reproduction fidèle comme le montrent ces deux gravures de la série.

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Mais notre rapport à l’œuvre d’art, ainsi que le rapport entre maîtres anciens et artistes modernes est lui aussi déterminé par les enjeux de mémoire comme le montre l’article de Pascal Griener : La Jouissance du même, les maîtres anciens comme fétiches modernes : http://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=kas-002:2001:52::457

Depuis les premiers collectionneurs de la Renaissance, on a comparé les œuvres « modernes » à celles d’un art du passé idéalisé érigé en référence absolue et ceci non seulement pour la sculpture antique mais aussi pour la peinture. Longtemps appréciée des collectionneurs au point d’être rajoutée par divers procédé artificiels, la patine a été un signe d’ancienneté donc de qualité jusqu’au milieu du XIXe.

La gravure de Hogarth pointe avec humour cette pratique ridicule.

http://metmuseum.org/art/collection/search/366151

Pascal Griener oppose le caractère éphémère de l’art contemporain (installations, performances, assemblages de déchets et présentés comme œuvres d’art du mouvement arte povera) la « fétichisation » (sanctification ?) d’œuvres de maîtres anciens avec l’éternel débat sur les « interventions » lors des restaurations successives.

Des artistes contemporains se réfèrent à l’art ancien de manière ambivalente : hommage ou désacralisation ?

Des représentants d’arte povera (terme inventé par le critique Germano Celant) se revendiquent « anticulturels », mais n’hésitent pas à rendre hommage aux maîtres anciens.

Giuseppe Penone taille des poutres selon les courbes des anneaux de croissance pour retrouver l’arbre. Il sculpte le tronc et les branches afin de trouver la forme virtuellement contenue dans la matière comme le disait Michel-Ange  pour le bloc de marbre.

Michelangelo Pistoletto Vénus aux chiffons, 1967-1974, Tate modern Londres.

Dans une série appelée « framenti di memoria », Jannis Kounellis recourt à des matériaux qui possèdent une charge symbolique en référence à l’Antiquité :

Jannis Kounellis, Sans titre, 1975.

Fragments d’une statue, masque que porte le personnage, cheveux naturels qui ondulent pour former une sorte de fumée symbolisant la puissance des dieux et inspirée de la croyance antique à la force vitale des cheveux que les jeunes filles offraient aux dieux. Cette forme qui se libère en partant du masque donne un caractère mystérieux, apocryphe à l’oœuvre.

Ces exemples comme le travail de Picasso sur les maîtres du passé montrent la fin d’un esprit d’opposition à l’art du passé qui caractérisait les avant-gardes et qui culminait dans l’art abstrait. Entré dans une sorte de post-modernité, l’art devient une sorte de propriété collective où chacun s’approprie l’histoire de l’art à sa manière en faisant des citations.

Hans Belting pose ainsi la question en 1983,  « L’histoire de l’art est-elle finie ? » dans la mesure où il n’y a plus de linéarité du temps ni de catégories, les artistes brassant styles, périodes, techniques et sujets.

En effet, c’est avec une grande liberté que les artistes affirment leur art par la citation ou la référence au passé, d’autant plus que l’art abstrait entre en « crise » dès les années ’70 et que la figuration revient y compris de manière très proche de la tradition.
Une des tendances majeures c’est l’hybridation entre art occidentale et cultures populaires selon l’aspiration des « post-modernes » de concilier haute culture et culture populaire.

Les exemples ne manquent pas :

En France Gérard Garouste  et Jean-Michel Alberola mettent en œuvre une « figuration savante ». Tout comme la peinture du XVIIe siècle a pu être marquée par le grand retour des thèmes mythologiques, la figuration « libre » ou « savante », sur des toiles d’un grand format, reprend les thèmes mythiques, religieux ou historiques

Jean-Michel Alberola (né en 1953) « La Sentinelle de Suzanne » (série sur Suzanne et les vieillards) (1982) musée des beaux-arts d’Orléans (Loiret, France)

John Currin, peintre américain imite à la perfection dans les années ’90 la technique des artistes qu’il cite et actualise la peinture ancienne en allant chercher un érotisme latent.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/9b/Annibale_carracci%2C_salma_di_cristo.jpg/969px-Annibale_carracci%2C_salma_di_cristo.jpg

Annibale Carracci, Le Christ mort. 1583-85, huile sur toile, 89×70 cm, Staatsgalerie Stuttgart

http://blog.ocad.ca/wordpress/gart1b21-fw2011-02/files/2012/03/nude-on-table-2001.png

John Currin, Nu allongé sur une table. 2001, Huile sur toile, coll. privée.

Mais l’art moderne a également donné lieu à des citations comme le montre Sherrie Levine :

http://www.artnet.com/artists/sherrie-levine/after-kasimir-malevich-a-GWP8jgCLjD0qDlrG542anA2

Le projet Mnémosyne : un musée imaginaire et composite d’Aby Warburg.

Le rapport art – mémoire pose la question du statut de l’œuvre à différentes époques, de son identité, de son attribution. Dans les « lieux de mémoire » (cf. Pierre Nora) que sont les musées, les œuvres entrent également dans un processus qui les transforme en objets de la mémoire.

Mais la notion de « musée » dépasse les bâtiments appelés ainsi. Musée imaginaire de Malraux ou le projet Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg (1866-1829), publié en français et introduit par Roland Recht  :

Texte du livre :  https://photos.app.goo.gl/FqVlVSVK7UuS4vIF2

Les images sont ici  :

http://warburg.sas.ac.uk/collections/warburg-institute-archive/bilderatlas-mnemosyne/mnemosyne-atlas-october-1929

Voir ensemble des planches (en anglais et italien) : http://www.engramma.it/eOS/core/frontend/eos_atlas_index.php

Dans un contexte de développement moderne, une véritable crainte d’une perte de la mémoire des traditions affecte Vienne et plus largement l’Europe. Proust (A la Recherche du temps perdu), Freud, Bergson (Matière et mémoire)

La mémoire fut le fil conducteur non seulement de ce projet inachevé, mais une véritable obsession pour « l’historien des images » (comme il aimait s’appeler) allemand et un véritable fil conducteur de son œuvre. Il se réfère à la mémoire de deux manières : en réunissant livres et images qui conservent la mémoire de la pensée du passé (images et textes), mais aussi en concevant la bibliothèque, c’est à dire à la fois sa disposition et son architecture comme une spatialisation de la mémoire, un moyen mnémotechnique pour associer et retrouver les livres et comme mode de pensée autour de l’idée que la mémoire est une force qui se manifeste en tant qu’héritage commun de l’humanité.

Il est le seul à aborder cette question de la mémoire en ayant recours aux images, non pas mentales comme Freud et Bergson, mais matérielles, aux oeuvres d’art.

Il accordait une grande importance au style des artistes, sans pour autant tomber dans le formalisme, en plaçant au centre de son anthropologie le « Pathosformel » (formule de pathos), sortes de survivances qui surgissent dans des œuvres très éloignées dans le temps volontairement ou involontairement.

Prenons l’exemple de la Vénus et du Printemps de Botticelli. (Planche 39)

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3c/Botticelli-primavera.jpg/1200px-Botticelli-primavera.jpg

Sandro Botticelli, Le Printemps (Primavera),1478 à 1482, Tempera sur panneau de bois, 203 × 314 cm, Galerie des Offices, Florence.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0b/Sandro_Botticelli_-_La_nascita_di_Venere_-_Google_Art_Project_-_edited.jpg/1024px-Sandro_Botticelli_-_La_nascita_di_Venere_-_Google_Art_Project_-_edited.jpg

Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, vers 1484-1485, tempera maigre (pigments liés à du gras), 172.5 × 278.5 cm, Galerie des Offices, Florence.

Que fait : l’Heure (ou la Grâce) avec sa robe au vent et sa grande cape en mouvement ? Elle accueille Vénus pour la couvrir d’un vêtement qu’elle lui tend. Pour Warburg, elle danse.
Que font Zéphyr et Chloris (Aura), ils sont à l’origine d’une brise qui a poussé la coquille de Vénus jusqu’au rivage mais ils sont également enlacés fussent-ils en l’air. Vénus elle même certes immobile devant nous elle transforme simple pose en une chorégraphie du corps exposé.  Que font les personnages du Printemps ? Ils dansent tous.

Domenico Ghirlandaio, Naissance de la Vierge. Chapelle Tornabuoni, Santa Maria Novella, Florence.

Domenico Ghirlandaio, Naissance de Saint Jean Baptiste, 1486-90, fresques, église Santa Maria Novella, Florence.

Que font les servantes de Ghirlandaio dans les cycles de Santa Maria Novella, à part verser de l’eau dans une cruche ou apporter un plateau de fruits ? Elles dansent aussi, centrales à la dynamique de l’image, autant qu’elles passent, marginales à la distribution des personnages dans le thème iconographique.

Menade qui danse, bas relief, 120-140 après J-C., marbre copie romaine d’original grec du V siècle avant J-C, Museo del Prado, Madrid.

Warburg se sert de deux paradigmes :

linguistique inspiré des mots dont la source subsiste malgré les transformations successives de langue en langue et d’époque en époque. Les images fonctionneraient d’une certaine manière de la même façon, certaines figures, gestes, attitudes d’œuvres récentes (Moyen Age , Renaissance) auraient des sources lointaines provenant de sarcophages antiques,
Si Warburg applique la même méthode que les linguistes en cherchant les « survivances » formelles d’images, notamment corporelles, (gestes, corps, attitudes) il n’assimile pas l’image au mot.

Ce deuxième paradigme est d’ordre chorégraphique (G. Didi-Huberman) : salutations, danses, règles de combat, sports, attitudes de repos, positions sexuelles,
Le pathos est chez Warburg une atteinte physique et affective du corps humain. Ainsi la représentation de la Vénus de Botticelli ne se résume pas seulement à un rapport entre source littéraire (les « stanze de Politien) et son « résultat artistique ». Il doit prendre en considération toute une épaisseur anthropologique autour de la danse amoureuse et de la séduction à Florence.

Les gestes naturels (marcher, passer, paraître) deviennent ainsi gestes plastiques (danser, virevolter, pavaner) dans une vision « dionysiaque du monde » selon Nietzsche, et le pathos formel a été inventé justement pour rendre compte de cette intensité chorégraphique (Didi-Huberman) si caractéristique de la Renaissance. S’agissant de la grâce féminine, Warburg invente une personnification transversale et mythique : la Ninfa, la nymphe.

Warburg se définit comme « historien des images » qui tente d’établir des liens qui unissent les époques à partir de l’examen des images. Les unes sont utilisées par l’homme primitif qui les associe de façon non langagière généralement à la religion, les autres sont incorporées par les sociétés civilisées, historicisées qui en recherchent la signification.

Vers la fin de sa vie, il est de plus en plus préoccupé par le problème de la mémoire qui amasse des impressions primitives phobiques contre lesquelles l’homme a créé des êtres mythiques et qui subsistent dans la mémoire, et d’autre part il accumule mots et images qui vont lui donner la possibilité de créer un univers objectif.
Comment ces strates mémorielles influencent-elles l’artiste tout au long de la période de création ? Quelles postures les artistes adoptent-ils face aux problématiques soulevées par la permanence de la mémoire mais aussi l’oubli.

Quelles formes plastiques sont données à ces remémorations et réactualisations à différentes époques que Erwin Panofsky a appelé les « renaissances ». Parmi ces « retours » à Antiquité au Moyen Age, le principe de disjonction opère un anachronisme transformant des figures antiques en figures chrétiennes :

Bacchus ivre soutenu par un esclave, figure d’un vase trouvé au Camposanto de Pise transformé en Grand prêtre dans la Présentation au temple de la chaire du baptistère de Pise pat Nicola Pisano (vers  1260):

 

Bibliographie.

Sur le Moyen Age un ouvrage de synthèse sur la fonction de l’image (y compris mémorielle) dont le CR est ici :

Christopher Lucken, CR de l’ouvrage de Jean-Claude Schmitt, Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge. Paris, Gallimard, Collection « Le temps des images », 2002 Médiévales, automne 2004,  : http://medievales.revues.org/1085

Frances Yates, L’Art de la Mémoire, (éd. angl. 1966, éd. fr. trad. par D. Arasse, Gallimard, 1976.

Carruthers, Mary, Le livre de la mémoire : une étude de la mémoire dans la culture médiévale. Paris, Macula. 2002. (elle poursuit les recherches de Frances Yates en se focalisant non pas sur la théologie, l’intérêt pour l’ésotérisme, l’hermétisme et la science des emblèmes mais sur la mémoire au service de la connaissance et des sciences. (Peu de passages nous intéressent directement)

Daniel Arasse, Histoires  de peintures, Folio. (chapitres : « De la mémoire à la rhétorique » et « Un historien à la Chambre des époux. »).  (chapitres 12 et 13). Il explique de manière simplifiée les thèses de F. Yates en donnant quelques exemples d’application dans la peinture.

12 De la mémoire à la rhétorique
13 Un historien dans la Chambre des époux

Daniel Arasse, Ars memoriae et symboles visuels. la critique de l’imagination à la fin de la Renaissance. in Symboles de la Renaissance, Preses de l’École Normale Supérieure. Plus approfondi, cet article daté mais très important, rédigé peu après la traduction du livre fondateur de Frances Yates introduisait en France la question de l’art de la mémoire et ses implications esthétiques dans le passage du moyen Age à la Renaissance.

Lire l’article ici :

Daniel Arasse article Symboles de la Renaissance

Naïs Virenque, De la mémoire à la rhétorique, les arts de la mémoire à la charnière entre Moyen-Age et Renaissance.  (in Actes du colloque, Transitions historiques, sous la direction de, Christel Müller et Monica Heintz. ed. de Boccard. Comment l’art de la mémoire peut éclairer le passage du Moyen Age à la Renaissance dans la peinture ?

https://drive.google.com/file/d/0ByMLcNsCNGb5SE1KdE5tNk5EeXNMTi1YSlZfcXhKWjZXdnpN/view?usp=sharing

Édouard Pommier : Comment l’art devient l’Art dans l’Italie de la Renaissance. Gallimard, Bibliothèque des histoires. Plusieurs chapitres consacrés à la mémoire : souvenir de l’antiquité, renommée des artistes de la Renaissance, lieux de mémoire de leurs oeuvres constituant un véritable parcours de « mémoire géographique de l’art » pour les jeunes artistes, une préfiguration du Grand Tour.

https://goo.gl/photos/Uym8zbB71GYMn5FE9

Sur cette question de la « mémoire géographique » voir aussi le roman Les Pérégrinations de Franz Sternbald (Künstlerroman de 1798) de Ludwig Tieck. Un élève imaginaire de Dürer quitte son vénéré maître pour entreprendre une sorte de voyage imaginaire  combinant à la fois la Nature « plus puissante que l’Art » (: forêts décrites avec minutie comme des tableaux, montagnes) et des villes souvent associées à de grands peintres : Lucas de Leyde mais aussi Rome où il étudie les monuments, les fresques. Tieck parsème le texte de descriptions de paysages et de tableaux fameux.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3a/Carl_Philipp_Fohr_001.jpg/640px-Carl_Philipp_Fohr_001.jpg

Karl Philipp Fohr, Le château de Heidelberg, 1815. Huile sur toile, Hessisches Landesmuseum Darmstadt.

Quand l’apprenti apprend la mort de Raphaël en 1520, il s’interroge : Mais Dürer va mourir ? Non ! Un grand artiste est immortel ! Ce roman a connu un grand succès auprès des peintres allemands.

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